****
POTUS BARACK OBAMA: Tu as donc grandi à Freehold.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mes premiers souvenirs de Freehold ressemblent à un tableau de Norman Rockwell. Enfant, dans une petite ville, tu es immergé là-dedans : le défilé du Memorial Day, les marches des anciens combattants, la Légion américaine, les drapeaux. On nous donnait ces petits drapeaux à agiter pendant le défilé du Memorial Day. Je crois que j'avais un sentiment d'appartenance à quelque chose de très spécial, l'idée que nous étions un pays béni, d'une certaine manière. Il y avait eu une grande guerre. Nous avions gagné. Nous nous étions battus pour la liberté d'autres peuples. Nous avions risqué des vies américaines dans des pays étrangers. Nous étions les gentils. Mon père avait été conducteur de camions lors de la bataille des Ardennes. Et il y avait ce sentiment que, de tous les pays du monde, Dieu aimait particulièrement bien les États-Unis. Lorsque j'étais enfant, l'impact était profond et inoubliable. Mais mes grands-parents m'accordaient des libertés qu'un enfant, vraiment... Que des enfants ne devraient pas avoir. Ma grand-mère avait perdu sa fille, la sœur de mon père, dans un accident de circulation à 5 ans. Il y avait une station-service au croisement de MeLean Street, à deux rues de notre maison. Elle était là-bas sur un tricycle et elle s'est faite écraser par un camion.
POTUS BARACK OBAMA: Hmmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: J'étais l'enfant qui est arrivé juste après, l'enfant de la rédemption. On m'a donné une liberté totale.
POTUS BARACK OBAMA: [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Pour faire ce que je voulais faire.
POTUS BARACK OBAMA: Tu faisais quoi du coup ? Tu étais une terreur, une terreur de Freehold ? Tu faisais régner ta loi ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement. A cinq ans !
POTUS BARACK OBAMA: Tu parcourrais les rues ? Terrorisant la population...
BRUCE SPRINGSTEEN: J'étais... littéralement... On ne m'interdisait pratiquement rien. Je me levais bien plus tard que les autres enfants. Je me couchais bien plus tard que les autres enfants. Je n'étais pas adapté. Je... n'aimais pas... les règles. Un enfant tel que moi, lorsque l'école parlait de règlement, il n'était pas préparé.
POTUS BARACK OBAMA: Car tu n'aimais pas suivre ces règles-là du coup.
BRUCE SPRINGSTEEN: Je n'aimais pas me conformer aux règles. Je me suis dit, « Ok, qu'est-ce que je veux faire ? Je veux trouver ma voie. Je dois trouver ma voie dans cette ville. Je dois découvrir ses habitants ». Il a fallu d'abord que je découvre la musique, et que je trouve une manière de développer une identité, de développer ma propre identité, une façon de parler et de voir comment être entendu, avant de commencer à me sentir chez moi dans la ville où je vivais.
[Bruce Springsteen - Lost in the Flood]
POTUS BARACK OBAMA: Quand j'ai entendu ta musique, j'y ai capté cette notion de déplacement affectif, et c'est une manière de se rappeler qu'aux États-Unis, nous avons tous commencé, à bien des égards, comme des outsiders, d'une certaine manière. Je crois que ma question était... Quelle était la composition de Freehold ?
BRUCE SPRINGSTEEN: La côte était composée d'Italo-Irlandais, et puis d'Afro-Américains du Sud, qui arrivaient en bus chaque été pour travailler dans les champs autour de la ville.
POTUS BARACK OBAMA: Dans quels genres de champs ?
BRUCE SPRINGSTEEN: De pommes de terre. J'ai donc grandi dans un quartier plutôt mixte. J'avais des amis noirs lorsque j'étais jeune. Mais, il y avait beaucoup de règles.
POTUS BARACK OBAMA: Ceux chez qui tu allais.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact, et ceux que tu ne pouvais pas inviter chez toi.
POTUS BARACK OBAMA: Ceux chez qui tu ne pouvais pas, exactement.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et ceux chez qui tu ne devais pas aller.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et...
