Bruce Springsteen
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The Washington Post, 06 décembre 2009

"Ma musique est une musique d’identité"



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Des heures supplémentaires avec Bruce Springsteen

Joe Heim, journaliste au Post a interviewé Bruce Springsteen backstage, avant son concert à Baltimore le 20 novembre, à propos de ces Kennedy Center Honors. Voici quelques réflexions supplémentaires de la part de Springsteen qui n’apparaissent pas dans l’article...

The Washington Post, 06 décembre 2009
Par le passé vous parliez de ces célèbres conflits que vous aviez avec votre père. Je me demande ce que votre père penserait de vous voir gagner la plus haute distinction que l’Amérique décerne à ses artistes.

D’abord, il n’aurait pas su ce que c’était (Rires). Après quelques explications que lui aurait données ma mère, il aurait dit un truc du genre, “Eh bien, c’est sympa”. J’en ai fait l'expérience quand j’ai remporté l’Oscar au milieu des années 90 et que je l’ai posé sur la table de la cuisine. Et la statuette est posée là et il dit “Oh, je ne dirai plus jamais à quelqu’un ce qu’il doit faire” (Rires). Il tirait beaucoup de satisfaction et de plaisir dans le travail que je faisais et le succès que nous avions, pendant toutes ces dix ou quinze dernières années de sa vie. Alors, j’aimerais qu’il puisse être là. Cette distinction aurait eu beaucoup de signification pour nous deux. Ma mère sera là, mais j’aurais aimé l’avoir ici.

Vous avez dit que la cinquantaine a été une période incroyablement productive. En attendez-vous autant de la soixantaine ou pas ?

Oui. J’ai beaucoup d’idées en réserve en ce moment. J’ai beaucoup de choses sur lesquelles je travaille… J’ai l’impression, aujourd'hui, que l’écriture est plus naturelle que jamais et qu’elle me vient facilement. Vous avez assez étudié votre art pour savoir en faire une simple question de méthode. Vous savez quand quelque chose n’est pas fantastique. Vous savez quand une idée ne va pas marcher.

Quand j’étais jeune, je suivais mes instincts. Maintenant, quand vous atteignez 60 ans, vous avez vos instincts et vous avez votre intelligence créative. De vos instincts, du génie peut en sortir. Tous les premiers chanteurs de rock avaient des instincts incroyablement créatifs. Mais si vous ne développez pas votre intelligence créative, à un moment donné, vous allez vous cogner contre un mur. Aujourd'hui, ou plus tard. Alors, développer son intelligence créative, c’est ce qui vous permet de développer votre travail et d’élargir ce que vous êtes capable de faire. Je peux ainsi faire appel à mes 40 années d'étude, afin de pouvoir y passer moins de temps, de faire un meilleur travail et d’affiner les sujets sur lesquels j’ai envie d’écrire avec plus de précision.

Mais également, l’inquiétude d’essayer de se forger une identité, la peur de perdre cette identité, s’est grandement apaisée. Parce que vous avez eu 40 ans pour établir qui vous êtes, ce que vous faites. Cela vous permet également d’avoir des styles de projets variés et d’écrire des chansons qui pourraient être un peu plus périphériques ou un peu plus à gauche ou un peu plus à droite.

Plus de liberté ?

Oui, plus de liberté créative. Chaque disque n’est plus votre dernier, maintenant c’est votre suivant.

D’où est venue en premier la poésie dans vos chansons ? Vous avez déclaré que nous n’aviez pas bien réussi à l’école et que vous n’aviez jamais vraiment aimé l’école.

Elle est venue des disques de rock & roll. Je n’ai pas lu de poésie et je n'y ai jamais été exposé. La première fois que j’ai entendu qu’on comparait Greetings From Asbury Park à Howl, le poème d’Allen Ginsberg (2), il a fallu que j’aille l’acheter pour voir ce que c’était. La poésie, je l’ai trouvée dans ma relation avec Dylan et Donovan et, au début des années 70, la chose importante était qu’il y avait une énorme explosion d’auteurs-compositeurs-interprètes ''poétiques''.

Et puis vous, en tant que gamin, vous avez écrit. Chaque adolescent a gribouillé un peu de poésie sur une feuille de papier. Mais l'inspiration m'est vraiment venue avec les disques de rock & roll. Je n'ai pas lu jusqu'à mes 26 ans. Je n'ai que très peu lu la plupart des choses jusqu'à tard dans ma vie.

The Washington Post, 06 décembre 2009
Quand vous écoutez vos premières chansons, vous rappelez-vous le sens que vous aviez en les écrivant et ce sens change-t-il pour vous au fil des ans ?

