Bruce Springsteen
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Episode 6 - Lutter contre les fantômes : Les Hommes Américains

Renegades : Born In The U.S.A.



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BRUCE SPRINGSTEEN: Les premières années où j'étais avec Patti, lorsque nous étions en public, j'étais très, très anxieux. Et je n'arrivais pas à régler ce problème, et j'ai réalisé, « Et bien, oui, ce sont les signaux que j'ai reçu lorsque j'étais très jeune, ceux qui te disent qu'une famille ne te renforce pas, elle t’affaiblit. Elle t'éloigne de tes opportunités. Elle t'enlève ta virilité ».

POTUS BARACK OBAMA: « Elle... elle te castre »

BRUCE SPRINGSTEEN: « Elle te castre ». Exactement.

POTUS BARACK OBAMA: « Elle te limite »

BRUCE SPRINGSTEEN: Et je me suis trimballé cette idée pendant très, très longtemps. J'ai vécu dans la peur de cette castration, si bien que j'ai vécu sans amour, sans compagnie, sans foyer. Et tu as ton petit sac de vêtements, et tu pars sur la route et tu vas d'un endroit à un autre, et ainsi de suite.

POTUS BARACK OBAMA: « Et tu es libre »

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu penses l'être.

POTUS BARACK OBAMA: C'est l'idée.

BRUCE SPRINGSTEEN: Exactement. Tu penses l'être. Et je pensais l'être.

POTUS BARACK OBAMA: Mhmm.

BRUCE SPRINGSTEEN: Pendant longtemps, je pensais l'être jusqu'à ce que j'essaye d'avoir quelque chose... [rires] Quelque chose de plus que ce qui m'était autorisé. Au-delà de ce que je m'autorisais. Et tu ne t'en rends pas compte quand tu as 20 ans. Mais vers la trentaine, tu te rends compte que quelque chose ne tourne pas rond. Est-ce que tu as vécu quelque chose de similaire ?

POTUS BARACK OBAMA: Tu sais... Il y a des choses que nous avons en commun, et puis il y a des choses qui diffèrent. Mon père est parti lorsque j'avais 2 ans.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et je ne l'ai plus revu jusqu'à l'âge de 10 ans, lorsqu'il est venu un mois à Hawaï.

BRUCE SPRINGSTEEN: Qu'est-ce qui l'a amené à venir te voir huit ans après être parti ?

POTUS BARACK OBAMA: Alors, voici l'histoire.

[Les cordes jouent]

Mon père a grandi dans un petit village à l'ouest... Dans le nord-ouest du Kenya. Et il est passé de berger d'un troupeau de chèvres à un avion qui l'emmène à Hawaï, puis jusqu'à Harvard, pour devenir d'un coup d'un seul, un économiste.

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord, d'accord. Incroyable, incroyable.

[Les cordes jouent en fond]

POTUS BARACK OBAMA: Et dans ce grand écart, dans ce saut entre une société agricole, très rurale, et sa volonté de se faire passer pour un homme du monde, un homme de la ville, je pense que quelque chose s'est perdu en chemin. Quelque chose s'est évanoui. Et donc, bien qu'il soit extraordinairement confiant, charismatique et, aux dires de tous, impressionnant sur le plan intellectuel...

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

[Les cordes jouent en fond puis s'estompent]

POTUS BARACK OBAMA: En revanche, émotionnellement, il avait des blessures. Je peux seulement en parler d'après les histoires que j'ai entendu par la suite, car je ne le connaissais pas vraiment. En tout cas, lorsqu'il étudiait à Hawaï, il a rencontré ma mère. Je suis conçu. Je crois que le mariage arrive juste après.

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

POTUS BARACK OBAMA: Puis, il obtient une bourse pour aller à Harvard et il se dit, « C'est là-bas que j'ai besoin d'aller ». Il a dans l'idée d'amener ma mère et moi, mais je crois qu'il y a des complications financières, et ils se séparent. Mais ils restent en contact. Il retourne au Kenya, obtient un travail au sein du gouvernement et se remarie et a d'autres enfants.

BRUCE SPRINGSTEEN: Quand il revient te voir, il a une autre famille ?

POTUS BARACK OBAMA: Il a une autre famille. Mais je pense que lui et sa femme sont dans une mauvaise passe.

BRUCE SPRINGSTEEN: Je vois.

POTUS BARACK OBAMA: Il revient, sans doute, pour voir ma mère, qui porte sur lui le même regard qu'avant, quand tout était possible. Et je pense qu'il essayait probablement de reconquérir ma mère pour qu'elle revienne et qu'il puisse nous emmener avec lui au Kenya, ma mère et moi. Et ma mère, qui l'aimait encore, a fait preuve de sagesse pour réaliser que c'était probablement une très mauvaise idée. Mais je l'ai alors vu pendant un mois. Et je ne savais pas quoi penser de lui.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Parce que c'est vraiment un étranger [rires] Il avait un accent britannique, il avait cette voix retentissante et il prenait beaucoup de place. Et tout le monde s'inclinait devant lui, car il avait une forte personnalité, tout simplement.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et il essayait de me dire ce que je devais faire.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oh... ho ho.