POTUS BARACK OBAMA: Et c'est avant même de commencer à parler de petite amie ou...
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact. Tu es un enfant sur un vélo.
POTUS BARACK OBAMA: Tout à fait.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et tu es conscient de toutes ces règles tacites.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: Freehold était ce petit bourg typique des années 50, petit, provincial, raciste, cul-terreux. Tu vois ? C'est une ville qui a beaucoup souffert de conflits raciaux autour des années 65, 67, 69. Tu sais ce qu'il s'y passe en 69, non ?
POTUS BARACK OBAMA: Lorsqu'il y eu les émeutes de Newark (2) ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Le jour des émeutes de Newark, il y a eu des émeutes à Freehold, New Jersey, une petite ville de 10,000 habitants. On a fait venir la Police d’État, et l'état d'urgence a été décrété dans cette...
POTUS BARACK OBAMA: Tu avais quel âge à ce moment-là ?
BRUCE SPRINGSTEEN: J'avais 17 ans... J'étais au lycée.
POTUS BARACK OBAMA: Donc lorsque tu écris My Hometown...
BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement.
POTUS BARACK OBAMA: Tu parles des culs-terreux.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Et ce terme a une connotation particulière, tu sais. De la même façon que dans la communauté Afro-Américaine où nous pouvons dire certaines choses sur nous-mêmes.
BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement.
POTUS BARACK OBAMA: Tu sais... Il faut que tu te sentes suffisamment à l'aise et que tu éprouves un certain amour vis-à-vis de ta communauté pour être capable de la décrire en ces termes...
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: En tant qu'outsider, tu pourrais t'attirer des ennuis.
BRUCE SPRINGSTEEN: Je te l'accorde.
POTUS BARACK OBAMA: Non ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Évidemment !
POTUS BARACK OBAMA: Qu'est-ce que tu en penses ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Premièrement : il s'agissait de gens que j'aimais, avec toutes leurs limites, toutes leurs bénédictions, toutes leurs malédictions, tous leurs rêves, tous leurs cauchemars. C'était ces gens-là que j'aimais. Et c'était comme beaucoup de ces autres petites villes américaines des années 50, et c'est ici que j'ai grandi. J'ai écrit My Hometown... en 1984. Je repensais juste à ma vie d'enfant. La ville dans laquelle j'ai grandi à cette époque-là passait vraiment un sale quart d'heure. Il y avait trois usines : 3M, Brockway Glass, Karagheusian Rug. Tout le monde travaillait dans une de ces usines. Et voilà que les usines disparaissaient pour s'installer ailleurs. Lorsque tu déambulais en ville, tu voyais les boutiques aux rideaux baissés et la ville était déjà déclarée morte avant l'heure, tu comprends. C'est donc quelque chose qui m'est venu comme ça, tout simplement. Laisse-moi t'en jouer un extrait...
[Il prend une guitare]
Il y a un médiator dans le coin ? [rires]
[Il gratte les cordes de la guitare]
BRUCE SPRINGSTEEN: [Il chante] « J'avais huit ans et je courais avec une pièce de monnaie dans la main… Jusqu'à l'arrêt de bus... Où je prenais le journal pour mon père… Je m'asseyais sur ses genoux dans cette vieille grosse Buick… Et je tournais le volant pendant que nous traversions la ville… Il m'ébouriffait les cheveux et me disait "Fiston, regarde bien autour de toi… C'est ta ville natale… C'est ta ville natale… C'est ta ville natale… C'est ta ville natale »…
[Le chant s'estompe]
L’événement qui a déclenché les émeutes à ce moment-là en ville, c'était une fusillade à un feu rouge.
[Il chante] « Deux voitures arrêtées à un feu un samedi soir… Sur le siège arrière un pistolet... »
Une voiture avec des gosses blancs, avec un fusil de chasse, qui fait feu sur une voiture avec des gosses noirs. Un de mes amis a perdu un œil.