Eh bien, oui, je m'en rappelle, par exemple Lost In The Flood, si vous regardez de près, c’est une chanson contre la guerre. Nous étions impliqués, à la fin des années 60 et au début des années 1970, dans des mouvements de protestations dans le New Jersey, à un petit niveau local, à cause de la guerre du Vietnam. Nous avons fait quelques concerts de charité. Nous en avons fait un pour McGovern (3) et un pour envoyer les protestataires à Washington. C’était à l’époque où nous étions adolescents, parce que c'était, en partie, l’époque. La conscience sociale était au premier plan. Maintenant les gens ne se souviennent pas d’une époque pareille, surtout avec autant de tension dans l’air.

A l'époque, il y avait deux sortes de jeunes. Il y avait les jeunes qui se jetaient à plein corps dans les années 60, et il y avait les gars qui continuaient à vivre la vie des années 50. Mon beau-frère est un mec des années 50. Dans notre famille, tout était mélangé. Je suis allé dans une direction. Ma petite sœur est du genre post-années 60. La plus âgée de mes sœurs et mon beau-frère sont plutôt les produits des années 50 et ont eu une existence de la classe ouvrière, col bleu, du New Jersey. Mais au sein de mon groupe de musiciens et de bohémiens locaux et d’exclus, la conscience politique était une deuxième peau à l’époque. C’était à la mode ! Avec le recul, c’est l’une de mes chansons des débuts que je préfère. J’ai situé beaucoup de scènes sur le plan local. Sur le circuit. Il y avait en quelque sorte une forme de sacré sentiment de confusion dans le pays à cette époque-là. J’essayais de me frayer un chemin pour en sortir.

Beaucoup de ces choses dans mes premiers textes étaient de l'autobiographie tordue. Blinded By The Light, c'était simplement Asbury Park. Growin' Up parlait juste de ce qu'il y avait dans le titre.

Parlons un petit peu politique. Vous vous êtes engagé pour Kerry. Sans succès. Obama gagne et vous parlez de cette soirée comme une sorte de soirée magique pour l’Amérique. Comment vous situez-vous maintenant par rapport à l’évolution d’Obama et de son administration jusqu’à présent ?

Une année au pouvoir et je pense qu’il s’est très bien débrouillé. Je pense qu’ils sont méthodiques. Et le bordel incroyable dont il a hérité, dans ses dimensions épiques, n’est pas quelque chose que l’on résout en un an. Pour l'Afghanistan, nous devons être un peu plus prudents avant d'envoyer des hommes supplémentaires. Parce que la situation a un petit quelque chose de déjà vu, encore et encore. Je pense qu’il y a d’autre manières de garantir la sécurité de l’Amérique et de combattre nos ennemis… que de déployer plus de vies américaines. Je pense que c’est dangereux. C’est juste mon opinion.

La santé, j’aimerais voir le système de santé public. Je pense qu'il garantit plus d'honnêteté chez les compagnies d’assurance et ce serait mieux pour le peuple américain. Je veux dire, j’ai mes propres opinions sur toutes ces sujets, personne ne me les demande (Rires). Ce n’est pas plus différent qu’avant. Il n’y a personne qui dit, 'Téléphonez à ce guitariste du New Jersey et voyez ce qu’il a à dire sur le sujet'.

La chose la plus dévastatrice en ce moment, bien sûr, c’est le taux de chômage et il faut qu’ils trouvent un moyen de remettre tous ces Américains au travail. Il doit y avoir une sorte de fonds publics, une sorte de programme pour l’emploi, que ce soit au niveau de l’infrastructure ou autre, pour aider à remettre les Américains au travail. C’est écrasant. J’ai des amis qui perdent leur maison et qui étaient fermement ancrés dans la classe moyenne avant. Je travaille avec des banques alimentaires à travers le pays et absolument toutes me disent que les étagères se vident et que la demande augmente énormément. Et nous devons aussi gérer le fait que, jusqu’à ce que la situation s’équilibre, les gens vont s’énerver contre Wall Street, qui s'en sort si bien avec les gens qui les ont renfloués, et qui se retrouvent négligemment plantés. Il faut maîtriser une partie de cette colère. La colère et la rage ont leur place.

Je pense qu’Obama est dans une position très difficile dans la mesure où les gens attendent de lui qu'il soit, par sa présence, une sorte de Roosevelt ou de Kennedy, quelque chose - quand vous le voyez et quand vous le voyez parler et quand il était en campagne - quelque chose que cette homme porte en lui, il en donne simplement l'impression. Je pense que c’est vrai.

J’ai trouvé un article intéressant dans le New York Times il y a deux ou trois semaines, écrit par Tom Friedman, et qui examinait le besoin essentiel de poésie en s’emparant de l’imagination du public américain au sujet de ces tâches incroyablement difficiles. Obama est très doué pour exciter et motiver les gens. Je pense que maintenir la concentration, l’excitation et la motivation des gens pour réparer le pays au beau milieu de ce bruit sombre et plein de haine qui nous entoure est un très, très grand défi.

Un an de passé, après ce qui s'est passé, ce n’est pas très long. Alors je suis encore plein d’espoir et de foi et j’attends avec impatience de voir la suite de son mandat.


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