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The Observer, 18 janvier 2009

Rencontrez le nouveau patron



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The Observer, 18 janvier 2009
Il a commencé à être fasciné par ce mystère dans la petite ville de Freehold, dans le comté de Monmouth, dans le New Jersey, là où il a grandi, fils d'un chauffeur de bus et d'une secrétaire juridique. Au dire de tous, obnubilé par Elvis et mal dans sa peau de ne pouvoir trouver un sens à son univers que par l'intermédiaire de la musique, il rit tout bas quand il mentionne qu'il a récemment écouter des bandes-sons de son premier groupe, les Castiles, et son visage s'illumine devant ce souvenir.

"Vous jouez aujourd'hui avec le E Street Band et l'avez fait sur trois de vos derniers disques, mais vous avez fait cette longue pause où vous n'avez plus du tout joué avec eux...

Durant les années 90, j'ai galéré pour trouver un son et un objectif pour le E Street Band, ce qui explique la raison pour laquelle nous avons fait cette longue pause. Je me suis dit "Mon Dieu, que vais-je faire avec le groupe ? Je ne suis pas trop sûr. Comment sonne le groupe aujourd'hui ? Je ne sais pas vraiment. Je ne veux pas que nous ayons le même son que par le passé. J'ai n'ai aucune idée de la direction à suivre ". Et pendant la tournée qui a suivi notre réunion, j'ai écrit Land Of Hope And Dreams et American Skin. Ce sont deux chansons qui sont aussi bonnes que n'importe quelle chanson que j'ai pu écrire pour le groupe par le passé. Ces chansons auraient pu se trouver sur Darkness On The Edge Of Town, elles auraient pu se trouver sur The River. Ces chansons auraient pu se trouver sur n'importe quel album que les fans considéraient comme classiques à cette époque.

Je me suis donc dit "D'accord, je peux encore écrire des chansons pour le groupe". Après la tournée, nous sommes allés en studio et nous les avons enregistrées. Elles ne sonnaient pas assez juste. En tant qu'équipe de production, à ce moment-là, nous étions tout simplement à court d'énergie et à court d'options et à court d'idées nouvelles et nous nous sommes précipités dans le mur.

Donc, je présume que Brendan O'Brien qui a produit ce disque et The Rising et Magic auparavant, vous a, évidemment, permis de surmonter cette difficulté que vous aviez d'enregistrer le groupe. Comment cela affecte-t-il ce que vous écrivez et ce que vous faites en studio ?

Une grande partie de ce que vous faites est d'écrire pour un public. La première personne de ce public, c'est moi. En second, viennent les membres du groupe. C'est le public pour lequel je joue en premier quand j'ai de nouvelles chansons. Je dis aux gars "Qu'est-ce que vous en pensez ?". C'est le premier endroit où j'ai un retour.

Et tout à coup, il y a eu ce nouveau type, il y a eu ce nouveau public. Des racines différentes, un peu plus jeune que nous. Il avait un langage qui ne s'inspirait pas seulement des références musicales dont nous nous inspirions. Mais voilà un type qui s'inspirait de... Il connaissait toutes nos références, cet endroit où je vole toutes mes choses, toutes mes influences, mais il avait aussi tout le reste. Il a amené avec lui ses nombreuses influences, différentes des miennes. Et ce qu'il a apporté, c'est vraiment un second souffle à nos enregistrements. Si vous n'avez plus d'idées, trouvez quelqu'un qui en a, vous savez. Trouvez quelqu'un et intégrez cette personne à votre vie créative. Et il savait tout simplement comment enregistrer le groupe d'une façon puissante, actuelle et de manière fidèle à son identité.

Il y avait donc un énorme sentiment d'excitation, c'était une immense stimulation pour moi et pour mon écriture. Pour une raison ou une autre, l'écriture, quand j'ai eu 50 ans, est venue très..., je ne dirais pas facilement, mais elle a été fructueuse. J'ai eu une période très prolifique, et je pense que c'est en partie dû au fait que quand je m'apprête à écrire quelque chose, j'ai une personne qui donnera à ma chanson un son fantastique.

D'une certaine façon, Working On A Dream a un son très différent pour vous. Qu'est-ce qui a amené ça ?

