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Comment ça va, mec ?
Bien ! On vient de commencer les répétitions avec le groupe dans une base militaire désaffectée, à Fort Monmouth, New Jersey.
Je connais cet endroit. Chaque fois que je passe devant en voiture, je pense au Mystère Andromède, de Robert Wise. J'imagine toujours que c'est comme dans l'un de ces films d'horreur où il ne reste plus qu'une carcasse vide et quelque chose comme un esprit qui rôde.
C'est exactement ça. Il y a un studio de répétitions et nous sommes les seuls habitants ! Nous sommes le seul truc excitant qui se passe dans le coin. Pour l'anecdote, je jouais souvent là quand j'avais 16 ans, pour le club du lycée et celui des officiers. C'est drôle de revenir ici, alors que c'est complètement abandonné.
Wrecking Ball est plus un album solo qu'un album du E Street Band. Quelle en a été la genèse ?
Il a débuté comme un projet folk - avec moi et ma guitare, chantant ces chansons. Mais, en cours de route, j'avais déjà 50% des arrangements en tête. Alors dès que je me suis arrêté de jouer, j'ai pris tous mes instruments les uns après les autres et, au bout d'une heure, j'avais une ébauche de ce que j'entendais dans ma tête quand je chantais. Une bonne partie de cette base a été enregistrée avec la guitare acoustique, du chant et des samples, des boucles hip-hop et country-blues. Et les batteries sont arrivées plus tard - je n'avais pas d'idées préconçues sur l'instrumentation. Je pouvais aller n'importe où, faire n'importe quoi, utiliser tout ce que je voulais. C'était vraiment très ouvert.
Il y a des chansons où on a l'impression que vous allez boire une bière avec les Chieftains, et que vous vous décidez à jouer !
J'ai fait appel à mes racines et à des éléments de la musique celtique, car j'utilise la musique pour offrir un contexte historique à mes histoires. Death To My Hometown ressemble à la chanson d'un rebelle irlandais, mais fait référence à ce qui s'est passé il y a quatre ans seulement. Je veux faire comprendre aux gens que tout se répète, encore et encore : ce qui s'est déroulé en 2008 a déjà eu lieu juste avant le changement de siècle, et aussi juste après l'an 2000. C'est un cycle historique, dont les victimes sont toujours les mêmes.
Elles pourraient avoir été chantées en 1840, 1860...
Ou hier. Pour Shackled And Drawn, par exemple, c'est la même chose, elle aurait pu être chantée par les esclaves, dans les champs de coton.
Bien ! On vient de commencer les répétitions avec le groupe dans une base militaire désaffectée, à Fort Monmouth, New Jersey.
Je connais cet endroit. Chaque fois que je passe devant en voiture, je pense au Mystère Andromède, de Robert Wise. J'imagine toujours que c'est comme dans l'un de ces films d'horreur où il ne reste plus qu'une carcasse vide et quelque chose comme un esprit qui rôde.
C'est exactement ça. Il y a un studio de répétitions et nous sommes les seuls habitants ! Nous sommes le seul truc excitant qui se passe dans le coin. Pour l'anecdote, je jouais souvent là quand j'avais 16 ans, pour le club du lycée et celui des officiers. C'est drôle de revenir ici, alors que c'est complètement abandonné.
Wrecking Ball est plus un album solo qu'un album du E Street Band. Quelle en a été la genèse ?
Il a débuté comme un projet folk - avec moi et ma guitare, chantant ces chansons. Mais, en cours de route, j'avais déjà 50% des arrangements en tête. Alors dès que je me suis arrêté de jouer, j'ai pris tous mes instruments les uns après les autres et, au bout d'une heure, j'avais une ébauche de ce que j'entendais dans ma tête quand je chantais. Une bonne partie de cette base a été enregistrée avec la guitare acoustique, du chant et des samples, des boucles hip-hop et country-blues. Et les batteries sont arrivées plus tard - je n'avais pas d'idées préconçues sur l'instrumentation. Je pouvais aller n'importe où, faire n'importe quoi, utiliser tout ce que je voulais. C'était vraiment très ouvert.
Il y a des chansons où on a l'impression que vous allez boire une bière avec les Chieftains, et que vous vous décidez à jouer !
J'ai fait appel à mes racines et à des éléments de la musique celtique, car j'utilise la musique pour offrir un contexte historique à mes histoires. Death To My Hometown ressemble à la chanson d'un rebelle irlandais, mais fait référence à ce qui s'est passé il y a quatre ans seulement. Je veux faire comprendre aux gens que tout se répète, encore et encore : ce qui s'est déroulé en 2008 a déjà eu lieu juste avant le changement de siècle, et aussi juste après l'an 2000. C'est un cycle historique, dont les victimes sont toujours les mêmes.
