****
Travail : un mot de sept lettres qui réapparait de multiples fois dans le vocabulaire de Springsteen. Mais bien qu'il ait peut-être idéalisé les ouvriers, la chaîne de production ou même un groupe de forçats, Springsteen ne trouve rien de digne dans le travail en lui-même. Factory, de Darkness On The Edge Of Town, nous montre l'auteur regarder son père franchir les portes de l'usine, forcément "sous la pluie", et le tempo trainant de la chanson caricature la monotonie de ce qui se passe: "L’usine le rend sourd, l’usine lui donne la vie / Le labeur, le labeur, juste une vie de labeur".
Le travail, pour les personnages de Bruce, est un moyen pour atteindre un but, le but étant leurs week-end enjoués ("Je travaille toute la semaine, j'ai des dettes jusqu'au cou / Quand arrive le samedi soir, je lâche les chevaux avec mon bolide"), cependant sa perte hante également son écriture, et le conflit socio-économique traverse chaque disque de Darkness On The Edge Of Town à Born In The U.S.A. Alors enfant, Springsteen a ressenti le combat qu'à mené son père pour trouver un travail régulier et les humeurs macabres qui s'emparaient de lui quand il rentrait à la maison, en quittant l'usine de tapis Karagheusian, le dépôt de bus ou même la prison de Monmouth County ("Papa a travaillé sa vie entière pour rien hormis de la souffrance").
D'où la détermination du jeune Bruce pour faire du rock'n'roll sa profession, et le "travail acharné" qui guide le E Street Band encore aujourd'hui. Depuis la sortie de Magic en septembre 2007, le groupe a travaillé sans cesse pendant deux ans, en tournée d'abord, en studio ensuite pour l'enregistrement de Working On A Dream, et en tournée encore une fois. En avril 2008, l’organiste Danny Federici, le plus ancien partenaire musical de Springsteen, est décédé après avoir lutté pendant trois ans contre le cancer, et après une commémoration qui s'imposait, le groupe a continué à jouer, comme Federici l’aurait sûrement souhaité. Pour la dernière partie à l'automne 2009, ils ont joué deux concerts, l'un à la suite de l'autre : un album classique joué dans son intégralité, puis un marathon de rigueur du E Street Band. Il a permis à certains fans de se souvenir des jours heureux de Darkness... avec des récits sans fin sur des concerts de sept heures.
"Je ne pense pas que nous ayons jamais joué sept heures", rigole Bruce. "Il y a beaucoup de légendes urbaines sur la longueur de nos concerts. Nous avons joué quatre heures, je pense que nous avons joué aussi longtemps peut-être une fois ou deux et j'ai juré de ne jamais le refaire, car ça semblait absurde je suis devenu fou un ou deux soirs et je ne me suis pas arrêté, tout simplement. Je sais que nous avons joué trois heures et demi à de nombreuses reprises. A la base, je souhaitais jouer la musique que les fans voulaient entendre, puis après je voulais jouer ce que j'avais écrit récemment, c'est-à-dire Darkness On The Edge Of Town. Qui n'a pas été aussi bien accueilli que ce que les gens pourraient imaginer aujourd'hui. Parmi les fans, d'après mes souvenirs, vous savez, ce n'était pas Born To Run, c'était un disque très sombre. La manière de jouer accentuait ce sentiment bien au-delà. Nous avons pris la route et avons donné des concerts et avons donné vie à ces chansons – puis les gens se les sont appropriées. Auparavant, il y avait beaucoup d'ambivalence. Les gens n’y adhéraient pas instantanément. Ce qui, je suppose, était mon but".
Le travail, pour les personnages de Bruce, est un moyen pour atteindre un but, le but étant leurs week-end enjoués ("Je travaille toute la semaine, j'ai des dettes jusqu'au cou / Quand arrive le samedi soir, je lâche les chevaux avec mon bolide"), cependant sa perte hante également son écriture, et le conflit socio-économique traverse chaque disque de Darkness On The Edge Of Town à Born In The U.S.A. Alors enfant, Springsteen a ressenti le combat qu'à mené son père pour trouver un travail régulier et les humeurs macabres qui s'emparaient de lui quand il rentrait à la maison, en quittant l'usine de tapis Karagheusian, le dépôt de bus ou même la prison de Monmouth County ("Papa a travaillé sa vie entière pour rien hormis de la souffrance").
D'où la détermination du jeune Bruce pour faire du rock'n'roll sa profession, et le "travail acharné" qui guide le E Street Band encore aujourd'hui. Depuis la sortie de Magic en septembre 2007, le groupe a travaillé sans cesse pendant deux ans, en tournée d'abord, en studio ensuite pour l'enregistrement de Working On A Dream, et en tournée encore une fois. En avril 2008, l’organiste Danny Federici, le plus ancien partenaire musical de Springsteen, est décédé après avoir lutté pendant trois ans contre le cancer, et après une commémoration qui s'imposait, le groupe a continué à jouer, comme Federici l’aurait sûrement souhaité. Pour la dernière partie à l'automne 2009, ils ont joué deux concerts, l'un à la suite de l'autre : un album classique joué dans son intégralité, puis un marathon de rigueur du E Street Band. Il a permis à certains fans de se souvenir des jours heureux de Darkness... avec des récits sans fin sur des concerts de sept heures.
