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POTUS BARACK OBAMA: Ce qui soulève une question intéressante. A cette époque-là, tu commences à t'investir sérieusement dans la musique, et juste après tu commences à monter des groupes et...
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est en... 1964 est l'année où je commence la guitare, et j'en joue pendant tout le lycée.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Nous avons commencé... Nous avions un groupe en 1964. Il y avait les Rolling Stones et il y avait les Beatles, mais peu de temps après il y avait aussi Sam & Dave et il y avait la Motown, et tu apprenais à composer grâce aux remarquables auteurs/compositeurs de la Motown. Tu apprenais comment jouer sur scène grâce à Sam Moore de Sam & Dave.
POTUS BARACK OBAMA: Donc, s'il n'y a pas d'artistes Afro-Américains pour t'aider à découvrir le rock'n'roll, il y a, en revanche, des artistes influencés par des Afro-Américains qui ouvrent cette porte pour toi.
BRUCE SPRINGSTEEN: Absolument, évidemment. Nous avions un groupe qui jouait sur ce qui était – sur ce qui est la Route Nine (3) - et qui se trouvait au Sud de Freehold. Tu devais connaître les morceaux de Soul Music, parce que cet endroit, c'était « le territoire des Greasers ». Les Greasers, c'était des types qui portaient des vestes en cuir ¾, des costumes peau de requin, des cravates, des cheveux gominés, lissés en arrière, des chaussures noires à bouts pointus, des chaussettes en nylon transparent. Tout cet attirail emprunté à la communauté noire [rires]
POTUS BARACK OBAMA: C'était le style des Greasers ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, et c'était aussi la musique qu'ils aimaient.
[Gene Chandler - Duke of Earl]
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Donc, quand tu descendais jouer dans le Sud par la Route Nine, tu devais être capable de jouer de la Soul Music et du doo-wop, sinon tu ne pouvais pas survivre longtemps un vendredi ou un samedi soir. Tu ne pouvais pas survivre.
POTUS BARACK OBAMA: [rires] Tout le monde se demande, « C'est qui ces types ? »
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu sais, à cette période, c'était juste l'essence du rock'n'roll et du Rhythm & Blues, joué par notre petit groupe.
POTUS BARACK OBAMA: Et comment tu te préparais ?
BRUCE SPRINGSTEEN: En tant que jeune musicien, tu étais immergé dans la musique et dans la culture Afro-Américaine qui avait inspiré la musique que tu aimais. C'était très étrange, parce qu'au lycée, les élèves noirs étaient à la fois enviés mais dans le même temps, ils étaient victimes d'immenses préjugés. Tu comprends ?
POTUS BARACK OBAMA: Pourquoi étaient-ils enviés ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Les jeunes, leur façon de s'habiller...
POTUS BARACK OBAMA: Ils avaient l'air classe.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout le monde essayait d'avoir l'air classe !
ENSEMBLE: [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu sais, nous allions dans cette boutique de fringues appelée Fishes, sur Springwood Avenue. C'est là que nous achetions nos fringues. C'était donc un déséquilibre étrange, difficile de faire le tri, entre envie et préjugés.
POTUS BARACK OBAMA: Cette anecdote me fait penser au film Do The Right Thing de Spike Lee (4).
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Et...
BRUCE SPRINGSTEEN: Grand film.
POTUS BARACK OBAMA: Grand film. Un des acteurs joue un type prénommé Mookie.
BRUCE SPRINGSTEEN: Exact.
[Do the Right Thing - Je peux te parler une seconde ?]
POTUS BARACK OBAMA: Et il travaille pour cet italien, dont les deux fils essayent de tenir un petit commerce, une petite pizzeria. Et un des fils, Vito, est un garçon doux, qui adore la communauté Afro-Américaine qui fréquente leur restaurant. L’aîné, Pino, est cynique, et ouvertement raciste. Et à un moment donné, Mookie, même s'il ne se tue pas à la tâche, est assez clairvoyant sur ce qui se passe dans le quartier, et il commence à poser des questions à son frère aîné raciste.
