Will Percy interroge Bruce Springsteen
Interview réalisée en septembre 1997
Interview réalisée en septembre 1997
Au début de l'année 1989, Walker Percy (1) a écrit une lettre "de fan" à Bruce Springsteen, louant le "voyage spirituel" du musicien, avec l'espoir de débuter entre eux deux une correspondance. A cette époque, Springsteen avait hésité à répondre, mais il s'est, plus tard, procuré un exemplaire de The Moviegoer (2) et il a commencé un nouveau voyage dans la littérature du Dr. Percy. Walker Percy est décédé en mai 1990, et les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais les romans et les essais de Percy, parmi d'autres livres et d'autres films, ont eu un impact des plus profonds sur l'écriture de Springsteen.
En 1995, Springsteen a enregistré The Ghost Of Tom Joad, un album aux textes riches, qui a forgé une nouvelle raison d'être à sa musique, le reliant d'une certaine manière à la tradition des artistes-activistes tels que John Steinbeck (3) (Joad est le héros radical de Grapes Of Warth(4)) et à l'icône de la musique folk Woody Guthrie. Dans son style narratif familier, les chansons de Springsteen nous parlent de gens ordinaires luttant contre les aléas de la vie, présentant une série de personnages tels que des familles d'immigrés, des policiers frontaliers, des métallurgistes du Midwest, et les pauvres et les exclus de l'Amérique. On entend la sensibilité populiste de Guthrie à travers ces personnages : c'est une musique qui se bat pour obtenir la conscience publique.
A la suite d'un concert à Atlanta (le 28 janvier 1996, ndt) pour promouvoir l'album, Will Percy, le neveu de Walker, a rencontré Springsteen backstage, et les deux hommes ont discuté pendant des heures. Quand Springsteen a fait part de son regret de n'avoir jamais répondu à la lettre de l'oncle de Will, ce dernier l'a encouragé à écrire à sa tante, la veuve de Walker. Quelques mois plus tard, Springsteen, qui aime à répéter que "il m'est difficile d'écrire à moins de le faire sur une musique", s'est assis pour écrire quatre pages – une lettre qu'il avait mis des années à rédiger.
A l'automne dernier, Will Percy et Springsteen ont eu l'occasion de se rencontrer à nouveau, cette fois dans la ferme de Springsteen au cœur du New Jersey, pas très loin de la petite ville où Springsteen avait grandi et pas très loin des clubs de la Côte du New Jersey où il a pris ses marques pendant les années 1970. Avec un magnétophone en marche, les deux hommes ont exploré l'importance des livres dans la vie de Springsteen, plus récemment sa découverte des essais du Dr Percy avec The Message In The Bottle (5). Comme la lettre longue à venir écrite à Mme Percy, c'est une conversation que, peut-être, Bruce Springsteen aurait pu avoir avec Walker Percy.
En 1995, Springsteen a enregistré The Ghost Of Tom Joad, un album aux textes riches, qui a forgé une nouvelle raison d'être à sa musique, le reliant d'une certaine manière à la tradition des artistes-activistes tels que John Steinbeck (3) (Joad est le héros radical de Grapes Of Warth(4)) et à l'icône de la musique folk Woody Guthrie. Dans son style narratif familier, les chansons de Springsteen nous parlent de gens ordinaires luttant contre les aléas de la vie, présentant une série de personnages tels que des familles d'immigrés, des policiers frontaliers, des métallurgistes du Midwest, et les pauvres et les exclus de l'Amérique. On entend la sensibilité populiste de Guthrie à travers ces personnages : c'est une musique qui se bat pour obtenir la conscience publique.
A la suite d'un concert à Atlanta (le 28 janvier 1996, ndt) pour promouvoir l'album, Will Percy, le neveu de Walker, a rencontré Springsteen backstage, et les deux hommes ont discuté pendant des heures. Quand Springsteen a fait part de son regret de n'avoir jamais répondu à la lettre de l'oncle de Will, ce dernier l'a encouragé à écrire à sa tante, la veuve de Walker. Quelques mois plus tard, Springsteen, qui aime à répéter que "il m'est difficile d'écrire à moins de le faire sur une musique", s'est assis pour écrire quatre pages – une lettre qu'il avait mis des années à rédiger.
