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D'où avez-vous puisé les influences musicales de vos premières chansons comparé à votre dernier album ?
Jusqu'à la fin des années 70, quand j'ai commencé à écrire des chansons sur les problèmes de classe sociale, j'étais plutôt influencé par la musique comme celle des Animals avec We Gotta Get Out Of This Place ou avec It's My Life (And I'll Do What I Want) – des disques populaires conscients, en quelque sorte, de l'existence de classes sociales - et je me disais : "C'est ma vie, c'est ma vie !" Ils me parlaient de ma propre expérience de l'exclusion. Je pense que c'est un thème présent dans la plupart de mon travail : la politique d'exclusion. Mes personnages ne sont pas réellement des anti-héros. Peut-être que c'est ce qui les rend démodés, d'une certaine façon. Ils veulent s'intégrer, et ils essayent de comprendre ce qui les en empêche.
Juste avant l'album Darkness On The Edge Of Town, je m'étais vraiment impliqué dans la musique country, et cet intérêt a eu un fort impact sur mon écriture, car je pense que la country est une musique véritablement consciente du problème des classes sociales. Et puis cet intérêt m'a progressivement amené vers Woody Guthrie et la musique folk. Guthrie était l'un des rares auteurs de chansons à cette époque-là qui était conscient des implications politiques de la musique qu'il écrivait - une véritable partie de sa conscience. Il a entrepris, délibérément, de traiter un large éventail de problèmes, d'avoir un effet, d'avoir un impact, d'écrire d'une certaine façon pour avoir un impact sur les choses: jouer son rôle dans la façon dont les choses bougent et dont les choses changent.
J'ai toujours essayé de décrocher la lune. J'avais des idées grandioses sur la façon d'utiliser ma propre musique, pour donner aux gens des sujets de réflexion – réflexion sur le monde, et sur ce qui est vrai et faux. J'ai été affecté de cette façon par des disques, et je voulais que ma propre musique et mon écriture s'élargissent de la même manière.
Jusqu'à la fin des années 70, quand j'ai commencé à écrire des chansons sur les problèmes de classe sociale, j'étais plutôt influencé par la musique comme celle des Animals avec We Gotta Get Out Of This Place ou avec It's My Life (And I'll Do What I Want) – des disques populaires conscients, en quelque sorte, de l'existence de classes sociales - et je me disais : "C'est ma vie, c'est ma vie !" Ils me parlaient de ma propre expérience de l'exclusion. Je pense que c'est un thème présent dans la plupart de mon travail : la politique d'exclusion. Mes personnages ne sont pas réellement des anti-héros. Peut-être que c'est ce qui les rend démodés, d'une certaine façon. Ils veulent s'intégrer, et ils essayent de comprendre ce qui les en empêche.
Juste avant l'album Darkness On The Edge Of Town, je m'étais vraiment impliqué dans la musique country, et cet intérêt a eu un fort impact sur mon écriture, car je pense que la country est une musique véritablement consciente du problème des classes sociales. Et puis cet intérêt m'a progressivement amené vers Woody Guthrie et la musique folk. Guthrie était l'un des rares auteurs de chansons à cette époque-là qui était conscient des implications politiques de la musique qu'il écrivait - une véritable partie de sa conscience. Il a entrepris, délibérément, de traiter un large éventail de problèmes, d'avoir un effet, d'avoir un impact, d'écrire d'une certaine façon pour avoir un impact sur les choses: jouer son rôle dans la façon dont les choses bougent et dont les choses changent.
J'ai toujours essayé de décrocher la lune. J'avais des idées grandioses sur la façon d'utiliser ma propre musique, pour donner aux gens des sujets de réflexion – réflexion sur le monde, et sur ce qui est vrai et faux. J'ai été affecté de cette façon par des disques, et je voulais que ma propre musique et mon écriture s'élargissent de la même manière.
Je note que vous parlez de "l'écriture" et non de "l'écriture de chansons". Est-ce que vous commencez par écrire les paroles et ensuite vous ajouter la musique ?
