Après l'énorme succès de Born In The USA, le rocker a longuement réexaminé sa carrière et a décidé de ramener sa musique à des proportions humaines.
par Steve Pond
par Steve Pond
LE PUBLIC EST COMPOSE DE SES INGÉNIEURS DU SON, de la femme et du fils de son saxophoniste et d’une vingtaine de placeurs et de gardes de sécurité. Mais cela n’arrête pas Bruce Springsteen, qui est en train de faire une prestation extraordinaire à l’Omni, à Atlanta. En cette fin d'après-midi, il est en plein milieu d’un soundcheck, pas un des ces soundchecks marathon pour lesquels il est réputé, mais une occasion de se re-familiariser, pour une heure, avec sa musique, en jouant ses chansons préférées, vieilles ou actuelles, ou tout ce qui lui passe par la tête.
Springsteen est debout au milieu de l’immense scène blanche, portant un jean et une chemise blanche à manches longues, riant lorsqu’il essaie de reconstituer les chansons dont il a oublié la moitié des paroles, plaisantant lorsqu'un des membres du groupe entame le riff d’une vieille chanson connue et murmurant, “Ok, quoi pour la suite ?”, quand il a fini une chanson. C’est un set country et folk: les Everly Brothers, Hank Williams et d’autres chansons moins connues. Quelques chansons s’étiolent après un vers ou deux; mais de temps en temps, Springsteen et le groupe créent instinctivement un arrangement complet, prennent une chanson et se l’approprient.
Springsteen est debout au milieu de l’immense scène blanche, portant un jean et une chemise blanche à manches longues, riant lorsqu’il essaie de reconstituer les chansons dont il a oublié la moitié des paroles, plaisantant lorsqu'un des membres du groupe entame le riff d’une vieille chanson connue et murmurant, “Ok, quoi pour la suite ?”, quand il a fini une chanson. C’est un set country et folk: les Everly Brothers, Hank Williams et d’autres chansons moins connues. Quelques chansons s’étiolent après un vers ou deux; mais de temps en temps, Springsteen et le groupe créent instinctivement un arrangement complet, prennent une chanson et se l’approprient.
C’est ce qui s’est passé pendant Across the Borderline, une chanson vieille de six ans de Ry Cooder, John Hiatt et Jim Dickinson, tirée du film The Border. Une lamentation plaintive sur des Mexicains en quête d’un paradis américain, la chanson est une des passions actuelles de Bruce: une personne de son entourage dit qu’il a rendu tout le monde complètement dingue à force de la passer dans le van.
Donc, quand Springsteen en chante les premiers vers, les membres du groupe s’emparent rapidement de ce rythme lent; car celle-là, ils l’ont déjà entendue. Le guitariste Nils Lofgren joue en slide (1) et ajoute un contrepoint douloureux à la voix de Springsteen. Dès le premier refrain, c’est devenu une performance à en briser les cœurs: "When you reach the broken promised land / Every dream slips through your hand / And you'll know that it's too late to change your mind / 'Cause you've paid the price to come so far / Just to wind upwhere you are / And you're still just across the borderline" (Quand tu atteindras la terre promise brisée / Chaque rêve te filera entre les mains / Et tu sauras qu’il est trop tard pour changer d’avis / Parce que tu as payé le prix pour arriver jusqu’ici / Simplement pour finir où tu es / Et tu es toujours juste de l’autre côté de la frontière).
Donc, quand Springsteen en chante les premiers vers, les membres du groupe s’emparent rapidement de ce rythme lent; car celle-là, ils l’ont déjà entendue. Le guitariste Nils Lofgren joue en slide (1) et ajoute un contrepoint douloureux à la voix de Springsteen. Dès le premier refrain, c’est devenu une performance à en briser les cœurs: "When you reach the broken promised land / Every dream slips through your hand / And you'll know that it's too late to change your mind / 'Cause you've paid the price to come so far / Just to wind upwhere you are / And you're still just across the borderline" (Quand tu atteindras la terre promise brisée / Chaque rêve te filera entre les mains / Et tu sauras qu’il est trop tard pour changer d’avis / Parce que tu as payé le prix pour arriver jusqu’ici / Simplement pour finir où tu es / Et tu es toujours juste de l’autre côté de la frontière).
