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Vous mentionnez un rêve où vous dites à votre père, "Ce gars sur scène, c'est la façon dont je te vois". Quelle en est la signification ?
On dit que vous essayez de faire aussi bien que ceux dont vous ne pouvez pas être proche. Donc, j'étais essentiellement un fainéant qui n'a jamais travaillé, mis à part gratter les cordes de sa guitare. Mais quand je suis allé travailler, j'ai mis les vêtements de mon père et je me suis glissé dans ses rôles, de bien des manières, afin d'être proche de lui, afin de le comprendre. Je n'ai compris ça que bien plus tard. Donc, ce rêve, c'était juste moi en train d'essayer d'expliquer à mon père, "Regarde, c'est à cet endroit-là que tout ça nous a conduit. C'est à cet endroit-là que tu m'as amené, et c'est ainsi que je te vois au plus profond de mon cœur".
Vous avez choisi de rendre universel l'histoire de votre père en quelque chose qui ne l'était pas. La réalité était-elle trop compliquée pour une chanson de rock'n'roll ?
Peut-être. Ou peut-être que j'ai été influencé par A l'est d'Eden (4) et ce genre d'archétypes, et je nous ai choisi pour ces rôles. C'est la raison pour laquelle, dans le livre, je dis que j'ai été un peu injuste envers lui, car nos vies étaient bien plus complexes.
Vous écrivez que vous avez été quelque peu traumatisé par ce qu'il se passait chez vous.
C'était suffisant pour me mettre à bout de nerfs et il ne s'agissait pas seulement de ce que mon père faisait, non plus. C'était la nature de ma relation avec mes grands-parents, qui était très intense, voire incroyablement anxiogène. Je n'avais pas de porte de sortie. Alors je me mordais les doigts jusqu'au sang, où je clignais les yeux de manière incontrôlable.
Vous vous décrivez autour de l'âge de huit ans comme un "trouillard" et un "tordu".
Complètement.
Comment avez-vous accompli ce chemin entre ce moment-là et les années 80, principalement, où vous êtes l'archétype masculin de la rock star ?
C'était une réaction évidente, je pense, à mon enfance - et je regarde en arrière et elle me semble unidimensionnelle. A mes yeux, mon père était un homme masculin très conventionnel. Il a travaillé physiquement. Il était grand et costaud. Et là encore, vous essayez de faire aussi bien. Je crois que c'est la façon dont j'en suis arrivé là. Mais il avait lui-même cette dichotomie. Il devait être comme moi lorsqu'il était jeune. Il était doux à l'intérieur. Et dans les années 1940 et 1950, vous ne pouviez pas survivre de cette façon-là. Comme enfant, on ne lui a pas donné la confiance pour lui permettre d'être lui-même, entièrement masculin, et je ne parle pas d'une manière unidimensionnelle ou conventionnelle. J'ai dû alors en tirer moi-même des enseignements, et qu'est-ce que j'ai utilisé pour le faire ? J'ai utilisé ma musique et fais du mieux que je pouvais.
Qu'avez-vous essayé d'enseigner à vos fils sur ce que ça signifie qu'être un homme ?
J'essaie de mettre l'accent sur mon côté le plus doux, et qu'il n'y a pas besoin d'en avoir honte ou de mal interpréter cette partie de vous-même. Tout comme vous devez vous sentir à l'aise avec l'autre facette, tout simplement.
Il y a eu beaucoup d'épisodes où vous avez souvent frôlé l'échec complet. Existe-t-il un univers où vous revenez dans le New Jersey pour y devenir le leader du plus grand groupe de bar qu'on ait jamais vu ?
Vous pouvez être très, très bon et échouer. Mais est-ce que je conçois personnellement un scénario où cette histoire aurait pu arriver ? Non [rires] Ou peut-être que je préfère ne pas le concevoir, tout simplement. J'étais un lion à la poursuite des choses dont j'avais besoin. Et en voyageant, je ne voyais pas beaucoup de personnes meilleures que moi. J'en ai vu certaines, vous savez. Mais évidemment, nous étions très isolés dans le New Jersey à cette époque-là. Parfois, une sorte de rock star de série B passait dans le coin et voyait notre groupe et se disait, "Oh mec", mais rien n'arrivait.
Et parfois ils couchaient avec votre petite amie, apparemment.
Malheureusement. Cette partie est vraie aussi [rires] Donc, je savais ce que c'était d'échouer.
La chanson Backstreets semble saisir ce moment de votre vie. D'où vient cette chanson ?
