Bruce Springsteen
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Rolling Stone, 09 janvier 2014

Une conversation de 54 minutes avec Bruce Springsteen



La légende parle avec sincérité de sa manière de travailler, de ses collaborateurs, de ses futurs projets et plus encore.

par Andy Greene

Bruce Springsteen ne donne pas beaucoup d’interviews, alors quand il a récemment appelé Rolling Stone, nous avons décidé de l’interroger non seulement sur son nouvel album, High Hopes, mais surtout sur l'ensemble de ses projets, de sa future tournée jusqu’à l’avancement du coffret de The River, de ses mémoires tant attendues jusqu'à son avis sur les Springsteen Bootleg Series. Nous avons publié des parties de cette interview ces dernières semaines, mais voici l’intégralité de cette conversation de 54 minutes.

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Rolling Stone, 09 janvier 2014
Vous avez dit que cet album avait commencé différemment pour finalement prendre la forme de ce projet. Dites-moi comment tout s'est mis en place ?

La meilleure façon de décrire cet album serait de dire qu’il est en quelque sorte une anomalie, mais pas tant que ça. Je ne travaille jamais complètement de manière linéaire, comme beaucoup de gens font. Vous devez imaginer qu’à la fin d'une tournée, ou quand je suis chez moi, je vais en studio et je suis entouré de peintures qui sont, en quelque sorte, à demi-achevées. Il y a quelque chose qui ne va pas avec celle-ci que je n’ai pas pu finir, et elle est là en attente, et je n’avais pas de temps pour celle-là, ou celle-ci ne cadrait pas avec ce plus grand projet sur lequel j’étais en train de travailler.

Alors, je vais en studio où je suis entouré par toute ma musique que je n'ai pas encore publiée, et j’attends de voir ce qui me parle. Imaginez quelque chose comme The Ghost Of Tom Joad. A l'origine, elle a été écrite pour l’album Greatest Hits, que nous avons sorti dans les années 90. C’était une chanson rock, mais je n’arrivais pas à trouver un arrangement. C’est alors devenue une chanson acoustique. Et parce que c’est devenue une chanson acoustique, j’ai écrit l’album The Ghost Of Tom Joad qui allait avec. Et puis, j'ai emmené ces chansons en tournée, une tournée acoustique. Ensuite, ces chansons ont été intégrées au répertoire du E Street Band et sont devenues des chansons rock. J’ai, en quelque sorte, trouvé ces arrangements sur scène, en jouant avec le groupe.

Une chose en amène une autre, et elle est alors devenue partie intégrante de nos concerts, mais elle n'a pas trouvé sa place sur un album studio parce qu’elle ne collait pas nécessairement avec l’image sonore d'alors. Ainsi, The Ghost Of Tom Joad s’est retrouvée sur ce disque, dans une version rock, comme elle était, peut-être, prévue de l'être quinze ans auparavant. Ce qui donne une assez bonne idée de la manière dont je procède.

Et ce n’est pas la première fois que vous travaillez ainsi.

Je fonctionne comme ça depuis longtemps. Si vous remontez à The River, Sherry Darling avait été écrite pour l'album Darkness On The Edge Of Town. Independence Day avait été écrite pour Darkness On The Edge Of Town. Il y a toujours des chansons qui restent en suspens et qui souvent font partie du projet suivant, ou parfois pas. Elles restent dans les limbes, en quelque sorte. Ça arrive souvent.

Avant Wrecking Ball, je travaillais sur un disque complètement différent. Ce disque est là, en attente, et je travaille dessus en ce moment. Voilà ce qui s’est passé : il me manquait une chanson pour ce disque, alors j’ai écrit Easy Money. Easy Money s’est ensuite transformée en une séance d’enregistrement de 10 jours au cours de laquelle j’ai écrit et enregistré toutes les autres chansons, un album complètement différent.

La chanson Wrecking Ball était au programme de notre tournée. Land Of Hope And Dreams a été écrit pour le E Street Band quand nous nous sommes réunis à la fin des années 90. J’essaie d’illustrer la manière dont tout ceci vient de manière fluide et naturelle. Je peux aussi me mettre à écrire 12 nouvelles chansons, mais depuis le temps que je fais ce métier et que j’amasse beaucoup de choses non publiées et inachevées, ça m’arrive de moins en moins. Je travaille simplement sur ce qui me parle à un moment donné. C’est très courant pour moi aujourd'hui.

Dites-m’en plus sur la manière dont cet album a commencé.

