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Episode 4 - Born To Run : La perte de l'innocence

Renegades : Born In The U.S.A.



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Episode 4 - Born To Run : La perte de l'innocence
POTUS BARACK OBAMA: Pour moi, un des aspects essentiels de ce que c'est qu'être Américain, c'est de s'échapper de là où tu es. Sauf que là où je suis, c'est le Paradis, à Hawaï, d'accord ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, et tu veux t'échapper [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Donc, quelque part, tu te dis, « Je dois prendre la route ».

BRUCE SPRINGSTEEN: Mais tu es sur une île ! [rires]

POTUS BARACK OBAMA: La route ne mène pas très loin ! Je me souviens de la première fois où j'ai visité l'Amérique continentale.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: C’était ma mère et ma grand-mère qui avaient décidé qu’il était temps pour moi d’y aller. Et donc, toutes les deux, avec moi et ma sœur de deux ans...

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: ...nous avons d’abord pris l’avion jusqu’à Seattle, là où ma mère avait été au lycée. Puis, nous avons pris un bus Greyhound (3) jusqu’à San Francisco.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Los Angeles. Puis, le train jusqu’en Arizona.

[Archive d’une publicité de l’Arizona : « Là où le ciel est bleu au-delà de l’imagination...]

Kansas City jusqu’à Chicago.

[Archive d’une publicité de Chicago : « Chicago est une ville que tu vas voir juste pour toi-même...]

On loue ensuite une voiture, direction Yellowstone.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

[Archive de Yellowstone : « Le parc national de Yellowstone est la plus vieille, la plus grande et la plus belle terre de vacances]

POTUS BARACK OBAMA: Ma mère ne conduisait pas. Elle n’avait pas le permis.

BRUCE SPRINGSTEEN: D’accord.

POTUS BARACK OBAMA: Ma grand-mère conduisait, mais elle commençait à voir de moins en moins.

BRUCE SPRINGSTEEN: Ok.

POTUS BARACK OBAMA: Donc, je me souviens qu'au crépuscule, on me mettait devant pour que je puisse diriger ma grand-mère correctement [rires], alors que nous abordions les virages sur la route.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et, tu parlais de l'immensité du pays, et je me revois regarder par la vitre des bus Greyhound et des trains.

BRUCE SPRINGSTEEN: D’accord.

POTUS BARACK OBAMA: Et regarder par la fenêtre de la voiture.

[La guitare joue]

Des champs de maïs à perte de vue, le désert à perte de vue, les forêts à perte de vue, ou les montagnes à perte de vue, et je me disais, « Imagine un peu où tu peux aller. Tu peux aller partout et, sous-entendu, tu peux faire ce que tu veux, devenir celui que tu veux » Tu comprends ? Et ce premier voyage, je m’en souviens encore aujourd’hui. Et tu sais, on s’arrêtait dans des Howard Johnson's (4).

[La télévision s’allume]

[Archive d’une publicité Howard Johnson : « Vous verrez que c’est bien plus marrant d’être un enfant chez Howard Johnsons...]

[Ambiance d’enfants criant d’excitation]

Le plus excitant, c'était... La machine à glaçons. Et tu sais, ta mère et ta grand-mère qui te payent...

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: ...une canette de soda. Et si tu étais vraiment chanceux, certains de ces hôtels avaient une petite piscine à l’arrière.

BRUCE SPRINGSTEEN: Excellent.

POTUS BARACK OBAMA: Et s’il y avait une piscine, c’était...

BRUCE SPRINGSTEEN: Le Paradis sur Terre !

POTUS BARACK OBAMA: C’est exactement ça.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires] La grande vie.

POTUS BARACK OBAMA: Le grand luxe.

[Archive du Sénateur Howard Baker questionnant M. Haldeman pendant les auditions du Watergate (5) : « Vous étiez proche du Président des États-Unis, plus proche que n’importe quelle autre personne dans le monde, à part sa famille. Que savait le Président et à quelle date il le savait ?... »]

POTUS BARACK OBAMA: Nous sommes en 1973, nous sommes donc au milieu des auditions du Watergate. Chaque soir...

[Archive du Sénateur Howard Baker questionnant M. Haldeman pendant les auditions du Watergate : « ...sur le Watergate... »]

POTUS BARACK OBAMA: ...ma mère allumait le petit téléviseur noir et blanc qu’il y avait dans le motel.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Et on s’installait et je regardais Sam Ervin (5).