Quand j'écrivais de la musique rock, de la musique avec le groupe en entier, parfois le début était purement musical, et puis je cherchais une façon d'arriver à des paroles. Je n'ai pas écrit de cette façon depuis un bon moment. Dans la majorité de mon travail récent, les textes ont précédé la musique, bien que la musique reste toujours dans un coin de ma tête. Dans la plupart de mes chansons récentes, je raconte des histoires violentes très calmement. Vous entendez les pensées des personnages - ce qu'ils pensent quand ressortent tous les évènements qui ont contribué à leur situation. J'essaye donc d'avoir cette voix intérieure, comme ce sentiment la nuit quand vous êtes au lit et que vous fixez le plafond, méditatif en quelque sorte. Je voulais que les chansons aient cette sorte d'intimité qui vous emmène à l'intérieur de vous-même, et qui vous ramène ensuite dans le monde.
J'utilise la musique comme un moyen pour définir et colorier les personnages, pour transmettre le rythme de leur mots et leur allure. La musique agit comme une surface calme, et les paroles créent une vie émotionnelle violente soit dessus, ou soit dessous, et je laisse ces éléments se heurter entre eux.
La musique peut sembler accessoire, mais elle devient au final très importante. Elle vous permet de suggérer le passage du temps avec simplement quelques rythmes calmes. Des années peuvent s'écouler en quelques mesures, tandis qu'un écrivain devra proposer une façon intelligente de dire "Et puis les années ont passé..." Grâce à Dieu, je n'ai pas besoin de faire ça ! Écrire des chansons vous permet de tricher énormément. Vous pouvez présenter une vie entière en quelques minutes. Et alors, avec un peu de chance, à la fin, vous révélez quelque chose sur vous-même et sur votre public et sur le personnage de la chanson. L'écriture de nouvelles possède cette petite chose en commun dans le sens où l'histoire est guidée par les personnages. Les personnages se confrontent aux questions auxquelles tout le monde essaye de résoudre pour soi-même, ses problèmes moraux, la façon dont ces problèmes apparaissent dans le monde extérieur.
Quand j'écrivais de la musique rock, de la musique avec le groupe en entier, parfois le début était purement musical, et puis je cherchais une façon d'arriver à des paroles. Je n'ai pas écrit de cette façon depuis un bon moment. Dans la majorité de mon travail récent, les textes ont précédé la musique, bien que la musique reste toujours dans un coin de ma tête. Dans la plupart de mes chansons récentes, je raconte des histoires violentes très calmement. Vous entendez les pensées des personnages - ce qu'ils pensent quand ressortent tous les évènements qui ont contribué à leur situation. J'essaye donc d'avoir cette voix intérieure, comme ce sentiment la nuit quand vous êtes au lit et que vous fixez le plafond, méditatif en quelque sorte. Je voulais que les chansons aient cette sorte d'intimité qui vous emmène à l'intérieur de vous-même, et qui vous ramène ensuite dans le monde.
J'utilise la musique comme un moyen pour définir et colorier les personnages, pour transmettre le rythme de leur mots et leur allure. La musique agit comme une surface calme, et les paroles créent une vie émotionnelle violente soit dessus, ou soit dessous, et je laisse ces éléments se heurter entre eux.
La musique peut sembler accessoire, mais elle devient au final très importante. Elle vous permet de suggérer le passage du temps avec simplement quelques rythmes calmes. Des années peuvent s'écouler en quelques mesures, tandis qu'un écrivain devra proposer une façon intelligente de dire "Et puis les années ont passé..." Grâce à Dieu, je n'ai pas besoin de faire ça ! Écrire des chansons vous permet de tricher énormément. Vous pouvez présenter une vie entière en quelques minutes. Et alors, avec un peu de chance, à la fin, vous révélez quelque chose sur vous-même et sur votre public et sur le personnage de la chanson. L'écriture de nouvelles possède cette petite chose en commun dans le sens où l'histoire est guidée par les personnages. Les personnages se confrontent aux questions auxquelles tout le monde essaye de résoudre pour soi-même, ses problèmes moraux, la façon dont ces problèmes apparaissent dans le monde extérieur.
Alors que vos précédents albums pouvaient tous émerger d'une expérience personnelle - des gens et des lieux où vous aviez grandi, dans le New Jersey et ailleurs - vous semblez aujourd'hui avoir commencé à écrire sur d'autres personnes et d'autres sujets; comme les immigrés mexicains, par exemple, dans des chansons comme Sinaloa Cowboys. Avec cette chanson, je me souviens qu'en concert vous disiez qu'elle venait d'une rencontre que vous aviez faite dans le désert avec deux frères mexicains, lors d'un voyage.
