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"J'étais en train de prendre mon petit-déjeuner, et puis je me suis mis devant la télévision. Quelques instants plus tard" dit Springsteen, "je suis allé en voiture jusqu'au pont voisin. Le Trade Center s'y dresse au beau milieu quand vous regardez dans la direction de New York". Ayant été épargné par les tragédies personnelles, Springsteen raconte d'un air penaud son histoire du où-étiez-vous-à-ce-moment-là. Sa plus grosse épreuve était d'expliquer ce jour à ses enfants. "Je crois que cet évènement a pris place dans leur vie de la même façon que l'arme nucléaire a pris place dans la mienne, quand j'étais gosse. C'est une chose vraiment sombre, effrayante, et ils ne sont pas certains de savoir à quel endroit ce genre de chose peut les affecter. Peut-elle les toucher à l'école ? Peut-elle les toucher à la maison ? Quelles sont ses limites ? Y-a-t-il des limites ? C'est mystérieux, vous comprenez".
Monmouth, le comté où habite Springsteen, a perdu 158 personnes dans les tours, plus que n'importe quel autre comté du New Jersey. Après le 11 septembre, Springsteen a découvert que l'endroit où il pourrait être le plus utile était dans son propre jardin. "C'était un de ces instants" dit-il, "où les années que j'ai investies et les relations que j'ai tissé et que j'ai developpé avec mon public - c'était une de ces périodes où les gens veulent vous voir".
Springsteen a fait l'ouverture du téléthon America: A Tribute To Heroes avec My City Of Ruins, une chanson inédite datant de quelques années en arrière et qui parle d'Asbury Park, NJ, et qui se trouve également étrangement compatible avec le 11-septembre. Il a également joué localement pour des concerts de charité afin de lever des fonds, mais la plupart du temps il a pleuré avec le reste de la nation. En lisant les nécrologies du New York Times ("Je les ai trouvées vraiment, vraiment pleines de sens - incroyablement puissantes" dit-il), il ne pouvait s'empêcher de remarquer combien de fois Thunder Road ou Born In The U.S.A. étaient jouées lors d'un service funéraire ou combien de victimes possédaient, bien rangée dans leur chambre, une pile de talons de billets de concert de Springsteen. En l'espace de quelques jours après l'effondrement des tours, Springsteen écrivait des chansons.
"J'ai une pièce à côté de ma chambre dans laquelle je vais" dit-il. "Toutes mes choses y sont entreposées - livres, CD, guitares, bottes, ceintures, tout ce que j'ai amassé au fil des années. C'est presque une fête foraine". Généralement, quand il écrit, Springsteen s'assoit à la même table qu'il utilise depuis 20 ans, en insérant de petits détails narratifs, et essaye de créer des chansons qui emporteront l'auditeur. "La différence" dit-il, "a été que sur cet album, vous écrivez sur un sujet que tout le monde a vu et connaît, et évidemment certaines personnes l'ont vécu encore plus intimement".
Afin d'étoffer les intimités du 11-septembre, Springsteen a dû faire quelques recherches. Joe, le mari de Stacey Farrelly, était pompier dans la caserne de Manhattan Engine Co. 4 et, comme sa nécrologie l'a mentionné, il était fan de Springsteen depuis toujours. Sa femme se souvient: "Au début du mois d'octobre, j'étais seule chez moi et, uh, je prenais beaucoup de médicaments, j'ai décroché le téléphone, et une voix a dit, 'Pourrais-je parler à Stacey ? C'est Bruce Springsteen' ". Ils ont parlé pendant 40 minutes. "Après avoir raccroché, le monde m'a simplement semblé plus petit. J'ai assisté à la messe en souvenir de Joe et vécu les évènements des six semaines suivantes grâce à ce coup de téléphone".
Jim, le mari de Suzanne Berger, a été immortalisé dans le New York Times sous le titre de 'Admirateur du Boss'. Elle aussi a reçu un coup de téléphone. "Il m'a dit, 'Je veux respecter votre vie privée, mais je veux juste que vous sachiez que j'ai été très touché, et je veux en savoir plus sur votre mari' " se souvient-elle. "Il voulait entendre l'histoire de Jim, alors je lui ai raconté".
Springsteen se fige quand le sujet des appels téléphoniques arrive sur la table. Il ne veut aucune publicité pour une simple gentillesse et il ne veut pas être perçu comme quelqu'un exploitant la souffrance bien connue des gens. Mais pour Springsteen, cette expérience d'avoir entendu Berger parler de la façon dont son mari a violemment poussé une douzaine de personnes hors de la tour sud, avant qu'elle ne s'écroule autour de lui ou d'avoir écouté Farelly évoquer certains des volumineux petits mots d'amour quotidiens de son mari, a été un moment évidemment crucial dans la création de The Rising.
