Bruce Springsteen
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The Washington Post, 06 décembre 2009

"Ma musique est une musique d’identité"



Avant la célébrité

The Washington Post, 06 décembre 2009
Bruce Frederick Springsteen est né à Long Branch, dans le New Jersey, en 1949 et a grandi à Freehold, fils italo-irlandais catholique de Douglas et Adele Springsteen, son père chauffeur de bus et sa mère secrétaire juridique. Il a fait l’acquisition de sa première guitare à 13 ans, a rejoint son premier groupe, les Castiles, à 15 ans, a enregistré son premier album, Greetings From Asbury Park, NJ à 23 ans, et a été acclamé comme le futur du rock & roll à 25 ans. En chemin, il a gagné son surnom de Patron, surnom qu’il n’a jamais vraiment aimé, et quasiment dès le début, il a été acclamé par ses fans avec une syllabe longue, affectueuse et tonitruante:

Bruuuuuuuuuuuuuuuce !

Qu’est-ce qui a inspiré une telle dévotion ? Qu’est-ce qui, intrinsèquement, définit une chanson de Bruce Springsteen ? Il faudrait être fou pour essayer de réduire sa vision à une seule vérité, mais des premiers albums morcelés et insouciants à ses efforts récents plus concis, de ses plus grands succès jusqu'aux face B oubliées, Springsteen dit qu'il existe un fil conducteur que l’on peut discerner.

''Je pense que je définis ma musique comme une musique d’identité'', dit-il. ''Des questions d’identité''.

''Qui suis-je ? D’où viens-je ? Comment me suis-je retrouvé ici ? Qui sont mes parents ? D’où venaient-ils ? Quelles sont les forces qui ont affecté nos vies ? Quelles sont les forces qui affectent les vies de mes amis en ce moment ? Vers quelle direction se dirige mon pays ? En quoi cela me concerne-t-il ? Quelle est ma responsabilité ?''

Les questions jaillissent de Springsteen comme si elles l’avaient à la fois tourmenté et guidé au cours de son voyage artistique. Il énonce chacune avec force, chaque question est un coup de pioche dense sur des significations pas encore découvertes, et l’espoir qu’avec assez de questionnement, quelque vérité sera révélée. Il est évident qu’il a étudié ces questions et bien d’autres en profondeur et avec une grande détermination. Il le confirme complètement dans la respiration qui suit.

''Je suis un chien de chasse sur une piste, sur le point d’essayer de tirer au clair ce que sont certaines de ces choses''.

Alors que de telles questions sont universelles, il y a une indéniable Américanité dans les thèmes et les personnages qu’il a façonnés: des romantiques fous de mécaniques du New Jersey aux ouvriers de la métallurgie qui luttent en Ohio, jusqu’aux hors-la-loi condamnés en Louisiane et au Nebraska et même jusqu’aux travailleurs immigrés, récemment arrivés du Mexique.

Dans ses chansons, Springsteen crée des tableaux qui sont immédiatement familiers. Ses personnages font claquer les portes d’entrée, se recoiffent jusqu’à ce que ce soit parfait, font tout leur possible pour rester dans le droit chemin, descendent des verres en se rappelant leurs jours de gloire, et croient, peut-être plus que tout autre chose, que ce n’est pas un pêché d’être heureux de vivre.

Que ce soient des chansons sur sa propre expérience ou le produit de son habile observation, Springsteen chante les gens et le territoire qu’il connaît.

Bono, le chanteur de U2 et l’homme qui a prononcé le discours d’intronisation de Springsteen à la cérémonie du Rock’n’Roll Hall Of Fame, a dit que le rôle de Springsteen, en tant qu’interprète et communicateur de l’identité américaine, ne peut faire l'objet de battage médiatique.

''Bruce est à l’origine de mon obsession pour l’Amérique'', a déclaré le chanteur dans une interview téléphonique, le mois dernier, depuis sa maison en Irlande. ''J’essaie de penser à n'importe qui d’autre qui croyait plus encore à l’Amérique, pendant cette période où son travail s’est développé; dans des films, de la musique, de la poésie. Parfois, croire en son pays devait ressembler soit à de la naïveté ou bien n’être tout simplement que grotesque. Mais à travers toutes ses critiques envers le pays où il est né et a grandi, on sent qu’il était le meilleur ambassadeur de l’idée qu'on se fait de l’Amérique''.

Bono se souvient avoir rencontré Springsteen une fois à Londres dans son hôtel, pendant la tournée Born In The USA, un album consacré plusieurs fois album de platine. Springsteen revenait dans sa chambre avec des vêtements qu’il venait d’aller nettoyer à la laverie.

''N'importe quel autre artiste, vous auriez pensé qu’il y avait une photo à faire'', dit Bono en riant. ''Mais il a vraiment ce côté informel qui fait l’Amérique, la dignité de la classe ouvrière de l’Amérique et la conviction qu’il y a une grandeur chez l’homme et la femme de la rue. Il me semble que c'est l’essence de l’Américanité, et il l'incarne''.

