Plus que jamais fidèle à ses racines ouvrières, toujours engagé auprès des laissés-pour-compte, le rocker aux 130 millions d'albums vendus publie son autobiographie, Born To Run (Albin Michel). Une radiographie du rêve américain et la longue histoire de sa dépression. The Boss a accordé à l'Obs une entretien exclusif. Il parle d'Obama, de Trump et de Clinton, du capitalisme, du racisme et de ses combats.
Par François Armanet & Antoine de de Caunes
Par François Armanet & Antoine de de Caunes
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C'est le livre le plus attendu de la rentrée. Tout au moins par tous ceux pour qui Bruce Springsteen reste une énigme passionnante et irrésolue, comme par les curieux d’un destin artistique hors norme dans l’Amérique de ce dernier demi-siècle. Son autobiographie, rédigée au fil des sept dernières années, a pour nom Born to Run, reprise de la chanson titre de l’album qui avait fait en 1975 la une de Time et de Newsweek la même semaine (à une époque sans internet où régnaient les magazines). La couverture du livre montre le jeune rocker posant nonchalamment devant sa Corvette, et rappelle la photo de pochette de Born To Run où il s'appuyait sur l'épaule de son saxophoniste Clarence Clemons, la force tranquille d'un Porthos noir. La sortie mondiale du livre a été orchestrée de main de maître. En France, Albin Michel publie un premier tirage de 100.000 exemplaires.
Plus de quarante ans de carrière sans fausse note, 130 millions de disques vendus, dont une poignée qui brille au firmament du rock, de tournées plus légendaires les unes que les autres, de biographies aussi passionnées que convaincantes, ou de distinctions (Grammy Awards, Hall of Fame, Golden Globes, Oscar, etc.) : la vie de Bruce est un roman. L'histoire d'un jeune prolo du New Jersey qui n'a jamais trahi les siens, refusant à Reagan, à Bush ou à Chrysler le droit d'utiliser Born In The U.S.A., a offert à Obama son hymne de campagne, et s'est engagé aux côtés des militants antinucléaires, des immigrés clandestins, des vétérans du Vietnam et de ses frères noirs. La route d'un enfant des quartiers ouvriers ("On vivait quasiment sous le seuil de pauvreté") qui va devenir une icône mondiale, sans rien céder de son intégrité, remettant le titre en jeu chaque fois que la pression du succès se fait trop forte, tissant avec la communauté de ses fans une relation unique dans l'histoire du rock et, plus largement, dans l'histoire de la musique et du spectacle.
Depuis son premier album, Greetings from Asbury Park, en 1973, on sait que Bruce Springsteen n'est pas avare de mots. C'est un conteur qui conte sans compter. Tour à tour lyrique ou sobrement réaliste, il nous éclaire sur l'envers du décor, les illusions perdues, les laissés-pour-compte d'une économie brutale et sans pitié, ou les traumatismes de la psyché nationale - du Vietnam au 11-septembre, en passant par l'éternelle question raciale. En solo ou à la tête du E Street Band, roulant à tombeau ouvert sur les chemins du blues, du folk, du rock et de la soul, entre mystique du carburateur et contre-culture, poésie pure et transe brute, il n'a cessé de "cartographier ce territoire entre rêve américain et la réalité de l'Amérique", écrit-il. Par la seule puissance de son verbe, cet homme-là a déplacé des montagnes, se livrant corps et âme à un public qui l'a couronné, et lui a, à l'unanimité, décerné ce titre de Boss. Le temps est donc venu pour le patron - rêvons d'un monde où tous les patrons seraient taillés sur ce modèle - de se raconter, à la première personne. Le bataillon de ses fidèles ne va pas être déçu.