Monmouth, le comté où habite Springsteen, a perdu 158 personnes dans les tours, plus que n'importe quel autre comté du New Jersey. Après le 11 septembre, Springsteen a découvert que l'endroit où il pourrait être le plus utile était dans son propre jardin. "C'était un de ces instants" dit-il, "où les années que j'ai investies et les relations que j'ai tissé et que j'ai developpé avec mon public - c'était une de ces périodes où les gens veulent vous voir".
Springsteen a fait l'ouverture du téléthon America: A Tribute To Heroes avec My City Of Ruins, une chanson inédite datant de quelques années en arrière et qui parle d'Asbury Park, NJ, et qui se trouve également étrangement compatible avec le 11-septembre. Il a également joué localement pour des concerts de charité afin de lever des fonds, mais la plupart du temps il a pleuré avec le reste de la nation. En lisant les nécrologies du New York Times ("Je les ai trouvées vraiment, vraiment pleines de sens - incroyablement puissantes" dit-il), il ne pouvait s'empêcher de remarquer combien de fois Thunder Road ou Born In The U.S.A. étaient jouées lors d'un service funéraire ou combien de victimes possédaient, bien rangée dans leur chambre, une pile de talons de billets de concert de Springsteen. En l'espace de quelques jours après l'effondrement des tours, Springsteen écrivait des chansons.
"J'ai une pièce à côté de ma chambre dans laquelle je vais" dit-il. "Toutes mes choses y sont entreposées - livres, CD, guitares, bottes, ceintures, tout ce que j'ai amassé au fil des années. C'est presque une fête foraine". Généralement, quand il écrit, Springsteen s'assoit à la même table qu'il utilise depuis 20 ans, en insérant de petits détails narratifs, et essaye de créer des chansons qui emporteront l'auditeur. "La différence" dit-il, "a été que sur cet album, vous écrivez sur un sujet que tout le monde a vu et connaît, et évidemment certaines personnes l'ont vécu encore plus intimement".
Afin d'étoffer les intimités du 11-septembre, Springsteen a dû faire quelques recherches. Joe, le mari de Stacey Farrelly, était pompier dans la caserne de Manhattan Engine Co. 4 et, comme sa nécrologie l'a mentionné, il était fan de Springsteen depuis toujours. Sa femme se souvient: "Au début du mois d'octobre, j'étais seule chez moi et, uh, je prenais beaucoup de médicaments, j'ai décroché le téléphone, et une voix a dit, 'Pourrais-je parler à Stacey ? C'est Bruce Springsteen' ". Ils ont parlé pendant 40 minutes. "Après avoir raccroché, le monde m'a simplement semblé plus petit. J'ai assisté à la messe en souvenir de Joe et vécu les évènements des six semaines suivantes grâce à ce coup de téléphone".
Jim, le mari de Suzanne Berger, a été immortalisé dans le New York Times sous le titre de 'Admirateur du Boss'. Elle aussi a reçu un coup de téléphone. "Il m'a dit, 'Je veux respecter votre vie privée, mais je veux juste que vous sachiez que j'ai été très touché, et je veux en savoir plus sur votre mari' " se souvient-elle. "Il voulait entendre l'histoire de Jim, alors je lui ai raconté".
Springsteen se fige quand le sujet des appels téléphoniques arrive sur la table. Il ne veut aucune publicité pour une simple gentillesse et il ne veut pas être perçu comme quelqu'un exploitant la souffrance bien connue des gens. Mais pour Springsteen, cette expérience d'avoir entendu Berger parler de la façon dont son mari a violemment poussé une douzaine de personnes hors de la tour sud, avant qu'elle ne s'écroule autour de lui ou d'avoir écouté Farelly évoquer certains des volumineux petits mots d'amour quotidiens de son mari, a été un moment évidemment crucial dans la création de The Rising.
La réussite des recherches de Springsteen peut se mesurer par le biais de sa musique. The Rising s'ouvre avec Lonesome Day, une des seules chansons de l'album racontée par la propre voix de Springsteen. "La maison est en feu, la vipère est dans l'herbe" chante-t-il. "Une petite revanche et cela aussi passera". Comme la plupart des chansons sur The Rising, Lonesome Day arrive à vous émouvoir en dépit de son sujet. Les chansons sur les soldats du feu, Into The Fire et le premier single, The Rising, transportent l'auditeur dans l'espace physique des tours qui s'écroulent, mais derrière le courage des pompiers, elles ne trahissent jamais les émotions. Les chansons sont galvanisantes et rédemptrices - et quelque peu superficielles. Mais les autres chansons de l'album possèdent quasiment toutes leur instant d'illumination quand Springsteen touche au cœur secret de son sujet. Sur Empty Sky, son protagoniste regarde l'endroit où les tours se dressaient et déclare, fou de rage, "Je veux un baiser de tes lèvres / Je veux que ce soit œil pour œil".