BRUCE SPRINGSTEEN: D’accord.

POTUS BARACK OBAMA: Et Danny Inouye (5). Nous étions très fiers car Danny Inouye faisait partie de la Commission.

BRUCE SPRINGSTEEN: Hawaïen, oui.

POTUS BARACK OBAMA: C’était le sénateur d’Hawaï.

BRUCE SPRINGSTEEN: D’accord.

POTUS BARACK OBAMA: Un héros de la Seconde Guerre Mondiale.

BRUCE SPRINGSTEEN: D’accord !

POTUS BARACK OBAMA: Il y avait perdu un bras. Et c’était probablement formateur pour moi, en terme de politique. Parce que ma mère n'arrêtait pas de dire, « Qu’est-ce que tu attendais ? Nixon était un McCarthyste (6) ! » Tu vois. Mais ce sont des souvenirs que je n’ai jamais oubliés.

POTUS BARACK OBAMA: Et c’était...

BRUCE SPRINGSTEEN: De jolis souvenirs.

POTUS BARACK OBAMA: Et c'était cohérent avec ma propre sensibilité, à savoir que, bien que j'aimais Hawaï, j'allais devoir entreprendre une sorte de voyage, afin de découvrir celui que j'étais. Je me souviens que lorsque j'étais à l'université, j'avais une vieille Fiat cabossée, une voiture misérable.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Et je partais rouler. Elle était chez le garagiste à peu près tous les 15 jours, mais c'était un bolide quand elle marchait. Une cinq vitesses. Et je me souviens qu'elle est tombée en panne sur l'autoroute entre Los Angeles et San Francisco, et j'ai été obligé de rentrer en stop avec des routiers.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui !

POTUS BARACK OBAMA: Et il pleut à verse et tu n'as pas de téléphone portable, tu n'as pas d'argent. Peut-être juste un peu de monnaie, tu dois trouver une cabine téléphonique, tu dois appeller un copain, pour savoir s'il peut venir te chercher, et tu essayes de regarder autour de toi pour savoir dans quelle rue tu es. Mais à chaque fois... A chaque fois, j'ai toujours eu l'impression que...

[La guitare électrique douce joue]

...et je pense que c'est essentiellement Américain, de prendre la route pour partir à l'aventure comme Ulysse.

BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact. Ton Hégire. C'est un voyage pour découvrir ton âme.

POTUS BARACK OBAMA: Tu découvres de quel bois tu es fait.

BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement. Celui que tu es.

POTUS BARACK OBAMA: Il y a eu un autre moment comme ça pour moi, c'est quand j'ai accepté un poste de militant associatif à Chicago. Un groupement d'églises m'embauche pour 13 000 dollars par an, me donne 2 000 dollars pour acheter une voiture, et je prends une petite Honda Civic à hayons. Je mets toutes mes affaires dedans, et je fais le voyage de New York à Chicago, je traverse l'Ohio. Je ne connais personne à Chicago à ce moment-là, et je ne sais pas du tout comment je vais m'y prendre avec ces fidèles et ces ouvriers de la sidérurgie qui avaient été licenciés. J'ai 23 ans, et je ne sais rien de rien. Je quitte New York, mes amis, tout ce que je connais. A mi-parcours, je m'arrête dans une petite ville dans l'Ohio, et je descends dans un motel. Le type à l’accueil, je remarque qu'il se sent seul, et il me demande, « Où est-ce que vous allez ? Qu'est-ce que vous faites ? ». Et je lui réponds, « Et bien, je vais être militant associatif ». Il me dit, « C'est quoi ce truc ? Vous êtes sûr que c'est ce vous voulez faire de votre vie ? ». Me voilà au milieu de nulle part, tout seul dans ma chambre d’hôtel, assailli par le doute, me dirigeant vers un endroit inconnu... avec cette sensation de ne pas savoir ce qui m'attend.

BRUCE SPRINGSTEEN: Curieux du monde.

POTUS BARACK OBAMA: Tu te lances à l'aventure. Même sur le coup, il y avait ce sentiment que la route t'offrait quelque chose. « Je ne sais pas ce qui m'attend au prochain virage, mais j'ai envie de savoir ».