Il n'existe pas d'endroit unique d'où provienne n'importe quelle chanson, évidemment. En vérité, dans mes premières compositions, j'ai beaucoup puisé dans mon expérience personnelle, en grandissant, l'expérience de mon père, l'expérience de mes proches et de ma ville. Mais il est arrivé un moment, au milieu des années 80, où j'ai senti que j'avais plus ou moins tout raconté sur tout ce que je savais à ce sujet-là. Je ne pouvais pas continuer à écrire sur ces mêmes sujets sans devenir mon propre stéréotype, ou en jouant trop autour de ces thèmes. J'ai ainsi plus ou moins passé les dix années suivantes à écrire sur les hommes et les femmes - leurs vies personnelles intimes. J'étais devenu introspectif, mais pas autobiographique. C'est seulement lorsque j'ai eu une vie stable sur ce plan-là que j'ai été amené à écrire vers l'extérieur - sur des questions sociales.
Une chanson telle que Sinaloa Cowboys provient de beaucoup d'endroits. J'avais rencontré un type dans le désert de l'Arizona quand j'étais en voyage avec des amis à moi, et il avait un frère plus jeune qui était mort dans un accident de moto. Il y a quelque chose dans les conversations avec les gens – les personnes que vous n'avez rencontré qu'une fois et que vous ne reverrez plus – qui reste toujours en moi. Et j'ai vécu pendant un moment à Los Angeles, et les reportages concernant la frontière et les problèmes d'immigration y sont sans cesse racontés dans les journaux. J'ai voyagé jusqu'à la frontière plusieurs fois.
Pourquoi avez-vous voulu voyager jusqu'à la frontière ?
Avec mon père, j'ai fait plusieurs voyages au Mexique il y a quelques années. Nous faisions ces longs trajets sur la route où, en gros, nous roulions sans but. La frontière n'était pas une chose à laquelle je pensais consciemment, c'était simplement un de ces endroits qui tout à coup, pour vous, commence à avoir une signification. Je suis toujours à la recherche de moyens pour raconter une histoire particulière, et je ressentais simplement la connexion, je n'arrive pas expliquer de quoi il s'agissait exactement - une connexion à certaines des choses sur lesquelles j'avais écrit par le passé.
Je ne pense pas que vous vous asseyiez pour écrire des choses qui ne soient pas personnel, d'une certaine façon. En fin de compte, tout votre travail est le fruit de votre propre psychologie et de votre expérience. Je n'écris jamais vraiment avec une idéologie particulière en tête. En tant qu'auteur, vous recherchez des moyens pour présenter des questions morales diverses - pour vous-même, parce que vous n'êtes pas sûr de la façon dont vous réagirez, et pour votre public. C'est la raison pour laquelle vous êtes payé – de ce que je peux raconter. Une partie de ce que nous appelons le divertissement devrait être "une nourriture pour l'esprit". C'est ce que je me suis toujours intéressé à faire depuis que je suis tout jeune, comment nous vivons dans le monde et comment nous devrions vivre dans ce monde. Je pense que la politique est implicite. Écrire de la rhétorique ou de l'idéologie ne m'intéresse pas. Je crois que c'est Walt Whitman (12) qui disait "Le travail du poète est de connaître l'âme !" Vous faites de grands efforts pour y arriver, pour aider votre public à trouver et à connaître sa propre âme. C'est toujours au cœur de ce que vous écrivez, de ce qui guide votre musique.
Tout se trouve réellement dans l'essai de votre oncle The Man On the Train (13) sur "l'esprit vagabond" et l'homme moderne - tout ce qui est arrivé depuis la Révolution Industrielle, lorsque les gens ont été déracinés et se mettaient en route vers des villes où ils n'avaient jamais mis les pieds auparavant, quittant leurs familles, abandonnant leurs traditions vieilles de plusieurs siècles. De manière amusante, vous pouvez même retrouver une trace de cette histoire dans Johnny B. Goode de Chuck Berry. Je pense que nous essayons tous de trouver ce qui ressemble à un foyer, ou de créer un foyer quel qu'il soit, alors que nous sommes constamment déracinés par la technologie, par la fermeture d'usines.