Tout comme la meilleure musique de Springsteen, c’est une chanson avec un sens profond des conséquences. Non seulement les vers sur les rêves brisés et les promesses non tenues rappellent ses propres chansons, mais elle semble s’adresser directement à l’expérience d’un homme qui rêvait de devenir une rock star, qui est ensuite devenu la plus grande; qui s’est retrouvé isolé et vide, et qui s’est battu en réévaluant son travail, puis en se tournant vers son mariage; qui, à l’âge de 38 ans, a mis de côté son intime conviction que le rock'n'roll peut vous sauver, au profit de l’idée plus modeste que l’amour pourrait vous sauver - si vous y consacrez du temps et des efforts.
“Je pense que j’avais pour habitude de croire que le rock pouvait vous sauver,” dit-il plus tard. "Je ne le crois plus. Il peut faire beaucoup. Il a fait sans aucun doute beaucoup pour moi - il m’a donné un centre d’intérêt et une direction et de l’énergie et un but. Quand j’étais petit, c’était votre meilleur ami: votre dernier 45 tours, mec, c’était votre meilleur pote".
“Mais au fur et à mesure que vous vieillissez, vous vous rendez compte que ça ne suffit pas. La musique seule - vous pouvez vous y trouver un refuge, et vous pouvez y trouvez du réconfort et du bonheur, vous pouvez danser dessus, vous pouvez danser un slow avec votre copine, mais vous ne pouvez pas vous y cacher. Et elle est si séductrice que vous voulez vous y cacher. Et puis, quand vous vous retrouvez dans la situation d’un type comme moi, où c’est réalisable si vraiment on le veut, alors vous pouvez le faire véritablement”.
“Je pense que j’avais pour habitude de croire que le rock pouvait vous sauver,” dit-il plus tard. "Je ne le crois plus. Il peut faire beaucoup. Il a fait sans aucun doute beaucoup pour moi - il m’a donné un centre d’intérêt et une direction et de l’énergie et un but. Quand j’étais petit, c’était votre meilleur ami: votre dernier 45 tours, mec, c’était votre meilleur pote".
“Mais au fur et à mesure que vous vieillissez, vous vous rendez compte que ça ne suffit pas. La musique seule - vous pouvez vous y trouver un refuge, et vous pouvez y trouvez du réconfort et du bonheur, vous pouvez danser dessus, vous pouvez danser un slow avec votre copine, mais vous ne pouvez pas vous y cacher. Et elle est si séductrice que vous voulez vous y cacher. Et puis, quand vous vous retrouvez dans la situation d’un type comme moi, où c’est réalisable si vraiment on le veut, alors vous pouvez le faire véritablement”.
Il s’interrompt. ”Enfin, vous pensez que vous pouvez le faire malgré tout. En fin de compte, c’est impossible, parce que peu importe qui vous êtes, que ce soit moi ou Elvis ou bien Michael Jackson, en fin de compte, c’est impossible. Vous pouvez utiliser tous vos pouvoirs pour vous isoler, vous entourer d’objets de luxe, vous enivrer de la façon qui vous plaît le plus. Mais ça commence à vous miner de l’intérieur, parce qu’il y a quelque chose à gagner en s’engageant avec les gens, en ayant une relation avec une personne, que vous ne pouvez trouver nulle part ailleurs. Je suppose qu’à un moment donné cette idée m’a fracassé, c’était avant que je ne me marie...".
“C’est simplement déroutant. Même le genre de relation que vous pouvez établir pendant votre concert, et qui est énorme, vous ne pouvez pas y vivre. Vous passez trois heures sur scène, et après il reste les 21 autres. Peut-être savez-vous exactement ce que vous faites pendant ces trois heures, mais vous feriez mieux de penser à ce que vous allez faire pendant les 21 restantes, car vous ne pouvez pas vous engager à jouer 24 heures sur 24”.