A l'automne dernier, Will Percy et Springsteen ont eu l'occasion de se rencontrer à nouveau, cette fois dans la ferme de Springsteen au cœur du New Jersey, pas très loin de la petite ville où Springsteen avait grandi et pas très loin des clubs de la Côte du New Jersey où il a pris ses marques pendant les années 1970. Avec un magnétophone en marche, les deux hommes ont exploré l'importance des livres dans la vie de Springsteen, plus récemment sa découverte des essais du Dr Percy avec The Message In The Bottle (5). Comme la lettre longue à venir écrite à Mme Percy, c'est une conversation que, peut-être, Bruce Springsteen aurait pu avoir avec Walker Percy.
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Quand les livres ont-ils commencé à influencer votre écriture et votre musique ? Je me souviens que dès 1978, quand je vous ai vu en concert, vous avez mentionné Born On The 4th Of July (6) de Ron Kovic, et vous lui avez dédié une chanson.
J'ai trouvé ce livre dans un drugstore en Arizona alors que je traversais en voiture le pays avec un de mes amis. Nous nous sommes arrêtés quelque part à la sortie de Phoenix, et il y avait un exemplaire en livre de poche sur le présentoir. J'ai donc acheté le livre et je l'ai lu entre Phoenix et Los Angeles, où j'ai séjourné dans ce petit motel. Tous les jours, il y avait un type en fauteuil roulant près de la piscine, deux ou trois jours de suite, et je pensais qu'il m'avait reconnu. Il est finalement venu vers moi, et m'a dit: "Salut, je m'appelle Ron Kovic" - c'était vraiment très bizarre - et je lui ai dit "Oh, Ron Kovic, c'est fou, c'est bien". Je pensais que je l'avais déjà rencontré quelque part. Et il me dit "Non, j'ai écrit un livre qui s'appelle Born On The 4th Of July". Et j'ai dit "Vous n'allez pas me croire. Je viens d'acheter votre livre dans un drugstore en Arizona et de le lire. C'est incroyable". Un livre vraiment, vraiment puissant. Et nous avons un peu discuté, et il m'a intéressé à l'idée de faire quelque chose pour la cause des anciens combattants. Il m'a emmené voir un centre d'anciens combattants à Venice, et j'ai rencontré quelques gars comme cette personne, Bobby Muller, un des créateurs de l'association VVA, Vietnam Veterans of America.
Je traverse des périodes pendant lesquelles je lis, et j'apprends beaucoup de mes lectures, et c'est cette lecture qui influence mon travail depuis la fin des années 70. Les films et les romans et les livres, bien plus que la musique, c'est ce qui me guide depuis cette époque-là. Votre oncle a écrit un jour que "les romans américains parlent de tout", et dans ma musique, écrire sur "tout" est ce qui m'a, en quelque sorte, intéressé : comment ressent-on le fait d'être vivant aujourd'hui, un citoyen de ce pays précisément à cet endroit et à ce moment donnés, et quelle en était la signification, et quelles étaient les possibilités si vous étiez né et aviez vécu aujourd'hui, ce que vous pouviez faire, ce que vous étiez capable de faire. Ces idées-là étaient celles qui m'intéressaient.
J'ai commencé les lectures vraiment importantes un peu avant la trentaine, avec des auteurs comme Flannery O'Connor (7). Il y avait quelque chose dans ses histoires qui, je pensais, arrivaient à capturer un certain rôle du personnage américain, un personnage sur lequel je voulais écrire. Ces écrits ont été une grande, grande révélation. Elle est arrivée jusqu'au cœur d'une certaine forme de méchanceté qu'elle n'a jamais exprimée explicitement, car si elle l'avait fait, vous n'auriez pas compris le message. C'était toujours situé au cœur de chacun dans ses histoires - la façon dont elle avait laissé ce vide, ce vide qui existe à l'intérieur de chacun. Il y avait quelque chose de sombre - un élément de la spiritualité - que je ressentais dans ses histoires, et qui m'a incité à explorer mes propres personnages. Elle connaissait le pêché originel - savait comment lui donner vie dans une histoire. Elle avait du talent et elle avait des idées, et l'un servait l'autre.
