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POTUS BARACK OBAMA: Ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point cet archétype est toujours en vigueur aujourd'hui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Alors que le monde du travail s'ouvrait nettement aux femmes, alors qu'elles commençaient à avoir voix au chapitre et à gagner davantage de pouvoir, beaucoup de facteurs guidant nos politiques s'enracinaient aussi dans cette peur : « Est-on en train de m'émasculer ? » On le voit dans la culture populaire, et on le voit, d'une certaine façon, dans les archétypes qui sont véhiculés. On le voit, de toute évidence, chez Donald Trump. Dans cette caricature de...
BRUCE SPRINGSTEEN: Virilité.
POTUS BARACK OBAMA: Ne jamais s'excuser, aucune faiblesse, aucune émotion...
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu ne laisses rien transparaitre. Tu restes donc isolé et seul, surtout si tu traverses une période difficile.
POTUS BARACK OBAMA: On le voit également dans les statistiques sur le suicide et la consommation d'opiacés. Et dans ce qui est arrivé à la communauté afro-américaine, alors que les hommes perdaient leur boulot, à cause de la désindustrialisation et des fermetures d'usines. Et aujourd'hui, on le voit dans les communautés ouvrières blanches où, pour la première fois, on constate une baisse de l'espérance de vie chez les hommes blancs de la classe ouvrière. Et il y a de la solitude, particulièrement chez les personnes âgées. Michelle me le fait constamment remarquer, elle qui est capable de tenir une conversation pendant dix heures avec ses amies. Elles sont ensemble et elles discutent de tout.
Moi, je parle beaucoup avec mes amis, mais au bout d'une heure, nous avons fait le tour, nous allumons alors la tv pour regarder un match, ou nous faisons un basket, nous faisons quelque chose ensemble. Mais échanger, communiquer - ce n'est pas ce qu'on apprend aux garçons.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout petit, j'ai vécu avec mon père qui souffrait de ce déclassement, et je l'ai constaté au quotidien. Tout était lié à l'absence d'un boulot, à l'irrégularité de ses emplois, et j'ai vu ce que c'était de ne pas avoir confiance en soi. C'était ma vie quotidienne lorsque je vivais sous le même toit que mon père. J'en ai tiré une leçon : le travail est essentiel. C'est pour cette raison que si nous n'arrivons pas à faire en sorte que les gens travaillent dans ce pays, le résultat sera terrible à voir.
POTUS BARACK OBAMA: Absolument. Le travail compte énormément dans la façon dont les citoyens se définissent, en termes de confiance en soi. Et je pense aux jeunes hommes des générations futures. Avec tous les changements qui ont eu lieu aux États-Unis, quand la question se pose de savoir ce que signifie être un homme. Je vois aujourd'hui cette même confusion et les mêmes mesures étriquées de la virilité qu'à mon époque. Et c'est aussi vrai pour les garçons afro-américains que pour les garçons blancs. Ils n'ont pas de rituels, de feuilles de route ou de rites d'initiation permettant d'accéder à une vision claire de la force et de l'énergie mâles, qui soit positive, et non simplement dominatrice.
Je lis des articles, je parle avec les amis de mes filles, des garçons à l'adolescence, et il y a tellement d'éléments de la culture populaire qui leur dit que la seule chose évidente qui définit un homme, c'est la virilité, c'est d'exceller en sport et en conquêtes sexuelles. Et...
BRUCE SPRINGSTEEN: Et la violence.
POTUS BARACK OBAMA: ...et la violence. Ce sont ces trois choses-là. La violence, du moins si elle est saine, est englobée dans le sport.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.
POTUS BARACK OBAMA: Plus tard, tu ajoutes à ces critères : gagner de l'argent. Non ? Combien d'argent peux-tu gagner ? L'homme américain stéréotypé avait certaines qualités, digne de louanges et digne d'émulation. Le sens des responsabilités, qui signifie que tu es prêt à affronter les épreuves et à faire des sacrifices pour ta famille ou pour les générations futures. C'est ce que nous a montré encore et encore la Génération Grandiose. Et cette notion de gérer ses affaires... Cette notion de responsabilité... D'être un adulte.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.
POTUS BARACK OBAMA: Mais il y a beaucoup de choses que nous n'avons pas pris en compte – tu le vois émerger aujourd'hui avec la vague MeToo (3) - avec les femmes qui réclament à travail égal une rémunération égale, avec ce à quoi nous faisons encore face avec les violences conjugales et la maltraitance. Um... Il n'y a jamais eu de pleine prise en compte de...
BRUCE SPRINGSTEEN: Non.
POTUS BARACK OBAMA: ...de ce que nos pères... de ce qu'étaient nos pères, de ce qu'ils avaient en eux.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Comment devons-nous le comprendre et en parler. Quelles leçons devrions-nous retenir. Tout semble avoir été enfoui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, mais nous avons fini par être les versions...
ENSEMBLE: ...années 60
BRUCE SPRINGSTEEN: ...de nos pères [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Non ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Portant tous en nous ce même sexisme.