“C’est simplement déroutant. Même le genre de relation que vous pouvez établir pendant votre concert, et qui est énorme, vous ne pouvez pas y vivre. Vous passez trois heures sur scène, et après il reste les 21 autres. Peut-être savez-vous exactement ce que vous faites pendant ces trois heures, mais vous feriez mieux de penser à ce que vous allez faire pendant les 21 restantes, car vous ne pouvez pas vous engager à jouer 24 heures sur 24”.
“LA PREMIÈRE CHOSE QUE J’AI FAITE", DIT SPRINGSTEEN, "A ÉTÉ de placer chacun des membres à une place différente”. C’était le premier jour des répétitions pour la tournée Tunnel Of Love Express, et il savait qu’il était temps d’avoir un show qui serait radicalement différent des explosions sonores en stades qui avaient suivi son album Born In The U.S.A. - d'autant plus que ces shows ressemblaient déjà beaucoup aux concerts encensés qu’il faisait, quand il a commencé à jouer dans de grandes salles en 1978.
Il a donc délogé les membres du E Street Band des places que la plupart occupaient sur scène depuis ces treize dernières années: le batteur Max Weinberg est passé sur le côté de la scène; le pianiste Roy Bittan et le claviériste Dan Federici ont échangé leurs places; tout comme le guitariste Nils Lofgren et le bassiste Garry Tallent; le saxophoniste Clarence Clemons est passé de sa place à la droite de Bruce à sa gauche; et la choriste Patti Scialfa a pris une guitare, s’est mise à l’ancienne place de Clarence et elle est devenue la nouvelle interlocutrice principale de Bruce sur scène. Une section de cuivres recrutée parmi les membres de La Bamba & The Hubcaps, un groupe de bars du New Jersey, a pris place à l'arrière de la scène. Springsteen avait déjà essayé ça une fois - au début des répétitions pour la tournée Born In The U.S.A. - mais à cette époque-là, dit-il le groupe avait “flippé”.
Il a donc délogé les membres du E Street Band des places que la plupart occupaient sur scène depuis ces treize dernières années: le batteur Max Weinberg est passé sur le côté de la scène; le pianiste Roy Bittan et le claviériste Dan Federici ont échangé leurs places; tout comme le guitariste Nils Lofgren et le bassiste Garry Tallent; le saxophoniste Clarence Clemons est passé de sa place à la droite de Bruce à sa gauche; et la choriste Patti Scialfa a pris une guitare, s’est mise à l’ancienne place de Clarence et elle est devenue la nouvelle interlocutrice principale de Bruce sur scène. Une section de cuivres recrutée parmi les membres de La Bamba & The Hubcaps, un groupe de bars du New Jersey, a pris place à l'arrière de la scène. Springsteen avait déjà essayé ça une fois - au début des répétitions pour la tournée Born In The U.S.A. - mais à cette époque-là, dit-il le groupe avait “flippé”.
Cette fois-ci, les musiciens, qui savaient tous que leur patron avait envisagé une tournée acoustique et en solo, se sont vite adaptés au changement. Springsteen savait ce qu’il ne voulait pas - “J’ai fait une petite liste de trucs que je ne me voyais pas jouer”, dit-il, mais quand son manager Jon Landau lui a dit qu’il était temps de mettre les billets en vente, il ne savait pas ce qu’il voulait. “J’ai dit, 'Je ne sais pas si j’ai vraiment un show, je ne sais pas si j’ai vraiment un set'”, dit Springsteen en riant. “Jon a dit, ‘Et bien, tu sais, c’est ton boulot, tu le fais depuis longtemps, tu le fais bien, donc ça arrivera’. Donc, je lui ai fait confiance”.
Deux mois et demi plus tard, quand il monte sur la scène de l’Omni, Springsteen a un show. Il est presque aussi rock que ses précédents concerts, mais il est aussi beaucoup plus intime: alors que sa dernière tournée, qui a eu lieu dans d’immense stades en plein air, explorait les thèmes de la communauté et de la société, cette tournée, qui se joue uniquement dans des salles fermées, a pour thème central le désir, l’engagement et la famille. Le premier set se compose en partie des chansons de l’album Tunnel Of Love traitant des relations, et en partie de faces B et de chansons jamais sorties sur disque: Be True et Roulette ont toutes deux été enregistrées pour l’album The River. (Springsteen dit maintenant, “Ces deux chansons auraient dû figurer sur The River, et je suis sûr qu’elles auraient été meilleures qu’un ou deux trucs qu’on y a mis”) Et à la fin du set, il y a quelques grands succès de la tournée Born In The U.S.A. Des chansons qui ont fait depuis longtemps partie du répertoire de base de Springsteen manquent à l'appel, remplacées en grande partie par une musique dure, sombre, et presque claustrophobique: chaque moment doux et nostalgique est brisé par des chansons plus froides et plus effrayantes.