Je me souviens quand mes parents ont déménagé en Californie - j'avais environ dix-huit ans. Mes parents avaient décidé qu'ils allaient quitter le New Jersey, mais ils n'avaient vraiment aucune idée de où aller. J'avais une petite amie à l'époque et c'était une sorte de hippie. C'était la seule personne que nous connaissions qui avait déjà été en Californie. Elle avait été à Sausalito, et elle a suggéré qu'ils pourraient y aller. Vous pouvez imaginer - Sausalito à la fin des années 60 ! Ils sont donc allés à Sausalito, cinq mille kilomètres à l'autre bout du pays, et ils n'avaient probablement que trois mille dollars d'économies et cet argent devait leur fournir un endroit où vivre, et ils devaient trouver du travail. Ils sont donc allés à Sausalito et ils se sont rendus compte que ce n'était pas ça. Ma mère disait qu'ils avaient été dans une station-service et qu'elle avait demandé à l'employé, "Où est-ce que les gens comme nous vivent ?" - c'est une question qui ressemble au titre d'une histoire de Raymond Carver (14) ! - et le gars lui a dit, "Oh, vous vivez dans la Péninsule" (15). Et c'est ce qu'ils ont fait. Ils sont allés au sud de San Francisco et depuis, ils vivent là-bas. A l'époque, mon père avait quarante-deux ans - c'est amusant de penser qu'il avait sept ou huit ans de moins que moi aujourd'hui. C'était un grand voyage, qui a nécessité beaucoup d'aplomb, beaucoup de courage, en ayant grandi dans notre petite ville du New Jersey.
Mais cette histoire nous ramène à ces mêmes questions : comment créez-vous une sorte de foyer dans lequel vous voulez vivre, comment créez-vous une sorte de société dans laquelle vous voulez vivre, quel rôle jouez-vous pour y arriver ? Pour moi, toutes ces choses-là sont connectées, mais ces connexions sont difficiles à établir. Le rythme du monde moderne, l'industrialisation, et la post-industrialisation ont rendu toute forme de relation humaine très difficile à maintenir et à soutenir. Pour faire vivre cette situation moderne - comment vivons-nous à présent, nos complexes et nos choix - c'est l'essence même de la musique et du cinéma et de l'art - c'est le service que vous offrez, c'est la fonction que vous fournissez comme artiste. C'est ce qui continue de m'intéresser dans l'écriture.
Ce que nous appelons "art" concerne la politique sociale - et concerne le fait de savoir comment vous et votre femme ou vous et votre petite amie vous vous entendez, à n'importe quel moment donné. Dans ma musique, je me suis intéressé à traiter ces éléments fondamentaux. Et comment j'y arrive ? Je le fais en racontant des histoires, à travers les voix de personnages - des histoires, qui avec optimisme, parlent d'intégration. Les histoires dans The Ghost Of Tom Joad étaient une extension de ces idées-là : des histoires sur des frères, des amants, sur le mouvement, l'exclusion – l'exclusion politique, l'exclusion sociale - et également des histoires sur la responsabilité de ces individus - faisant de mauvais choix ou des choix qu'ils ont fait le dos au mur.
Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont toutes ces choses s'entrecroisent. La façon dont les questions sociales et les questions personnelles débordent les unes sur les autres. Pour moi, c'est la façon dont vivent les gens. Ces questions traversent notre quotidien. Les gens s'y embourbent, ils ne savent pas comment les appréhender, ils se perdent dans ces questions. Mon travail est une carte, quelle qu'en soit sa valeur - à la fois pour mon public et pour moi-même - et c'est la seule chose qui ait de la valeur, additionné, avec un peu de chance, à une vie bien vécue que nous laissons aux gens que nous aimons. J'ai été chanceux d'avoir trouvé par hasard cette opportunité tôt dans ma vie. La seule chose originale, je pense, a été de trouver un langage original qui me permettait d'exprimer ces idées. D'autres personnes galèrent constamment pour trouver ce langage, ou ne le trouvent pas - le langage de l'âme - ou explosent dans la violence ou l'indifférence ou la torpeur, complètement anesthésiés devant la télévision. "Le Langage" - c'est ce que William Carlos Williams (16) n'a cessé de dire, le langage des vivants, pas des morts !
Si je généralise trop, arrêtez-moi. Je ne sais pas si je le fais ou non, mais en quelque sorte c'est mon but, d'établir un facteur commun de base en révélant notre humanité intérieure élémentaire, en racontant de bonnes histoires sur beaucoup de différentes sortes de gens. Les chansons sur le dernier album m'ont relié à mon passé, à ce que j'ai écris sur mon passé, et elles m'ont aussi reliées à ce que je pensais être l'avenir de mon écriture.
