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C'était pendant la période de Darkness que vous avez commencé votre autodidactie et à étudier plus particulièrement l'histoire américaine.
Ces grands thèmes étaient bel et bien présents dans Born To Run. Je m'intéressais à la personne que j'étais et à l'endroit d'où je venais, aux choses qui, à mon avis, donnaient à ma musique une valeur et un sens, j'ai donc cherché à en savoir plus sur ces choses. J'étais aussi naturellement curieux. Les études au lycée étaient si ennuyeuses et je ne suis jamais allé à l'université, et j'ai ainsi loupé un épisode où j'aurais pu être - et je dis bien "aurais pu être"- plus apte à apprendre les choses. Donc, autour de 25 ans, j'ai poursuivi beaucoup de choses que je trouvais être des sources d'inspiration. L'Histoire m'inspirait. Je pense que j'étais conscient de vouloir écrire sur l'endroit où je vivais, sur les gens que je connaissais. Vous voulez obtenir tout ce que vous pouvez en obtenir et vous voulez donner tout ce que vous pouvez donner. Je veux explorer le concept de la personnalité, vous savez ?
The Grapes Of Wrath (3) est devenu très important à vos yeux - le film de John Ford, le roman et les chansons de Woody Guthrie sur le Dust Bowl (4). Quels aspects des années 30 et 40 vous ont touché ?
De nombreuses bénédictions et malédictions étaient plus manifestes. Regardez les films. De Grapes Of Wrath de John Ford, j'ai pris ce point de vue élégiaque de l'histoire - la chaleur humaine, la fidélité, le devoir - les qualités de bon soldat. Mais le film noir (5) a aussi fait son apparition durant cette même période et ces films étaient populaires. Je pense que nous retrouvons ça aussi au début des années 70, de grands films comme Taxi Driver (6). Les gens s'intéressaient aux courants sous-jacents, aux points faibles, s'intéressaient à regarder derrière le voile de ce qu'on vous montre tous les jours. Il existait ce sentiment qu'il y avait plus que ce que vous voyez et ce qu'on vous présente, et cela était omniprésent dans le pays en général, je pense, pas uniquement dans les éléments progressistes de la société. Je veux dire que la Guerre du Vietnam ne s'est pas terminée quand les hippies s'y sont opposés ou quand les progressistes s'y sont opposés, elle s'est terminée quand les chauffeurs-routiers s'y sont opposés. Les années 30 et 40, et le début des années 70 aussi, étaient des époques où les choses étaient mises en relief. Les gens étaient prêts à regarder au-delà du masque de la société. J'ai trouvé ça fascinant.
En regardant au-delà du masque, qu'avez-vous vu ?
Simplement que les gens étaient... J'y fais allusion dans certaines de mes premières compositions - Lost In The Flood (de Greetings From Asbury Park, 1973). J'essayais de ressentir ce qui se passait réellement, quelles étaient les forces qui affectaient la vie de mes parents. Je suppose que vous devez avouer que tout remonte à votre expérience personnelle immédiate. Ce sont les choses qui vous modèlent. Le concept, dans son ensemble, d'une vie gâchée était puissant à mes yeux.
Est-ce que vous avez lu par la suite des livres politiques, comme The Communist Manifesto (7) ?
Non, je ne l'ai pas lu. Mais j'ai lu beaucoup de choses qui existaient, des extraits et passages de beaucoup de différents philosophes. Mais un livre qui a eu un impact énorme sur moi a été America de Henry Steeele Commager (et Allan Nevis), une histoire très puissante de l'Amérique. Ce livre revient sur cet ensemble fondamental de valeurs démocratiques dont le pays s'est parfois servi comme guide et qu'il a parfois ignorées. C'est la première chose que j'ai lue qui m'ait donné le sentiment d'appartenir à une continuité historique - j'ai ressenti notre participation et notre collusion quotidienne à la chaîne des évènements. Comme si c'était mon moment historique. Au cours de votre vie, la direction que prend votre pays est sous votre contrôle. Alors, qu'avez-vous fait ? C'était pour moi une idée intéressante, comment regarder sa vie, son travail et son endroit. C'était très tangible pour la première fois et ça a influencé l'écriture de certaines de mes chansons - avec la volonté également de faire du rock et de bien s'amuser. Vous en voyez les effets sur Darkness, The River et Nebraska.
