Bruce Springsteen
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Episode 6 - Lutter contre les fantômes : Les Hommes Américains

Renegades : Born In The U.S.A.



POTUS BARACK OBAMA: Le message que la culture Américaine transmet aux garçons sur ce que signifie qu'être un homme est un sujet constamment abordé par Bruce et moi, dans nos conversations. C'est un message qui, en dépit de tous les changements qui ont eu lieu dans notre société, n'a pas vraiment évolué depuis que nous sommes enfants : l'accent mis sur la force physique et sur les émotions à réprimer, la clé de la réussite définie essentiellement par ce que tu possèdes, et ta capacité à dominer, plutôt qu'à aimer, et à se soucier des autres. La tendance à traiter les femmes comme des objets à posséder plutôt que comme des partenaires et des concitoyennes à part entière.

Plus nous en avons parlé, plus il nous a paru évident que ces idées étroites et déformées sur la masculinité avaient contribué pour beaucoup aux tendances néfastes que nous continuons à observer dans le pays. Que ce soient les inégalité croissantes dans notre économie ou notre refus total à trouver des compromis dans nos prises de positions politiques. Et peut-être que Bruce et moi nous nous sommes rendus compte que nous étions plus sensibles à ces sujets-là, du fait des relations compliquées que nous avons entretenues avec nos pères respectifs - le problème de la figure paternelle défaillante que nous avons passé la plupart de notre vie à tenter de régler.

[Les cordes jouent]

****

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu sais, mon père était le genre de type qui... Un jour, je m'en souviens encore, je lui ai apporté une caméra. Je lui ai dit, « Papa, je veux que tu me racontes l'histoire de ta vie ». La vidéo a duré cinq minutes [rires]

ENSEMBLE: [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: Et, en gros, il n'a rien dit. C'était juste un... Ce que je sais de mon père, je le tiens d'informations indirectes. C'était le côté irlandais de notre famille, très vieux jeu, très provinciale, très religieuse et impliquée dans l’Église catholique. Toutes les générations cohabitaient dans la même maison. On m'a dit qu'il avait grandi dans une ferme tellement éloignée de Freehold, qu'il devait se rendre en poney jusqu'à l'arrêt de bus du ramassage scolaire - et le poney savait rentrer seul à la maison. Il avait arrêté l'école à 16 ans, il avait travaillé dans une usine de tapis comme coursier, puis il était parti à la guerre. Ensuite, il est revenu à la maison, et il n'en a jamais plus bougé. Il n'en a jamais eu le désir. Il a rencontré ma mère par l’intermédiaire de parents. Ils se sont mariés assez vite, et sa seule promesse, c'était qu'il se trouverait un véritable emploi. Il a travaillé à la chaine chez Ford, il a exercé une flopée de boulots en usine, il a été conducteur de camions et gardien à la prison de Freehold pendant un certain temps. Toute sa vie, finalement, il est passé d'un emploi à un autre.

Le peu que j'ai fini par savoir sur mon père, je l'ai appris en l'observant et en écoutant ce que ma mère m'a dit de lui. Ce qui n'était pas grand chose, mais allait à l'encontre de ce que je croyais savoir de l'homme. Je n'ai eu absolument aucune information de la part de ma grand-mère et de mon grand-père, qui étaient aussi taiseux que lui. Il a fallu accepter le fait que je ne connaitrais jamais mon père. C'était un homme impossible à cerner, avec un grand penchant pour le secret. Et je pense qu'il tenait ce trait-là de son père, et la seule chose que je savais sur mon grand-père, c'était qu'il disparaissait parfois pendant quelque temps, puis revenait à la maison.

POTUS BARACK OBAMA: Et personne ne savait où il était ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Non, non, non.

POTUS BARACK OBAMA: Ou ce qu'il faisait ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Mon père a perpétué cette tradition du secret sur sa propre vie. Vraiment, quand j'y pense, mon père disparaissait une journée, une semaine, toujours tout seul, et ma mère était à la maison avec nous, et j'étais incapable de te dire où il allait ou ce qu'il faisait pendant ces absences. C'est un trait dont j'ai hérité, et il a fallu que je travaille dur pour ne pas reproduire ce schéma.

