Bruce Springsteen
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Q, juillet 2009

Bruce Springsteen sur scène, hors scène & à bord de son avion privé



L'expérience live d'un incroyable E Street Band qui agite les âmes, fait trembler la terre, fait prendre du Viagra... est en route pour Glastonbury. Et à la veille de la première apparition de Bruce Springsteen à un festival anglais, Q traverse les États-Unis à bord de l'avion privé du bonhomme pour un aperçu unique sur le plus grand show sur terre.

Par Paul Rees

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Q, juillet 2009
En tant que symbole des malheurs économiques des États-Unis, Houston se porte bien. La 4ème plus grande ville du pays, avec une population de 2,2 millions d'habitants, est une conurbation qui couvre 965 km2 du Texas. En ce mercredi chaud et humide, ses rues du centre-ville et ses magasins sont tous désertés. Même la circulation est fluide, et puisque chaque véhicule a des vitres teintées, on a ce sentiment fou qu'il n'y a personne au volant.

Bruce Springsteen et le E Street Band sont en ville pour jouer la cinquième date de leur tournée américaine. Jusqu'à maintenant, ils contredisent le fait que les Américains n'ont plus d'argent pour autre chose qu'exister, leur quatre précédents concerts dans des grandes salles étaient tous complets - un sacré exploit dans un pays où 200 000 emplois sont perdus chaque mois, et en considérant qu'ils ont donné ici leur dernier concert il y a moins d'un an.

Telle a été l'histoire de Springsteen. Ayant réuni le E Street Band à la fin des années 90, après un hiatus de pratiquement dix ans, il n'a jamais été aussi productif, et ne s'est lui-même jamais trouvé autant en phase avec l'époque. Il aura 60 ans en septembre, mais exceptionnellement, les disques qu'il a faits ces dernières années - The Rising, Magic, et son dernier, Working On A Dream - sont comparables à ce qu'il a fait de mieux. Son influence a imprégné en chemin une nouvelle génération, des groupes tels que Arcade Fire, The Gaslight Anthem et The Hold Steady ont comme référence le son du E Street Band.

Et en exprimant toutes les angoisses de la nation après le 11-septembre sur The Rising et en mettant en avant sa rage contre la période Bush sur Magic, il a puisé dans le cœur battant de la vie américaine - ses espoirs, ses aspirations et sa conscience morale. A un tel point qu'il est tout simplement apparu à sa place légitime, dans la grande vision des choses, quand il s'est tenu aux côtés du Président Obama lors de son investiture au début de l'année.

Le concert de ce soir au Toyota Centre, domicile des équipes de basket-ball et de hockey sur glace de Houston, est également complet. Dans la chaleur de cette fin d'après-midi, cependant, seules quelques personnes trainent aux alentours. Deux gamins au teint frais, de la station de radio locale, sont assis à une table, posée sur tréteaux sur le trottoir, et débitent des chansons de Born In The U.S.A., l'album de 1984, qui s'est vendu à 30 millions d'exemplaires, et qui a marqué l'apogée commerciale de Springsteen.

La prétention à la gloire du Toyota Centre est due au fait qu'à 10 mètres en-dessous du niveau de la rue, sa surface de jeu est la plus basse des États-Unis. Un édifice de briques rouges immaculé, il ne possède pas grand chose de remarquable. En descendant de la rue vers ses entrailles, le même sinistre calme morbide domine: le seul signe de vie dans ce long couloir d'entrée est un convoi de camions garés le long d'un mur de béton.

Au bout de cette allée, le tohu-bohu se révèle. Des hommes costauds en short et t-shirts courent ici et là, poussant des caisses, portant des câbles électriques sur l'épaule, ou s'activant simplement pour avoir l'air occupé. Les détritus jonchent le sol. Des indications au mur vous dirigent vers le bureau de production, vers la cantine (au menu du jour: vivaneau et gnocchis) et vers un salon de massage. Il y a un air de village, un jour de marché.

Il y a trois loges: une pour le E Street Band et, côte à côte, une pour Patti Scialfa (Mme Bruce Springsteen) et une pour Springsteen lui-même. Des affiches sur les portes de ces dernières indiquent, "Veuillez frapper et attendre une réponse avant d'entrer". Une malle d'avion ouverte est posée contre le mur entre ces deux loges. Elle contient, comme l'indique l'étiquette collée dessus, un nécessaire de couture, des chewings-gums, une crème hydratante et des tampons. Un panda en peluche monte la garde devant la loge de Springsteen, il porte un t-shirt vert avec la lettre 'T' cousue dessus. C'est là que Terry Magovern, l'assistant de Springsteen pendant 20 ans, se tenait jusqu'à sa mort en 2007. Magovern n'est pas le seul absent sur cette tournée: Danny Federici, organiste du E Street Band pendant 40 ans, est décédé d'un mélanome l'an dernier, son poste est désormais tenu par Charles Giordano.

Et voici qu'arrive Jon Landau, figure paternelle qui s'occupe de la carrière de Springsteen depuis 1975. Ancien producteur de disques et journaliste, Landau est connu pour avoir écrit qu'il avait vu 'l'avenir du rock'n'roll' après avoir assisté à un concert de Springsteen pour la première fois. Il conserve, jusqu'à ce jour, le même enthousiasme pour celui dont il s'occupe - en conduisant Q dans la salle principale, il parle à cent à l'heure sur la façon dont joue si bien le groupe, sur la façon dont chante si bien Bruce... et puis, il dit: "Quand on parle du loup, il arrive".