BRUCE SPRINGSTEEN: C'est un moment magnifique. Un moment vraiment magnifique quand tu y repenses après coup.

POTUS BARACK OBAMA: Même si j'ai un peu peur, hein ? Il est difficile de retrouver ce genre de sensation. La route est pleine de surprises et d'aventures, mais ce qui est vrai également, c'est que tu prends la route, et à un certain moment, tu réalises, « Oui, tu peux te réinventer. Oui, tu peux te découvrir. Mais au final, tu as toujours ce désir d'avoir un foyer où te poser ».

[La guitare électrique douce s'estompe]

Et la tension de l'Amérique, c'est cette idée que... Nous voulons nous réinventer et être libre, mais nous voulons aussi trouver une communauté, parce qu'il y a aussi un sentiment de solitude liée à la route.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oh mec.

POTUS BARACK OBAMA: La face la plus sombre de la route, c'est ce vagabond, solitaire, sans racine, sans amarre et...

BRUCE SPRINGSTEEN: Et bien...

POTUS BARACK OBAMA: ...ce lieu.

BRUCE SPRINGSTEEN: Et c'est ce dont nous parlions l'autre jour au sujet de la masculinité et des icônes. Ce sont les icônes qui nous ont été vendues : les héros des Westerns. Ils étaient solitaires. Ce n'était jamais des pères, jamais des maris, ils ne faisaient que passer, toujours.

POTUS BARACK OBAMA: Oui, ces cow-boys, Gary Cooper, Clint Eastwood.

BRUCE SPRINGSTEEN: Ils ne faisaient que passer, toujours.

POTUS BARACK OBAMA: Shane... (7)

BRUCE SPRINGSTEEN: High... Plains... Drifter (8)

POTUS BARACK OBAMA: High Plains Drifter.

ENSEMBLE: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Exact.

BRUCE SPRINGSTEEN: Le vagabond. Et l'exemple ultime se trouve dans The Searchers de John Ford (9).

[The Searchers - musique de Max Steiner – Musique de la réunion entre Ethan et Debbie]

Tu as John Wayne, qui est un misanthrope. Il sait parfaitement utiliser la force pour protéger la communauté, mais il n'arrive pas à rejoindre lui-même une communauté. Il y a cette scène-clé à la fin de The Searchers, où John Wayne retrouve Nathalie Wood.

[Audio de “The Searchers” John Wayne : “Rentrons à la maison Debbie”]

[The Searchers - musique de Max Steiner - Home Again est jouée]

Il ramène Nathalie Wood à sa famille, la famille entière s'engouffre à l'intérieur de la maison, et la porte se referme. John Wayne reste sur le seuil, et la porte - la communauté elle-même - se referme, et il s'éloigne dans le désert. Et c'est le dernier plan du film.

[The Searchers - musique de Max Steiner - Home Again : “Il sait qu'il te trouvera, mais où mon Dieu...]

Quand j'étais jeune, je pensais être comme lui, et c'est ce que j'ai essayé de continuer à vivre après la trentaine - jusqu'au jour où j'ai traversé le pays en voiture avec un ami. Nous avions déjà fait plusieurs voyages, j'avais déjà traversé le pays quelque fois déjà à ce moment-là. J'ai toujours aimé ça, je me disais, « Si j'ai des idées noires, ces kilomètres de route pourraient juste... Je pourrais les faire disparaître en roulant, tu vois ? » Sauf que cette fois-ci je suis allé en Californie, et je me sentais atrocement mal. J'avais envie de remonter en voiture et de faire le trajet en sens inverse. Mais j'ai compris que si je le faisais, je voudrais à nouveau remonter en voiture et faire encore demi-tour. Sincèrement, je ne voulais pas m'arrêter de bouger... Quelque chose s'est véritablement brisé en moi. Et c'est là que j'ai appelé un ami, j'ai appelé Jon et je lui ai dit, « J'ai un vrai problème ». Il m'a donné un numéro. Et je suis allé dans le cabinet d'un homme que je n'avais jamais vu de toute ma vie, à Beverly Hills ou à Pacific Palisades, quelque part à Los Angeles. Je l'ai regardé. C'était un petit homme âgé, avec des cheveux blancs et une moustache. Il y avait une chaise vide. Je me suis assis dessus et j'ai éclaté en sanglot pendant 10 minutes.

