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Rolling Stone, 05 août 1992

The Rolling Stone Interview



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Rolling Stone, 05 août 1992
Écriviez-vous des chansons pendant cette période ?

Au début, je n’avais rien à dire. Pendant les années 88 et 89, à chaque fois que je m’asseyais pour écrire, je faisais du réchauffé. Je n’avais pas de nouvelles chansons à chanter. Je finissais par refaire du Tunnel Of Love, mais en moins bon. Ce n’était que des trucs déprimants et nihilistes. C’est drôle, parce que je crois que les gens associent probablement ma musique à des choses positives. Mais c’est comme si je dérive vraiment vers l’autre côté - je crois qu’il y a eu beaucoup d’amusement désespéré dans mes chansons.

Et puis, je me suis souvenu que Roy [Bittan] avait des musiques qu’il me jouait parfois. Donc, je l’ai appelé et lui ai dit: "Viens me voir, peut-être que j’essaierai d’écrire des paroles sur certaines de tes musiques". Il avait la musique de Roll Of The Dice et j’ai trouvé l’idée, et je suis rentré à la maison et j’ai écrit la chanson. Elle parlait vraiment de ce que j’étais en train d’essayer de faire: j’essayais de trouver le courage de prendre un risque.

Et puis Roy et moi avons commencé à travailler ensemble assez régulièrement. J’avais un petit studio dans mon garage, et j’ai écrit Real World. Ce que j’ai commencé à faire était des petits exercices d’écriture. J’essayais d’écrire quelque chose d'orienté vers la soul. Ou je jouais autour de structures pop existantes. C’est plus ou moins comme ça que j’ai fait l’album Human Touch. La majorité de l’album est générique, dans un certain sens.

Nous avons travaillé pendant environ un an, et à la fin, j’ai essayé de l’assembler. Certains albums se font naturellement, Tunnel Of Love, Nebraska, Lucky Town – ils sont tous venu d’un coup. Human Touch est vraiment un album que j’ai eu du mal à assembler. C’était comme un boulot. J’y travaillais dessus chaque jour. Mais finalement, je l’ai trouvé bon, mais il parlait de ma quête à arriver vers un endroit précis. C’était une sorte de chronique post-Tunnel Of Love. Quand nous l'avons fini, je l’ai mis de côté pendant deux mois.

Puis, j’ai écrit la chanson Living Proof, et quand je l’ai écrite, j’ai dit: "Voilà ce que j’essaie de dire. Voilà ce que je ressens". Et ça a été un grand moment, parce que j’avais atterri en plein dans le présent, et c’est là où je voulais être. J’avais passé une grande partie de ma vie à écrire sur mon passé, réel et imaginaire, d’une certaine manière. Mais avec Lucky Town, ce que j’ai ressenti c'est voilà où je suis. Voici qui je suis. Voici ce que j’ai à dire. Voilà les histoires que je veux raconter. Voilà ce qui est important dans ma vie en ce moment. Et j’ai écrit et enregistré tout cet album en trois semaines chez moi.

N’avez-vous jamais pensé à ne pas sortir Human Touch ?

Si, sauf qu’à chaque fois que je l’écoutais, je l’aimais bien. De plus, je voulais présenter beaucoup de chansons, parce que je ne voulais pas être dépendant de mon ancien répertoire quand je partirais en tournée. Je voulais avoir une bonne réserve de chansons dans laquelle puiser quand je monterais sur scène.

Et puis je me suis rendu compte que les deux albums ensemble racontaient une histoire. Il y a Tunnel Of Love, et puis il y a ce qui se passe après avec Human Touch, puis il y a Lucky Town. Et en fait je me suis dit: "Hé - Guns & Roses ! Ils ont sorti deux albums en même temps, peut-être que je vais tenter le coup !".

Il y a une perception quelque part - et quelques critiques de vos albums l’ont mentionnée - que vous vous êtes coupé de la réalité, vivant dans une grande maison, etc... Cependant, si on se base sur ce que vous dites, je suppose que vous diriez plutôt que c’est le contraire.

Ce sont des clichés, et les gens en sont arrivés à croire aux clichés dans la musique rock. Vous savez, c’est comme si, d'une certaine manière, il est plus acceptable d’être accro à l’héroïne que, disons, fréquenter des gens de la jet-set. Mais vous savez, c’est toujours la même histoire. Les gens ne savent pas ce que vous faites à moins qu’ils essaient de se mettre un peu à votre place.

Certains de vos fans semblent penser la même chose, qu’en vous installant à Los Angeles et en achetant une maison à 14 million de dollars, vous les avez laissé tomber ou les avez trahis.

J’ai tenu mes promesses. Je ne me suis pas détruit. Je n’ai pas gaspillé mon talent. Je ne suis pas mort. Je n’ai pas balancé mes valeurs musicales. Hé, j’ai campé sur mes positions sur toutes ces choses-là. Et ma musique a été, en grande partie, une chose positive, libératrice, vivante et exaltante. Et en chemin j’ai gagné beaucoup d’argent, et j’ai acheté une grande maison. Et je l’adore. Je l’adore. Elle est superbe. Elle est belle, vraiment belle. Et d’une certaine façon, c’est ma première vraie maison. J’y ai des photos de ma famille. Et il y a un endroit où je fais de la musique, un endroit pour les enfants, et c’est comme un rêve.