Et bien, je n'avais pas écris ainsi depuis longtemps et j'aime ce genre de musique. J'aime les grandes productions pop des années 60, et les Righteous Brothers, les Walker Brothers, j'aime ces grands disques romantiques. Et je me suis donc dit que c'était quelque chose que je n'avais pas fait. Et quand je me suis mis à écrire, c'était comme si cette petite veine était restée là sans être utilisée et attendait patiemment, pleine de carburant. Donc, j'ai écrit beaucoup de morceaux, très rapidement. Et je me suis dit que ce que je voulais sur cet album, c'étaient des chansons romantiques, de grandes mélodies que je vais chanter avec cette grande voix, dont j'étais resté éloigné depuis longtemps. Je voulais simplement ces morceaux orchestral, rock, pop, et c'est vraiment devenu le thème vers lequel je voulais aller. A chaque album, vous cherchez à élargir votre vision, ce que vous avez fait musicalement et à agrandir cette vision, d'une certaine façon. Tout ce que j'essaie de faire aujourd'hui, c'est de vouloir faire des disques vraiment bien pensés, bien façonnés et inspirateurs, et d'amener de la musique à mon public qui corresponde à l'époque dans laquelle nous vivons et aux moments de leur vie.

Les derniers albums ont été, à leur façon, assez politiques. Mais celui-là ne l'est vraiment pas. Avez-vous senti que vous écriviez différemment ?

Comme je l'ai dit, je crois que cet album parle d'amour et de mortalité. Il y a cette chanson, This Life, et je pense à Kingdom Of Days. Ce sont des chansons qui parlent de l'amour éternel. Patti et moi sommes ensemble depuis 20 ans, vous savez. On a l'impression que ce n'est rien, mais c'est énormément d'expérience ensemble. Et vous arrivez à ce moment de votre vie qui non seulement vous donne toute cette expérience ensemble, mais cette expérience est limitée dans le temps. Cette vie est une grande part de ma vie. Nous avons passé une grande partie de notre vie ensemble et les éléments cosmiques commencent à s'infiltrer dans notre relation, où vous voyez dans l'avenir, mais vous voyez aussi sa limite dans le temps et vous vous dîtes "Wow".

La musique rock se situe dans un présent éternel. Quand j'étais jeune, ce qui constituait pour moi son message primaire, c'était maintenant, maintenant, maintenant, vivez maintenant. Et je pense que c'est une des raisons pour laquelle quand moi et le groupe montons sur scène, nous voulons désespérément ce "maintenant". Et cette immédiateté et cette urgence est une forme d'énergie que vous essayez de communiquer, de façon à ce que les gens se saisissent de leur propre jour. C'était à mes yeux, une partie essentielle de ce que la musique m'a communiqué. C'était un souffle profond de "maintenant", un souffle profond du présent, un souffle profond de la vie où on la vit. Tous ces disques fantastiques m'ont rempli de ce souffle, ce souffle de vie, ce souffle de "maintenant". Oh oui, et il vous alimente et vous fait continuer. C'était une partie de l'essence de la musique pop quand elle est apparue, ce "il n'y a pas assez de maintenant en ce moment".

Kingdom Of Days a le meilleur vers le l'album: "Je ne vois pas l'été qui décline, simplement le subtil changement de lumière sur ton visage"...

Kingdom Of Days parle du temps. C'est un vers sur le temps qui passe et je suis assez âgé pour m'en inquiéter quelque peu. Pas trop, mais un peu (rires). Donc, les deux premiers couplets parlent de la façon dont, à certains moments, le passage du temps est occulté par la présence de la personne que vous aimez. Ils parlent de la façon dont il semble y avoir une transcendance du temps avec l'amour. Ou je crois qu'il y en a. Je porte en moi beaucoup de gens qui ne sont plus là. Et donc, l'amour transcende le temps. Les marqueurs habituels du jour, du mois de l'année, quand vous vieillissez, ces marqueurs effrayants... la présence de l'amour, de quelqu'un qui vous est cher. Ils perdent quelque peu de leur pouvoir effrayant.

C'est vrai...

Mais la chanson parle aussi du fait que l'idéal romantique à un moment donné traite de la détérioration physique du corps. Le dernier couplet parle vraiment de ça, du vieillissement. Il s'évapore, c'est juste une partie de votre vie. Mais la beauté reste. Elle parle de deux personnes et vous visitez cet endroit sur le visage de l'autre. Pas seulement le passé et le présent, mais vous visitez aussi le futur dans le visage de l'autre au moment présent. Et tout le monde sait ce que cela contient.

Je suppose que c'est un nouveau thème pour vous, non ?