[Do the Right Thing - Je peux te parler une seconde ?]
POTUS BARACK OBAMA: « Quel est ton basketteur préféré ? »
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
POTUS BARACK OBAMA: « Magic Johnson »
[Do the Right Thing - « Magic Johnson » Quel est ton acteur de film préféré ? « Eddie Murphy ». Quelle est ta rockstar préférée ? « Prince ».
POTUS BARACK OBAMA: Prince.
[Do the Right Thing - « Faux, Bruce. Prince. Bruuuuuuuuuuuuce ».
POTUS BARACK OBAMA: « Donc, pourquoi tu utilises toujours ce terme de nègre pour désigner les noirs ? Alors que tu parles tout le temps de l'adoration que tu as pour ces types ». Et bien, j'ai toujours pensé que c'était une manière simple et brillante de capturer quelque chose qui a toujours été vrai et compliqué dans notre pays, l'idée que les noirs représentent les autres, ils sont dénigrés, ils sont discriminés, regardés de haut. Et pourtant la culture s'approprie et régurgite de manière constante leur style, qui émane d'eux en tant qu'outsiders. Et en ayant été marqué par ces cicatrices, de devoir vivre en se débrouillant et de fabriquer des trucs à partir de rien. Et le rock'n'roll fait partie de ce processus. Je me demande si, en tant qu'adolescent, c'était quelque chose que tu avais à l'esprit, ou c'est quelque chose où tu t'es juste dit, « Tu sais quoi ? Cette musique est cool, elle me plaît, et elle me touche d'une certaine façon ».
BRUCE SPRINGSTEEN: Je pense que lorsque tu as été adolescent dans les années 60, tu as déjà tout ça à l'esprit, de manière très présente.
[La guitare joue]
[Extrait – La Commission consultative nationale sur les désordres civiques a prévenu que la haine de la race menaçait de déchirer ce pays. Les événement de ce mois-ci... Les émeutes raciales, la violence, le pillage et la haine. Pendant cinq jours…] (5)
BRUCE SPRINGSTEEN: Dans les années 60, tu ne pouvais pas être adolescent sans être conscient que le sujet de la race était... La race était le sujet fondamental de cette période. En Amérique, nous aimons les noirs et les bruns lorsqu'ils nous divertissent, mais lorsqu'ils souhaitent vivre à côté de chez nous, nous restons une société tribale, tu comprends ? C'est une part de notre tragédie qui se prolonge, évidemment, aujourd'hui. Et je ne pense pas que le sujet ait été plus essentiel qu'aujourd'hui. Je me dis, « Pourquoi est-ce si difficile de parler de la question raciale ? Pourquoi suis-je... Pourquoi je marque une pause ? » [rires] Pour aborder le sujet de la race, tu dois parler de tes différences. Pour aborder le sujet de la race, tu dois parler, à un certain degré... Tu dois déconstruire le mythe du melting-pot, qui n'a jamais été une réalité, fondamentalement. Et admettre qu'une bonne partie de notre histoire est constituée de pillages, de violence et de tromperies, exercés au détriment des gens de couleur. Nous avons honte de notre culpabilité collective. Nous devrions admettre et déplorer ce qui a été fait. Nous devrions admettre notre propre complicité quotidienne, et reconnaitre notre appartenance à une communauté liée à l'histoire du racisme, de ce racisme.
POTUS BARACK OBAMA: L'histoire d'une grande injustice.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, exactement.
POTUS BARACK OBAMA: Oui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Toutes ces choses-là sont compliquées à admettre pour certains [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Et bien, tu sais, ce qui est intéressant pour moi a été la façon de le comprendre, car mon enfance a été si inhabituelle. Je ne me le prenais pas en pleine figure au quotidien, de la même façon. Il n'y avait pas d'émeutes à Hawaï.
BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.
POTUS BARACK OBAMA: Il n'y avait pas de quartiers à l'autre bout de la ville où les noirs devaient habiter. Donc de mon côté, j'absorbe, et j’expérimente au quotidien ma part d'ignorance et mon lot d'affronts, tu vois ? Je me rappelle encore, je jouais au tennis. Je dois avoir 11, 12 ans, et je m'en souviens encore, on affichait la liste des joueurs tête de série par classement dans les tournois où tu étais inscrit. Et je n'étais pas un grand joueur, mais j'avais le niveau pour participer à certains tournois. Je me souviens que je faisais défiler mon doigt sur la liste pour voir où se trouvait mon nom, et le prof de tennis, qui était le coach de l'équipe de tennis du lycée, il me dit, « Fais attention. Tu pourrais déteindre sur la feuille, et la salir » [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Ok.
POTUS BARACK OBAMA: C'était certainement en 74, 75. Je m'en souviens encore. Je me suis retourné vers lui et je lui ai dit, « Qu'est-ce que vous avez dit ? » Et c'était une situation intéressante que d'avoir 11 ou 12 ans et de parler à un adulte...
BRUCE SPRINGSTEEN: Vraiment ?
POTUS BARACK OBAMA: ...et de le regarder gamberger pour savoir comment s'en sortir. Et puis, il m'a dit, « Je plaisante ». Voilà ce qu'il m'a dit.
BRUCE SPRINGSTEEN: Qui étaient tes amis à cette époque-là ? Quels étaient...
POTUS BARACK OBAMA: Ce qui est intéressant, c'est que mes meilleurs amis étaient aussi une bande de marginaux et d'outsiders eux-mêmes. Des gamins tels que toi, qui étaient, peut-être, quelque peu instables émotionnellement. J'ai réalisé que mes meilleurs amis au lycée, qui sont – jusqu'à aujourd'hui – certains de mes meilleurs amis, ils venaient tous de foyers brisés.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Tous, économiquement, étaient issus de milieux défavorisés, comparés aux autres enfants de l'école. Et puis, une des choses qui nous unissait, c'était le basket-ball. Nous sommes tous devenus de grands fans de basket, et le sport a été un terrain où les enfants noirs et les enfants blancs se rencontraient sur un même pied d'égalité et faisaient partie d'une communauté qui n'était pas exempte de questions sur la race, mais c'était une arène où la question de savoir qui est en haut, qui est en bas - ton statut - tout revenait à savoir qui savait jouer.
BRUCE SPRINGSTEEN: Où se situait ta mère dans tout ça ?
POTUS BARACK OBAMA: Elle m'a inculqué la notion élémentaire de celui que j'étais, et la raison pour laquelle c'était une chance d'avoir cette magnifique peau brune et de faire partie de cette grande tradition.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Elle édulcorait certains aspects parfois. Elle faisait partie des derniers grands progressistes humanistes, profondément gentille et généreuse, mais elle avait hérité d'une dose d'esprit rebelle. Elle m'avait acheté les biographies, version enfant, de Mohammed Ali et d'Arthur Ashe.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et tu as, quoi, 10 ou 11 ou 12 ans à cette époque-là ?
POTUS BARACK OBAMA: Oui, 10 ou 11 ou 12 ans. Je pense qu'instinctivement elle avait compris qu'elle devait me vacciner très tôt contre ce qui pourrait arriver. Tu sais, elle a consolidé ma confiance en moi avec des bases assez solides. J'étais aimé, chéri et spécial, et être noir, c'était quelque chose dont on devait être fier et qu'on devait chérir. En fait, les véritables difficultés que rencontraient les noirs aux États-Unis étaient en partie la raison pour laquelle ils avaient ce quelque chose de spécial.
[La guitare et la batterie jouent]
Car la souffrance les avait fortifiés, d'une certaine façon. Et ils avaient connu la cruauté, ce qui, par conséquence, pouvait tous nous aider à transcendé ça.
