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POTUS BARACK OBAMA: Parler des questions raciales n'est pas chose aisée.
C'est la raison pour laquelle Bruce et moi ne pouvions pas couvrir tout ce que nous avions en tête en une seule session. Nous savons que construire un pont au-dessus du fossé racial de l'Amérique nécessitera des politiques concrètes pour détricoter l'héritage bien présent de l'esclavage et des lois Jim Crow (1).
Mais il nécessitera aussi de chacun d'entre nous – sur notre lieu de travail, dans nos politiques, et dans notre lieu de culte – et dans des milliers d'interactions quotidiennes, de faire un effort supplémentaire pour comprendre la réalité de l'un et de l'autre.
Sans même parler de nos propres automatismes.
Comme beaucoup d'entre nous ont appris – que ce soit à cause d'une enfance comme la mienne, où petit, nous étions différents des autres ou, avec la complicité d'une vie, comme celle entre Bruce et le Big Man Clarence Clemons. Que ce soit en passant par les grands chansons engagées du passé ou les nouveaux types de mouvements de protestation à travers le pays.
Ce genre de prise de conscience peut s'avérer inconfortable. Même – ou peut-être surtout – quand il s'agit des personnes qu'on aime.
[La guitare résonne]
C'est la raison pour laquelle Bruce et moi ne pouvions pas couvrir tout ce que nous avions en tête en une seule session. Nous savons que construire un pont au-dessus du fossé racial de l'Amérique nécessitera des politiques concrètes pour détricoter l'héritage bien présent de l'esclavage et des lois Jim Crow (1).
Mais il nécessitera aussi de chacun d'entre nous – sur notre lieu de travail, dans nos politiques, et dans notre lieu de culte – et dans des milliers d'interactions quotidiennes, de faire un effort supplémentaire pour comprendre la réalité de l'un et de l'autre.
Sans même parler de nos propres automatismes.
Comme beaucoup d'entre nous ont appris – que ce soit à cause d'une enfance comme la mienne, où petit, nous étions différents des autres ou, avec la complicité d'une vie, comme celle entre Bruce et le Big Man Clarence Clemons. Que ce soit en passant par les grands chansons engagées du passé ou les nouveaux types de mouvements de protestation à travers le pays.
Ce genre de prise de conscience peut s'avérer inconfortable. Même – ou peut-être surtout – quand il s'agit des personnes qu'on aime.
[La guitare résonne]
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POTUS BARACK OBAMA: Nous avons parlé de la tension raciale à Freehold, mais quand tu as commencé ce qui allait devenir le E Street Band...
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: C'était un groupe multiracial. Était-ce intentionnel ? Ou est-ce que tu t'es juste dit, « Je vais essayer d'avoir les meilleurs musiciens possibles. Voilà le son que je veux... ? »
BRUCE SPRINGSTEEN: L'aspect multiracial du E Street Band a commencé lorsque j'ai vu Clarence jouer.
[Clarence Clemons - Road to Paradise démarre]
Clarence était formidable, tout simplement. Il avait un son absolument incroyable.
[Clarence Clemons - Road to Paradise]
C'était un des plus grands saxophonistes que j'avais jamais entendu.
[Clarence Clemons - Road to Paradise s'estompe]
POTUS BARACK OBAMA: Il était plus vieux que toi ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, Clarence avait huit ans de plus que moi.
POTUS BARACK OBAMA: Ok, donc il avait déjà... Il approche de la trentaine.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Il avait déjà de l'expérience, il avait vu du pays.
BRUCE SPRINGSTEEN: Il était allé à l'université et il avait déjà une certaine expérience. Il avait presque failli être joueur de football américain professionnel, et puis il a fini par devenir un joueur de saxophone itinérant autour d'Asbury Park, jouant dans les clubs noirs de cette époque-là.
Et puis un soir, il est entré dans le club, il est monté sur scène, il s'est mis à ma droite, et il a commencé à jouer. Je me suis dit, « Il se passe quelque chose entre lui et moi ». Tu comprends ? Nous nous sommes liés d'amitié, il a commencé à jouer avec le groupe, et le public a commencé à venir et à apprécier. Et finalement, le groupe s'est développé - pour être composé pendant une année ou deux - de trois musiciens blancs et trois musiciens noirs.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: On est aux alentours de 74, il me semble. Quelque chose s'est produit.
David Sancious a franchi le seuil d'un club essentiellement blanc, l'Upstage - je dirais presque complètement blanc - et il a eu le courage de monter sur scène, de jouer, et il a sidéré tout le monde. Il a 16 ans, c'est un môme tout maigre de Belmar, qui vit sur E Street, d'où le nom du groupe. Et là, je sais que j'ai besoin de ce musicien, parce qu'il est incroyable.