Il est des romans-fleuves. Cette autobiographie est un torrent furieux, débordant de vérité, de bravoure, d'humilité, d'amour et d'humour. Un page-turner, comme on dit, à la narration tendue, aux digressions surprenantes, à des années-lumière des habituels Mémoires de rock star (exception faite pour les Chroniques de Dylan, le Just Kids de Patti Smith et le Life de Keith Richards), où la révélation de sa longue dépression - "la psychose maniaco-dépressive, dans ma famille, c'est le cadeau dans ma boite de céréales" - voisine avec des petits bonheurs comme lorsqu'il décrit, à un feu rouge dans l'air vif de l'automne, l'odeur de caoutchouc brûlé et le ruban de fumée bleue s'élevant du talon de sa botte posée sur le pot d'échappement de sa motocyclette.
Et si Springsteen, au prétexte de se raconter, venait d'écrire un grand roman américain ?
Plus de quarante ans de carrière sans fausse note, 130 millions de disques vendus, dont une poignée qui brille au firmament du rock, de tournées plus légendaires les unes que les autres, de biographies aussi passionnées que convaincantes, ou de distinctions (Grammy Awards, Hall of Fame, Golden Globes, Oscar, etc.) : la vie de Bruce est un roman. L'histoire d'un jeune prolo du New Jersey qui n'a jamais trahi les siens, refusant à Reagan, à Bush ou à Chrysler le droit d'utiliser Born In The U.S.A., a offert à Obama son hymne de campagne, et s'est engagé aux côtés des militants antinucléaires, des immigrés clandestins, des vétérans du Vietnam et de ses frères noirs. La route d'un enfant des quartiers ouvriers ("On vivait quasiment sous le seuil de pauvreté") qui va devenir une icône mondiale, sans rien céder de son intégrité, remettant le titre en jeu chaque fois que la pression du succès se fait trop forte, tissant avec la communauté de ses fans une relation unique dans l'histoire du rock et, plus largement, dans l'histoire de la musique et du spectacle.
Depuis son premier album, Greetings from Asbury Park, en 1973, on sait que Bruce Springsteen n'est pas avare de mots. C'est un conteur qui conte sans compter. Tour à tour lyrique ou sobrement réaliste, il nous éclaire sur l'envers du décor, les illusions perdues, les laissés-pour-compte d'une économie brutale et sans pitié, ou les traumatismes de la psyché nationale - du Vietnam au 11-septembre, en passant par l'éternelle question raciale. En solo ou à la tête du E Street Band, roulant à tombeau ouvert sur les chemins du blues, du folk, du rock et de la soul, entre mystique du carburateur et contre-culture, poésie pure et transe brute, il n'a cessé de "cartographier ce territoire entre rêve américain et la réalité de l'Amérique", écrit-il. Par la seule puissance de son verbe, cet homme-là a déplacé des montagnes, se livrant corps et âme à un public qui l'a couronné, et lui a, à l'unanimité, décerné ce titre de Boss. Le temps est donc venu pour le patron - rêvons d'un monde où tous les patrons seraient taillés sur ce modèle - de se raconter, à la première personne. Le bataillon de ses fidèles ne va pas être déçu.
Il est des romans-fleuves. Cette autobiographie est un torrent furieux, débordant de vérité, de bravoure, d'humilité, d'amour et d'humour. Un page-turner, comme on dit, à la narration tendue, aux digressions surprenantes, à des années-lumière des habituels Mémoires de rock star (exception faite pour les Chroniques de Dylan, le Just Kids de Patti Smith et le Life de Keith Richards), où la révélation de sa longue dépression - "la psychose maniaco-dépressive, dans ma famille, c'est le cadeau dans ma boite de céréales" - voisine avec des petits bonheurs comme lorsqu'il décrit, à un feu rouge dans l'air vif de l'automne, l'odeur de caoutchouc brûlé et le ruban de fumée bleue s'élevant du talon de sa botte posée sur le pot d'échappement de sa motocyclette.
Et si Springsteen, au prétexte de se raconter, venait d'écrire un grand roman américain ?