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Est-que les émotions suscitées par Nebraska ont ouvert la porte à la dépression qui vous a frappé juste après l'enregistrement ?
Peut-être. J'avais 32 ans à l'époque. Je venais juste de terminer Nebraska, littéralement. Je crois même que l'album n'était pas encore sorti. Et il s'agissait d'un disque assez solitaire. Il m'a peut-être affecté. Mais ma propre horloge biologique me portait surement vers ce moment précis. Vous portez vos bagages, et si vous ne commencez pas à les déballer, vos bagages s'alourdissent de plus en plus à mesure que vous avancez. Donc à un certain moment, le poids devient impossible à porter et vous recherchez une manière de vider vos valises. Et le résultat peut être chaotique. C'est ce qui m'est arrivé.
Où voyez-vous le côté dépressif de votre nature dans vos chansons ?
Dans mes chansons ? Dans tous les autres disques, probablement [rires]. Et bien sûr, c'est présent dans The Ghost Of Tom Joad et Nebraska, et dans Tunnel Of Love, c'est flagrant. J'en parle dans l'album Tunnel Of Love, avec la chanson Two Faces. C'est un sujet que j'ai abordé à intervalles réguliers entre ce qui peut être considéré comme des albums de groupe et ce qui peut être considéré comme des albums solo. Si vous écoutez Darkness On The Edge Of Town, c'est un sujet largement abordé.
Nous parlions de la dépression dans vos chansons. Sur Something In The Night, sur l'album Darkness On The Edge Of Town, vous chantez "Tu es né sans rien et c'est mieux ainsi". Cet état d'esprit est sombre.
Il s'agissait de ma situation à cette époque-là.
D'un autre côté, la chanson suggère ce que vous vous êtes dit dans l'ascenseur qui vous amenait à l'audition devant John Hammond (12), qui est, "Je n'ai rien, je n'ai rien à perdre". D'une certain façon, c'était votre état d'esprit préféré.
Il s'agissait de mon état d'esprit favori, si j'arrivais à me convaincre.
Je pense que cet état d'esprit explique aussi le courage que vous avez montré étant jeune, les aventures vers lesquelles vous vous êtes embarquées.
Oui. C'était ainsi que je menais ma vie. Ce n'était pas un choix. Ce sont juste des choses qui me sont arrivaient sur la route que j'avais empruntée. Et vous savez, cette expérience inhabituelle de mes parents s'éloignant de moi ! Et j'avais 19 ans. C'était donc quelque peu étrange. Et à ce moment-là, il n'y avait aucun contact possible. Vous ne pouviez pas payer des factures astronomiques de téléphone, et à cette époque-là, je ne sais même pas si je connaissais quelqu'un qui avait déjà fait un long voyage en avion. Je ne pouvais pas prendre l'avion; ce n'était pas réaliste. Le seul moyen que j'avais pour voir mes parents, c'était de traverser le pays en voiture. C'est donc arrivé peu de fois. Nous avions rompu le contact. Nous vivions ici avec le minimum et j'étais très heureux de le faire. Mais c'était ce genre de vie que je menais.
D'un autre côté, le matériel sombre nous aide à croire au matériel lumineux.
C'était ce qui permettait de faire une bonne chanson. Vous devez avoir de la friction et de la tension, quelque chose qui résiste. Chaque auteur en a besoin. Je pense que c'est Tom Stoppard qui a dit un jour qu'il enviait Vaclav Havel.
Peut-être. J'avais 32 ans à l'époque. Je venais juste de terminer Nebraska, littéralement. Je crois même que l'album n'était pas encore sorti. Et il s'agissait d'un disque assez solitaire. Il m'a peut-être affecté. Mais ma propre horloge biologique me portait surement vers ce moment précis. Vous portez vos bagages, et si vous ne commencez pas à les déballer, vos bagages s'alourdissent de plus en plus à mesure que vous avancez. Donc à un certain moment, le poids devient impossible à porter et vous recherchez une manière de vider vos valises. Et le résultat peut être chaotique. C'est ce qui m'est arrivé.
Où voyez-vous le côté dépressif de votre nature dans vos chansons ?
Dans mes chansons ? Dans tous les autres disques, probablement [rires]. Et bien sûr, c'est présent dans The Ghost Of Tom Joad et Nebraska, et dans Tunnel Of Love, c'est flagrant. J'en parle dans l'album Tunnel Of Love, avec la chanson Two Faces. C'est un sujet que j'ai abordé à intervalles réguliers entre ce qui peut être considéré comme des albums de groupe et ce qui peut être considéré comme des albums solo. Si vous écoutez Darkness On The Edge Of Town, c'est un sujet largement abordé.