[La guitare et la batterie s'estompent]
[PAUSE]
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est en... 1964 est l'année où je commence la guitare, et j'en joue pendant tout le lycée.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Nous avons commencé... Nous avions un groupe en 1964. Il y avait les Rolling Stones et il y avait les Beatles, mais peu de temps après il y avait aussi Sam & Dave et il y avait la Motown, et tu apprenais à composer grâce aux remarquables auteurs/compositeurs de la Motown. Tu apprenais comment jouer sur scène grâce à Sam Moore de Sam & Dave.
POTUS BARACK OBAMA: Donc, s'il n'y a pas d'artistes Afro-Américains pour t'aider à découvrir le rock'n'roll, il y a, en revanche, des artistes influencés par des Afro-Américains qui ouvrent cette porte pour toi.
BRUCE SPRINGSTEEN: Absolument, évidemment. Nous avions un groupe qui jouait sur ce qui était – sur ce qui est la Route Nine (3) - et qui se trouvait au Sud de Freehold. Tu devais connaître les morceaux de Soul Music, parce que cet endroit, c'était « le territoire des Greasers ». Les Greasers, c'était des types qui portaient des vestes en cuir ¾, des costumes peau de requin, des cravates, des cheveux gominés, lissés en arrière, des chaussures noires à bouts pointus, des chaussettes en nylon transparent. Tout cet attirail emprunté à la communauté noire [rires]
POTUS BARACK OBAMA: C'était le style des Greasers ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, et c'était aussi la musique qu'ils aimaient.
[Gene Chandler - Duke of Earl]
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Donc, quand tu descendais jouer dans le Sud par la Route Nine, tu devais être capable de jouer de la Soul Music et du doo-wop, sinon tu ne pouvais pas survivre longtemps un vendredi ou un samedi soir. Tu ne pouvais pas survivre.
POTUS BARACK OBAMA: [rires] Tout le monde se demande, « C'est qui ces types ? »
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu sais, à cette période, c'était juste l'essence du rock'n'roll et du Rhythm & Blues, joué par notre petit groupe.
POTUS BARACK OBAMA: Et comment tu te préparais ?
BRUCE SPRINGSTEEN: En tant que jeune musicien, tu étais immergé dans la musique et dans la culture Afro-Américaine qui avait inspiré la musique que tu aimais. C'était très étrange, parce qu'au lycée, les élèves noirs étaient à la fois enviés mais dans le même temps, ils étaient victimes d'immenses préjugés. Tu comprends ?
POTUS BARACK OBAMA: Pourquoi étaient-ils enviés ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Les jeunes, leur façon de s'habiller...
POTUS BARACK OBAMA: Ils avaient l'air classe.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout le monde essayait d'avoir l'air classe !
ENSEMBLE: [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu sais, nous allions dans cette boutique de fringues appelée Fishes, sur Springwood Avenue. C'est là que nous achetions nos fringues. C'était donc un déséquilibre étrange, difficile de faire le tri, entre envie et préjugés.
POTUS BARACK OBAMA: Cette anecdote me fait penser au film Do The Right Thing de Spike Lee (4).
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Et...
BRUCE SPRINGSTEEN: Grand film.
POTUS BARACK OBAMA: Grand film. Un des acteurs joue un type prénommé Mookie.
BRUCE SPRINGSTEEN: Exact.
[Do the Right Thing - Je peux te parler une seconde ?]
POTUS BARACK OBAMA: Et il travaille pour cet italien, dont les deux fils essayent de tenir un petit commerce, une petite pizzeria. Et un des fils, Vito, est un garçon doux, qui adore la communauté Afro-Américaine qui fréquente leur restaurant. L’aîné, Pino, est cynique, et ouvertement raciste. Et à un moment donné, Mookie, même s'il ne se tue pas à la tâche, est assez clairvoyant sur ce qui se passe dans le quartier, et il commence à poser des questions à son frère aîné raciste.