Je crois que je sortais d'une période où, dans mon écriture, j'écrivais d'une façon grande, parfois des choses lyriques, et de temps en temps, des choses rhétoriques. Il m'intéressait de trouver une autre façon d'écrire sur ces sujets-là, sur les gens, une autre façon d'aborder ce qui se passait autour de moi et dans mon pays – d'une manière plus petite, plus personnelle, une manière plus contenue de faire passer mes idées. Ainsi, juste avant le disque Nebraska, j'ai dévoré le travail de O'Connor. Et puis, plus tard, ces lectures m'ont mené aux livres de votre oncle, et vers les romans de Bobbie Ann Mason (8) - j'aime son travail.
J'ai aussi beaucoup appris de la photographie de Robert Frank dans The Americans (9). J'avais vingt-quatre ans quand j'ai vu ce livre pour la première fois - je crois qu'un ami m'en avait donné un exemplaire - et le ton des images, la façon dont il nous donnait un regard sur différentes sortes de gens, m'a marqué. J'ai toujours souhaité écrire des chansons de la manière dont il prenait des clichés. Je crois que je possède une demi-douzaine d'exemplaires de ce livre éparpillés dans la maison, et j'en feuillète un de temps en temps pour avoir un regard neuf sur ses photographies.
Je trouve intéressant que vous soyez beaucoup influencé par les films – vous avez dit que vous étiez plus influencé par les films et par les livres que par la musique. Dans les notes du livret de The Ghost Of Tom Joad vous citez à la fois le film de John Ford (10) et le livre The Grapes Of Warth de Steinbeck.
Je me suis intéressé au film avant de vraiment m'intéresser au livre. J'avais lu le livre au lycée, en même temps que Of Mice And Men (11) et quelques autres, et puis j'ai lu une nouvelle fois le livre après avoir vu le film. Mais je n'ai pas grandi dans une communauté d'idées - un endroit où vous pouvez vous assoir pour parler des livres, et parler de la façon dont vous les lisez, et de la façon dont ils vous affectent. Pendant un an, je suis allé à une université à quelques kilomètres d'ici, mais je n'ai pas retiré grand-chose de cet endroit particulier. Je pense être plus un produit de la culture populaire : les films et les disques, les films et les disques, les films et les disques, au début surtout. Et puis plus tard, plutôt des romans et des lectures.
J'ai trouvé ce livre dans un drugstore en Arizona alors que je traversais en voiture le pays avec un de mes amis. Nous nous sommes arrêtés quelque part à la sortie de Phoenix, et il y avait un exemplaire en livre de poche sur le présentoir. J'ai donc acheté le livre et je l'ai lu entre Phoenix et Los Angeles, où j'ai séjourné dans ce petit motel. Tous les jours, il y avait un type en fauteuil roulant près de la piscine, deux ou trois jours de suite, et je pensais qu'il m'avait reconnu. Il est finalement venu vers moi, et m'a dit: "Salut, je m'appelle Ron Kovic" - c'était vraiment très bizarre - et je lui ai dit "Oh, Ron Kovic, c'est fou, c'est bien". Je pensais que je l'avais déjà rencontré quelque part. Et il me dit "Non, j'ai écrit un livre qui s'appelle Born On The 4th Of July". Et j'ai dit "Vous n'allez pas me croire. Je viens d'acheter votre livre dans un drugstore en Arizona et de le lire. C'est incroyable". Un livre vraiment, vraiment puissant. Et nous avons un peu discuté, et il m'a intéressé à l'idée de faire quelque chose pour la cause des anciens combattants. Il m'a emmené voir un centre d'anciens combattants à Venice, et j'ai rencontré quelques gars comme cette personne, Bobby Muller, un des créateurs de l'association VVA, Vietnam Veterans of America.