Nous parlions de la dépression dans vos chansons. Sur Something In The Night, sur l'album Darkness On The Edge Of Town, vous chantez "Tu es né sans rien et c'est mieux ainsi". Cet état d'esprit est sombre.
Il s'agissait de ma situation à cette époque-là.
D'un autre côté, la chanson suggère ce que vous vous êtes dit dans l'ascenseur qui vous amenait à l'audition devant John Hammond (12), qui est, "Je n'ai rien, je n'ai rien à perdre". D'une certain façon, c'était votre état d'esprit préféré.
Il s'agissait de mon état d'esprit favori, si j'arrivais à me convaincre.
Je pense que cet état d'esprit explique aussi le courage que vous avez montré étant jeune, les aventures vers lesquelles vous vous êtes embarquées.
Oui. C'était ainsi que je menais ma vie. Ce n'était pas un choix. Ce sont juste des choses qui me sont arrivaient sur la route que j'avais empruntée. Et vous savez, cette expérience inhabituelle de mes parents s'éloignant de moi ! Et j'avais 19 ans. C'était donc quelque peu étrange. Et à ce moment-là, il n'y avait aucun contact possible. Vous ne pouviez pas payer des factures astronomiques de téléphone, et à cette époque-là, je ne sais même pas si je connaissais quelqu'un qui avait déjà fait un long voyage en avion. Je ne pouvais pas prendre l'avion; ce n'était pas réaliste. Le seul moyen que j'avais pour voir mes parents, c'était de traverser le pays en voiture. C'est donc arrivé peu de fois. Nous avions rompu le contact. Nous vivions ici avec le minimum et j'étais très heureux de le faire. Mais c'était ce genre de vie que je menais.
D'un autre côté, le matériel sombre nous aide à croire au matériel lumineux.
C'était ce qui permettait de faire une bonne chanson. Vous devez avoir de la friction et de la tension, quelque chose qui résiste. Chaque auteur en a besoin. Je pense que c'est Tom Stoppard qui a dit un jour qu'il enviait Vaclav Havel.
Bien, parlons de quelque chose qui vous résiste.
Et bien, si la partie triomphante de la chanson devait sembler réelle et pas simplement bâclée, il me fallait quelque chose qui me résiste. Je viens juste de comprendre cet équilibre. Il vient de la musique gospel, qui est la musique de la transcendance. Je voulais que ma musique soit une musique de la transcendance.
Quand vous chantez, "Je crois en la foi qui peut me sauver (1)", peut-être que nous vous croyons parce que ces paroles viennent d'un homme qui ne croyait pas la veille encore.
Oui ! Ou qui peut-être croyait à peine en ce moment précis, qui sait ?
De façon intéressante, un des seuls concerts que vous décrivez en détail dans le livre, c'est celui de l'ultra-médiatisé à l'Hammersmith Odeon, qui a été si rude pour vous en 1975, votre premier voyage en Angleterre.
Quelque chose qui m'a résisté avec force. C'était un cauchemar qui m'a traumatisé, j'ai donc trainé ça en moi pendant longtemps. Aujourd'hui, je crois que je monte sur scène avec le plein de confiance, car j'ai beaucoup d'années d'expérience derrière moi. Et j'essaye de me mettre dans cette situation chaque soir, pour retrouver cet instant où, tout à coup, il n'y a juste que moi et le public; tout le reste disparait en quelque sorte, le temps, l'espace. Certains soirs, c'est plus facile que d'autres. Mais j'essaye de toujours retrouver, plus ou moins, cet instant-là. Vous vous retrouvez dans cet endroit agréable où vous communiquez vraiment. Mais c'est quelque chose que vous devez répéter chaque soir. Même après toutes ces années, vous devez encore y arriver.
Vous dites être capable de contrôler le temps sur scène. Comment ça fonctionne pour vous ?
Vous faites beaucoup de choses. Vous comprimez le temps dans votre musique. Vous comprimez les années en séquences, une énorme quantité d'expériences en quelques minutes seulement. Vous passez de la jeunesse à la maturité, le temps se déforme et se renverse souvent au cours de la soirée. Les gens reculent ou avancent dans leur vie. Le temps se suspend au sein de chaque création. Elle crée son propre espace et son propre temps.
Dans vos concerts, j'ai vu des humeurs différentes. Il y a des concerts qui sont beaucoup plus sérieux et puis qui explosent de joie, et puis il y en d'autres qui sont joyeux dès le début. Vous avez une inclinaison ?