Ensuite, nous faisions un concert dans un endroit qui s’appelait le Satellite Lounge, à Fort Dix, New Jersey. Mais nous venions juste de virer notre batteur, un type fabuleux qui s'appelait Vincent Lopez, surnommé Mad Dog, car il avait du mal à contrôler ses crises de colère. J'adore Vini, c'est un de mes meilleurs amis aujourd'hui. Nous jouions quelque chose de légèrement différent à ce moment-là. Donc, j'ai appelé le club pour leur dire que nous ne pouvions pas faire le concert. Il se trouve que le club était tenu par la mafia locale, et on m'a répondu que si nous ne faisions pas ce concert, j'allais me faire casser les doigts.
POTUS BARACK OBAMA: Oh la vache !
BRUCE SPRINGSTEEN: Sauf qu'il nous manque un batteur et que le concert a lieu le lendemain. C'est là que Davey Sancious nous dit, « Je connais un type qui s'appelle Boom Carter ». Un jeune noir d'Asbury Park. Il passe 24 heures sans dormir à apprendre la totalité de notre répertoire. Nous jouons au Satellite Lounge. Et c'est ainsi que nous nous retrouvons avec trois musiciens noirs et trois musiciens blancs au sein du E Street Band. Il n' y avait rien de délibéré, et n'oublie pas que nous sommes au début des années 70. Nous sommes d'une autre génération que celle de nos parents, et je n'ai pas souvenir que le public ait été...
POTUS BARACK OBAMA: Choqué ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Non. Nous jouions plein de titres enracinés dans la culture noire. C'était un groupe puissant et sympa, il aurait été intéressant de voir ce que ça pouvait donner. Si ce n'est que David et Boom étaient tellement bons qu'ils ont quitté le groupe pour monter leur propre groupe et faire du Jazz. J'ai donc juste fait passer une annonce dans le journal pour les remplacer. J'ai auditionné 30 batteurs et 30 pianistes : j'ai choisi les deux meilleurs, qui étaient blancs. C'est aussi simple que ça.
POTUS BARACK OBAMA: En fait, encore aujourd'hui, personne ne le savait, que ton groupe était noir et blanc, à l'époque.
BRUCE SPRINGSTEEN: Non.
POTUS BARACK OBAMA: Et je ne le savais pas. Parce que je déteste te rappeler ton grand âge, mais quand Born To Run est sorti, j'étais encore...
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu étais un enfant [rires]
POTUS BARACK OBAMA: J'étais au lycée [rires] Donc, je ne savais pas que tu avais un groupe, moitié noir, moitié blanc. Mais je savais que les musiciens du Average White Band (2) étaient tous blancs.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et bien...
POTUS BARACK OBAMA: De sacrés Écossais. Et ces types assurent sur scène, en tout cas.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, ils assuraient [rires]
POTUS BARACK OBAMA: J'adorais. Ils sont incroyables. On savait que Earth, Wind & Fire (3) était un groupe uniquement composé de musiciens noirs. Mais une des raisons pour lesquelles je ne le savais pas nécessairement pour ton groupe, c'est que non seulement je n'avais pas Internet, ni la vidéo évidemment, mais la musique était aussi... Elle était compartimentée.
BRUCE SPRINGSTEEN: Carrément ! Nous avions un public essentiellement blanc.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu le savais ?
POTUS BARACK OBAMA: Et Clarence n'est pas sur la couverture de TIME Magazine (4), n'est-ce pas ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Non.
POTUS BARACK OBAMA: Il n'y a que Bruce Springsteen, avec ses cheveux bouclés, l'air mignon.
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Avec sa casquette et toute la panoplie. Quels étaient les rapports de force au sein du groupe ? Parce que je présume que dans chaque équipe, chaque groupe a ses propres dynamiques, et Clarence, d'un autre côté, est très... C'est une figure iconique du E Street Band, mais c'est aussi un simple musicien, et tu en es le leader.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est étrange, parce que c'était une dynamique qui est arrivée à la fois naturellement, mais que nous avons inventée ensemble, Clarence et moi, à un moment donné. Et il y a eu un moment, où je lui ai dit, « Hey C, tu sais, demain soir, quand je serais sur le devant de la scène pour jouer ça, viens à mes côtés, et joue à côté de moi ».
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run]
Et nous avons fait ces petits pas le soir suivant.
POTUS BARACK OBAMA: C'est comme un film de potes sur scène.