Deux mois et demi plus tard, quand il monte sur la scène de l’Omni, Springsteen a un show. Il est presque aussi rock que ses précédents concerts, mais il est aussi beaucoup plus intime: alors que sa dernière tournée, qui a eu lieu dans d’immense stades en plein air, explorait les thèmes de la communauté et de la société, cette tournée, qui se joue uniquement dans des salles fermées, a pour thème central le désir, l’engagement et la famille. Le premier set se compose en partie des chansons de l’album Tunnel Of Love traitant des relations, et en partie de faces B et de chansons jamais sorties sur disque: Be True et Roulette ont toutes deux été enregistrées pour l’album The River. (Springsteen dit maintenant, “Ces deux chansons auraient dû figurer sur The River, et je suis sûr qu’elles auraient été meilleures qu’un ou deux trucs qu’on y a mis”) Et à la fin du set, il y a quelques grands succès de la tournée Born In The U.S.A. Des chansons qui ont fait depuis longtemps partie du répertoire de base de Springsteen manquent à l'appel, remplacées en grande partie par une musique dure, sombre, et presque claustrophobique: chaque moment doux et nostalgique est brisé par des chansons plus froides et plus effrayantes.
Vers la fin du set, le pianiste Roy Bittan joue une mélodie pastorale et, Springsteen s’avance vers le micro. Le monologue qu’il délivre, visiblement sur la mère célibataire, personnage central de Spare Parts, aurait tout aussi facilement pu parler d’une rock star déterminée à faire quelque chose de différent.
“Le passé est une drôle de chose” dit-il, alors que la foule se calme et que Bittan joue doucement. “Le passé est quelque chose, je pense, qui peut vous faire sombrer et vous empêcher d’avancer, quand vous êtes pris dans de vieux rêves qui vous brisent le cœur, maintes et maintes fois, quand ils ne se réalisent pas''.
S’ensuit une version brutale de Spare Parts, puis un furieux War - aucune introduction nécessaire, avec les troupes de Reagan postées au Honduras - et finalement, juste avant la pause, Born In The U.S.A. Il y a trois ans, cette chanson était un puissant appel aux armes qui débutait pratiquement tous les concerts de Springsteen; maintenant, arrivant à la fin d’un set qui parle constamment de luttes personnelles et sociales dévastatrices, la chanson n’évoque en rien le patriotisme que certains se forçaient à voir durant la dernière tournée. Toujours aussi exultante sur un plan musical, Born In The U.S.A. est soudainement perçu comme un blues brutal et déchirant des temps modernes.
“Le passé est une drôle de chose” dit-il, alors que la foule se calme et que Bittan joue doucement. “Le passé est quelque chose, je pense, qui peut vous faire sombrer et vous empêcher d’avancer, quand vous êtes pris dans de vieux rêves qui vous brisent le cœur, maintes et maintes fois, quand ils ne se réalisent pas''.
S’ensuit une version brutale de Spare Parts, puis un furieux War - aucune introduction nécessaire, avec les troupes de Reagan postées au Honduras - et finalement, juste avant la pause, Born In The U.S.A. Il y a trois ans, cette chanson était un puissant appel aux armes qui débutait pratiquement tous les concerts de Springsteen; maintenant, arrivant à la fin d’un set qui parle constamment de luttes personnelles et sociales dévastatrices, la chanson n’évoque en rien le patriotisme que certains se forçaient à voir durant la dernière tournée. Toujours aussi exultante sur un plan musical, Born In The U.S.A. est soudainement perçu comme un blues brutal et déchirant des temps modernes.