[Il chante] « Une époque de troubles venait de s'emparer… De ma ville natale… De ma ville natale… De ma ville natale… »
Et puis, la ville a comme fermé.
[Il chante] « Aujourd'hui, la rue principale n'est que vitrines blanchies et boutiques vacantes… On a l'impression que plus personne... »
C'était... Je crois que je l'ai écrite dans les années 80. Et je savais dès la fin des années 70 et au cours des années 80 que c'était le sujet sur lequel je voulais écrire, la personne que j'allais devenir. C'est ce qui avait du sens à mes yeux. Je voulais rester à la maison. Je voulais vivre là. Je voulais être entouré par les personnes que je connaissais, et raconter leur histoire et la mienne, tu vois ?
[Il chante] « C'est ta ville natale… » [Il fredonne]
Il y avait, il y a un élément générationnel dans cette chanson car il y a un enfant assis sur les genoux de son père et son père lui dit, « C'est ta ville natale, avec tout ce qui va avec »
POTUS BARACK OBAMA: Le bon et le mauvais.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact. Tu fais partie du flot général de l'histoire, et ainsi, ce qui arrive et ce qui est arrivé relève en partie de ta responsabilité. Tu comprends ? Tu es lié historiquement aux bonnes et aux mauvaises choses qui se sont passées, pas seulement dans ta petite ville, mais dans ton pays. Et en tant qu'acteur de la société à ce moment de l'histoire, tu as le pouvoir de rendre compte de ces choses-là, et peut-être même exercer une certaine influence, d'une modeste façon. Et j'aime encore chanter cette chanson aujourd'hui. Elle est juste... Et chacun dans le public la reconnaît. Elle n'est pas simplement nostalgique.
POTUS BARACK OBAMA: Tout à fait.
BRUCE SPRINGSTEEN: Le public chante toujours, « Ma/Ta ville natale... » Il chante toujours le refrain avec moi, et j'ai à chaque fois l'impression qu'il sait que la ville dont il parle n'est pas Freehold, ce n'est pas Matawan, ce n'est pas Marlboro, ce n'est pas Washington, ce n'est pas cette satané Seattle. Ce sont toutes ces villes en même temps.
POTUS BARACK OBAMA: Tout à fait.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est toute l'Amérique.
POTUS BARACK OBAMA: Oui.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est une bonne chanson.
POTUS BARACK OBAMA: C'est une grande chanson.
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Il y avait donc ces émeutes à Freehold, que se passe-t-il ensuite ? Parce que dans certains endroits du pays, comme à Newark, Detroit... Ils ne s'en sont jamais vraiment remis. Mais comment... Quelles sont les répercussions juste après ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Les répercussions semblables à celles de Newark concernaient moins Freehold qu'Asbury Park. La ville d'Asbury Park a vraiment souffert de ces émeutes. Elles couvaient depuis longtemps et elles étaient justifiées. La population noire de cette ville était complètement sous-représentée dans les instances municipales et... C'était l'époque. Asbury ne s'est relevée que de longues, longues années plus tard. Évidemment, il y a eu un renouveau ces dix dernières années, mais certains de ces problèmes – non pas certain, mais la plupart - de ces problèmes subsistent dans les quartiers ouest de la ville. Tu pourrais donc te demander, « Dans quelle mesure les choses ont-elles vraiment changé ? Et bien, je ne suis pas si sûr. » A Freehold, est-ce que j'y ai vu une amélioration ? Pas vraiment. Après, les événements se passaient sur une échelle plus réduite. La rue principale de Freehold fait trois pâtés de maison. Tu comprends ?
POTUS BARACK OBAMA: Certains magasins ont été saccagés, des types ont été arrêtés, mais le cœur de la ville n'a pas été tellement impacté ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Non, non, non.
