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The Observer, 17 juillet 2005

Vu par les yeux d'un fan



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Continental Airlines Arena, East Rutherford (NJ) - 19 mai 2005
Continental Airlines Arena, East Rutherford (NJ) - 19 mai 2005
Quelle musique avez-vous écouté ces dernières années ?

J'écoute toutes sortes de musique, vous savez ? Faites votre choix (il attrape un sac et en sort une pile de CD faits maison). J'ai fait tous ces disques pour mon entrée sur scène. La plupart sont légèrement orientés acoustique, mais j'écoute tout. J'écoute toute la pop britannique, les Stone Roses et Oasis, et je passe à Suede et Pulp. Je suis généralement intéressé par presque tout.

Pour les besoins de l'enregistrement, je regarde ses CD - Dylan et Sleater Kinney et les Beach Boys et Jimmy Cliff et Sam Cooke et Bobby Bland et Joe Strummer; pratiquement toute l'histoire de la musique.

J'ai laissé beaucoup de mes choses plus rock à la maison, parce que cette musique est celle avec laquelle j'entre sur scène. Mais j'écoute aussi de vieux trucs, du Louis Armstrong récemment. Et puis, je vais écouter, je ne sais pas, Four Tet ou autre. J'achète beaucoup de disques par curiosité. J'achète si j'aime la pochette de l'album, j'achète si j'aime le nom du groupe, n'importe quoi stimulant mon imagination. J'aime toujours aller dans les magasins de disques, j'aime simplement y faire un tour et j'achète tout ce qui attire mon attention... Peut-être que j'aurais lu une bonne critique de quelque chose ou même une critique intéressante. Mais ensuite, je traverse de longues périodes où je n'écoute rien, en principe quand je travaille. Entre les disques et entre le travail d'écriture, je dévore des livres et de la musique et des films et tout ce que je peux trouver.

Et qui fait partie de votre travail d'écriture ?

Je ne pense pas que ce soit nécessaire d'en faire partie. J'ai tendance à souscrire à l'idée que vous avez besoin de tout ce dont vous avez besoin dès l'âge de 12 ans, pour écrire des choses intéressantes pour pratiquement le restant de vos jours - certainement 18 ans. Mais je trouve que cela peut m'aider pour la forme, dans le sens où quelque chose peut simplement m'inspirer, me donner une idée pour trouver la forme sous laquelle je vais créer quelque chose, ou peut-être le décor. Il y a 10 ou 12 ans, l'écriture sur la nature a frappé mon imagination et elle se retrouve depuis à petites doses dans mon travail, ici et là... Ce sont toutes sortes de choses. J'ai entendu cette version live de Too Much Monkey Business par Chuck Berry et elle ressemblait tellement à de la musique punk. Donc, quand vous allez pour enregistrer avec votre groupe, vous avez tous ces sons, vous en avez créé une réserve. J'aime rester aussi éveillé et attentif que possible. Et j'y prends aussi du plaisir, j'y suis grandement intéressé, j'aime le fait de ne pas être coupé de ce qui se passe culturellement.

En êtes-vous arrivé au stade où vos enfants vous font découvrir des trucs ?


Oui, mon fils aime les groupes avec beaucoup de guitares. Il m'a donné quelque chose l'autre jour qui était très bien. Il me grave les CD de tout ce qu'il a et c'est une bonne référence, si je veux vérifier certaines choses... Les deux autres ne sont pas encore là-dedans. Ma fille a 12, 13 ans et elle aime les choses du Top 40. Donc, je finis au concert de Noël de Z100 (station de radio new-yorkaise, ndt), parmi le public, avec ma fille et ses copines, qui regardent toutes les groupes du Top 40... Je suis de partout.

Comment est venu ce truc de Suicide (4) ?

J'ai rencontré Alan (Vega) à la fin des années 70. J'étais fan, tout simplement. Je les aimais bien, ils étaient uniques. Ils étaient très rêveurs, et ils étaient aussi incroyablement plein de poésie et allaient là où d'autres n'allaient pas. Je les aimais beaucoup. J'ai entendu cette chanson récemment. Je suis tombé sur une compilation où elle y figurait et elle est très différente, placée en fin de concert. C'est juste quelques phrases répétées, comme un mantra.

C'est particulièrement frappant dans un concert qui est construit exclusivement sur le récit.

Vrai, mais c'est l'idée fondamentale derrière toutes ces chansons de toute façon (5). C'est simplement un moment différent à la fin de la soirée, où vous allez dans certains de ces mêmes endroits avec virtuellement très peu de mots. J'aime le fait que conter des histoires fasse partie d'une tradition, d'une tradition folk. Mais celle-là vient envelopper la soirée. Il est intéressant de regarder les visages des gens. Ils ont l'air très différents quand elle arrive. Ils ont l'air un peu surpris, et elle fait partie de la manière dont j'ai construit le concert - des morceaux inattendus pour conclure et surprendre le public et pour leur faire prendre conscience que ce ne sera pas une soirée classique. Ce sera une soirée faite de toutes sortes de choses et l'aspect rituel du concert disparaît. Tant que ce n'est pas quelque chose que j'ai déjà fait...