Elles pourraient avoir été chantées en 1840, 1860...
Ou hier. Pour Shackled And Drawn, par exemple, c'est la même chose, elle aurait pu être chantée par les esclaves, dans les champs de coton.
Vers la fin du disque, écouter le saxo de Clarence Clemons, disparu en juin, sur Land Of Hope And Dreams prend aux tripes. C'est puissant.
Il jouait merveilleusement bien. C'est une perte que nous n'avons pas encore mesurée. Nous ne pourrons sans doute jamais l’accepter.
Sa disparition pouvait-elle te conduire à annuler la tournée ?
Non. Je savais que le groupe continuerait à jouer, coûte que coûte, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les gens ont besoin de savoir que le groupe va bien, qu'il est toujours là pour les divertir. Deuxièmement, jouer sans Clarence permet de mieux réaliser à quel point il va leur manquer - tout autant qu'à moi.
Mais cela nous rappelle que les choses de la vie ont une influence même sur le pays des merveilles qu'est la pop music. En réalité, nous sommes comme tout le monde. Je ne sais pas ce qui va se passer le premier soir où nous monterons sur scène, ni le dixième soir, ni le suivant... Vraiment, nous ne pouvons pas le prévoir. C'est une expérience particulière que nous allons partager avec notre public sur cette tournée.
A quel point sa mort a-t-elle affecté l'album ?
Nous l'avions presque terminé, mis à part qu'il me manquait la partie de Clarence. La semaine précédent sa mort, je l'ai appelé pour lui proposer de venir et d'enregistrer à son retour de Los Angeles, où il travaillait alors avec Lady Gaga. Il commençait à ressentir une douleur au niveau de la main. Il se faisait du souci et m'a demandé s'il pouvait d'abord retourner en Floride pour se faire examiner. C'était la première fois qu'il reportait une séance d'enregistrement. J'ai évidemment accepté, pensant qu'il pourrait toujours nous rejoindre ensuite.
Une semaine plus tard, il était hospitalisé à la suite d'une attaque. J'ai pris l'avion pour la Floride et passé la semaine avec sa famille, à son chevet. Il n'a jamais vraiment repris connaissance, mais lors des premiers jours, il me serrait la main quand il entendait ma voix. Puis, son état a empiré. Après l'enterrement, je suis retourné en studio finir mon album. Ron Aniello [le producteur de Wrecking Ball] m'a salué et, tandis que nous étions assis à la table de mixage, il me dit: "Je suis vraiment désolé pour Clarence. Je ne savais pas quoi faire en apprenant la nouvelle, donc je suis rentré à la maison, à Los Angeles, et j'ai mis bout à bout ce passage à partir d'une des prises live de cette chanson". Il m'a fait écouter Land Of Hope And Dreams, et quand le solo de Clarence est arrivé, le saxo de Clarence a rempli la pièce. J'ai pleuré. C'est comme s'il était vraiment là, certes grâce à un tour de magie technique... mais il était bel et bien là.
Il jouait merveilleusement bien. C'est une perte que nous n'avons pas encore mesurée. Nous ne pourrons sans doute jamais l’accepter.
Sa disparition pouvait-elle te conduire à annuler la tournée ?
Non. Je savais que le groupe continuerait à jouer, coûte que coûte, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les gens ont besoin de savoir que le groupe va bien, qu'il est toujours là pour les divertir. Deuxièmement, jouer sans Clarence permet de mieux réaliser à quel point il va leur manquer - tout autant qu'à moi.
Mais cela nous rappelle que les choses de la vie ont une influence même sur le pays des merveilles qu'est la pop music. En réalité, nous sommes comme tout le monde. Je ne sais pas ce qui va se passer le premier soir où nous monterons sur scène, ni le dixième soir, ni le suivant... Vraiment, nous ne pouvons pas le prévoir. C'est une expérience particulière que nous allons partager avec notre public sur cette tournée.
A quel point sa mort a-t-elle affecté l'album ?
Nous l'avions presque terminé, mis à part qu'il me manquait la partie de Clarence. La semaine précédent sa mort, je l'ai appelé pour lui proposer de venir et d'enregistrer à son retour de Los Angeles, où il travaillait alors avec Lady Gaga. Il commençait à ressentir une douleur au niveau de la main. Il se faisait du souci et m'a demandé s'il pouvait d'abord retourner en Floride pour se faire examiner. C'était la première fois qu'il reportait une séance d'enregistrement. J'ai évidemment accepté, pensant qu'il pourrait toujours nous rejoindre ensuite.