POTUS BARACK OBAMA: Et est-ce que ta famille parlait de ces événements-là ? Tu te souviens en parler ? Tu en parlais avec tes amis ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Moins qu'en parler, je l'ai vécu. Au lycée, il est arrivé un moment où mes amis noirs ne m'adressaient plus la parole.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: Je disais, « Hey...». Et on me disait, « Je ne peux pas te parler là maintenant... Maintenant, je ne peux pas parler »
POTUS BARACK OBAMA: C'est intéressant qu'ils te disent, « Là maintenant »
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Ils t'envoient un signal, « Là maintenant, tu dois – nous devons laisser ça reposer »
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Ce qui ne veut pas dire que nous ne pourrons pas avoir une conversation plus tard.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Oui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mais pas aujourd'hui, tu vois ? Et il y avait pas mal de bagarres entre étudiants blancs et étudiants noirs. Donc, le lycée est devenu un microcosme de cette situation, de ce qui se passait à Freehold, Newark, Asbury. Ces tensions sont devenues très sérieuses en 68, 67, lorsque j'étais encore au lycée. Et c'est de cette manière-là que j'en ai fait l'expérience.
POTUS BARACK OBAMA: Rien qu'avec la dynamique de l'école.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, au Lycée Régional de Freehold. C'était un lycée complètement intégré, avec des élèves presque tous enfants d'ouvriers, dont quelques-uns étaient peut-être meilleurs que d'autres, mais pas tant que ça. En fait, après le collège, si les parents ne voulaient pas envoyer leurs enfants dans des écoles intégrées, et bien tu allais...
POTUS BARACK OBAMA: Dans une école Catholique.
BRUCE SPRINGSTEEN: Dans un lycée Catholique.
POTUS BARACK OBAMA: Et c'était plus ou moins vrai dans toutes les villes du pays.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et puis, mes parents voulaient que j'y aille, il me semble que le lycée était à Trenton à cette époque-là. Je leur ai dit, « Trenton ? Je vais faire une heure de bus chaque jour ? » [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Tu n'allais pas en classe de toute façon, donc peu importe !
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires] Exactement !
POTUS BARACK OBAMA: Car tu allais devenir une star du rock'n'roll !
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Mes premiers souvenirs de Freehold ressemblent à un tableau de Norman Rockwell. Enfant, dans une petite ville, tu es immergé là-dedans : le défilé du Memorial Day, les marches des anciens combattants, la Légion américaine, les drapeaux. On nous donnait ces petits drapeaux à agiter pendant le défilé du Memorial Day. Je crois que j'avais un sentiment d'appartenance à quelque chose de très spécial, l'idée que nous étions un pays béni, d'une certaine manière. Il y avait eu une grande guerre. Nous avions gagné. Nous nous étions battus pour la liberté d'autres peuples. Nous avions risqué des vies américaines dans des pays étrangers. Nous étions les gentils. Mon père avait été conducteur de camions lors de la bataille des Ardennes. Et il y avait ce sentiment que, de tous les pays du monde, Dieu aimait particulièrement bien les États-Unis. Lorsque j'étais enfant, l'impact était profond et inoubliable. Mais mes grands-parents m'accordaient des libertés qu'un enfant, vraiment... Que des enfants ne devraient pas avoir. Ma grand-mère avait perdu sa fille, la sœur de mon père, dans un accident de circulation à 5 ans. Il y avait une station-service au croisement de MeLean Street, à deux rues de notre maison. Elle était là-bas sur un tricycle et elle s'est faite écraser par un camion.
POTUS BARACK OBAMA: Hmmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: J'étais l'enfant qui est arrivé juste après, l'enfant de la rédemption. On m'a donné une liberté totale.
POTUS BARACK OBAMA: [rires]
BRUCE SPRINGSTEEN: Pour faire ce que je voulais faire.
POTUS BARACK OBAMA: Tu faisais quoi du coup ? Tu étais une terreur, une terreur de Freehold ? Tu faisais régner ta loi ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement. A cinq ans !
POTUS BARACK OBAMA: Tu parcourrais les rues ? Terrorisant la population...