Il n'existe pas d'endroit unique d'où provienne n'importe quelle chanson, évidemment. En vérité, dans mes premières compositions, j'ai beaucoup puisé dans mon expérience personnelle, en grandissant, l'expérience de mon père, l'expérience de mes proches et de ma ville. Mais il est arrivé un moment, au milieu des années 80, où j'ai senti que j'avais plus ou moins tout raconté sur tout ce que je savais à ce sujet-là. Je ne pouvais pas continuer à écrire sur ces mêmes sujets sans devenir mon propre stéréotype, ou en jouant trop autour de ces thèmes. J'ai ainsi plus ou moins passé les dix années suivantes à écrire sur les hommes et les femmes - leurs vies personnelles intimes. J'étais devenu introspectif, mais pas autobiographique. C'est seulement lorsque j'ai eu une vie stable sur ce plan-là que j'ai été amené à écrire vers l'extérieur - sur des questions sociales.
Une chanson telle que Sinaloa Cowboys provient de beaucoup d'endroits. J'avais rencontré un type dans le désert de l'Arizona quand j'étais en voyage avec des amis à moi, et il avait un frère plus jeune qui était mort dans un accident de moto. Il y a quelque chose dans les conversations avec les gens – les personnes que vous n'avez rencontré qu'une fois et que vous ne reverrez plus – qui reste toujours en moi. Et j'ai vécu pendant un moment à Los Angeles, et les reportages concernant la frontière et les problèmes d'immigration y sont sans cesse racontés dans les journaux. J'ai voyagé jusqu'à la frontière plusieurs fois.
Pourquoi avez-vous voulu voyager jusqu'à la frontière ?
Avec mon père, j'ai fait plusieurs voyages au Mexique il y a quelques années. Nous faisions ces longs trajets sur la route où, en gros, nous roulions sans but. La frontière n'était pas une chose à laquelle je pensais consciemment, c'était simplement un de ces endroits qui tout à coup, pour vous, commence à avoir une signification. Je suis toujours à la recherche de moyens pour raconter une histoire particulière, et je ressentais simplement la connexion, je n'arrive pas expliquer de quoi il s'agissait exactement - une connexion à certaines des choses sur lesquelles j'avais écrit par le passé.
Je ne pense pas que vous vous asseyiez pour écrire des choses qui ne soient pas personnel, d'une certaine façon. En fin de compte, tout votre travail est le fruit de votre propre psychologie et de votre expérience. Je n'écris jamais vraiment avec une idéologie particulière en tête. En tant qu'auteur, vous recherchez des moyens pour présenter des questions morales diverses - pour vous-même, parce que vous n'êtes pas sûr de la façon dont vous réagirez, et pour votre public. C'est la raison pour laquelle vous êtes payé – de ce que je peux raconter. Une partie de ce que nous appelons le divertissement devrait être "une nourriture pour l'esprit". C'est ce que je me suis toujours intéressé à faire depuis que je suis tout jeune, comment nous vivons dans le monde et comment nous devrions vivre dans ce monde. Je pense que la politique est implicite. Écrire de la rhétorique ou de l'idéologie ne m'intéresse pas. Je crois que c'est Walt Whitman (12) qui disait "Le travail du poète est de connaître l'âme !" Vous faites de grands efforts pour y arriver, pour aider votre public à trouver et à connaître sa propre âme. C'est toujours au cœur de ce que vous écrivez, de ce qui guide votre musique.
Tout se trouve réellement dans l'essai de votre oncle The Man On the Train (13) sur "l'esprit vagabond" et l'homme moderne - tout ce qui est arrivé depuis la Révolution Industrielle, lorsque les gens ont été déracinés et se mettaient en route vers des villes où ils n'avaient jamais mis les pieds auparavant, quittant leurs familles, abandonnant leurs traditions vieilles de plusieurs siècles. De manière amusante, vous pouvez même retrouver une trace de cette histoire dans Johnny B. Goode de Chuck Berry. Je pense que nous essayons tous de trouver ce qui ressemble à un foyer, ou de créer un foyer quel qu'il soit, alors que nous sommes constamment déracinés par la technologie, par la fermeture d'usines.