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run]
BRUCE SPRINGSTEEN: Et la foule devenait folle.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run]
BRUCE SPRINGSTEEN: Il existait une sorte d’idéalisme dans notre collaboration, dans le sens où j'ai toujours senti que notre public nous regardait et voyait l'Amérique qu'il voulait voir et à laquelle il voulait croire.
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run s'estompe]
Et c'est devenu la plus grande histoire que j'ai raconté. Je n'ai jamais écrit de chanson qui racontait une histoire meilleure que Clarence et moi, côte à côte sur scène, dans n'importe quelle des 1,001 nuits où nous avons joué. Il a prêté sa force à mon histoire, comme je l'ai dit, à l'histoire que nous avons raconté ensemble, qui traitait de la distance entre le Rêve Américain et la Réalité Américaine.
POTUS BARACK OBAMA: Peut-être que ce que tu essayais de capter à nouveau, avec Clarence sur scène, c'était un temps plus innocent ? Une version meilleure, en quelque sorte, de ce qui aurait pu être ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Comme je l'ai dit, nous avons essayé de prendre un morceau de ce no man's land entre le rêve américain et la réalité américaine. Je pense que le public a été sensible à mon association avec Clarence, en partie à cause de l'idée que, « Oh, c'est le monde tel qu'il pourrait être ». Mais, nous racontions aussi beaucoup d'autres histoires sur le monde tel qu'il était.
POTUS BARACK OBAMA: Il y a une histoire derrière la pochette de l'album Born To Run ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Avant cette pochette, Clarence était, comme je le raconte dans mon livre, un saxophoniste noir très costaud, musicien dans mon groupe. Nous étions cinq membres, et il était un des cinq. Mais après la pochette, il est devenu le "Big Man". Big Man a été inventé et nous avons été inventés en tant que groupe, et en tant que duo sur la pochette. Quand tu achètes ce disque, si tu regardes le recto, qu'est-ce que tu vois ? Une photo tout à fait charmante d'un jeune rocker blanc, mais quand tu l'ouvres, un groupe est né. Que font-ils ensemble ces deux types ? Quelle histoire ont-ils en commun ? Si tu regardes le recto de la pochette, on dirait que je chuchote quelque chose à l'oreille de Clarence. C'est quoi cette histoire ? Je veux l'entendre. L'histoire commence donc avant que tu poses l'aiguille de l'électrophone sur la première chanson de ce disque.
Je suis arrivé à cette séance photo accompagné de Clarence, parce que je voulais être photographié avec lui. Intuitivement, je savais qu'en nous tenant l'un à côté de l'autre, nous affirmions quelque chose. C'était théâtral, excitant, et c'était aussi bien plus que ça. Nous tentions de créer et de présenter à notre public notre propre version musicale de la communauté chérie de John Lewis (5). Je voulais que notre public le voit quand il viendrait écouter notre groupe sur scène. Je voulais que le groupe renvoie au public une certaine image de lui-même. La pochette a immortalisé le sentiment que j'ai éprouvé le premier soir où Clarence et moi avons joué ensemble au Student Prince, ce petit club où nous nous étions rencontrés pour la première fois. J'ai dit, « Ce soir-là, une véritable histoire est née». C'est une histoire qui peut être alimentée et évoluer, mais il faut déjà qu'elle soit dans la terre, la bière, les groupes et les bars qui l'ont fait naitre. Quand tu voyais cette pochette, elle était pleine de la résonance et de la mythologie du rock du passé, et d'une fraicheur qui annonçait son avenir.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: C'était un groupe multiracial. Était-ce intentionnel ? Ou est-ce que tu t'es juste dit, « Je vais essayer d'avoir les meilleurs musiciens possibles. Voilà le son que je veux... ? »
BRUCE SPRINGSTEEN: L'aspect multiracial du E Street Band a commencé lorsque j'ai vu Clarence jouer.
[Clarence Clemons - Road to Paradise démarre]
Clarence était formidable, tout simplement. Il avait un son absolument incroyable.
[Clarence Clemons - Road to Paradise]
C'était un des plus grands saxophonistes que j'avais jamais entendu.
[Clarence Clemons - Road to Paradise s'estompe]
POTUS BARACK OBAMA: Il était plus vieux que toi ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, Clarence avait huit ans de plus que moi.
POTUS BARACK OBAMA: Ok, donc il avait déjà... Il approche de la trentaine.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Il avait déjà de l'expérience, il avait vu du pays.