La perte est omniprésente sur The Rising, mais la meilleure chanson de l'album, You're Missing, pénètre l'horreur singulière de se retrouver avec un être aimé réduit en cendres. Thématiquement, la chanson est un catalogue d'absence: la tasse à café sur le comptoir, un journal sur le seuil de la porte. Mais la chanson touche au sublime car Springsteen n'identifie pas seulement les détails dramatiques mais sait également ce qu'ils signifient. "La perte concerne le manque que vous ressentez" dit-il. "La présence physique d'une personne vous manque - la peau, les cheveux, l'odeur, les sentiments qu'elle suscite en vous. Le corps vous manque. Quand mon père est mort, mes enfants voulaient le toucher, toucher sa dépouille. Et les gosses ont tiré quelque chose de cette expérience. Les gens qui sont dans cette situation, vous savez, ils ne vivront pas cette expérience". C'est la raison pour laquelle You're Missing est une chanson qui ne se termine pas sur une note d'espoir: "Dieu dérive au paradis / Le diable est dans la boite aux lettres / J'ai de la poussière sur mes chaussures / Rien d'autre que des larmes".
La face généreuse et humaniste de Springsteen s'exprime dans les deux dernières chansons qu'il a écrites pour The Rising. Worlds Apart est une nouvelle approche de l'histoire classique des amoureux séparés par un clivage culturel, les amoureux étant, dans ce cas présent, un Américain et une musulmane du Moyen-Orient. Springsteen chante, "Nous laisserons le sang bâtir un pont au-dessus des montagnes drapées d'étoiles / Je te rejoindrai au sommet entre ces mondes opposés". Paradise commence par le point de vue d'un kamikaze ("Sur la place du marché bondé, je dérive de visage en visage") avant d'établir une transition avec l'esprit d'une femme qui a perdu son mari dans le Pentagone ("Je caresse ta joue du bout de mes doigts / Je goûte au vide sur tes lèvres"). Le premier couplet a été inspiré par les journaux, le second par une conversation téléphonique que Springsteen a eue avec une veuve de Washington. La chanson s'achève par la prise de conscience que l'au-delà ne peut être un réconfort pour les vivants.
La perte est omniprésente sur The Rising, mais la meilleure chanson de l'album, You're Missing, pénètre l'horreur singulière de se retrouver avec un être aimé réduit en cendres. Thématiquement, la chanson est un catalogue d'absence: la tasse à café sur le comptoir, un journal sur le seuil de la porte. Mais la chanson touche au sublime car Springsteen n'identifie pas seulement les détails dramatiques mais sait également ce qu'ils signifient. "La perte concerne le manque que vous ressentez" dit-il. "La présence physique d'une personne vous manque - la peau, les cheveux, l'odeur, les sentiments qu'elle suscite en vous. Le corps vous manque. Quand mon père est mort, mes enfants voulaient le toucher, toucher sa dépouille. Et les gosses ont tiré quelque chose de cette expérience. Les gens qui sont dans cette situation, vous savez, ils ne vivront pas cette expérience". C'est la raison pour laquelle You're Missing est une chanson qui ne se termine pas sur une note d'espoir: "Dieu dérive au paradis / Le diable est dans la boite aux lettres / J'ai de la poussière sur mes chaussures / Rien d'autre que des larmes".
La face généreuse et humaniste de Springsteen s'exprime dans les deux dernières chansons qu'il a écrites pour The Rising. Worlds Apart est une nouvelle approche de l'histoire classique des amoureux séparés par un clivage culturel, les amoureux étant, dans ce cas présent, un Américain et une musulmane du Moyen-Orient. Springsteen chante, "Nous laisserons le sang bâtir un pont au-dessus des montagnes drapées d'étoiles / Je te rejoindrai au sommet entre ces mondes opposés". Paradise commence par le point de vue d'un kamikaze ("Sur la place du marché bondé, je dérive de visage en visage") avant d'établir une transition avec l'esprit d'une femme qui a perdu son mari dans le Pentagone ("Je caresse ta joue du bout de mes doigts / Je goûte au vide sur tes lèvres"). Le premier couplet a été inspiré par les journaux, le second par une conversation téléphonique que Springsteen a eue avec une veuve de Washington. La chanson s'achève par la prise de conscience que l'au-delà ne peut être un réconfort pour les vivants.