[Do the Right Thing - Je peux te parler une seconde ?]
POTUS BARACK OBAMA: « Quel est ton basketteur préféré ? »
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
POTUS BARACK OBAMA: « Magic Johnson »
[Do the Right Thing - « Magic Johnson » Quel est ton acteur de film préféré ? « Eddie Murphy ». Quelle est ta rockstar préférée ? « Prince ».
POTUS BARACK OBAMA: Prince.
[Do the Right Thing - « Faux, Bruce. Prince. Bruuuuuuuuuuuuce ».
POTUS BARACK OBAMA: « Donc, pourquoi tu utilises toujours ce terme de nègre pour désigner les noirs ? Alors que tu parles tout le temps de l'adoration que tu as pour ces types ». Et bien, j'ai toujours pensé que c'était une manière simple et brillante de capturer quelque chose qui a toujours été vrai et compliqué dans notre pays, l'idée que les noirs représentent les autres, ils sont dénigrés, ils sont discriminés, regardés de haut. Et pourtant la culture s'approprie et régurgite de manière constante leur style, qui émane d'eux en tant qu'outsiders. Et en ayant été marqué par ces cicatrices, de devoir vivre en se débrouillant et de fabriquer des trucs à partir de rien. Et le rock'n'roll fait partie de ce processus. Je me demande si, en tant qu'adolescent, c'était quelque chose que tu avais à l'esprit, ou c'est quelque chose où tu t'es juste dit, « Tu sais quoi ? Cette musique est cool, elle me plaît, et elle me touche d'une certaine façon ».
BRUCE SPRINGSTEEN: Je pense que lorsque tu as été adolescent dans les années 60, tu as déjà tout ça à l'esprit, de manière très présente.
[La guitare joue]
[Extrait – La Commission consultative nationale sur les désordres civiques a prévenu que la haine de la race menaçait de déchirer ce pays. Les événement de ce mois-ci... Les émeutes raciales, la violence, le pillage et la haine. Pendant cinq jours…] (5)
BRUCE SPRINGSTEEN: Dans les années 60, tu ne pouvais pas être adolescent sans être conscient que le sujet de la race était... La race était le sujet fondamental de cette période. En Amérique, nous aimons les noirs et les bruns lorsqu'ils nous divertissent, mais lorsqu'ils souhaitent vivre à côté de chez nous, nous restons une société tribale, tu comprends ? C'est une part de notre tragédie qui se prolonge, évidemment, aujourd'hui. Et je ne pense pas que le sujet ait été plus essentiel qu'aujourd'hui. Je me dis, « Pourquoi est-ce si difficile de parler de la question raciale ? Pourquoi suis-je... Pourquoi je marque une pause ? » [rires] Pour aborder le sujet de la race, tu dois parler de tes différences. Pour aborder le sujet de la race, tu dois parler, à un certain degré... Tu dois déconstruire le mythe du melting-pot, qui n'a jamais été une réalité, fondamentalement. Et admettre qu'une bonne partie de notre histoire est constituée de pillages, de violence et de tromperies, exercés au détriment des gens de couleur. Nous avons honte de notre culpabilité collective. Nous devrions admettre et déplorer ce qui a été fait. Nous devrions admettre notre propre complicité quotidienne, et reconnaitre notre appartenance à une communauté liée à l'histoire du racisme, de ce racisme.
POTUS BARACK OBAMA: L'histoire d'une grande injustice.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, exactement.
POTUS BARACK OBAMA: Oui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Toutes ces choses-là sont compliquées à admettre pour certains [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Et bien, tu sais, ce qui est intéressant pour moi a été la façon de le comprendre, car mon enfance a été si inhabituelle. Je ne me le prenais pas en pleine figure au quotidien, de la même façon. Il n'y avait pas d'émeutes à Hawaï.
BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.