POTUS BARACK OBAMA: Tu vois, ce qui était marquant pour moi, c'était que je n'avais pas mon propre père à la maison. J'ai eu un beau-père pendant un moment.

BRUCE SPRINGSTEEN: Pendant combien de temps ?

POTUS BARACK OBAMA: Et bien, j'ai vécu avec lui pendant quatre ans, de l'âge de 6 ans jusqu'à mes 10 ans. C'était un homme gentil, qui m'a bien traité, qui m'a appris comment boxer et puis...

BRUCE SPRINGSTEEN: Que lui est-il arrivé ?

POTUS BARACK OBAMA: Il était indonésien. Nous avons déménagé en Indonésie. Nous avons habité là-bas pendant quatre ans. A l'âge de 10 ans, ma mère, qui s'inquiétait pour mon éducation, a pris une décision, « Ok, il faut envoyer Barry » - qui était mon surnom à cette époque-là - « J'ai besoin de l'envoyer à Hawaï pour qu'il suive ses études aux États-Unis ». Je suis donc revenu vivre avec mes grands-parents aux États-Unis, et à ce moment-là, le mariage entre ma mère et mon beau-père commençait déjà à battre de l'aile. Ils se sont séparés amicalement. Et, juste après, il a eu une affection du foie et il est mort très jeune.

BRUCE SPRINGSTEEN: Ohhh...

POTUS BARACK OBAMA: Et je me souviens avoir sangloté, tu sais, lorsqu'il est mort.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Même si...

BRUCE SPRINGSTEEN: Et bien, si tu as pleuré lorsqu'il est mort...

POTUS BARACK OBAMA: Oui, il m'a marqué. Ce qui est particulier lorsqu'on ne grandit pas avec son père à la maison, c'est de ne pas avoir quelqu'un avec un métier ou une profession qui pourrait te donner envie de l'imiter.

BRUCE SPRINGSTEEN: Quel âge a ton grand-père à ce moment-là ?

POTUS BARACK OBAMA: Il était relativement jeune. Il avait probablement - ma mère avait 18 ans seulement quand elle m'a eu - donc il avait 45 ans lorsque je suis né, ce qui veut dire qu'à mes 10 ans, lorsque je suis devenu adolescent, il ne devait pas être beaucoup plus âgé que moi aujourd'hui. Bien qu'il paraissait beaucoup plus vieux.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Il avait un mode de vie bien plus vieux, tu comprends ? Mais c'était aussi une question de génération.

BRUCE SPRINGSTEEN: Et tu te retrouves face à un homme blanc de 55 ans.

POTUS BARACK OBAMA: Oui, ce qui ne... Il y a... Je l'aimais profondément et je vois encore en moi certains traits de sa personnalité, mais il n'y avait rien en lui qui me faisait dire, « Oh, c'est ce que je devrais faire ». C'est quelqu'un qui, en fin de compte, n'était pas satisfait de sa vie.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Parce qu'il avait eu de grands rêves qu'il n'avait jamais vraiment exaucés. C'était quelqu'un qui, lorsque j'avais 10 ans, le week-end, dessinait le type de maison qu'il aurait aimé construire.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et il faisait des dessins d'architecte qu'il avait appris à faire en regardant des magazines...

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: ...avec d'infinis détails, mais la maison n'a jamais été construite.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et ma grand-mère, en revanche, elle était pragmatique. Elle avait gravi les échelons en travaillant, d'abord au guichet pour devenir ensuite vice-présidente de la banque locale, et c'est elle finalement qui faisait bouillir la marmite de notre famille, ce qui était pour cette génération, source de ressentiment.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, comme ma mère.

POTUS BARACK OBAMA: Mais c'était tacite. Mais je raconte juste cette histoire pour revenir à ce dont nous parlions plus tôt, il n'y avait pas vraiment de figure paternelle évidente que je pouvais prendre comme modèle. Et le fait d'être à Hawaï, où il n'y avait quasiment aucun homme afro-américain, signifiait que je devais vraiment reconstituer ce puzzle par moi-même.