POTUS BARACK OBAMA: Oui. Oui, portant tous ces mêmes valises. Toutes les mêmes. La même colère, les mêmes frustrations refoulées.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Tous ces mêmes messages. Et il y a un autre précepte qui va te parler, je le sais, c'était que tu ne devais pas montrer de faiblesse.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact.
POTUS BARACK OBAMA: Tu ne montrais pas d'émotion, tu ne parlais pas trop de ce que tu ressentais, tes peurs, tes doutes, tes déceptions. On projette une image générale.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Du genre, « J'assure ». J'ai la situation en main, je vais bien. Pas d'inquiétude.
BRUCE SPRINGSTEEN: Dans mon cas, c'était plus tempéré, ayant un père qui était assez sérieusement malade mentalement. Au lycée, j'ai commencé à devenir assez conscient de cette faiblesse, même si, vu de l'extérieur, c'était un homme corpulent, avec un côté brutal, complètement en phase avec cet archétype.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mais les choses ont commencé à se gâter au cours de mes dernières années de lycée, et au cours des dernières années où j'ai vécu avec lui, dans notre maison. Il y avait quelque chose dans sa maladie ou dans ce qu'il était, qui l'amenait à nier ses liens familiaux. Ce qui, pour moi, a engendré un énorme problème, quand j'ai été plus vieux, parce que j'étais incapable d'accepter l'idée d'un attachement familial.
Je me souviens encore qu'il se plaignait tout le temps : s'il n'avait pas eu une famille, il aurait pu accepter tel ou tel travail, ou bien prendre la route, mais... C'était une opportunité manquée. Et il restait assis devant son pack de bières, soir après soir après soir après soir, et c'était sa seule réponse, tu vois ? Alors nous nous sentions coupable. Et le modèle de la masculinité que j'ai eu, c'était cette image-là jusqu'à mes 30 ans, quand j'ai commencé à essayer d'y réfléchir. Parce que je ne pouvais établir de relation amoureuse durable. Rien qu'avoir une femme à mes côtés... J'étais embarrassé.
[Le synthétiseur joue]
Je ne pouvais pas. J'étais dans l'impossibilité de construire ma vie avec l'exemple qu'il m'avait légué, et j'essayais, encore et encore.
[Le synthétiseur joue et s'estompe]
[PAUSE]
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Alors que le monde du travail s'ouvrait nettement aux femmes, alors qu'elles commençaient à avoir voix au chapitre et à gagner davantage de pouvoir, beaucoup de facteurs guidant nos politiques s'enracinaient aussi dans cette peur : « Est-on en train de m'émasculer ? » On le voit dans la culture populaire, et on le voit, d'une certaine façon, dans les archétypes qui sont véhiculés. On le voit, de toute évidence, chez Donald Trump. Dans cette caricature de...
BRUCE SPRINGSTEEN: Virilité.
POTUS BARACK OBAMA: Ne jamais s'excuser, aucune faiblesse, aucune émotion...
BRUCE SPRINGSTEEN: Tu ne laisses rien transparaitre. Tu restes donc isolé et seul, surtout si tu traverses une période difficile.
POTUS BARACK OBAMA: On le voit également dans les statistiques sur le suicide et la consommation d'opiacés. Et dans ce qui est arrivé à la communauté afro-américaine, alors que les hommes perdaient leur boulot, à cause de la désindustrialisation et des fermetures d'usines. Et aujourd'hui, on le voit dans les communautés ouvrières blanches où, pour la première fois, on constate une baisse de l'espérance de vie chez les hommes blancs de la classe ouvrière. Et il y a de la solitude, particulièrement chez les personnes âgées. Michelle me le fait constamment remarquer, elle qui est capable de tenir une conversation pendant dix heures avec ses amies. Elles sont ensemble et elles discutent de tout.
Moi, je parle beaucoup avec mes amis, mais au bout d'une heure, nous avons fait le tour, nous allumons alors la tv pour regarder un match, ou nous faisons un basket, nous faisons quelque chose ensemble. Mais échanger, communiquer - ce n'est pas ce qu'on apprend aux garçons.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout petit, j'ai vécu avec mon père qui souffrait de ce déclassement, et je l'ai constaté au quotidien. Tout était lié à l'absence d'un boulot, à l'irrégularité de ses emplois, et j'ai vu ce que c'était de ne pas avoir confiance en soi. C'était ma vie quotidienne lorsque je vivais sous le même toit que mon père. J'en ai tiré une leçon : le travail est essentiel. C'est pour cette raison que si nous n'arrivons pas à faire en sorte que les gens travaillent dans ce pays, le résultat sera terrible à voir.