BRUCE SPRINGSTEEN: J'étais... littéralement... On ne m'interdisait pratiquement rien. Je me levais bien plus tard que les autres enfants. Je me couchais bien plus tard que les autres enfants. Je n'étais pas adapté. Je... n'aimais pas... les règles. Un enfant tel que moi, lorsque l'école parlait de règlement, il n'était pas préparé.
POTUS BARACK OBAMA: Car tu n'aimais pas suivre ces règles-là du coup.
BRUCE SPRINGSTEEN: Je n'aimais pas me conformer aux règles. Je me suis dit, « Ok, qu'est-ce que je veux faire ? Je veux trouver ma voie. Je dois trouver ma voie dans cette ville. Je dois découvrir ses habitants ». Il a fallu d'abord que je découvre la musique, et que je trouve une manière de développer une identité, de développer ma propre identité, une façon de parler et de voir comment être entendu, avant de commencer à me sentir chez moi dans la ville où je vivais.
[Bruce Springsteen - Lost in the Flood]
POTUS BARACK OBAMA: Quand j'ai entendu ta musique, j'y ai capté cette notion de déplacement affectif, et c'est une manière de se rappeler qu'aux États-Unis, nous avons tous commencé, à bien des égards, comme des outsiders, d'une certaine manière. Je crois que ma question était... Quelle était la composition de Freehold ?
BRUCE SPRINGSTEEN: La côte était composée d'Italo-Irlandais, et puis d'Afro-Américains du Sud, qui arrivaient en bus chaque été pour travailler dans les champs autour de la ville.
POTUS BARACK OBAMA: Dans quels genres de champs ?
BRUCE SPRINGSTEEN: De pommes de terre. J'ai donc grandi dans un quartier plutôt mixte. J'avais des amis noirs lorsque j'étais jeune. Mais, il y avait beaucoup de règles.
POTUS BARACK OBAMA: Ceux chez qui tu allais.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact, et ceux que tu ne pouvais pas inviter chez toi.
POTUS BARACK OBAMA: Ceux chez qui tu ne pouvais pas, exactement.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et ceux chez qui tu ne devais pas aller.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et...
POTUS BARACK OBAMA: Et c'est avant même de commencer à parler de petite amie ou...
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact. Tu es un enfant sur un vélo.
POTUS BARACK OBAMA: Tout à fait.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et tu es conscient de toutes ces règles tacites.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: Freehold était ce petit bourg typique des années 50, petit, provincial, raciste, cul-terreux. Tu vois ? C'est une ville qui a beaucoup souffert de conflits raciaux autour des années 65, 67, 69. Tu sais ce qu'il s'y passe en 69, non ?
POTUS BARACK OBAMA: Lorsqu'il y eu les émeutes de Newark (2) ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Le jour des émeutes de Newark, il y a eu des émeutes à Freehold, New Jersey, une petite ville de 10,000 habitants. On a fait venir la Police d’État, et l'état d'urgence a été décrété dans cette...
POTUS BARACK OBAMA: Tu avais quel âge à ce moment-là ?
BRUCE SPRINGSTEEN: J'avais 17 ans... J'étais au lycée.
POTUS BARACK OBAMA: Donc lorsque tu écris My Hometown...
BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement.
POTUS BARACK OBAMA: Tu parles des culs-terreux.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Et ce terme a une connotation particulière, tu sais. De la même façon que dans la communauté Afro-Américaine où nous pouvons dire certaines choses sur nous-mêmes.
BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement.
POTUS BARACK OBAMA: Tu sais... Il faut que tu te sentes suffisamment à l'aise et que tu éprouves un certain amour vis-à-vis de ta communauté pour être capable de la décrire en ces termes...
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: En tant qu'outsider, tu pourrais t'attirer des ennuis.
BRUCE SPRINGSTEEN: Je te l'accorde.
POTUS BARACK OBAMA: Non ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Évidemment !