C'est certainement présent dans la chanson Born In The U.S.A., un vétéran du Vietnam qui est en feu parce qu'il entre en collision avec les forces de l'histoire. Mais ce type a accepté ce poids personnel historique - c'est de la colère, il y a un élément social, il y a beaucoup d'innocence.
Avec Born In The U.S.A., commentiez-vous délibérément l'Amérique de Reagan - il était au milieu de son premier mandat quand vous l'avez écrite, ou bien est-ce les problèmes post-Vietnam qui vous ont influencé, les problèmes que les vétérans avaient toujours dix ans après ?
J'ai beaucoup été ému par les vétérans que j'avais rencontrés. Je suis devenu proche de certains d'entre eux. Pratiquement rien n'a été écrit sur le Vietnam jusqu'à ce que dix années se soient écoulées après le conflit - avant tout ce dont je me souviens, c'est de The Deer Hunter (8) et un superbe film avec Nick Nolte, très peu diffusé, dont le titre était Who'll Stop The Rain (9) (tous les deux en 1978). Mais au début des années 80, il y a eu la naissance de l'association Vietnam Veterans of America. Mon ami, Bobby Muller y était à la tête et nous avons fait un concert caritatif pour eux, lors de la tournée The River (1981). Je me souviens être allé voir The Deer Hunter, avec Ron Kovic, qui a écrit le livre Born On The 4th Of July (10), et il cherchait des choses qui reflétaient son expérience. La chanson est née de toutes ces choses-là. Bob Muller est la première personne à qui je l'ai jouée. C'était quelque chose.
Mis à part la lecture, vous avez exploré l'Amérique littéralement parlant, simplement en voyageant en voiture partout dans le pays.
Et bien, j'ai beaucoup voyagé dès l'âge de 18 ou 19 ans. Mes parents étaient partis (Doug, ouvrier en usine et Adèle, secrétaire juridique, ont quitté Freehold, New Jersey, pour s'installer en Californie en 1969) et ils n'avaient pas l'argent nécessaire pour me payer un voyage en car, et encore moins un billet d'avion, j'allais donc en voiture sur la Côte Ouest pour les voir, une fois par an peut-être. Nous faisions de grands voyages à travers le pays, trois ou quatre ou cinq d'entre nous - et un chien - tous entassés dans la cabine d'un camion et vous conduisiez trois jours d'affilé sans vous arrêter. Juste le truc que vous faisiez quand vous étiez gosse.
Ces grands thèmes étaient bel et bien présents dans Born To Run. Je m'intéressais à la personne que j'étais et à l'endroit d'où je venais, aux choses qui, à mon avis, donnaient à ma musique une valeur et un sens, j'ai donc cherché à en savoir plus sur ces choses. J'étais aussi naturellement curieux. Les études au lycée étaient si ennuyeuses et je ne suis jamais allé à l'université, et j'ai ainsi loupé un épisode où j'aurais pu être - et je dis bien "aurais pu être"- plus apte à apprendre les choses. Donc, autour de 25 ans, j'ai poursuivi beaucoup de choses que je trouvais être des sources d'inspiration. L'Histoire m'inspirait. Je pense que j'étais conscient de vouloir écrire sur l'endroit où je vivais, sur les gens que je connaissais. Vous voulez obtenir tout ce que vous pouvez en obtenir et vous voulez donner tout ce que vous pouvez donner. Je veux explorer le concept de la personnalité, vous savez ?
The Grapes Of Wrath (3) est devenu très important à vos yeux - le film de John Ford, le roman et les chansons de Woody Guthrie sur le Dust Bowl (4). Quels aspects des années 30 et 40 vous ont touché ?
De nombreuses bénédictions et malédictions étaient plus manifestes. Regardez les films. De Grapes Of Wrath de John Ford, j'ai pris ce point de vue élégiaque de l'histoire - la chaleur humaine, la fidélité, le devoir - les qualités de bon soldat. Mais le film noir (5) a aussi fait son apparition durant cette même période et ces films étaient populaires. Je pense que nous retrouvons ça aussi au début des années 70, de grands films comme Taxi Driver (6). Les gens s'intéressaient aux courants sous-jacents, aux points faibles, s'intéressaient à regarder derrière le voile de ce qu'on vous montre tous les jours. Il existait ce sentiment qu'il y avait plus que ce que vous voyez et ce qu'on vous présente, et cela était omniprésent dans le pays en général, je pense, pas uniquement dans les éléments progressistes de la société. Je veux dire que la Guerre du Vietnam ne s'est pas terminée quand les hippies s'y sont opposés ou quand les progressistes s'y sont opposés, elle s'est terminée quand les chauffeurs-routiers s'y sont opposés. Les années 30 et 40, et le début des années 70 aussi, étaient des époques où les choses étaient mises en relief. Les gens étaient prêts à regarder au-delà du masque de la société. J'ai trouvé ça fascinant.