En fait, si vous retournez jusqu'à Wreck On The Highway, ce thème commence à traverser beaucoup de mes chansons. Sinaloa Cowboys... C'est le sous-entendu dans beaucoup de choses. C'est dans Ramrod (rires). "On ira s'éclater encore et encore". C'est l'idée que peut-être on peut échapper au temps. On retrouve ce thème dans la majorité de la grande musique rock, parce que ce côté désespéré, au moment présent, l'impact de tant de superbes disques vous dit immédiatement "Oh, il y a quelque chose d'autre, mon ami". L'aspect présent désespéré que l'on trouve dans tant de grande musique rock, la force vitale en elle, c'est un discours déclamatoire contre l'autre chose. C'est pourquoi la mythologie est toujours un mélange. Les crânes, les os croisés, la tête de mort. Pourquoi est-elle sur votre moto ? Elle est toujours omniprésente. MOI, j'entends la mort dans les premiers disques d'Elvis, dans tous ces premiers disques de blues sinistres. Et dans des disques faits par de jeunes gosses. C'est dans Thunder Road. Une notion du temps et du passage du temps, et vous n'êtes plus si jeune, de l'innocence qui s'en va.

Ça traverse toute la musique populaire, mais sur ce disque, c'est plus à la surface. C'est clair, c'est clairement écrit. Je peux obscurcir ces choses des heures durant, mon ami. Donnez-moi juste le temps, j'en parlerai indéfiniment, vous en resterez perplexe. Mais vous vieillissez et les choses deviennent aussi plus simples.

Évidemment, ces deux dernières années, deux de vos amis sont décédés, le plus récent étant Danny Federici, le claviériste du E Street Band, et qui jouait avec vous depuis une quarantaine d'années. The Last Carnival, cette chanson sur l'album, parle de lui ? Pour lui ?

C'était simplement une chanson que j'ai écrite pour Danny, après sa mort. C'est la face B de Wild Billy's Circus Story, je suppose. Au début, c'était une façon de donner un sens à sa mort. Il était partie intégrante de ce son boardwalk avec lequel le groupe a grandi et c'est quelque chose qui va manquer à présent. Danny a apporté ce... Danny était un musicien unique. C'était un véritable musicien folk, dans le sens où personne ne jouait comme lui, où il ne savait pas refaire les choses qu'il faisait régulièrement. Je n'ai jamais vu de musicien plus spontané. Je n'ai jamais vu un autre type capable de court-circuiter les parties de son cerveau qui le freinaient et son instinct passait directement dans ses doigts.

Comme je l'ai dit, quand je voulais alléger un morceau, je mettais toujours Danny sur le coup car il jouait simplement quelque chose. D'abord, je mettais Danny sur le coup sans lui dire quoi jouer parce que c'était une cause perdue. Ce n'était pas quelqu'un avec qui vous pouviez travailler de façon intensive sur des arrangements. Ce n'était pas son point fort. Son point fort était de faire émerger quelque chose de ses doigts, qui donnait un aspect détendu, excitant et spontané au morceau que vous étiez en train de travailler. Il jouait presque exclusivement d'une seule main mais il était magique. Cette seule main était magique. Et ce qui est bien, c'est que nous l'avons eu sur une assez grande partie de l'album avant sa mort.

Danny était un membre du E Street Band toujours très téméraire (rires). Nous nous sommes beaucoup disputés, beaucoup... Il était aussi merveilleusement gentil. Quand Patti a intégré le groupe, il a été, pour elle, le meilleur de tous. Il avait une gentillesse profonde et courtoise et des blessures, beaucoup de blessures. Et beaucoup de temps a passé, beaucoup de temps ensemble. En fin de compte, vous ne pouviez qu'aimer ce type.

Est-ce qu'écrire une chanson comme celle-là vous aide à l'accepter vous-même ?

Peut-être. Je ne sais pas. Vous savez... d'un côté, ce n'est qu'une chanson.

Ce n'est jamais qu'une simple chanson, Bruce...

Vous savez, c'est la première personne que nous avons perdu. La chose dont j'ai été le plus fier pendant longtemps était que, contrairement à de nombreux autres groupes, les membres de notre groupe, ils étaient en vie. Ils étaient en vie et c'était quelque chose qui ressemblait à un effort commun; c'était quelque chose que nous avions fait ensemble. Ce truc de survivre. Chacun veillait vraiment sur l'autre. Et c'était un témoignage de la force de la vie qui, je pense, était au cœur de notre musique - que personne ne vous abandonnait. Et qui a duré longtemps. Les gens se sont sortis de beaucoup de mauvaises situations. Et moi inclus, de diverses façons, pendant de nombreuses, nombreuses années".


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