POTUS BARACK OBAMA: Qu'est-ce que tu en penses ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Premièrement : il s'agissait de gens que j'aimais, avec toutes leurs limites, toutes leurs bénédictions, toutes leurs malédictions, tous leurs rêves, tous leurs cauchemars. C'était ces gens-là que j'aimais. Et c'était comme beaucoup de ces autres petites villes américaines des années 50, et c'est ici que j'ai grandi. J'ai écrit My Hometown... en 1984. Je repensais juste à ma vie d'enfant. La ville dans laquelle j'ai grandi à cette époque-là passait vraiment un sale quart d'heure. Il y avait trois usines : 3M, Brockway Glass, Karagheusian Rug. Tout le monde travaillait dans une de ces usines. Et voilà que les usines disparaissaient pour s'installer ailleurs. Lorsque tu déambulais en ville, tu voyais les boutiques aux rideaux baissés et la ville était déjà déclarée morte avant l'heure, tu comprends. C'est donc quelque chose qui m'est venu comme ça, tout simplement. Laisse-moi t'en jouer un extrait...
[Il prend une guitare]
Il y a un médiator dans le coin ? [rires]
[Il gratte les cordes de la guitare]
BRUCE SPRINGSTEEN: [Il chante] « J'avais huit ans et je courais avec une pièce de monnaie dans la main… Jusqu'à l'arrêt de bus... Où je prenais le journal pour mon père… Je m'asseyais sur ses genoux dans cette vieille grosse Buick… Et je tournais le volant pendant que nous traversions la ville… Il m'ébouriffait les cheveux et me disait "Fiston, regarde bien autour de toi… C'est ta ville natale… C'est ta ville natale… C'est ta ville natale… C'est ta ville natale »…
[Le chant s'estompe]
L’événement qui a déclenché les émeutes à ce moment-là en ville, c'était une fusillade à un feu rouge.
[Il chante] « Deux voitures arrêtées à un feu un samedi soir… Sur le siège arrière un pistolet... »
Une voiture avec des gosses blancs, avec un fusil de chasse, qui fait feu sur une voiture avec des gosses noirs. Un de mes amis a perdu un œil.
[Il chante] « Une époque de troubles venait de s'emparer… De ma ville natale… De ma ville natale… De ma ville natale… »
Et puis, la ville a comme fermé.
[Il chante] « Aujourd'hui, la rue principale n'est que vitrines blanchies et boutiques vacantes… On a l'impression que plus personne... »
C'était... Je crois que je l'ai écrite dans les années 80. Et je savais dès la fin des années 70 et au cours des années 80 que c'était le sujet sur lequel je voulais écrire, la personne que j'allais devenir. C'est ce qui avait du sens à mes yeux. Je voulais rester à la maison. Je voulais vivre là. Je voulais être entouré par les personnes que je connaissais, et raconter leur histoire et la mienne, tu vois ?
[Il chante] « C'est ta ville natale… » [Il fredonne]
Il y avait, il y a un élément générationnel dans cette chanson car il y a un enfant assis sur les genoux de son père et son père lui dit, « C'est ta ville natale, avec tout ce qui va avec »
POTUS BARACK OBAMA: Le bon et le mauvais.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact. Tu fais partie du flot général de l'histoire, et ainsi, ce qui arrive et ce qui est arrivé relève en partie de ta responsabilité. Tu comprends ? Tu es lié historiquement aux bonnes et aux mauvaises choses qui se sont passées, pas seulement dans ta petite ville, mais dans ton pays. Et en tant qu'acteur de la société à ce moment de l'histoire, tu as le pouvoir de rendre compte de ces choses-là, et peut-être même exercer une certaine influence, d'une modeste façon. Et j'aime encore chanter cette chanson aujourd'hui. Elle est juste... Et chacun dans le public la reconnaît. Elle n'est pas simplement nostalgique.
POTUS BARACK OBAMA: Tout à fait.
BRUCE SPRINGSTEEN: Le public chante toujours, « Ma/Ta ville natale... » Il chante toujours le refrain avec moi, et j'ai à chaque fois l'impression qu'il sait que la ville dont il parle n'est pas Freehold, ce n'est pas Matawan, ce n'est pas Marlboro, ce n'est pas Washington, ce n'est pas cette satané Seattle. Ce sont toutes ces villes en même temps.