Dernièrement, nous avons joué un tas de chansons tirées de Greetings et de The Wild, The Innocent. C'est une musique assez heureuse, de manière amusante. Ces albums ont une autre facette, également. Mais il y a une légèreté car il ne s'agissait pas de musique dure. Ce qui veut dire que c'était physiquement moins agressif, avec plus de swing, des influences soul, latines. Après, avec l'album Born To Run, le groupe est plutôt devenu un groupe de rock et nous avons joué ces chansons de manière beaucoup plus agressive. Donc, ces premiers disques, vous êtes sur scène et vous bougez et vous improvisez un peu. Les musiciens jouent des solos, vous savez. C'est un état d'esprit très différent.
En y repensant, j'aurais aimé sondé un peu plus cette direction-là. Si vous écoutez certains de nos inédits, vous pouvez trouver ce style de musique. Il n'y a vraiment aucune raison que cette musique ne soit pas sortie à l'époque - mais elle n'est pas sortie. Mais c'est une sensation que j'aime beaucoup et que j'ai aimé jouer, au cours de ces dix derniers concerts. Et peut-être que le côté plus sérieux, percutant, de ce que nous avons fait prend un peu plus qu'un strapontin dans certains de ces spectacles, bien qu'il soit toujours là.
Cette dépression sur laquelle vous écrivez et dont vous souffrez depuis le début de la soixantaine, comment a-t-elle affecté votre vie professionnelle ?
Elle ne l'a pas trop affectée. Je ne pourrais pas vous expliquer la raison. Mais je prenais un mauvais chemin et puis j'entrais en studio, et c'est comme si j'allais au travail. J'écrivais, j'enregistrais.
Vous avez souvent fait des tournées dans cet état ?
J'en ai souffert sur les tournées de temps en temps. Et généralement, cet état ne m'affecte pas sur scène ou dans les choix que je fais, mais il peut m'affecter lorsque je ne suis pas sur scène. Je peux me sentir confus ou déprimé à certains moments. C'est très rare, parce que faire des tournées est émotionnellement et physiquement cathartique. Si vous vous donnez physiquement jusqu'aux confins de l'épuisement, vous êtes trop fatigué pour être déprimé, et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles j'ai fait ça toute ma vie. Votre esprit n'est pas une machine - il n'a pas l'énergie pour s'occuper des détails. Au contraire, c'est une expérience qui libère l'esprit, une expérience qui recentre, et vous n'avez donc pas ce genre d'espace où se développe la dépression.
Il y avait un élément d'auto-punition dans ces longs concerts.
J'étais un bon garçon catholique. Il y avait donc un élément du rituel de purification.
Mais êtes-vous arrivés au point où aujourd'hui vous faites la même chose mais d'une façon plus saine ?
Même moi, je n'en suis pas tout à fait sûr [rires] Pourquoi un homme joue quatre heures par soir ? Je ne suis pas encore certain, vous savez. Et je dois dire que je prête encore l'oreille à ces impulsions originelles et au fait que j'ai besoin de me donner à fond, tout le temps.
Il y a un passage dans lequel vous décrivez vos diners avec votre famille maternelle en des termes qui rappellent vos concerts.
Il y avait souvent un niveau d'hystérie qui, peut-être, n'est pas rare dans les familles italiennes, et la mienne n'était certainement pas différente. Les gens criaient et hurlaient. Mais aussi, il y avait une immense joie et cette excitation inhabituelle pour la vie - pour rien, mis à part pour la vie elle-même.
Et bien, si la partie triomphante de la chanson devait sembler réelle et pas simplement bâclée, il me fallait quelque chose qui me résiste. Je viens juste de comprendre cet équilibre. Il vient de la musique gospel, qui est la musique de la transcendance. Je voulais que ma musique soit une musique de la transcendance.
Quand vous chantez, "Je crois en la foi qui peut me sauver (1)", peut-être que nous vous croyons parce que ces paroles viennent d'un homme qui ne croyait pas la veille encore.
Oui ! Ou qui peut-être croyait à peine en ce moment précis, qui sait ?
De façon intéressante, un des seuls concerts que vous décrivez en détail dans le livre, c'est celui de l'ultra-médiatisé à l'Hammersmith Odeon, qui a été si rude pour vous en 1975, votre premier voyage en Angleterre.
Quelque chose qui m'a résisté avec force. C'était un cauchemar qui m'a traumatisé, j'ai donc trainé ça en moi pendant longtemps. Aujourd'hui, je crois que je monte sur scène avec le plein de confiance, car j'ai beaucoup d'années d'expérience derrière moi. Et j'essaye de me mettre dans cette situation chaque soir, pour retrouver cet instant où, tout à coup, il n'y a juste que moi et le public; tout le reste disparait en quelque sorte, le temps, l'espace. Certains soirs, c'est plus facile que d'autres. Mais j'essaye de toujours retrouver, plus ou moins, cet instant-là. Vous vous retrouvez dans cet endroit agréable où vous communiquez vraiment. Mais c'est quelque chose que vous devez répéter chaque soir. Même après toutes ces années, vous devez encore y arriver.
