Bruce Springsteen
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Charlie Rose, 20 novembre 1998

Une conversation avec Bruce Springsteen



par Charlie Rose

Charlie Rose, 20 novembre 1998
C’est une icône du rock, une légende et maintenant un membre du Rock & Roll Hall Of Fame. C’est Bruce Springsteen.

Depuis 30 ans, il écrit des chansons extraordinaires sur des gens ordinaires: The River, Born To Run, Born In The USA et Streets Of Philadelphia, pour n’en citer que quelques-unes, juste quelques-unes. Il a reçu huit Grammies et un Oscar pour ses compositions. Tracks, qui est son nouveau coffret de 4 CD contenant 56 chansons jamais sorties auparavant, reçoit les meilleures critiques de sa carrière. En plus de l’écriture de chansons, il est aussi connu pour ses performances sur scène, intenses et légendaires, qui peuvent durer près de quatre heures, voire plus. Voici juste quelques extraits de ces performances retraçant une carrière fantastique...
(diffusion d'extraits de concerts de Rosalita (Come Out Tonight), Born In The U.S.A., War et Born To Run, ndt)

Bruce Springsteen pour une heure... Bienvenue !

Merci.

****

C’est formidable de vous avoir ici...

Merci.

Il y a tant de choses à dire... Laissez-moi commencer. Quand vous regardez ces extraits de concerts, des souvenirs pour vous, quand vous voyez cette vidéo de toutes ces années où vous avez diverti tant de monde, était-ce la joie ultime de jouer devant un public, ou bien est-ce plutôt de s’asseoir à une table comme celle-ci et d'écrire une chanson ?

L’écriture est toujours le travail le plus difficile à faire, vous savez. Nous avions quand même l’air de bien nous amuser là (rires). Donc, je pense que l’écriture est la maquette de ce que vous allez faire. En d’autres termes, c’est l’essence de votre idée, que vous allez essayer de communiquer à votre public. Et le concert s’empare de cette chose et vous lui donnez une autre dimension en la jouant sur scène. Bien la jouer sur scène permet de repousser ses limites, lui donne plus de puissance et vous lui donnez du corps et vous divertissez les gens avec.

Je pense que tout cela à beaucoup à voir avec l’écriture. C’est difficile. C’est toujours difficile d’écrire une bonne chanson. Vous avez toujours besoin de trouver une nouvelle idée. Mais la jouer sur scène, c'est l'expression que vous ressentez après avoir terminé le processus d'écriture. Vous montez sur scène et vous êtes enfin face à face, et vous parlez à quelqu’un. C’est la raison pour laquelle vous avez écrit cette chanson...

Pour établir un contact ?

Oui ! C’est la raison pour laquelle vous avez appris à jouer de la guitare, que vous avez formé un groupe et que vous avez écrit cette chanson. Donc, d’une certaine façon, c’est la concrétisation de tout ce processus.

Vous vous êtes donné sur scène pendant quatre heures, parfois plus, presque jusqu'à l'épuisement...

Jusqu’à l’épuisement !

Jusqu’à l’épuisement ! Qu’est-ce que vous êtes ? Un cinglé ?Je ne pourrais pas chanter une chanson de plus? C’est ça l'idée ?

Je ne sais pas. Certains soirs, oui je pense. Mais c’était quelque chose qui se trouvait être, tout simplement, le développement naturel de la musique jouée dans des bars. Je pense qu’un concert de quatre heures, à l’époque où nous l’avons fait, était quelque chose que seulement quelques groupes faisaient, peut-être. Ce n’était pas quelque chose qui arrivait lors de vrais concerts. C'était quelque chose qui se passait tous les soirs, dans des bars à travers l'Amérique.

Les autres types qui jouaient pendant quatre heures, ils ne jouaient pas dans des stades remplis de monde !

Quatre heures et plus. Je pense que la durée de mes concerts a découlé de deux choses: après avoir sorti quelques disques, je voulais jouer les chansons que les fans voulaient entendre et je voulais aussi jouer toutes mes nouvelles chansons. Et puis, quand on s’est habitués à jouer pendant trois heures - trois heures minimum - dans un bar et que, d’une certaine façon, vous n’avez pas l’impression d’avoir joué aussi longtemps... Je voulais que mes concerts soient une expérience extrême et je voulais aussi qu'ils soient une expérience peu banale qui, d’une certaine manière, vous poussait jusqu’aux limites. Ça poussait jusqu’aux limites. Je voulais ce côté extrême, je voulais que les gens soient amenés vers un endroit précis et puis qu’ils sortent d’eux-mêmes et qu’ils soient là.