Je me souviens quand mes parents ont déménagé en Californie - j'avais environ dix-huit ans. Mes parents avaient décidé qu'ils allaient quitter le New Jersey, mais ils n'avaient vraiment aucune idée de où aller. J'avais une petite amie à l'époque et c'était une sorte de hippie. C'était la seule personne que nous connaissions qui avait déjà été en Californie. Elle avait été à Sausalito, et elle a suggéré qu'ils pourraient y aller. Vous pouvez imaginer - Sausalito à la fin des années 60 ! Ils sont donc allés à Sausalito, cinq mille kilomètres à l'autre bout du pays, et ils n'avaient probablement que trois mille dollars d'économies et cet argent devait leur fournir un endroit où vivre, et ils devaient trouver du travail. Ils sont donc allés à Sausalito et ils se sont rendus compte que ce n'était pas ça. Ma mère disait qu'ils avaient été dans une station-service et qu'elle avait demandé à l'employé, "Où est-ce que les gens comme nous vivent ?" - c'est une question qui ressemble au titre d'une histoire de Raymond Carver (14) ! - et le gars lui a dit, "Oh, vous vivez dans la Péninsule" (15). Et c'est ce qu'ils ont fait. Ils sont allés au sud de San Francisco et depuis, ils vivent là-bas. A l'époque, mon père avait quarante-deux ans - c'est amusant de penser qu'il avait sept ou huit ans de moins que moi aujourd'hui. C'était un grand voyage, qui a nécessité beaucoup d'aplomb, beaucoup de courage, en ayant grandi dans notre petite ville du New Jersey.
Mais cette histoire nous ramène à ces mêmes questions : comment créez-vous une sorte de foyer dans lequel vous voulez vivre, comment créez-vous une sorte de société dans laquelle vous voulez vivre, quel rôle jouez-vous pour y arriver ? Pour moi, toutes ces choses-là sont connectées, mais ces connexions sont difficiles à établir. Le rythme du monde moderne, l'industrialisation, et la post-industrialisation ont rendu toute forme de relation humaine très difficile à maintenir et à soutenir. Pour faire vivre cette situation moderne - comment vivons-nous à présent, nos complexes et nos choix - c'est l'essence même de la musique et du cinéma et de l'art - c'est le service que vous offrez, c'est la fonction que vous fournissez comme artiste. C'est ce qui continue de m'intéresser dans l'écriture.
Ce que nous appelons "art" concerne la politique sociale - et concerne le fait de savoir comment vous et votre femme ou vous et votre petite amie vous vous entendez, à n'importe quel moment donné. Dans ma musique, je me suis intéressé à traiter ces éléments fondamentaux. Et comment j'y arrive ? Je le fais en racontant des histoires, à travers les voix de personnages - des histoires, qui avec optimisme, parlent d'intégration. Les histoires dans The Ghost Of Tom Joad étaient une extension de ces idées-là : des histoires sur des frères, des amants, sur le mouvement, l'exclusion – l'exclusion politique, l'exclusion sociale - et également des histoires sur la responsabilité de ces individus - faisant de mauvais choix ou des choix qu'ils ont fait le dos au mur.
Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont toutes ces choses s'entrecroisent. La façon dont les questions sociales et les questions personnelles débordent les unes sur les autres. Pour moi, c'est la façon dont vivent les gens. Ces questions traversent notre quotidien. Les gens s'y embourbent, ils ne savent pas comment les appréhender, ils se perdent dans ces questions. Mon travail est une carte, quelle qu'en soit sa valeur - à la fois pour mon public et pour moi-même - et c'est la seule chose qui ait de la valeur, additionné, avec un peu de chance, à une vie bien vécue que nous laissons aux gens que nous aimons. J'ai été chanceux d'avoir trouvé par hasard cette opportunité tôt dans ma vie. La seule chose originale, je pense, a été de trouver un langage original qui me permettait d'exprimer ces idées. D'autres personnes galèrent constamment pour trouver ce langage, ou ne le trouvent pas - le langage de l'âme - ou explosent dans la violence ou l'indifférence ou la torpeur, complètement anesthésiés devant la télévision. "Le Langage" - c'est ce que William Carlos Williams (16) n'a cessé de dire, le langage des vivants, pas des morts !
Si je généralise trop, arrêtez-moi. Je ne sais pas si je le fais ou non, mais en quelque sorte c'est mon but, d'établir un facteur commun de base en révélant notre humanité intérieure élémentaire, en racontant de bonnes histoires sur beaucoup de différentes sortes de gens. Les chansons sur le dernier album m'ont relié à mon passé, à ce que j'ai écris sur mon passé, et elles m'ont aussi reliées à ce que je pensais être l'avenir de mon écriture.