De la jeunesse, tout simplement, de la plage, de la nuit, de l'amitié, le sentiment d'être un exclu et de mener une vie éloignée des choses dans ce petit avant-poste du New Jersey. Elle évoque aussi un lieu qui est un refuge personnel. Il ne s'agissait pas d'une relation spécifique qui a donné vie à la chanson, ou de quelque chose de ce genre.
Vous avez parlé de l'élection sur scène, l'autre soir. Que pensez-vous du phénomène Trump ?
Vous savez, la république est assiégée par un crétin, tout simplement. Cette histoire est tragique. Sans exagérer, c'est une tragédie pour notre démocratie. Quand vous commencez à parler d'élections truquées, vous amenez les gens au-delà de la gouvernance démocratique. Et c'est une chose très, très dangereuse. Une fois que vous laissez ces génies sortir de leur boite, ils n'y retournent pas si facilement, si jamais ils y retournent. Les idées qu'il agite devant le grand public sont toutes très dangereuses - le nationalisme blanc et le mouvement de la droite alternative. Les choses scandaleuses qu'il a faites - ne pas désavouer immédiatement David Duke (5) ? Ce sont des choses qui auraient été évidemment inacceptables pour n'importe quel autre précédent candidat. Votre candidature coulerait à pic immédiatement.
Je crois qu'il y a un prix qui est payé pour ne pas avoir traité le véritable coût de la désindustrialisation et de la mondialisation aux États-Unis au cours des trente-cinq, quarante ans passés, et la façon dont ça a profondément affecté la vie des gens et durablement blessé ceux qui vivaient là où on voulait que quelqu'un apporte une solution. Et Trump apporte des réponses simples à des problèmes très complexes. Des réponses fallacieuses à des problèmes très complexes. Et c'est ce qui peut être très attrayant.
On dit que vous essayez de faire aussi bien que ceux dont vous ne pouvez pas être proche. Donc, j'étais essentiellement un fainéant qui n'a jamais travaillé, mis à part gratter les cordes de sa guitare. Mais quand je suis allé travailler, j'ai mis les vêtements de mon père et je me suis glissé dans ses rôles, de bien des manières, afin d'être proche de lui, afin de le comprendre. Je n'ai compris ça que bien plus tard. Donc, ce rêve, c'était juste moi en train d'essayer d'expliquer à mon père, "Regarde, c'est à cet endroit-là que tout ça nous a conduit. C'est à cet endroit-là que tu m'as amené, et c'est ainsi que je te vois au plus profond de mon cœur".
Vous avez choisi de rendre universel l'histoire de votre père en quelque chose qui ne l'était pas. La réalité était-elle trop compliquée pour une chanson de rock'n'roll ?
Peut-être. Ou peut-être que j'ai été influencé par A l'est d'Eden (4) et ce genre d'archétypes, et je nous ai choisi pour ces rôles. C'est la raison pour laquelle, dans le livre, je dis que j'ai été un peu injuste envers lui, car nos vies étaient bien plus complexes.
Vous écrivez que vous avez été quelque peu traumatisé par ce qu'il se passait chez vous.
C'était suffisant pour me mettre à bout de nerfs et il ne s'agissait pas seulement de ce que mon père faisait, non plus. C'était la nature de ma relation avec mes grands-parents, qui était très intense, voire incroyablement anxiogène. Je n'avais pas de porte de sortie. Alors je me mordais les doigts jusqu'au sang, où je clignais les yeux de manière incontrôlable.
Vous vous décrivez autour de l'âge de huit ans comme un "trouillard" et un "tordu".
Complètement.
Comment avez-vous accompli ce chemin entre ce moment-là et les années 80, principalement, où vous êtes l'archétype masculin de la rock star ?
C'était une réaction évidente, je pense, à mon enfance - et je regarde en arrière et elle me semble unidimensionnelle. A mes yeux, mon père était un homme masculin très conventionnel. Il a travaillé physiquement. Il était grand et costaud. Et là encore, vous essayez de faire aussi bien. Je crois que c'est la façon dont j'en suis arrivé là. Mais il avait lui-même cette dichotomie. Il devait être comme moi lorsqu'il était jeune. Il était doux à l'intérieur. Et dans les années 1940 et 1950, vous ne pouviez pas survivre de cette façon-là. Comme enfant, on ne lui a pas donné la confiance pour lui permettre d'être lui-même, entièrement masculin, et je ne parle pas d'une manière unidimensionnelle ou conventionnelle. J'ai dû alors en tirer moi-même des enseignements, et qu'est-ce que j'ai utilisé pour le faire ? J'ai utilisé ma musique et fais du mieux que je pouvais.
Qu'avez-vous essayé d'enseigner à vos fils sur ce que ça signifie qu'être un homme ?