POTUS BARACK OBAMA: Tu vois ? Il disait, « Anna » - c'est comme ça qu'il appelait ma mère, qui se prénommait Ann - « Anna, je crois que ce garçon... Il regarde trop la télévision. Il devrait faire ses devoirs ». Et du coup, je n'étais pas spécialement ravi qu'il soit là. 

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

POTUS BARACK OBAMA: Et j'étais impatient qu'il s'en aille.

BRUCE SPRINGSTEEN: Ah.

POTUS BARACK OBAMA: Parce que je n'arrivais pas à me connecter à lui. Cet homme est... Tu comprends, c'est... Cet homme est un étranger qui se trouve être tout à coup dans notre maison. Puis, il est parti. Et je ne l'ai plus jamais revu. Nous nous sommes écrits. Lorsque j'étais à l'université, je me suis dit, « Si je veux mieux me connaître, j'ai besoin de mieux le connaître, lui ». Alors, je lui ai écrit et je lui ai dit, « Écoute, je vais venir au Kenya. J'aimerais passer du temps avec toi ». Il m'a répondu, « Ah oui. Je pense que c'est une sage décision que tu viennes ici ». Et puis j'ai reçu un coup de fil, probablement six mois avant que j'y aille, ou une année avant que j'y aille, et il avait été tué dans un accident de la route. Mais deux choses que j'ai découvertes plus tard ou que j'ai comprises plus tard. La première, c'est l'influence déterminante que ce seul mois a eu sur moi.

BRUCE SPRINGSTEEN: Dingue.

POTUS BARACK OBAMA: D'une manière que je n'avais même pas réalisé.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Il m'a offert mon premier ballon de basket. Donc...

BRUCE SPRINGSTEEN: Wow.

POTUS BARACK OBAMA: Je suis soudainement devenu obsédé par le basket-ball mais...

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Comment est-ce possible, hein ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Je me souviens qu'il... La seule chose que nous avons faite ensemble, c'est qu'il avait décidé de m'amener voir un concert de Dave Brubeck (4).

[Take Five de Dave Brubeck est joué en fond]

C'est un exemple qui te montre pourquoi je ne pouvais pas accrocher avec cet homme, car tu es un enfant américain de 10 ans.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Et un type veut t'emmener voir un concert de Jazz.

BRUCE SPRINGSTEEN: Take Five – tu ne vas pas adorer [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Take Five ! Je suis donc assis là dans la salle et je ne sais pas ce que je fais là.

[Take Five de Dave Brubeck est joué en fond]

Ce n'est que plus tard que j'y ai repensé et que je me suis dit, « Je suis devenu un des seuls gamins de mon école intéressé par le Jazz ».

[Take Five de Dave Brubeck s'estompe]

Et en grandissant, ma mère regardait la façon dont je croisais les jambes ou elle regardait mes gestes.

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

POTUS BARACK OBAMA: Et elle disait, « La ressemblance est frappante » La seconde chose que j'ai apprise en regardant les autres enfants de mon père – que j'ai connu plus tard lorsque je suis allé au Kenya et que je les ai rencontrés, j'ai réalisé que, d'une certaine façon, c'était probablement une bonne chose de ne pas avoir vécu avec lui. Parce que de la même manière que le tien, mon père luttait contre plein de choses, et il avait semé chaos et destruction et colère et blessure et... Des blessures durables auxquelles j'ai échappé.

BRUCE SPRINGSTEEN: Ce qui est fascinant, c'est l'impact qu'il a eu sur toi en un mois. Juste en un mois.

POTUS BARACK OBAMA: Oui.

BRUCE SPRINGSTEEN: Ce qui se passe, c'est que lorsque nous ne pouvons obtenir l'amour que nous voulons d'un parent... comment... comment peut-on créer... Comment obtient-on l'intimité dont on a besoin ? Je ne peux l'obtenir de mon père et je ne peux pas l'avoir. Alors je serai lui. Voilà ce que je vais faire. Être lui... Je n'ai pas encore 30 ans quand je comprends que c'est mon mode de fonctionnement. Je suis sur scène. Je porte des habits d'ouvrier. Moi qui n'ai jamais travaillé de ma vie.

POTUS BARACK OBAMA: [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: Moi j'ai joué de la guitare toute ma putain de vie [rires] Je prends 10 ou 15 kilos en allant à la salle de gym. Mon père était costaud, c'était un type corpulent. D'où ça vient ? Pourquoi je passe des heures à soulever des poids sans raison particulière, pour aucune raison particulière ? Non ? [rires]

[La guitare joue en fond]

La totalité de mon œuvre, tout ce qui compte à mes yeux, tout ce que j'ai écrit provient de l'histoire de sa vie à lui. Pas de la mienne, qui est secondaire. D'abord de la sienne. J'ai emprunté des routes qui ne m'ont pas mené là où je voulais être. Je pense avoir atteint mon but, en tant qu'homme, à partir du moment où Patti est entrée dans ma vie, et elle m'a alors éduqué sur certaines choses pour lesquelles j'avais de sérieux besoins d'être éduqué [rires]

[La guitare s'estompe]

[PAUSE]


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