Vous dites être capable de contrôler le temps sur scène. Comment ça fonctionne pour vous ?
Vous faites beaucoup de choses. Vous comprimez le temps dans votre musique. Vous comprimez les années en séquences, une énorme quantité d'expériences en quelques minutes seulement. Vous passez de la jeunesse à la maturité, le temps se déforme et se renverse souvent au cours de la soirée. Les gens reculent ou avancent dans leur vie. Le temps se suspend au sein de chaque création. Elle crée son propre espace et son propre temps.
Dans vos concerts, j'ai vu des humeurs différentes. Il y a des concerts qui sont beaucoup plus sérieux et puis qui explosent de joie, et puis il y en d'autres qui sont joyeux dès le début. Vous avez une inclinaison ?
Dernièrement, nous avons joué un tas de chansons tirées de Greetings et de The Wild, The Innocent. C'est une musique assez heureuse, de manière amusante. Ces albums ont une autre facette, également. Mais il y a une légèreté car il ne s'agissait pas de musique dure. Ce qui veut dire que c'était physiquement moins agressif, avec plus de swing, des influences soul, latines. Après, avec l'album Born To Run, le groupe est plutôt devenu un groupe de rock et nous avons joué ces chansons de manière beaucoup plus agressive. Donc, ces premiers disques, vous êtes sur scène et vous bougez et vous improvisez un peu. Les musiciens jouent des solos, vous savez. C'est un état d'esprit très différent.
En y repensant, j'aurais aimé sondé un peu plus cette direction-là. Si vous écoutez certains de nos inédits, vous pouvez trouver ce style de musique. Il n'y a vraiment aucune raison que cette musique ne soit pas sortie à l'époque - mais elle n'est pas sortie. Mais c'est une sensation que j'aime beaucoup et que j'ai aimé jouer, au cours de ces dix derniers concerts. Et peut-être que le côté plus sérieux, percutant, de ce que nous avons fait prend un peu plus qu'un strapontin dans certains de ces spectacles, bien qu'il soit toujours là.
Cette dépression sur laquelle vous écrivez et dont vous souffrez depuis le début de la soixantaine, comment a-t-elle affecté votre vie professionnelle ?
Elle ne l'a pas trop affectée. Je ne pourrais pas vous expliquer la raison. Mais je prenais un mauvais chemin et puis j'entrais en studio, et c'est comme si j'allais au travail. J'écrivais, j'enregistrais.
Vous avez souvent fait des tournées dans cet état ?
J'en ai souffert sur les tournées de temps en temps. Et généralement, cet état ne m'affecte pas sur scène ou dans les choix que je fais, mais il peut m'affecter lorsque je ne suis pas sur scène. Je peux me sentir confus ou déprimé à certains moments. C'est très rare, parce que faire des tournées est émotionnellement et physiquement cathartique. Si vous vous donnez physiquement jusqu'aux confins de l'épuisement, vous êtes trop fatigué pour être déprimé, et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles j'ai fait ça toute ma vie. Votre esprit n'est pas une machine - il n'a pas l'énergie pour s'occuper des détails. Au contraire, c'est une expérience qui libère l'esprit, une expérience qui recentre, et vous n'avez donc pas ce genre d'espace où se développe la dépression.
Il y avait un élément d'auto-punition dans ces longs concerts.
J'étais un bon garçon catholique. Il y avait donc un élément du rituel de purification.
Mais êtes-vous arrivés au point où aujourd'hui vous faites la même chose mais d'une façon plus saine ?
Même moi, je n'en suis pas tout à fait sûr [rires] Pourquoi un homme joue quatre heures par soir ? Je ne suis pas encore certain, vous savez. Et je dois dire que je prête encore l'oreille à ces impulsions originelles et au fait que j'ai besoin de me donner à fond, tout le temps.
Il y a un passage dans lequel vous décrivez vos diners avec votre famille maternelle en des termes qui rappellent vos concerts.
Il y avait souvent un niveau d'hystérie qui, peut-être, n'est pas rare dans les familles italiennes, et la mienne n'était certainement pas différente. Les gens criaient et hurlaient. Mais aussi, il y avait une immense joie et cette excitation inhabituelle pour la vie - pour rien, mis à part pour la vie elle-même.