Bruce Springsteen
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Rolling Stone, 05 octobre 2016

Bruce authentique



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Vous avez dit, sur scène, que votre maman voulait que vous soyez écrivain. C'est vrai ?

Oui. Elle me l'a dit lorsque j'étais jeune.

Vos talents n'étaient pas reconnus à l'école, alors qu'a-t-elle vu en vous qui pouvait lui suggérer cette orientation ?

J'ai commencé à écrire des chansons quand j'étais très jeune. J'avais 15 ans et je griffonnais déjà de petites choses, et je suppose qu'à ses yeux, c'était une manière honorable d'être une sorte d'écrivain. Il s'est trouvé que j'étais doué pour l'écriture. Alors que je n'étais pas bon à grand chose d'autre à l'école, dans mon cours de création littéraire ou lorsque nous devions écrire en classe d'Anglais, j'avais tendance à être meilleur.

Vous vous êtes éduqué seul avec assez de sérieux et de rigueur. Comment avez-vous fait ?

C'est venu très naturellement. Je n'ai jamais cherché à étudier ou quoi que ce soit. J'ai toujours été curieux, mais à l'école, j'étais trop jeune pour en profiter, et les choses y étaient présentées de manière un peu sèche. Quand j'ai rencontré Jon [Landau] (3), il m'a ouvert aux films et aux livres, j'ai commencé à lire des choses qui ont touché mon âme. Beaucoup étaient des auteurs de roman noir - James M. Cain, Jim Thompson, Flannery O'Connor. Et puis j'ai commencé à lire les livres d'histoire. La grande histoire m'a rendu curieux. J'ai lu Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn, et le livre de Henry Steele Commager [A Pocket History of the United States]. Une chose en entrainant une autre, je suis devenu complètement autodidacte.

Ces derniers temps, je regrette davantage de ne pas avoir été à l'université. J'ai raté la chance de vivre dans le monde des idées lorsque j'aurais pu en profiter. Il y a quelques années, mon ami Robert Coles a donné un cours à Harvard à propos de Walker Percy, et j'y ai assisté. C'était amusant et je m'y suis senti dans mon élément. J'ai eu envie d'aller à l'université !

Quels écrivains ont façonné la voix que vous avez trouvé pour le livre ?

Tout ce que j'ai absorbé m'a conduit à trouver une voix avec laquelle j'étais à l'aise. J'aime tous les livres d'Elmore Leonard, par exemple. Mais si vous essayez de faire quelque chose d'original, vous ne pouvez pas le copier.

Vos grands-parents paternels occupent une place importante dans votre histoire, mais vous n'avez écrit sur eux qu'une seule chanson, jamais rééditée - Randolph Street (Master of Electricity).

Oui, juste une. Je ne pense pas que la chanson était très bonne, probablement. Mais j'ai capturé un peu de l'intensité de mes sentiments à leur égard. Je n'ai pas sondé mon esprit pour écrire d'autres chansons sur mes grands-parents, et je travaille de manière inversée. Je ne choisis pas un sujet sur lequel je me décide à écrire. J'écris sur ce qui émane de moi.

Vous écrivez que l'amour dominateur de votre grand-mère vous a, à la fois, brisé et construit. A quel point les dysfonctionnements de votre enfance ont été véritablement nécessaire pour créer l'artiste que vous êtes devenu.

Je dis toujours que les artistes viennent tous du même endroit, là où quelqu'un vous dit que vous êtes le second avènement, et où quelqu'un vous dit que vous n'êtes que poussière. Vous croyez ces deux personnes et vous vous mettez à essayer de réconcilier ces deux facettes à travers une grande partie de votre vie professionnelle. Donc, d'un côté, vous vous dites, où sont mes apôtres ? Même si je n'en suis pas digne. Vous essayez donc toujours de réconcilier ces deux points de vue. Vous vieillissez et vous apprenez comment faire pour vivre avec ces deux choses et vous réalisez le ridicule de cette situation. Et vous le mettez de côté. Mais oui, c'était une motivation, très, très, très puissante.

Un des aspects les plus frappant concernant Greetings, c'était les paroles - ce que Lester Bangs a appelé "un verbiage monstre".

[Rires] C'était le cas ! Et ces paroles sont comme de nouvelles révélations pour moi et le groupe.

A cette époque-là, les gens étaient demandeurs de poètes de la Beat Generation (10), que j’imagine vous n'aviez pas encore lu.

J'ai cherché et j'ai vérifié, quand on m'a dit que ce que je faisais pouvait s'assimiler à cette veine.

Vous dites dans le livre, qu'à cette époque où vous avez signé pour Columbia Records, vous "vouliez entrer en collision avec les époques et créer une voix qui aurait un impact musical, social et culturel". Vous aviez tout ça en tête à ce moment-là ?

Oui, quand j'avais 23 ans. Mais j'avais déjà beaucoup d’expérience derrière moi. Du moment où j'ai signé mon contrat discographique, j'ai fait beaucoup de choix spécifiques. Signer seul a été un grand départ et j'avais une idée précise du musicien que je voulais devenir. J'étais très, très ambitieux très tôt. Et j'avais déjà beaucoup pensé à tous ces sujets-là.

Il y a certains moments dans votre carrière où les considérations commerciales vous ont permis, en fait, de faire une meilleure musique. Quand Clive Davis (11) a demandé pour l'album Greetings une autre chanson à sortir en single, par exemple.

Clive a fait de Greetings From Asbury Park un bien meilleur disque en nous faisant cette demande. Prenez Greetings sans Blinded By The Light et Spirit In The Night, c'est un album légèrement différent. Ces chansons préfiguraient déjà mon disque suivant. Et j'ai retrouvé Clarence, qui était porté disparu. Il joue sur ces deux chansons et il y a une guitare électrique sur Blinded By The Light, alors qu'il n'y en avait pas sur le reste du disque. Et j'ai écrit ce truc jazz, R&B, pour Spirit In The Night. Clive m'a donc rendu un fier service, à cette époque-là, en me redonnant le disque.

Et Jon Landau vous a rendu un fier service en vous suggérant d'écrire un autre single pour l'album Born In The U.S.A.

Oui. Énormément !

Vous avec pris la direction qui vous a mené à Greetings après avoir mis fin à votre groupe de blues rock Steel Mill. Dans votre livre, vous parlez de repenser votre musique après un voyage en Californie.

J'ai appris. J'ai exploré des endroits que je ne connaissais pas. Je suis allé sur des terres musicalement plus grandes et j'ai appris que nous étions très bons, mais pas aussi bons que ce que nous pensions être. Je devais penser à ce que je voulais faire avec cette idée-là.

Votre manager, Jon Landau, a très bien vu chez Cream certaines des imperfections que vous avez vu chez Steel Mill. Et Clapton a fini par faire le même saut que vous avez fait en cherchant à faire quelque chose de plus collégiale.

Évidemment, quand on regarde en arrière. Cream était un groupe assez bon [rires] Mais oui, je pense que les gens arrivent à ces moments de jugement où vous vous heurtez aux limites de ce pour quoi vous êtes structuré à ce moment précis, et vous faites d'autres choix.

Vous avez dit que l'album Nebraska vous a connecté à votre enfance d'une manière spirituelle et émotionnelle.

Je dirais que c'est le cas. Si vous recherchiez un album qui me connectait à mes grands-parents, c'est ce disque. Il décrit l'ambiance de l'époque dans notre foyer.


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