Q, juillet 2009
Bruce Springsteen s'avance vers Q, un bras enlaçant sa femme qui sourit à ses côtés. Il marche à la manière de quelqu'un qui aurait passé toute la journée sur un cheval - une démarche raide et chaloupée. Un bonnet de laine gris sur la tête, des lunettes d'aviateur cachent ses yeux et il porte une veste en cuir, un jean et des bottes de travail. Il a une présence indéniable et une poignée de mains ferme. Les présentations sont brèves, et puis il grimpe les marches vers la scène pour rejoindre les 11 membres de son groupe pour un soundcheck. Ils sont tous là debout, excepté le saxophoniste Clarence Clemons qui, à 67 ans et après une opération pour remplacer sa hanche, s'offre le luxe d'un trône doré pour s'asseoir.

Le E Street Band passe directement à l'action. Après avoir joué Badlands, l'hymne pour les mécontents qui ouvre chaque concert, et issu de Darkness On The Edge Of Town, l'album de 1978, Springsteen réclame la chanson au thème similaire, The Ghost Of Tom Joad, une lamentation acoustique troublante de son album éponyme de 1995, mais jouée maintenant de façon plus dure par le groupe au complet. Au milieu de la chanson, il lève une main et le groupe s'arrête. "Essayons quelque chose d'un peu différent" dit-il. En quelques minutes, le refrain final est reconstruit autour d'une harmonie spontanée chantée par le groupe. "Ok, nous l'avons" annonce Springsteen, après l'avoir répété trois fois.

Une heure plus tard, le Toyota Centre est rempli d'un public composé en majorité d'américains blancs de la classe moyenne, qui ont entre 30 et 40 ans. Juste après 20 heures, les lumières s'éteignent. Le bruit de milliers de personnes qui entonnent "Broooooce" gronde comme le tonnerre.

Pendant les 02 heures et demi suivantes, Springsteen et le groupe font ce qu'ils ont fait chaque soir où ils ont travaillé durant ces quatre dernières décennies: jouer avec la passion et la puissance de ceux qui ont encore tout à prouver. La facilité que Bruce a exhibée pendant le soundcheck s'en est allée, faisant place à une intensité évangélique. Quand il tape des pieds, fait des glissades et charge, c'est comme si, d'une certaine manière, il avait arrêté le temps.

Pendant la chanson très Roy Orbison, Working On A Dream, il présente son ordre du jour. "Ici ce soir, nous construisons une maison dédiée à la musique" hurle-t-il comme un aboyeur de foire. "Nous avons le bon bois et le mauvais bois, les bonnes nouvelles et les mauvaises nouvelles".

Pour les "mauvaises nouvelles", il y a un triptyque de ses chansons les plus austères - Seeds, Johnny 99 et celle déjà mentionné plus haut ...Tom Joad: des chansons qui se situent au cœur des terres arides américaines. Leurs personnages, les opprimés et les dépossédés. La nouvelle version de ...Tom Joad est rallongée par un solo de Nils Lofgren, le guitariste-nain qui saute d'un pied sur l'autre, extirpant des vagues de notes hurlantes.

Le "bon bois" est partout ailleurs pour la plupart, notamment dans la partie des requêtes du concert. A ce moment-là, Springsteen ramasse des poignées de bannières dans la foule, chacune avec le titre d'une chanson écrite dessus - généralement- ancienne, très peu jouée. Il y a un grand sens théâtral à le voir montrer sa sélection avec exubérance, puis à regarder comment lui et le groupe redécouvrent littéralement leur passé.

"Vous venez juste de voir l'incroyable E Street Band qui agite les âmes, fait trembler la terre, fait prendre du Viagra", dit Springsteen à Houston, à la fin d'un rappel de six chansons. Et puis il est parti, le boulot est fait.

"Le concert commence à prendre une sorte de sens émotionnel" dit Bruce Springsteen, les yeux fermés comme s'il s'exprimait de mémoire. Nous sommes devant sa loge depuis une demi-heure. Toujours dans ses vêtements de scène, il est trempé de sueur, mais toujours excité. Il boit à petites gorgées dans un gobelet en polystyrène la goutte de Bourbon qu'il s'autorise après un concert. "Les gens savent ce qui se passe dehors, et si notre groupe peut vous donner quelque chose, c'est une petite matrice sur la façon dont vous pouvez trouver votre chemin à travers l'époque dans laquelle vous vivez. C'est notre service".

Il parle encore et puis lève les yeux, sortant de la rêverie où il se trouvait. ''Ok, les gars, on se revoit à Denver'' dit-il, en offrant une autre poignée de mains, qui vous serre comme un étau.

Alors que nous, journaliste de Q, nous nous préparons à retourner à notre hôtel, nous sommes interceptés par Barbara Carr, l'associée compétente de Jon Landau pour le management. Si nous convenons que les conversations privées resteront hors enregistrement, nous pourrions prendre l'avion pour Denver avec Springsteen et le groupe dans leur avion privé. Nous acceptons de nous revoir dans deux jours.


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