Il était né pour courir, peut-être

The Washington Post, 06 décembre 2009
On pourrait pardonner à Springsteen s’il décidait de ralentir. Lui et sa femme, la chanteuse (et membre du E Street Band) Patti Scialfa pourraient simplement se retirer dans la ferme du New Jersey où ils élevent leurs trois enfants: Evan 19 ans, Jessica 17 ans et Sam 15 ans. Il a vendu plus de 120 millions d’albums; a placé dans le Top 10 des chansons telles que Dancing In The Dark, Tunnel Of Love et I’m On Fire; il a gagné 19 Grammys; il a reçu l’Oscar de la meilleure chanson originale pour Streets Of Philadelphia; et il a remporté des honneurs à profusion. Il a assez de lauriers sur lesquels se reposer sans soucis.

Alors, pourquoi s’arrêter maintenant ? Springsteen dit que l’écriture, aujourd'hui, lui vient plus facilement qu’il y a 30 ans. Dans sa jeunesse, il était obsédé par chaque note, chaque détail de production. Maintenant, il est plus enclin à prendre des risques.

''A l’époque, je disais, on se trompe peut-être, et mec, on laisse tomber ce truc'', dit-il. ''Maintenant, je dis, on se trompe peut-être, mais il y a de la place pour quelques erreurs''.

Il a davantage confiance dans son art, et il y a moins de doute maintenant.

''Cela ne veut pas dire que vous faites les choses avec moins d’intensité'', dit-il. ''Vous faites les choses, si vous les faites, avec encore plus d’intensité… Vous essayez encore de prendre ce maillet, de taper ce morceau de bois et d’entendre cette sonnette retentir''.

Son comportement détendu dans la vie – une quiétude qui a été interprétée de toutes les manières, de la distance à la timidité – est trompeur. ''Je suis une sorte de fou facile à vivre'', dit-il avec un sourire malicieux qui gagne tout son visage. ''En surface, je suis très facile à vivre et en dessous, hey, j’y travaille''.

C’est logique alors que tous les artistes qui intéressent Springsteen – il est intarissable sur Bob Dylan, Merle Haggard, Steve Earle, Woody Guthrie, Leadbelly et Bonnie Raitt, par exemple – soient tous obsédés par quelque chose.

'Ils ne savent peut-être même pas ce que c’est !'', dit-il. ''La plupart de mes artistes préférés ne savent probablement pas ce qu’est cette chose. Je ne suis pas sûr de savoir ce que c’est. Mais je sais qu’elle existe. Et parfois, vous la trouvez et vous pouvez la transformer en beauté, en espoir, en rage et en colère qui stimulent la vie de votre conversation avec vos fans. Et c’est ce qui est essentiel''.

Springsteen est un interlocuteur sincère et éloquent, mais il peut aussi avoir beaucoup de charme en restant effacé. Après avoir donné un avis sérieux et réfléchi sur la première année du président Obama dans ses fonctions (il dit qu’il est prudent au sujet de l'Afghanistan, qu’il est en faveur d’un système de santé public, qu'il supporte la création d’un programme pour l’emploi), il se cale dans son fauteuil et éclate de rire.

''Je veux dire, j’ai mes propres opinions sur toutes ces choses, c’est simplement que personne ne me demande mon avis'', dit-il. ''Il n’y a personne qui dit, ''Téléphonez à ce guitariste du New Jersey et voyez ce qu’il a à dire sur le sujet'' '.

Quand il s’agit d’évaluer son propre travail, cependant, il est d’un manque de modestie rafraîchissant. Les anciennes chansons à l’appui. ''C'est, en partie, dû à l’intensité et à l’envie du groupe, mais en partie, également, au fait que ce truc était tout simplement bien écrit'', dit-il. ''Ce travail a conservé sa puissance, et sa pertinence, en partie grâce à sa qualité et parce que nous le prenons au sérieux et y mettons toute notre âme''.

Si personne ne travaille plus dur que Springsteen pour gagner le soutien de ses fans, il est aussi vrai que personne ne travaille plus dur que le E Street Band pour soutenir Springsteen. Bien que ses membres aient légèrement changé au fil des années depuis le début des années 1970, sa composition actuelle comprend les membres de longue date Garry Tallent (à la basse) Clarence Clemons (au saxophone), Max Weinberg (à la batterie), Roy Bittan (au piano), Steven Van Zandt et Nils Lofgren (à la guitare), et Patti Scialfa (à la guitare et au chant). L’organiste Danny Federici est décédé l’année dernière à la suite d’un combat contre le cancer.

The Washington Post, 06 décembre 2009
Ce groupe représente les fondations du travail le plus important de Springsteen et la colonne vertébrale de ses performances marathon sur scène, dont beaucoup d’entre elles dépassent les trois heures, sans interruption. Le chanteur est très fier de la longévité du groupe et rebondit quand on lui demande si la tournée qui vient de s’achever pourrait être la dernière avec le groupe.

''Vous plaisantez ? Il reste encore des culs assis sur les sièges là-bas ! Les gens veulent voir ce (bip). Il veulent pouvoir s’en aller et dire, 'Whaou, je n'arrive pas à croire ce que je viens de voir'. Et c’est quelque chose que nous faisons toujours”.

Il laisse le dernier mot en suspend, comme pour mettre l’accent sur le fait qu’il parle du groupe au présent, et non au passé.

''Nous sommes musiciens jusqu’à la moelle'', déclare Springsteen. ''Ce n’est pas facile de nous renvoyer chez nous. Nous sommes des musiciens itinérants. Tout le monde dans ce bus a cette même chose dans le sang et dans les os. Et il reste beaucoup de kilomètres à parcourir avant que nous nous endormions''.


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