Je vais dans mon studio où je suis entouré par, je l’espère, des choses intéressantes que nos fans pourraient aimer entendre, et je me mets alors à travailler dessus et je vois si je peux concrétiser quelque chose. Ce qui, pour moi, revient à dire, "Ok, c’est quelque chose qui est suffisamment finalisé, avec un niveau de qualité où je ne pense pas gâcher le temps de mes fans, et en espérant qu’ils apprécieront". C’est de cette façon que je travaille, donc ça explique un peu cet assemblage de musique, dans le sens où il s'agit de musique sur laquelle je travaille depuis la dernière décennie. Une partie était inachevée, alors on a fait beaucoup de nouveaux enregistrements.

La participation de Tom Morello a aussi changé votre perception de ces chansons.

Oui. J’essayais toujours de trouver une place pour ces chansons et Tom a participé à notre tournée et a suggéré une obscure face B d’un groupe que j’aimais à l’époque où j’habitais à Los Angeles dans les années 90, les Havalinas. Il a dit, "High Hopes, ça envoie. Je pense que je pourrais faire quelque chose dessus". J’ai dit, "Ok, si tu as des idées pendant la tournée, fais m’en part". Alors, nous avons travaillé dessus, et avec l’aide de Tom, High Hopes a donné quelque chose de bien. On s’est dit, "Ok, nous n’avons jamais trouvé un tel son auparavant".

Nous sommes allés en studio en Australie et y avons enregistré la chanson High Hopes, ainsi que la reprise d’une chanson des Saints [Just Like Fire Would] que nous jouions en Australie, que j’ai en ligne de mire depuis près de 20 ans et que j’ai toujours aimée. Une fois de plus, elles se sont bien insérées avec le reste des chansons que j’avais mises de côté en attendant de voir si je pouvais en faire quelque chose d’accompli. Je ne sais pas si ça explique la façon dont un disque comme celui-ci est construit et la raison pour laquelle on ne peut pas le qualifier de "chutes". C’est ma façon d’approcher les choses.

Vous avez beaucoup de chansons des années 1990 dans votre coffre, n’est-ce pas ?

Il y a un disque que j’écoute depuis 1994, qui est un disque que j’ai fait alors que j’enregistrais Streets Of Philadelphia. J’ai fait un disque entier similaire à cette chanson, où j’utilisais des boucles de batterie. Je l'écoute depuis presque 20 ans. A l’époque, il manquait quelque chose, mais parfois quelqu’un arrive et place cette pièce manquante, ou bien je la reprends tous les 2 ou 3 ans, et je vois si j’ai de nouvelles idées. Et si ce n’est pas le cas, je le mets de côté, et si c’est le cas, je peux peut-être y travailler dessus.

La meilleure façon de décrire ce processus serait de dire que, lorsque je vais en studio, je suis entouré de tout ce que j'ai écrit, et j’ai beaucoup de choses différentes en cours, dans des styles différents, et quelques projets solo. Certaines choses semblent être meilleures pour le groupe. Certaines choses restent au milieu, quelque part, ou bien c’est quelque chose que je n’ai jamais fait avant. Et tout n'est que de la matière brute dans laquelle je vais et dans laquelle je puise.

J’ai une grande quantité de matériau brut qui sert de point de départ à ma création. Très souvent, il peut s'agir d'une chanson ou deux, et puis j’en écris quelques autres. Même la musique de Wrecking Ball - les chansons Wrecking Ball et Land Of Hope and Dreams - sont des titres qu’on jouait déjà. Mais j’avais Shackled And Drawn, également. J’avais Rocky Ground qui datait d'un projet de film qu’on m’avait demandé il y a plusieurs années, et que j’avais écrite lors d’un court séjour en Floride. Ces chansons étaient donc dans mon carnet.

Je consulte aussi mon carnet, où les choses attendent le moment opportun. C’est ainsi que je travaille aujourd’hui. Ce travail a beaucoup évolué au fil des années, mais j’écris énormément. J’accumule ainsi un plus grand volume de travail non publié au fil du temps, et je me retrouve avec une mine de choses intéressantes.

Je ne suis pas pressé. Je ne suis pas quelqu’un qui écrit une chanson, et qui la sort. Je l’ai fait pour quelques disques. Mais je n’ai pas de problème pour écrire quelque chose… Prenez tout l’album Devils and Dust. Après n'avoir pas réussi à faire de Tom Joad une chanson rock, c’est devenu une chanson acoustique. J’ai enregistré l’album The Ghost Of Tom Joad alors que j’enregistrais en même temps un album un peu plus orienté country. C’est devenu Devils and Dust. Une grande partie de cet album a été enregistrée en même temps que Tom Joad. Toutes ces choses sont très fluides. Elles découlent les unes des autres. Elles se nourrissent les unes des autres. Elles s’inspirent les unes des autres. Des chansons venant d’un projet peuvent inspirer tout un autre projet. C’est ainsi que je fais mes albums aujourd’hui.


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