BRUCE SPRINGSTEEN: Il était allé à l'université et il avait déjà une certaine expérience. Il avait presque failli être joueur de football américain professionnel, et puis il a fini par devenir un joueur de saxophone itinérant autour d'Asbury Park, jouant dans les clubs noirs de cette époque-là.
Et puis un soir, il est entré dans le club, il est monté sur scène, il s'est mis à ma droite, et il a commencé à jouer. Je me suis dit, « Il se passe quelque chose entre lui et moi ». Tu comprends ? Nous nous sommes liés d'amitié, il a commencé à jouer avec le groupe, et le public a commencé à venir et à apprécier. Et finalement, le groupe s'est développé - pour être composé pendant une année ou deux - de trois musiciens blancs et trois musiciens noirs.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: On est aux alentours de 74, il me semble. Quelque chose s'est produit.
David Sancious a franchi le seuil d'un club essentiellement blanc, l'Upstage - je dirais presque complètement blanc - et il a eu le courage de monter sur scène, de jouer, et il a sidéré tout le monde. Il a 16 ans, c'est un môme tout maigre de Belmar, qui vit sur E Street, d'où le nom du groupe. Et là, je sais que j'ai besoin de ce musicien, parce qu'il est incroyable.
Ensuite, nous faisions un concert dans un endroit qui s’appelait le Satellite Lounge, à Fort Dix, New Jersey. Mais nous venions juste de virer notre batteur, un type fabuleux qui s'appelait Vincent Lopez, surnommé Mad Dog, car il avait du mal à contrôler ses crises de colère. J'adore Vini, c'est un de mes meilleurs amis aujourd'hui. Nous jouions quelque chose de légèrement différent à ce moment-là. Donc, j'ai appelé le club pour leur dire que nous ne pouvions pas faire le concert. Il se trouve que le club était tenu par la mafia locale, et on m'a répondu que si nous ne faisions pas ce concert, j'allais me faire casser les doigts.
POTUS BARACK OBAMA: Oh la vache !
BRUCE SPRINGSTEEN: Sauf qu'il nous manque un batteur et que le concert a lieu le lendemain. C'est là que Davey Sancious nous dit, « Je connais un type qui s'appelle Boom Carter ». Un jeune noir d'Asbury Park. Il passe 24 heures sans dormir à apprendre la totalité de notre répertoire. Nous jouons au Satellite Lounge. Et c'est ainsi que nous nous retrouvons avec trois musiciens noirs et trois musiciens blancs au sein du E Street Band. Il n' y avait rien de délibéré, et n'oublie pas que nous sommes au début des années 70. Nous sommes d'une autre génération que celle de nos parents, et je n'ai pas souvenir que le public ait été...
POTUS BARACK OBAMA: Choqué ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Non. Nous jouions plein de titres enracinés dans la culture noire. C'était un groupe puissant et sympa, il aurait été intéressant de voir ce que ça pouvait donner. Si ce n'est que David et Boom étaient tellement bons qu'ils ont quitté le groupe pour monter leur propre groupe et faire du Jazz. J'ai donc juste fait passer une annonce dans le journal pour les remplacer. J'ai auditionné 30 batteurs et 30 pianistes : j'ai choisi les deux meilleurs, qui étaient blancs. C'est aussi simple que ça.
POTUS BARACK OBAMA: En fait, encore aujourd'hui, personne ne le savait, que ton groupe était noir et blanc, à l'époque.
BRUCE SPRINGSTEEN: Non.
POTUS BARACK OBAMA: Et je ne le savais pas. Parce que je déteste te rappeler ton grand âge, mais quand Born To Run est sorti, j'étais encore...
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu étais un enfant [rires]
POTUS BARACK OBAMA: J'étais au lycée [rires] Donc, je ne savais pas que tu avais un groupe, moitié noir, moitié blanc. Mais je savais que les musiciens du Average White Band (2) étaient tous blancs.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et bien...
POTUS BARACK OBAMA: De sacrés Écossais. Et ces types assurent sur scène, en tout cas.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, ils assuraient [rires]
POTUS BARACK OBAMA: J'adorais. Ils sont incroyables. On savait que Earth, Wind & Fire (3) était un groupe uniquement composé de musiciens noirs. Mais une des raisons pour lesquelles je ne le savais pas nécessairement pour ton groupe, c'est que non seulement je n'avais pas Internet, ni la vidéo évidemment, mais la musique était aussi... Elle était compartimentée.
BRUCE SPRINGSTEEN: Carrément ! Nous avions un public essentiellement blanc.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu le savais ?
POTUS BARACK OBAMA: Et Clarence n'est pas sur la couverture de TIME Magazine (4), n'est-ce pas ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Non.