En regardant au-delà du masque, qu'avez-vous vu ?
Simplement que les gens étaient... J'y fais allusion dans certaines de mes premières compositions - Lost In The Flood (de Greetings From Asbury Park, 1973). J'essayais de ressentir ce qui se passait réellement, quelles étaient les forces qui affectaient la vie de mes parents. Je suppose que vous devez avouer que tout remonte à votre expérience personnelle immédiate. Ce sont les choses qui vous modèlent. Le concept, dans son ensemble, d'une vie gâchée était puissant à mes yeux.
Est-ce que vous avez lu par la suite des livres politiques, comme The Communist Manifesto (7) ?
Non, je ne l'ai pas lu. Mais j'ai lu beaucoup de choses qui existaient, des extraits et passages de beaucoup de différents philosophes. Mais un livre qui a eu un impact énorme sur moi a été America de Henry Steeele Commager (et Allan Nevis), une histoire très puissante de l'Amérique. Ce livre revient sur cet ensemble fondamental de valeurs démocratiques dont le pays s'est parfois servi comme guide et qu'il a parfois ignorées. C'est la première chose que j'ai lue qui m'ait donné le sentiment d'appartenir à une continuité historique - j'ai ressenti notre participation et notre collusion quotidienne à la chaîne des évènements. Comme si c'était mon moment historique. Au cours de votre vie, la direction que prend votre pays est sous votre contrôle. Alors, qu'avez-vous fait ? C'était pour moi une idée intéressante, comment regarder sa vie, son travail et son endroit. C'était très tangible pour la première fois et ça a influencé l'écriture de certaines de mes chansons - avec la volonté également de faire du rock et de bien s'amuser. Vous en voyez les effets sur Darkness, The River et Nebraska.
C'est certainement présent dans la chanson Born In The U.S.A., un vétéran du Vietnam qui est en feu parce qu'il entre en collision avec les forces de l'histoire. Mais ce type a accepté ce poids personnel historique - c'est de la colère, il y a un élément social, il y a beaucoup d'innocence.
Avec Born In The U.S.A., commentiez-vous délibérément l'Amérique de Reagan - il était au milieu de son premier mandat quand vous l'avez écrite, ou bien est-ce les problèmes post-Vietnam qui vous ont influencé, les problèmes que les vétérans avaient toujours dix ans après ?
J'ai beaucoup été ému par les vétérans que j'avais rencontrés. Je suis devenu proche de certains d'entre eux. Pratiquement rien n'a été écrit sur le Vietnam jusqu'à ce que dix années se soient écoulées après le conflit - avant tout ce dont je me souviens, c'est de The Deer Hunter (8) et un superbe film avec Nick Nolte, très peu diffusé, dont le titre était Who'll Stop The Rain (9) (tous les deux en 1978). Mais au début des années 80, il y a eu la naissance de l'association Vietnam Veterans of America. Mon ami, Bobby Muller y était à la tête et nous avons fait un concert caritatif pour eux, lors de la tournée The River (1981). Je me souviens être allé voir The Deer Hunter, avec Ron Kovic, qui a écrit le livre Born On The 4th Of July (10), et il cherchait des choses qui reflétaient son expérience. La chanson est née de toutes ces choses-là. Bob Muller est la première personne à qui je l'ai jouée. C'était quelque chose.
Mis à part la lecture, vous avez exploré l'Amérique littéralement parlant, simplement en voyageant en voiture partout dans le pays.
Et bien, j'ai beaucoup voyagé dès l'âge de 18 ou 19 ans. Mes parents étaient partis (Doug, ouvrier en usine et Adèle, secrétaire juridique, ont quitté Freehold, New Jersey, pour s'installer en Californie en 1969) et ils n'avaient pas l'argent nécessaire pour me payer un voyage en car, et encore moins un billet d'avion, j'allais donc en voiture sur la Côte Ouest pour les voir, une fois par an peut-être. Nous faisions de grands voyages à travers le pays, trois ou quatre ou cinq d'entre nous - et un chien - tous entassés dans la cabine d'un camion et vous conduisiez trois jours d'affilé sans vous arrêter. Juste le truc que vous faisiez quand vous étiez gosse.