POTUS BARACK OBAMA: Absolument. Le travail compte énormément dans la façon dont les citoyens se définissent, en termes de confiance en soi. Et je pense aux jeunes hommes des générations futures. Avec tous les changements qui ont eu lieu aux États-Unis, quand la question se pose de savoir ce que signifie être un homme. Je vois aujourd'hui cette même confusion et les mêmes mesures étriquées de la virilité qu'à mon époque. Et c'est aussi vrai pour les garçons afro-américains que pour les garçons blancs. Ils n'ont pas de rituels, de feuilles de route ou de rites d'initiation permettant d'accéder à une vision claire de la force et de l'énergie mâles, qui soit positive, et non simplement dominatrice.
Je lis des articles, je parle avec les amis de mes filles, des garçons à l'adolescence, et il y a tellement d'éléments de la culture populaire qui leur dit que la seule chose évidente qui définit un homme, c'est la virilité, c'est d'exceller en sport et en conquêtes sexuelles. Et...
BRUCE SPRINGSTEEN: Et la violence.
POTUS BARACK OBAMA: ...et la violence. Ce sont ces trois choses-là. La violence, du moins si elle est saine, est englobée dans le sport.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.
POTUS BARACK OBAMA: Plus tard, tu ajoutes à ces critères : gagner de l'argent. Non ? Combien d'argent peux-tu gagner ? L'homme américain stéréotypé avait certaines qualités, digne de louanges et digne d'émulation. Le sens des responsabilités, qui signifie que tu es prêt à affronter les épreuves et à faire des sacrifices pour ta famille ou pour les générations futures. C'est ce que nous a montré encore et encore la Génération Grandiose. Et cette notion de gérer ses affaires... Cette notion de responsabilité... D'être un adulte.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.
POTUS BARACK OBAMA: Mais il y a beaucoup de choses que nous n'avons pas pris en compte – tu le vois émerger aujourd'hui avec la vague MeToo (3) - avec les femmes qui réclament à travail égal une rémunération égale, avec ce à quoi nous faisons encore face avec les violences conjugales et la maltraitance. Um... Il n'y a jamais eu de pleine prise en compte de...
BRUCE SPRINGSTEEN: Non.
POTUS BARACK OBAMA: ...de ce que nos pères... de ce qu'étaient nos pères, de ce qu'ils avaient en eux.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Comment devons-nous le comprendre et en parler. Quelles leçons devrions-nous retenir. Tout semble avoir été enfoui.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, mais nous avons fini par être les versions...
ENSEMBLE: ...années 60
BRUCE SPRINGSTEEN: ...de nos pères [rires]
POTUS BARACK OBAMA: Non ?
BRUCE SPRINGSTEEN: Portant tous en nous ce même sexisme.
POTUS BARACK OBAMA: Oui. Oui, portant tous ces mêmes valises. Toutes les mêmes. La même colère, les mêmes frustrations refoulées.
BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.
POTUS BARACK OBAMA: Tous ces mêmes messages. Et il y a un autre précepte qui va te parler, je le sais, c'était que tu ne devais pas montrer de faiblesse.
BRUCE SPRINGSTEEN: C'est exact.
POTUS BARACK OBAMA: Tu ne montrais pas d'émotion, tu ne parlais pas trop de ce que tu ressentais, tes peurs, tes doutes, tes déceptions. On projette une image générale.
BRUCE SPRINGSTEEN: Tout à fait.
POTUS BARACK OBAMA: Du genre, « J'assure ». J'ai la situation en main, je vais bien. Pas d'inquiétude.
BRUCE SPRINGSTEEN: Dans mon cas, c'était plus tempéré, ayant un père qui était assez sérieusement malade mentalement. Au lycée, j'ai commencé à devenir assez conscient de cette faiblesse, même si, vu de l'extérieur, c'était un homme corpulent, avec un côté brutal, complètement en phase avec cet archétype.
POTUS BARACK OBAMA: D'accord.
BRUCE SPRINGSTEEN: Mais les choses ont commencé à se gâter au cours de mes dernières années de lycée, et au cours des dernières années où j'ai vécu avec lui, dans notre maison. Il y avait quelque chose dans sa maladie ou dans ce qu'il était, qui l'amenait à nier ses liens familiaux. Ce qui, pour moi, a engendré un énorme problème, quand j'ai été plus vieux, parce que j'étais incapable d'accepter l'idée d'un attachement familial.
Je me souviens encore qu'il se plaignait tout le temps : s'il n'avait pas eu une famille, il aurait pu accepter tel ou tel travail, ou bien prendre la route, mais... C'était une opportunité manquée. Et il restait assis devant son pack de bières, soir après soir après soir après soir, et c'était sa seule réponse, tu vois ? Alors nous nous sentions coupable. Et le modèle de la masculinité que j'ai eu, c'était cette image-là jusqu'à mes 30 ans, quand j'ai commencé à essayer d'y réfléchir. Parce que je ne pouvais établir de relation amoureuse durable. Rien qu'avoir une femme à mes côtés... J'étais embarrassé.
[Le synthétiseur joue]
Je ne pouvais pas. J'étais dans l'impossibilité de construire ma vie avec l'exemple qu'il m'avait légué, et j'essayais, encore et encore.
[Le synthétiseur joue et s'estompe]
[PAUSE]