J’aime toujours le New Jersey. Nous y retournons tout le temps. J’y ai visité une ferme qu’il se peut que j’achète. Je voudrais que mes enfants aient ça aussi. Mais je suis venu ici, et j’ai simplement senti que le mec qui est né aux U.S.A. avait laissé le bandana derrière lui, vous comprenez ?

J’ai combattu beaucoup de choses ces deux ou trois dernières années, et le combat a été très gratifiant. J’ai été très, très heureux, honnêtement le plus heureux que je ne l’ai été dans ma vie. Et ce n’était pas cette idée du 'bonheur' en une seule dimension. C’est accepter la mort, le chagrin et la mortalité. C’est abandonner le scénario et laisser les jeux se faire.

Quelle a été la chose la plus dure en devenant père ?

L’engagement. L’engagement. L’engagement. Vous avez peur d’aimer quelque chose si fort, vous avez peur de ressentir autant d’amour. Parce qu’un monde de peur s’empare de vous, particulièrement dans ce monde dans lequel nous vivons. Mais ensuite vous vous rendez compte: "Oh, je vois, pour aimer autant quelque chose, comme j’aime Patti et mes enfants, vous devez pouvoir accepter de vivre avec ce monde de peur, ce monde de doute, par rapport à l’avenir. Et vous devez tout donner aujourd’hui sans retenue". Et c’était ma spécialité; ma spécialité était de garder mes distances, ainsi si je perdais quelque chose, la perte ne me ferait pas autant mal. Et vous pouvez agir ainsi, mais vous n’aurez jamais rien.

C’est drôle, parce que la nuit où mon petit garçon est né, c’était incroyable. J’ai joué sur scène devant des centaines de milliers de personnes, et j’ai senti mon esprit s’élever certains soirs. Mais au moment où il est né, j’ai ressenti une forme d’amour que je n’avais pas ressenti auparavant. Et à la minute où je l’ai ressenti, c’était terrifiant. C'était du genre: "Wow, je comprends. Cet amour est là pour être possédé, et pour être ressenti et vécu ? Par tout le monde, au quotidien ?". Et j’ai compris pourquoi on s’enfuit, parce que c’est terrifiant. Mais c’est aussi une fenêtre sur un autre monde. Et c’est dans ce monde que je veux vivre maintenant.

Est-ce que le fait d’avoir des enfants a changé la façon dont vous regardez vos propres parents ?

C’était incroyable, en fait, combien elle a changé. Je suis plus proche de mes parents maintenant, et je crois qu’ils se sentent plus proches de moi. Mon père, en particulier. Il y a dû avoir quelque chose quand j’ai été sur le point d’être père qui a suscité en lui l’émotion qui lui a permis de parler de notre relation. J'ai été assez surpris; c’est venu d'un coup.

Il n’a jamais été une personne qui parlait beaucoup, et je lui parlais à travers mes chansons. Pas le meilleur moyen de communiquer, vous savez. Mais je savais qu’il les entendait. Et puis, avant la naissance d’Evan, nous avons finalement parlé de beaucoup de choses, dont je n’étais pas sûr que nous aborderions le sujet, un jour. Ça a été probablement l’un des plus beaux cadeaux de ma vie. Et ça a donné à ma paternité imminente une grande richesse et une plus grande résonance. C’est drôle, parce que les enfants ont beaucoup de pouvoir, ils affectent tout. Et le bébé n’était pas encore né, mais il affectait la façon dont les gens ressentaient les choses et la façon dont ils se parlaient, la façon dont ils se traitaient.

Vous avez dit que Pony Boy était l'une des chansons que votre mère vous chantait.

Ma grand-mère me la chantait quand j’étais petit. J’ai inventé la majorité des vers; je suis sûr qu’il existe de véritables paroles, mais je ne suis pas sûr que ce soit celles que j’ai utilisées. C’était la chanson que je chantais à mon petit garçon quand il était encore dans le ventre de Patti. Et quand il est né, il la savait. C’est drôle. Et ça marchait comme par magie. Il pleurait, et je la lui chantais, et il s’arrêtait net. Incroyable.

Vous et Patti, vous avez fait une grande cérémonie pour votre mariage, non ?

Ce n’était pas une si grande cérémonie, environ 80 ou 90 personnes. La cérémonie s’est déroulée dans notre maison, et la journée a été fantastique. Vous arrivez à dire tout haut toutes les choses qui vous amènent à cet endroit. Je crois maintenant en tous les rituels et toutes ces choses. Je pense qu’elles ont véritablement une valeur. Et je sais que le fait de s’être mariés a donné un sens plus profond à notre relation. Pendant longtemps, je n’ai pas mis beaucoup de foi en ces choses-là, mais j’en suis arrivé à penser qu’elles sont importantes. Tout comme, aller à l’église me manque. J’aimerais bien y aller, mais je ne sais pas où aller. Je ne crois pas à tous ces aspects dogmatiques, mais j’aime l’idée que les gens se retrouvent pour une forme d’enrichissement ou d’illumination spirituelle ou même simplement pour se dire bonjour une fois par semaine.


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