Une semaine plus tard, il était hospitalisé à la suite d'une attaque. J'ai pris l'avion pour la Floride et passé la semaine avec sa famille, à son chevet. Il n'a jamais vraiment repris connaissance, mais lors des premiers jours, il me serrait la main quand il entendait ma voix. Puis, son état a empiré. Après l'enterrement, je suis retourné en studio finir mon album. Ron Aniello [le producteur de Wrecking Ball] m'a salué et, tandis que nous étions assis à la table de mixage, il me dit: "Je suis vraiment désolé pour Clarence. Je ne savais pas quoi faire en apprenant la nouvelle, donc je suis rentré à la maison, à Los Angeles, et j'ai mis bout à bout ce passage à partir d'une des prises live de cette chanson". Il m'a fait écouter Land Of Hope And Dreams, et quand le solo de Clarence est arrivé, le saxo de Clarence a rempli la pièce. J'ai pleuré. C'est comme s'il était vraiment là, certes grâce à un tour de magie technique... mais il était bel et bien là.
Hope And Dreams et l'ensemble de la deuxième partie de l'album semblent passer du personnel et du politique à une thématique plus spirituelle.
Sur la première partie du disque, nous étions simplement énervés. Dans le premier morceau, We Take Care Of Our Own, je pose les questions auxquelles j'essaie de répondre par la suite. Le refrain de la chanson soulève une question fondamentale: Prenons-nous bien soin des nôtres ? Qu'est-il arrivé à ce fameux contrat social ? Où était-il passé ces 30 dernières années ? Comment a-t-il été si affreusement érodé ? Et comment se fait-il qu'on ait attendu si longtemps pour faire entendre nos voix ? J'écris sur ce sujet depuis trente ans, de Darkness On The Edge Of Town en passant par The Ghost Of Tom Joad, jusqu'à aujourd'hui. Tout est venu de la récession sous Jimmy Carter, à la fin des années 70. Et c'est un sujet sur lequel j'ai toujours écrit. Mon beau-frère a perdu son travail d'ouvrier dans le bâtiment et s'est retrouvé concierge dans un lycée du coin. Ça a changé sa vie.
Ce sont donc des problèmes qui reviennent inlassablement dans l'histoire et qui pèsent sur le dos des mêmes personnes. Si ma musique a un autre intérêt que celui de s'écouter en dansant, en s'amusant ou en passant l'aspirateur, c'est d'essayer de mesurer la distance entre l'american dream et la réalité américaine. . Le mantra que je suis dans le dernier couplet de We Take Care Of Our Own - ("Where are the eyes, where are the hearts ?") - c'est vraiment : "Que s'est-il passé lors de ces trente dernières années ? Qu'est-il arrivé au contrat social du monde dans lequel nous vivons ? Quel est le prix à payer au quotidien pour les gens ?" Le prix à payer au quotidien, c'est quelque chose que j'ai ressenti intensément étant enfant, et c'est sans doute pour cette raison que j'écris des chansons depuis si longtemps.
Sur la première partie du disque, nous étions simplement énervés. Dans le premier morceau, We Take Care Of Our Own, je pose les questions auxquelles j'essaie de répondre par la suite. Le refrain de la chanson soulève une question fondamentale: Prenons-nous bien soin des nôtres ? Qu'est-il arrivé à ce fameux contrat social ? Où était-il passé ces 30 dernières années ? Comment a-t-il été si affreusement érodé ? Et comment se fait-il qu'on ait attendu si longtemps pour faire entendre nos voix ? J'écris sur ce sujet depuis trente ans, de Darkness On The Edge Of Town en passant par The Ghost Of Tom Joad, jusqu'à aujourd'hui. Tout est venu de la récession sous Jimmy Carter, à la fin des années 70. Et c'est un sujet sur lequel j'ai toujours écrit. Mon beau-frère a perdu son travail d'ouvrier dans le bâtiment et s'est retrouvé concierge dans un lycée du coin. Ça a changé sa vie.
Ce sont donc des problèmes qui reviennent inlassablement dans l'histoire et qui pèsent sur le dos des mêmes personnes. Si ma musique a un autre intérêt que celui de s'écouter en dansant, en s'amusant ou en passant l'aspirateur, c'est d'essayer de mesurer la distance entre l'american dream et la réalité américaine. . Le mantra que je suis dans le dernier couplet de We Take Care Of Our Own - ("Where are the eyes, where are the hearts ?") - c'est vraiment : "Que s'est-il passé lors de ces trente dernières années ? Qu'est-il arrivé au contrat social du monde dans lequel nous vivons ? Quel est le prix à payer au quotidien pour les gens ?" Le prix à payer au quotidien, c'est quelque chose que j'ai ressenti intensément étant enfant, et c'est sans doute pour cette raison que j'écris des chansons depuis si longtemps.