Je me prenais en pleine figure les conséquences de mes actes, les deux tempêtes que j'avais semées : le désir, en théorie, de vouloir être libre, mais avec ce besoin profond à présent, à mon âge, de racines, de famille, d'un véritable foyer, d'un foyer spirituel - ce besoin d’arrêter de courir. De s'affirmer, de faire des choix, de dire : je vais passer le reste de ma vie avec toi, je vais faire ma vie ici, je vais faire ce boulot toute ma vie. Et ce sont les choses auxquelles je tiens et sur lesquelles je veux me consacrer : notre amour, nos projets, notre maison. J'étais arrivé à un moment de ma vie où j'avais besoin de faire ces choix-là afin de vivre ... D'avoir une vie, tu comprends ? Ma vie a changé à partir de ce jour-là. Juste après je me suis marié, mais ça n'a pas marché la première fois. Mais quelques temps après, j'ai rencontré Patti et nous avons fondé un foyer, et j'ai réalisé, « Hey, je continue encore de prendre la route, je prends encore la moto de temps en temps, quelques centaines de kilomètres et puis je reviens ». Aujourd'hui, je n'en ai plus envie. Même si toi et moi, nous pourrions sauter dans la Corvette et prendre la Route 66, même si Michelle et Patti pourraient bien nous botter le cul. Non ? [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Oui. Je ne sais pas si nous pourrions aller bien loin.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Tu sais, regarde cette idée d'être domestiqué.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Les Américains, les hommes américains en particulier, on leur apprend à résister à ça.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et dans ta musique, je perçois l'idée que, d'un côté, nous cherchons à nous affranchir de ces contraintes collectives - celles des petites villes et des communautés rurales, de notre voisinage. Pour prendre la route vers la grande ville, accomplir quelque chose de grand, fuir le passé. Montrer aux autres qu'il ne fallait pas nous sous-estimer. Mais c'est une facette, et il existe une autre facette, celle où se trouve la famille.

BRUCE SPRINGSTEEN: J'aime à penser que c'est notre argument noble. Où se trouve la frontière entre individualisme et esprit de communauté ? Et à quel moment de notre histoire penche la balance ? Sur quoi mettre l'accent ? J'ai spontanément commencé comme un populiste, sans doute en raison de mes origines. Selon moi, ceux qui avaient fait l'Amérique étaient ceux qui avaient fait mon quartier, ceux qui sont originaires de ma petite ville.

POTUS BARACK OBAMA: Il arrive un moment où tu as réussi à te réinventer personnellement du mieux possible, et tu as besoin de planter un drapeau. De camper sur tes positions et de permettre aux autres de voir qui tu es, mais aussi de te juger pour estimer ta réussite ou non à vivre selon le code que tu t'es choisi. Peux-tu faire preuve de constance ? Es-tu capable de prendre tes responsabilités ? Tout ce qui, en fin de compte, relève d'une satisfaction d'un autre ordre, mais qui est synonyme de maturité. Parce que tu sais, contrairement à ce qui dit la chanson d'un grand maître américain, nous ne sommes généralement pas nés pour courir.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: La plupart sont nés pour courir un peu, avant de rentrer à la maison.

[Une guitare acoustique joue]

BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement. Tu trouves ta liberté dans une vie faite de limites, et je n'y croyais pas avant de l'avoir personnellement expérimenté moi-même. J'ai souvent dit que j'étais plus libre maintenant que je ne l'étais lorsque je me croyais libre. Quand arrive le moment où tu veux vraiment trouver ta liberté, il faut que tu te poses, que tu trouves un endroit où te fixer, puis tu laisses tout ça s'épanouir.

POTUS BARACK OBAMA: Et donc, pour ce qui me concerne, Michelle et Chicago... Chicago est devenu mon foyer en premier et puis Michelle est devenue l’incarnation de cette connexion que j'avais faite avec un lieu et une communauté. Et ce qui est intéressant, c'est qu'en trouvant ce lieu, j'ai été ensuite capable de comprendre que Hawaï était aussi mon foyer.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Car je pouvais voir désormais comment toutes ces parties de moi s’emboîtaient ensemble.

[La guitare acoustique s'estompe]

[PAUSE]


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