J'essaie de mettre l'accent sur mon côté le plus doux, et qu'il n'y a pas besoin d'en avoir honte ou de mal interpréter cette partie de vous-même. Tout comme vous devez vous sentir à l'aise avec l'autre facette, tout simplement.
Il y a eu beaucoup d'épisodes où vous avez souvent frôlé l'échec complet. Existe-t-il un univers où vous revenez dans le New Jersey pour y devenir le leader du plus grand groupe de bar qu'on ait jamais vu ?
Vous pouvez être très, très bon et échouer. Mais est-ce que je conçois personnellement un scénario où cette histoire aurait pu arriver ? Non [rires] Ou peut-être que je préfère ne pas le concevoir, tout simplement. J'étais un lion à la poursuite des choses dont j'avais besoin. Et en voyageant, je ne voyais pas beaucoup de personnes meilleures que moi. J'en ai vu certaines, vous savez. Mais évidemment, nous étions très isolés dans le New Jersey à cette époque-là. Parfois, une sorte de rock star de série B passait dans le coin et voyait notre groupe et se disait, "Oh mec", mais rien n'arrivait.
Et parfois ils couchaient avec votre petite amie, apparemment.
Malheureusement. Cette partie est vraie aussi [rires] Donc, je savais ce que c'était d'échouer.
La chanson Backstreets semble saisir ce moment de votre vie. D'où vient cette chanson ?
De la jeunesse, tout simplement, de la plage, de la nuit, de l'amitié, le sentiment d'être un exclu et de mener une vie éloignée des choses dans ce petit avant-poste du New Jersey. Elle évoque aussi un lieu qui est un refuge personnel. Il ne s'agissait pas d'une relation spécifique qui a donné vie à la chanson, ou de quelque chose de ce genre.
Vous avez parlé de l'élection sur scène, l'autre soir. Que pensez-vous du phénomène Trump ?
Vous savez, la république est assiégée par un crétin, tout simplement. Cette histoire est tragique. Sans exagérer, c'est une tragédie pour notre démocratie. Quand vous commencez à parler d'élections truquées, vous amenez les gens au-delà de la gouvernance démocratique. Et c'est une chose très, très dangereuse. Une fois que vous laissez ces génies sortir de leur boite, ils n'y retournent pas si facilement, si jamais ils y retournent. Les idées qu'il agite devant le grand public sont toutes très dangereuses - le nationalisme blanc et le mouvement de la droite alternative. Les choses scandaleuses qu'il a faites - ne pas désavouer immédiatement David Duke (5) ? Ce sont des choses qui auraient été évidemment inacceptables pour n'importe quel autre précédent candidat. Votre candidature coulerait à pic immédiatement.
Je crois qu'il y a un prix qui est payé pour ne pas avoir traité le véritable coût de la désindustrialisation et de la mondialisation aux États-Unis au cours des trente-cinq, quarante ans passés, et la façon dont ça a profondément affecté la vie des gens et durablement blessé ceux qui vivaient là où on voulait que quelqu'un apporte une solution. Et Trump apporte des réponses simples à des problèmes très complexes. Des réponses fallacieuses à des problèmes très complexes. Et c'est ce qui peut être très attrayant.
Le New Work Times a retrouvé la personne qui était le sujet de votre chanson Youngstown, et c'est un partisan de Trump. Qu'en pensez-vous ? Êtes-vous surpris ?
Pas vraiment. Pas si vous connaissez l'histoire de Youngstown et ce qui est arrivé.
Si les gens ici sont poussés à la limite, et arrivent à saisir un pistolet métaphorique représenté par Trump, c'est la même colère que celle sur laquelle vous écrivez.
Oui. J'ai commencé à écrire sur ce sujet il y a trente ans ou environ.
Que pensez-vous de Black Lives Matter (6) ?
Et bien, on récolte ce que l'on sème. Ce sont des sujets qui ont été ignorés ou cachés, et grâce à la technologie moderne et à la disponibilité constante des portables et des caméras vidéo, ces choses montent à la surface. Black Live Matters est une conséquence naturelle et une réponse à des injustices qui ont cours aux États-Unis depuis très longtemps.
Pourquoi est-ce si difficile pour tant de Blancs de s'y confronter ? Pourquoi ce rejet ?
Personne n'aime s'entendre dire qu'il a tort.
Que pensez-vous de la protestation de Colin Kaepernick (7) et la réaction qui a suivi ?
La sport est un endroit compliqué pour faire des déclarations politiques. Il y a eu les Jeux Olympiques dans les années 1960, et bien sûr Mohamed Ali. Mais le sport est un domaine d'évasion si grand. Je pense que lorsqu'on y injecte de la politique ou une expression personnelle, les gens en sont irrités bien plus que dans d'autres domaines. Mais nous sommes dans une période où il n'existe pas de lieux d'où ces questions peuvent être exclues. J'admire Kaepernick, mais c'est une discipline où il est très difficile d'être franc.