Je traverse des périodes pendant lesquelles je lis, et j'apprends beaucoup de mes lectures, et c'est cette lecture qui influence mon travail depuis la fin des années 70. Les films et les romans et les livres, bien plus que la musique, c'est ce qui me guide depuis cette époque-là. Votre oncle a écrit un jour que "les romans américains parlent de tout", et dans ma musique, écrire sur "tout" est ce qui m'a, en quelque sorte, intéressé : comment ressent-on le fait d'être vivant aujourd'hui, un citoyen de ce pays précisément à cet endroit et à ce moment donnés, et quelle en était la signification, et quelles étaient les possibilités si vous étiez né et aviez vécu aujourd'hui, ce que vous pouviez faire, ce que vous étiez capable de faire. Ces idées-là étaient celles qui m'intéressaient.
J'ai commencé les lectures vraiment importantes un peu avant la trentaine, avec des auteurs comme Flannery O'Connor (7). Il y avait quelque chose dans ses histoires qui, je pensais, arrivaient à capturer un certain rôle du personnage américain, un personnage sur lequel je voulais écrire. Ces écrits ont été une grande, grande révélation. Elle est arrivée jusqu'au cœur d'une certaine forme de méchanceté qu'elle n'a jamais exprimée explicitement, car si elle l'avait fait, vous n'auriez pas compris le message. C'était toujours situé au cœur de chacun dans ses histoires - la façon dont elle avait laissé ce vide, ce vide qui existe à l'intérieur de chacun. Il y avait quelque chose de sombre - un élément de la spiritualité - que je ressentais dans ses histoires, et qui m'a incité à explorer mes propres personnages. Elle connaissait le pêché originel - savait comment lui donner vie dans une histoire. Elle avait du talent et elle avait des idées, et l'un servait l'autre.
Je crois que je sortais d'une période où, dans mon écriture, j'écrivais d'une façon grande, parfois des choses lyriques, et de temps en temps, des choses rhétoriques. Il m'intéressait de trouver une autre façon d'écrire sur ces sujets-là, sur les gens, une autre façon d'aborder ce qui se passait autour de moi et dans mon pays – d'une manière plus petite, plus personnelle, une manière plus contenue de faire passer mes idées. Ainsi, juste avant le disque Nebraska, j'ai dévoré le travail de O'Connor. Et puis, plus tard, ces lectures m'ont mené aux livres de votre oncle, et vers les romans de Bobbie Ann Mason (8) - j'aime son travail.
J'ai aussi beaucoup appris de la photographie de Robert Frank dans The Americans (9). J'avais vingt-quatre ans quand j'ai vu ce livre pour la première fois - je crois qu'un ami m'en avait donné un exemplaire - et le ton des images, la façon dont il nous donnait un regard sur différentes sortes de gens, m'a marqué. J'ai toujours souhaité écrire des chansons de la manière dont il prenait des clichés. Je crois que je possède une demi-douzaine d'exemplaires de ce livre éparpillés dans la maison, et j'en feuillète un de temps en temps pour avoir un regard neuf sur ses photographies.
Je trouve intéressant que vous soyez beaucoup influencé par les films – vous avez dit que vous étiez plus influencé par les films et par les livres que par la musique. Dans les notes du livret de The Ghost Of Tom Joad vous citez à la fois le film de John Ford (10) et le livre The Grapes Of Warth de Steinbeck.
Je me suis intéressé au film avant de vraiment m'intéresser au livre. J'avais lu le livre au lycée, en même temps que Of Mice And Men (11) et quelques autres, et puis j'ai lu une nouvelle fois le livre après avoir vu le film. Mais je n'ai pas grandi dans une communauté d'idées - un endroit où vous pouvez vous assoir pour parler des livres, et parler de la façon dont vous les lisez, et de la façon dont ils vous affectent. Pendant un an, je suis allé à une université à quelques kilomètres d'ici, mais je n'ai pas retiré grand-chose de cet endroit particulier. Je pense être plus un produit de la culture populaire : les films et les disques, les films et les disques, les films et les disques, au début surtout. Et puis plus tard, plutôt des romans et des lectures.