Comment pensez-vous à votre relation avec vos propres compositions ? Parce que quand vous étiez là avec votre groupe il y a deux ans, vous jouiez des trucs de vos trois premiers albums et vous en faisiez certains également en solo. Et cependant, hier soir, je crois qu'il n'y avait qu'une chanson des quatre premiers albums...


C'est vrai ? Certains soirs j'en joue plus. Je crois que j'ai joué For You pendant un moment... Tout dépend. La seule règle générale était d'éviter les choses que j'ai jouées avec le groupe durant les deux dernières tournées. J'étais intéressé par l'idée de reprendre sous une autre forme le matériel de The Rising pour des concerts, pour que les gens entendent ces chansons sous leur forme de base. Et les nouvelles chansons, et (The Ghost of) Tom Joad et Nebraska font leur apparition et je crois que Tunnel Of Love est présent. Je joue Racing In The Street... Je n'ai pas beaucoup joué de chansons de Born To Run. Le concert est fondé sur tout ce qui n'intègre pas une réponse toute faite.

Est-ce que vous avez le sentiment maintenant que les trois, quatre premiers disques sont de la musique pour jeunes ?

Je dirais que oui, vous savez, parce que beaucoup de jeunes, en fait, me parlent de ces disques. Je me rappelle avoir joué dans ce pays il y a un certain temps et j'ai baissé les yeux et il y avait ce gosse, il ne pouvait pas avoir plus de 14 ou 15 ans, il nous chantait toutes les paroles, Greetings From Asbury Park, littéralement mot à mot (rires). D'une certaine façon, je pense que oui, mais une bonne chanson prend aussi des années à trouver sa place. Quand je rejoue Thunder Road ou une autre, je peux, de ma perspective, la chanter en étant très à l'aise parce que cette musique parlait d'une perte de l'innocence, il y a de l'innocence en vous, mais il y a aussi de l'innocence en train de se perdre (rires). Et ça, c'était l'Amérique au moment où je l'ai écrite. J'ai écrit cet album juste avant la fin de la guerre du Vietnam, quand ce sentiment s'est emparé du pays. Une partie de moi s'intéressait à la musique qui avait cette innocence, les trucs de Spector, le rock'nroll des années soixante, soixante-dix, mais moi-même, je ne faisais pas partie de ces gens-là. Je me suis rendu compte que je n'étais pas un de mes héros, j'étais quelque chose d'autre et j'ai dû le prendre en considération. Donc, quand j'ai écrit ces chansons et intégré beaucoup de choses que j'aimais de ces années-là, j'étais aussi conscient que je devais trouver une place qui admettait ce qui m'était arrivé, ainsi qu'à tous les autres, là où j'habitais.

Je suppose que c'est là où le lien émotionnel avec votre musique est passé, pour tant de gens à l'époque. Parce que tous ces gens-là avaient grandi en adorant ce genre de musique, mais elle ne faisait plus l'affaire.

Je crois que nous étions un amalgame bizarre de choses à cette époque-là. Il y avait beaucoup d'éléments familiers dans notre musique, si bien que pour beaucoup de gens, c'était comme si elle faisait partie de leur vie; elle touchait soit vos véritables souvenirs, soit votre univers imaginaire, cet endroit auquel vous pensez quand vous pensez à votre ville natale, ou à la personne que vous étiez, ou à la personne que vous auriez pu être. Et la musique a rassemblé ces choses-là, il y avait donc un élément qui vous mettait à l'aise. Et cependant, en même temps, nous étions en train de changer d'endroit, et c'est ce qui a été reconnu dans ma musique également, et c'est pourquoi les gens ont toujours eu ces sentiments profonds par rapport à elle.

Je pense qu'elle a rendu des gens à l'aise, et il y avait ces formes de style qui ont accroché les oreilles des gens, des choses qu'ils avaient l'habitude d'entendre... mais seule, cette musique n'aurait pas permis aux gens d'avoir des sentiments profonds, c'était l'autre truc. C'est pourquoi Born To Run et Thunder Road résonnent; les gens ont pris ces chansons et se les sont appropriées. Je crois que j'ai travaillé dur pour que cela se produise. J'offre un service et j'aime à penser que c'est un service dont nous avons besoin. C'est au cœur de ma tentative pour faire des choses de bien, année après année. C'est la raison qui vous pousse sur scène. Vous voulez voir cette réaction: "Hé, je connais ce gamin. C'est moi !". Parce que je rappelle encore que mes besoins étaient grands et que les choses pouvant y répondre étaient considérées comme de la merde, la musique pop, les films de série B... Mais j'y ai trouvé un vrai moi, qui m'a aidé à comprendre le moi avec lequel j'ai grandi - la personne que j'étais réellement.


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