Est-ce que vous testiez des chansons en concert ou fallait-il qu’elle soient parfaites avant que vous ne les jouiez devant un public ?

Non. Nous avons probablement joué Born To Run pas mal de fois, dans des versions légèrement différentes, avant que je ne l’enregistre. A mes débuts, je montais sur scène et si j’avais une chanson qui m'excitait, je la jouais. Je pense que c’était initialement pour le public, en grande partie. Je ne le voyais pas comme un test, mais c’était quelque chose d’excitant à faire. Si vous aviez ce grand riff, vous vouliez l’entendre, vous vouliez l’entendre le soir-même.

Oui... (rires)

Si j’avais finalisé une grande partie des paroles, parfois je la tentais sur scène, vous savez. La méthode a un peu changé avec le temps. Si j’avais une nouvelle chanson, j’aimais l’idée de monter sur scène et de la chanter. J’ai joué The River avant de l’enregistrer, vous sentiez que... Il y avait un sentiment d’urgence que vous désiriez. Vous savez, ''Ce soir, c'est le moment, je dois chanter cette chanson ce soir''.

56 de ces chansons, nous ne les avons jamais entendues sous cette forme...

C’est ce qu’on dit (rires).

10 d’entre elles, nous les avons déjà entendues et certaines dans une version différente, comme Born In The USA. Il y a ici une version qui est plus brute...

C’est vrai. C’est une version différente. C’est la version originale que j’ai enregistrée dans ma chambre, vous savez, avec les 56 chansons jamais sorties auparavant. Et je crois qu’il y a 10 chansons qui étaient des faces B et quelques autres trucs que je voulais inclure. Il y a la version originale de Born In The USA qui aurait probablement dû être sur Nebraska, peut-être. Je ne sais pas...

Mais vous ne l’avez pas mise sur Nebraska à l’époque.

Je ne pensais pas qu’elle était finie, et elle l'était. C’était une de mes premières chansons sur le Vietnam et je voulais être sûr qu’elle soit parfaite. Je n’étais pas sûr de l’avoir terminée. En la réécoutant, le résultat était plutôt bon. Je pense que maintenant, si je devais prendre cette décision, je l’aurais probablement mise...

Vous l’auriez mise sur Nebraska ?

Oui, je l’aurais mise sur Nebraska mais à l’époque, j’ai été prudent avec cette chanson. Vous voyez, j’enregistrais simultanément Nebraska et l’album Born In The USA et j’avais ces deux projets très différents en cours. Et l‘une des premières choses que j’ai faite a été d’enregistrer la version de Born In The USA avec le groupe. Quand je l’ai entendue, je l’ai trouvée vraiment puissante et j’ai su que le morceau allait être le morceau central de la musique que je faisais à cette époque-là, pour laquelle je voulais le groupe.

Quel effet ça vous a fait de remonter à vos tout débuts ? Ce que je veux dire, c’est que vous aviez John Hammond, le grand et légendaire directeur de la compagnie CBS, qui, d’une certaine façon, vous a vu, vous a entendu et a dit...

C’est vrai, ça a été un grand plaisir...

Oui, mais ça vous a fait quel effet de retourner en arrière et d’écouter des chansons pour lesquelles vous aviez dit, pour une raison ou une autre, ''pas maintenant', ''pas sur cet album'' ?

Je me suis bien amusé. J’ai pris du plaisir à le faire aujourd'hui. Parce qu’à l’époque où vous preniez ces décisions, vous vous mettiez beaucoup de pression. J’ai parfois un thème ou un contexte particulier en place, pour un disque particulier, et vous êtes pris dans ce moment très spécifique. Et beaucoup de vos décisions découlent de cet état d’esprit.

Je pense qu’il faut y revenir 10 ou 20 ans plus tard, quand vous vous êtes libéré de ce contexte et que vous pouvez écouter la musique telle que nous l'avons jouée et comme elle était. Vous ne vous préoccupez plus de savoir si elle va s’intégrer sur ce disque ou quelle sorte de chanson c’est. C’est tout simplement de la musique. Donc, ça a été bien de revenir sur ce matériel et de l’apprécier, juste pour ce qu’il est. Quand j’ai été capable de faire ça, de sortir de ma propre tête, je me suis rendu compte que “Cette chanson aurait pu être sur cet album, et celle-là aussi, j’aurais dû inclure cette chanson-là”.

J’ai essayé de choisir les chansons qui étaient, à mon avis, aussi bonnes que celles que nous avions sorties. J’ai examiné très soigneusement les centaines de chansons que nous avions et j’ai choisi celles qui auraient pu être sur ces disques, parce qu’elles en avaient la qualité.
Charlie Rose, 20 novembre 1998


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