POTUS BARACK OBAMA: Tout à fait.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est toute l'Amérique.
POTUS BARACK OBAMA: Oui.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est une bonne chanson.
POTUS BARACK OBAMA: C'est une grande chanson.
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Il y avait donc ces émeutes à Freehold, que se passe-t-il ensuite ? Parce que dans certains endroits du pays, comme à Newark, Detroit... Ils ne s'en sont jamais vraiment remis. Mais comment... Quelles sont les répercussions juste après ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Les répercussions semblables à celles de Newark concernaient moins Freehold qu'Asbury Park. La ville d'Asbury Park a vraiment souffert de ces émeutes. Elles couvaient depuis longtemps et elles étaient justifiées. La population noire de cette ville était complètement sous-représentée dans les instances municipales et... C'était l'époque. Asbury ne s'est relevée que de longues, longues années plus tard. Évidemment, il y a eu un renouveau ces dix dernières années, mais certains de ces problèmes – non pas certain, mais la plupart - de ces problèmes subsistent dans les quartiers ouest de la ville. Tu pourrais donc te demander, « Dans quelle mesure les choses ont-elles vraiment changé ? Et bien, je ne suis pas si sûr. » A Freehold, est-ce que j'y ai vu une amélioration ? Pas vraiment. Après, les événements se passaient sur une échelle plus réduite. La rue principale de Freehold fait trois pâtés de maison. Tu comprends ?
POTUS BARACK OBAMA: Certains magasins ont été saccagés, des types ont été arrêtés, mais le cœur de la ville n'a pas été tellement impacté ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Non, non, non.
POTUS BARACK OBAMA: Et est-ce que ta famille parlait de ces événements-là ? Tu te souviens en parler ? Tu en parlais avec tes amis ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Moins qu'en parler, je l'ai vécu. Au lycée, il est arrivé un moment où mes amis noirs ne m'adressaient plus la parole.
POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.
BRUCE SPRINGSTEEN: Je disais, « Hey...». Et on me disait, « Je ne peux pas te parler là maintenant... Maintenant, je ne peux pas parler »
POTUS BARACK OBAMA: C'est intéressant qu'ils te disent, « Là maintenant »
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Ils t'envoient un signal, « Là maintenant, tu dois – nous devons laisser ça reposer »
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Ce qui ne veut pas dire que nous ne pourrons pas avoir une conversation plus tard.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Oui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mais pas aujourd'hui, tu vois ? Et il y avait pas mal de bagarres entre étudiants blancs et étudiants noirs. Donc, le lycée est devenu un microcosme de cette situation, de ce qui se passait à Freehold, Newark, Asbury. Ces tensions sont devenues très sérieuses en 68, 67, lorsque j'étais encore au lycée. Et c'est de cette manière-là que j'en ai fait l'expérience.
POTUS BARACK OBAMA: Rien qu'avec la dynamique de l'école.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, au Lycée Régional de Freehold. C'était un lycée complètement intégré, avec des élèves presque tous enfants d'ouvriers, dont quelques-uns étaient peut-être meilleurs que d'autres, mais pas tant que ça. En fait, après le collège, si les parents ne voulaient pas envoyer leurs enfants dans des écoles intégrées, et bien tu allais...
POTUS BARACK OBAMA: Dans une école Catholique.
BRUCE SPRINGSTEEN: Dans un lycée Catholique.
POTUS BARACK OBAMA: Et c'était plus ou moins vrai dans toutes les villes du pays.
BRUCE SPRINGSTEEN: Et puis, mes parents voulaient que j'y aille, il me semble que le lycée était à Trenton à cette époque-là. Je leur ai dit, « Trenton ? Je vais faire une heure de bus chaque jour ? » [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Tu n'allais pas en classe de toute façon, donc peu importe !
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires] Exactement !
POTUS BARACK OBAMA: Car tu allais devenir une star du rock'n'roll !
BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]