POTUS BARACK OBAMA: Il n'y avait pas de quartiers à l'autre bout de la ville où les noirs devaient habiter. Donc de mon côté, j'absorbe, et j’expérimente au quotidien ma part d'ignorance et mon lot d'affronts, tu vois ? Je me rappelle encore, je jouais au tennis. Je dois avoir 11, 12 ans, et je m'en souviens encore, on affichait la liste des joueurs tête de série par classement dans les tournois où tu étais inscrit. Et je n'étais pas un grand joueur, mais j'avais le niveau pour participer à certains tournois. Je me souviens que je faisais défiler mon doigt sur la liste pour voir où se trouvait mon nom, et le prof de tennis, qui était le coach de l'équipe de tennis du lycée, il me dit, « Fais attention. Tu pourrais déteindre sur la feuille, et la salir » [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Ok.
POTUS BARACK OBAMA: C'était certainement en 74, 75. Je m'en souviens encore. Je me suis retourné vers lui et je lui ai dit, « Qu'est-ce que vous avez dit ? » Et c'était une situation intéressante que d'avoir 11 ou 12 ans et de parler à un adulte...
BRUCE SPRINGSTEEN: Vraiment ?
POTUS BARACK OBAMA: ...et de le regarder gamberger pour savoir comment s'en sortir. Et puis, il m'a dit, « Je plaisante ». Voilà ce qu'il m'a dit.
BRUCE SPRINGSTEEN: Qui étaient tes amis à cette époque-là ? Quels étaient...
POTUS BARACK OBAMA: Ce qui est intéressant, c'est que mes meilleurs amis étaient aussi une bande de marginaux et d'outsiders eux-mêmes. Des gamins tels que toi, qui étaient, peut-être, quelque peu instables émotionnellement. J'ai réalisé que mes meilleurs amis au lycée, qui sont – jusqu'à aujourd'hui – certains de mes meilleurs amis, ils venaient tous de foyers brisés.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Tous, économiquement, étaient issus de milieux défavorisés, comparés aux autres enfants de l'école. Et puis, une des choses qui nous unissait, c'était le basket-ball. Nous sommes tous devenus de grands fans de basket, et le sport a été un terrain où les enfants noirs et les enfants blancs se rencontraient sur un même pied d'égalité et faisaient partie d'une communauté qui n'était pas exempte de questions sur la race, mais c'était une arène où la question de savoir qui est en haut, qui est en bas - ton statut - tout revenait à savoir qui savait jouer.
BRUCE SPRINGSTEEN: Où se situait ta mère dans tout ça ?
POTUS BARACK OBAMA: Elle m'a inculqué la notion élémentaire de celui que j'étais, et la raison pour laquelle c'était une chance d'avoir cette magnifique peau brune et de faire partie de cette grande tradition.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Elle édulcorait certains aspects parfois. Elle faisait partie des derniers grands progressistes humanistes, profondément gentille et généreuse, mais elle avait hérité d'une dose d'esprit rebelle. Elle m'avait acheté les biographies, version enfant, de Mohammed Ali et d'Arthur Ashe.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et tu as, quoi, 10 ou 11 ou 12 ans à cette époque-là ?
POTUS BARACK OBAMA: Oui, 10 ou 11 ou 12 ans. Je pense qu'instinctivement elle avait compris qu'elle devait me vacciner très tôt contre ce qui pourrait arriver. Tu sais, elle a consolidé ma confiance en moi avec des bases assez solides. J'étais aimé, chéri et spécial, et être noir, c'était quelque chose dont on devait être fier et qu'on devait chérir. En fait, les véritables difficultés que rencontraient les noirs aux États-Unis étaient en partie la raison pour laquelle ils avaient ce quelque chose de spécial.
[La guitare et la batterie jouent]
Car la souffrance les avait fortifiés, d'une certaine façon. Et ils avaient connu la cruauté, ce qui, par conséquence, pouvait tous nous aider à transcendé ça.
[La guitare et la batterie s'estompent]
[PAUSE]