POTUS BARACK OBAMA: Il n'y a que Bruce Springsteen, avec ses cheveux bouclés, l'air mignon.
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Avec sa casquette et toute la panoplie. Quels étaient les rapports de force au sein du groupe ? Parce que je présume que dans chaque équipe, chaque groupe a ses propres dynamiques, et Clarence, d'un autre côté, est très... C'est une figure iconique du E Street Band, mais c'est aussi un simple musicien, et tu en es le leader.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est étrange, parce que c'était une dynamique qui est arrivée à la fois naturellement, mais que nous avons inventée ensemble, Clarence et moi, à un moment donné. Et il y a eu un moment, où je lui ai dit, « Hey C, tu sais, demain soir, quand je serais sur le devant de la scène pour jouer ça, viens à mes côtés, et joue à côté de moi ».
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run]
Et nous avons fait ces petits pas le soir suivant.
POTUS BARACK OBAMA: C'est comme un film de potes sur scène.
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run]
BRUCE SPRINGSTEEN: Et la foule devenait folle.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run]
BRUCE SPRINGSTEEN: Il existait une sorte d’idéalisme dans notre collaboration, dans le sens où j'ai toujours senti que notre public nous regardait et voyait l'Amérique qu'il voulait voir et à laquelle il voulait croire.
[Bruce Springsteen and The E Street Band - Born to Run s'estompe]
Et c'est devenu la plus grande histoire que j'ai raconté. Je n'ai jamais écrit de chanson qui racontait une histoire meilleure que Clarence et moi, côte à côte sur scène, dans n'importe quelle des 1,001 nuits où nous avons joué. Il a prêté sa force à mon histoire, comme je l'ai dit, à l'histoire que nous avons raconté ensemble, qui traitait de la distance entre le Rêve Américain et la Réalité Américaine.
POTUS BARACK OBAMA: Peut-être que ce que tu essayais de capter à nouveau, avec Clarence sur scène, c'était un temps plus innocent ? Une version meilleure, en quelque sorte, de ce qui aurait pu être ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Comme je l'ai dit, nous avons essayé de prendre un morceau de ce no man's land entre le rêve américain et la réalité américaine. Je pense que le public a été sensible à mon association avec Clarence, en partie à cause de l'idée que, « Oh, c'est le monde tel qu'il pourrait être ». Mais, nous racontions aussi beaucoup d'autres histoires sur le monde tel qu'il était.
POTUS BARACK OBAMA: Il y a une histoire derrière la pochette de l'album Born To Run ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Avant cette pochette, Clarence était, comme je le raconte dans mon livre, un saxophoniste noir très costaud, musicien dans mon groupe. Nous étions cinq membres, et il était un des cinq. Mais après la pochette, il est devenu le "Big Man". Big Man a été inventé et nous avons été inventés en tant que groupe, et en tant que duo sur la pochette. Quand tu achètes ce disque, si tu regardes le recto, qu'est-ce que tu vois ? Une photo tout à fait charmante d'un jeune rocker blanc, mais quand tu l'ouvres, un groupe est né. Que font-ils ensemble ces deux types ? Quelle histoire ont-ils en commun ? Si tu regardes le recto de la pochette, on dirait que je chuchote quelque chose à l'oreille de Clarence. C'est quoi cette histoire ? Je veux l'entendre. L'histoire commence donc avant que tu poses l'aiguille de l'électrophone sur la première chanson de ce disque.
Je suis arrivé à cette séance photo accompagné de Clarence, parce que je voulais être photographié avec lui. Intuitivement, je savais qu'en nous tenant l'un à côté de l'autre, nous affirmions quelque chose. C'était théâtral, excitant, et c'était aussi bien plus que ça. Nous tentions de créer et de présenter à notre public notre propre version musicale de la communauté chérie de John Lewis (5). Je voulais que notre public le voit quand il viendrait écouter notre groupe sur scène. Je voulais que le groupe renvoie au public une certaine image de lui-même. La pochette a immortalisé le sentiment que j'ai éprouvé le premier soir où Clarence et moi avons joué ensemble au Student Prince, ce petit club où nous nous étions rencontrés pour la première fois. J'ai dit, « Ce soir-là, une véritable histoire est née». C'est une histoire qui peut être alimentée et évoluer, mais il faut déjà qu'elle soit dans la terre, la bière, les groupes et les bars qui l'ont fait naitre. Quand tu voyais cette pochette, elle était pleine de la résonance et de la mythologie du rock du passé, et d'une fraicheur qui annonçait son avenir.