Pareil pour la musique, peut-être, parfois. Dans les années 1980, vous avez essayé de vous dissocier de Reagan (8). Mais vous n'êtes pas allé aussi loin que ce que vous a été plus tard. Pourquoi ?
Je devais peut-être manquer de confiance.
Vous avez choisi de ne rien faire pour la campagne présidentielle de cette année. Avez-vous perdu la foi dans le pouvoir que vous pourriez avoir d'influencer ces choses ?
Je ne sais pas. Je pense que vous avez un impact limité en tant qu'artiste, comédien ou musicien. Je crois que ce que j'ai fait était certainement utile. Et je l'ai fait à l'époque car je sentais que le pays était en crise, ce qui est le cas aujourd'hui. Je ne sais pas si nous avons été approchés, pour le moment, pour faire quelque chose. Si c'était le cas, je le prendrais en compte et verrais où ça mène.
Non, je n'ai pas vraiment perdu la foi dans ce que je considère être le petit impact qu'un musicien de rock pourrait avoir éventuellement. Je ne pense pas que le public va voir un musicien pour ses opinions politiques. Un point de vue politique vient des circonstances, et de la façon dont vous avez été nourri et élevé. Mais ça vaut la peine d'essayer lorsque c'est la seule chose que vous avez.
Est-ce qu'il y a un manque d'enthousiasme pour Hillary Clinton de votre part ?
Non. J'aime Hillary. Je pense qu'elle serait une très, très bonne présidente.
Pas vraiment. Pas si vous connaissez l'histoire de Youngstown et ce qui est arrivé.
Si les gens ici sont poussés à la limite, et arrivent à saisir un pistolet métaphorique représenté par Trump, c'est la même colère que celle sur laquelle vous écrivez.
Oui. J'ai commencé à écrire sur ce sujet il y a trente ans ou environ.
Que pensez-vous de Black Lives Matter (6) ?
Et bien, on récolte ce que l'on sème. Ce sont des sujets qui ont été ignorés ou cachés, et grâce à la technologie moderne et à la disponibilité constante des portables et des caméras vidéo, ces choses montent à la surface. Black Live Matters est une conséquence naturelle et une réponse à des injustices qui ont cours aux États-Unis depuis très longtemps.
Pourquoi est-ce si difficile pour tant de Blancs de s'y confronter ? Pourquoi ce rejet ?
Personne n'aime s'entendre dire qu'il a tort.
Que pensez-vous de la protestation de Colin Kaepernick (7) et la réaction qui a suivi ?
La sport est un endroit compliqué pour faire des déclarations politiques. Il y a eu les Jeux Olympiques dans les années 1960, et bien sûr Mohamed Ali. Mais le sport est un domaine d'évasion si grand. Je pense que lorsqu'on y injecte de la politique ou une expression personnelle, les gens en sont irrités bien plus que dans d'autres domaines. Mais nous sommes dans une période où il n'existe pas de lieux d'où ces questions peuvent être exclues. J'admire Kaepernick, mais c'est une discipline où il est très difficile d'être franc.
Pareil pour la musique, peut-être, parfois. Dans les années 1980, vous avez essayé de vous dissocier de Reagan (8). Mais vous n'êtes pas allé aussi loin que ce que vous a été plus tard. Pourquoi ?
Je devais peut-être manquer de confiance.
Vous avez choisi de ne rien faire pour la campagne présidentielle de cette année. Avez-vous perdu la foi dans le pouvoir que vous pourriez avoir d'influencer ces choses ?
Je ne sais pas. Je pense que vous avez un impact limité en tant qu'artiste, comédien ou musicien. Je crois que ce que j'ai fait était certainement utile. Et je l'ai fait à l'époque car je sentais que le pays était en crise, ce qui est le cas aujourd'hui. Je ne sais pas si nous avons été approchés, pour le moment, pour faire quelque chose. Si c'était le cas, je le prendrais en compte et verrais où ça mène.
Non, je n'ai pas vraiment perdu la foi dans ce que je considère être le petit impact qu'un musicien de rock pourrait avoir éventuellement. Je ne pense pas que le public va voir un musicien pour ses opinions politiques. Un point de vue politique vient des circonstances, et de la façon dont vous avez été nourri et élevé. Mais ça vaut la peine d'essayer lorsque c'est la seule chose que vous avez.
Est-ce qu'il y a un manque d'enthousiasme pour Hillary Clinton de votre part ?
Non. J'aime Hillary. Je pense qu'elle serait une très, très bonne présidente.