Donc, en tant qu'adolescent, j'essayais de me dire, « Ok, qu'est-ce que ça signifie qu'être un homme ? ». Ça signifie que tu dois être un athlète, d'accord ? Et le basket-ball est donc devenu mon obsession. Ça signifie que tu dois courir après les filles, avec succès ou pas [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: De mon côté, je n'y arrivais pas à cette période, mais avance, continue [rires]

POTUS BARACK OBAMA: On est d'accord ? Et combien de bières tu pouvais descendre ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Oh mec.

POTUS BARACK OBAMA: Comment... Combien de joints tu pouvais fumer ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Tu pouvais te bagarrer ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: D'accord ? Et la culture te disait que c'était ça la virilité. Et si tu n'avais pas de père au sein de ton foyer, tu choisissais tes modèles dans la culture populaire. Donc, tu regardes les films de James Bond ou tu regardes Shaft ou Superfly (1), comme dans mon cas, et plus particulièrement les athlètes - tout le monde adore Dr. J. (2) Le modèle de force et de calme.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui. Je pense que tu as raison, mais si j'avais pu faire la moindre des choses que tu as énuméré, je ne serais jamais devenu une rock star !

ENSEMBLE: [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: Jamais ! Ceux qui se lançaient dans mon métier étaient incapables de faire quoi que ce soit de tout ça, et c'est bien pour cette raison qu'ils devaient donc suivre une route alternative.

POTUS BARACK OBAMA: [rires] Pour sortir avec des filles.

BRUCE SPRINGSTEEN: Pour sortir avec des filles. Picoler. Dominer. Vraiment, tu sais... j'avais... Ma trajectoire professionnelle a été assez amusante, car c'est quand j'ai été au sommet de ma gloire que mon image a été la plus en décalage avec ce que j'étais réellement, tu comprends ?

[Extrait de concert de Bruce Springsteen & E Street Band jouant Stand On It: « Donc, vous pensez que vous pouvez nous avoir ? »]

POTUS BARACK OBAMA: J'aime à penser que je suis une personne qui a beaucoup travaillé sur ces questions-là, et qu'aujourd'hui, je suis quelqu'un de sensible, connecté à ses émotions, le mâle éclairé, tu vois ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Vu de loin, et comme on se connait un peu, laisse-moi te dire que c'est le cas.

POTUS BARACK OBAMA: C'est ce que j'aimerais penser, et pourtant, de temps à autre, il y a des moments où, lorsque nous sommes à table, ou lorsque nous jouons à des jeux de société, le comportement de mâle-alpha ressurgit. Alors, Michelle me regarde, et me dit, « Tu es vraiment un... »

BRUCE SPRINGSTEEN: « Un enfoiré »

POTUS BARACK OBAMA: Les filles lèvent les yeux au ciel et disent, « Tu sais, tu es vraiment un garçon, toi »

BRUCE SPRINGSTEEN: Moi j'avais une image très mâle-alpha.

[Extrait de concert de Bruce Springsteen & E Street Band jouant Stand On It: « Donc, vous pensez que vous êtes des durs ici en Californie ? » (acclamations)]

BRUCE SPRINGSTEEN: En plein milieu des années 80, période Reagan.

POTUS BARACK OBAMA: Le Boss !

BRUCE SPRINGSTEEN: Juste. Et cette vision des États-Unis comme un pays puissant et dominateur connaissait un nouvel essor.

[Extrait de concert de Bruce Springsteen & E Street Band jouant Stand On It: “Well Jimmy Lee was hookin' 'round the far turn of a funky southern Florida dirt track... He had mud caked on his goggles and a screamin' 350 stacked up on his back...]

BRUCE SPRINGSTEEN: C'est drôle, en y repensant, je me rends compte qu'à ma manière, j'étais moi-même à la poursuite de cet archétype-là. Je veux dire, quoi de plus dominateur que de monter sur la scène d'un stade devant 50,000 spectateurs.

POTUS BARACK OBAMA: Avec roulements de tambours et fumigènes [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: C'est comme un gladiateur, non ? [rires] C'est une expérience de gladiateur, d'une certaine manière.

POTUS BARACK OBAMA: Oui.

BRUCE SPRINGSTEEN: Je ne peux donc pas nier cet aspect qui a joué sur moi et qui m'a apporté de la satisfaction.

[Extrait de concert de Bruce Springsteen & E Street Band jouant Stand On It: “Come on boy…. Stand on it…]


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