Quelqu'un a écrit dans le New York Times que We Take Care Of Our Own était "patriotique".
Peu importe qui a écrit ça, mais ils ont besoin d'un critique musical un peu plus malin.
[Rires] Cette critique te ramène à l'époque de Born In The USA, qui avait été terriblement incompris ?
Tout à fait. Je ne l'ai pas ressenti sur cet album en particulier, mais vous écrivez le meilleur album possible, et vous le présentez, en attendant de voir ce qui va vous revenir au visage. Ces derniers temps, il semble que la polarisation de ce pays a été si extrême qu'on veut nous forcer à être des "patriotes" de pacotille ou des "apologistes" notoires. Un débat politique nuancé ou une simple expression créative sont devenus impossible, à cause du déclin de notre gouvernement et à l'infantilisation de notre discours national. Je ne peux pas approuver ça et encore moins écrire dans ce sens.
Peu importe qui a écrit ça, mais ils ont besoin d'un critique musical un peu plus malin.
[Rires] Cette critique te ramène à l'époque de Born In The USA, qui avait été terriblement incompris ?
Tout à fait. Je ne l'ai pas ressenti sur cet album en particulier, mais vous écrivez le meilleur album possible, et vous le présentez, en attendant de voir ce qui va vous revenir au visage. Ces derniers temps, il semble que la polarisation de ce pays a été si extrême qu'on veut nous forcer à être des "patriotes" de pacotille ou des "apologistes" notoires. Un débat politique nuancé ou une simple expression créative sont devenus impossible, à cause du déclin de notre gouvernement et à l'infantilisation de notre discours national. Je ne peux pas approuver ça et encore moins écrire dans ce sens.
Quelle est l'idée derrière Easy Money ?
C'est la criminalisation urbaine, née de la cohue financière de Wall Street. Ce mec dit: "Tout le monde gagne sa part, sans payer quoi que ce soit, et moi aussi, je veux sortir et obtenir ma part". Cette agitation a été légitimée durant ces quatre dernières années, quand nous avons atteint le plus haut niveau de soif d'argent chez les hauts dirigeants de l'industrie financière, et qu'on a pu voir des gens vivant tranquillement sans payer trop d’impôts et sans se sentir redevables. Ce manque de solidarité est un poison injecté directement dans le cœur de notre pays, et qui remonte au Watergate. Le Watergate a légitimé les manigances autour de l'argent - a légitimé le moindre voyou trainant dans le quartier. C'est ce qui a quasiment mis notre pays à terre. Aucun des hippies aux cheveux longs n'a autant fait sombrer les États-Unis que ces mecs en costumes à rayures.
Sans offrir de boulot, sans aider les victimes de saisies, sans réguler l'activité des banques, sans réforme sur la taxation, on ne peut pas maintenir un contrat social avec une telle inégalité de revenus. Cette inégalité, c'est ce qui coupe le pays en deux... Mitt Romney a payé 15% d’impôts ? Si nous ne soulevons pas une fois pour toutes le problème, je ne pense pas que le pays puisse rester soudé. Je comprends bien les effets de la globalisation, mais au bout du compte, on ne peut pas obtenir une société digne de ce nom sans un minimum de civisme, d'équité économique et un objectif de plein emploi.
C'est la criminalisation urbaine, née de la cohue financière de Wall Street. Ce mec dit: "Tout le monde gagne sa part, sans payer quoi que ce soit, et moi aussi, je veux sortir et obtenir ma part". Cette agitation a été légitimée durant ces quatre dernières années, quand nous avons atteint le plus haut niveau de soif d'argent chez les hauts dirigeants de l'industrie financière, et qu'on a pu voir des gens vivant tranquillement sans payer trop d’impôts et sans se sentir redevables. Ce manque de solidarité est un poison injecté directement dans le cœur de notre pays, et qui remonte au Watergate. Le Watergate a légitimé les manigances autour de l'argent - a légitimé le moindre voyou trainant dans le quartier. C'est ce qui a quasiment mis notre pays à terre. Aucun des hippies aux cheveux longs n'a autant fait sombrer les États-Unis que ces mecs en costumes à rayures.
Sans offrir de boulot, sans aider les victimes de saisies, sans réguler l'activité des banques, sans réforme sur la taxation, on ne peut pas maintenir un contrat social avec une telle inégalité de revenus. Cette inégalité, c'est ce qui coupe le pays en deux... Mitt Romney a payé 15% d’impôts ? Si nous ne soulevons pas une fois pour toutes le problème, je ne pense pas que le pays puisse rester soudé. Je comprends bien les effets de la globalisation, mais au bout du compte, on ne peut pas obtenir une société digne de ce nom sans un minimum de civisme, d'équité économique et un objectif de plein emploi.