"Je ne pense pas que nous ayons jamais joué sept heures", rigole Bruce. "Il y a beaucoup de légendes urbaines sur la longueur de nos concerts. Nous avons joué quatre heures, je pense que nous avons joué aussi longtemps peut-être une fois ou deux et j'ai juré de ne jamais le refaire, car ça semblait absurde je suis devenu fou un ou deux soirs et je ne me suis pas arrêté, tout simplement. Je sais que nous avons joué trois heures et demi à de nombreuses reprises. A la base, je souhaitais jouer la musique que les fans voulaient entendre, puis après je voulais jouer ce que j'avais écrit récemment, c'est-à-dire Darkness On The Edge Of Town. Qui n'a pas été aussi bien accueilli que ce que les gens pourraient imaginer aujourd'hui. Parmi les fans, d'après mes souvenirs, vous savez, ce n'était pas Born To Run, c'était un disque très sombre. La manière de jouer accentuait ce sentiment bien au-delà. Nous avons pris la route et avons donné des concerts et avons donné vie à ces chansons – puis les gens se les sont appropriées. Auparavant, il y avait beaucoup d'ambivalence. Les gens n’y adhéraient pas instantanément. Ce qui, je suppose, était mon but".
Êtes-vous toujours attiré par "l'obscurité", beaucoup plus que vers autre chose ?
Je ne sais pas. Parfois... Ce dernier album que nous avons fait, Working On A Dream, était d'après moi, un de mes albums les plus éclatants. J'ai pris du plaisir. J'ai écrit quelques chansons d'amour, quelques grandes chansons pop. Magic était intéressant, car il était assez éclatant également, mais ses questions intérieures étaient politiques et concernaient cet instant précis dans le temps, les années Bush... Nous travaillons de la même façon que la musique gospel, et aussi de la façon dont fonctionne la musique reggae ou la world music, dans le sens où les paroles adoptent un style très blues, mais où la musique est entraînante. C'était la raison pour laquelle Bob Marley et certaines des meilleures chansons provenant d'Afrique, de la musique avec des thèmes même révolutionnaires, sont si brillantes musicalement. Si vous écoutez The Promised Land ou The Rising, les paroles sont dures et nous essayons de rendre la musique transcendante. Le folk-gospel. C'était une façon naturelle de composer. Puis, j'ai des disques où je fonctionne différemment : évidemment Nebraska, The Ghost Of Tom Joad, Devils & Dust. Vous devez toujours garder une lumière spirituelle au sein de chaque personnage, sinon le public n'aura aucun intérêt pour eux. Que ce soit Nebraska ou The Hitter [de Devils & Dust], ils font partie de mes personnages les plus sombres, mais vous pouvez ressentir le combat qu'ils mènent pour affronter les conséquences de leurs actes et les circonstances de leur vie. Je reviendrai toujours vers cet endroit-là. C'est ma nature, tout simplement.
Je ne sais pas. Parfois... Ce dernier album que nous avons fait, Working On A Dream, était d'après moi, un de mes albums les plus éclatants. J'ai pris du plaisir. J'ai écrit quelques chansons d'amour, quelques grandes chansons pop. Magic était intéressant, car il était assez éclatant également, mais ses questions intérieures étaient politiques et concernaient cet instant précis dans le temps, les années Bush... Nous travaillons de la même façon que la musique gospel, et aussi de la façon dont fonctionne la musique reggae ou la world music, dans le sens où les paroles adoptent un style très blues, mais où la musique est entraînante. C'était la raison pour laquelle Bob Marley et certaines des meilleures chansons provenant d'Afrique, de la musique avec des thèmes même révolutionnaires, sont si brillantes musicalement. Si vous écoutez The Promised Land ou The Rising, les paroles sont dures et nous essayons de rendre la musique transcendante. Le folk-gospel. C'était une façon naturelle de composer. Puis, j'ai des disques où je fonctionne différemment : évidemment Nebraska, The Ghost Of Tom Joad, Devils & Dust. Vous devez toujours garder une lumière spirituelle au sein de chaque personnage, sinon le public n'aura aucun intérêt pour eux. Que ce soit Nebraska ou The Hitter [de Devils & Dust], ils font partie de mes personnages les plus sombres, mais vous pouvez ressentir le combat qu'ils mènent pour affronter les conséquences de leurs actes et les circonstances de leur vie. Je reviendrai toujours vers cet endroit-là. C'est ma nature, tout simplement.
****
Notre temps est écoulé. Thom Zimny a équipé Bruce de micros et l’accueille dans l'autre moitié de la suite où l'attend le matériel pour enregistrer un clip promo pour le DVD à Hyde Park. Après un souvenir capté avec un téléphone portable - Bruce met rapidement ses lunettes de soleil - nous nous disons au revoir.
Vingt minutes plus tard, alors que MOJO et l’attaché de presse anglais de Springsteen sont assis au bar, Bruce se joint à nous de manière assez inattendue. Il raconte l'histoire de Big Man et de la liqueur maléfique produite par les moines français, puis lève son verre de Gran Patron pendant que MOJO lui raconte l'histoire d'un ami qui a amené son fils de huit ans voir, l'été dernier, le concert du E Street Band à Glasgow. "En ce moment, nous avons beaucoup de jeunes enfants", dit-il.
Quelles sont les chances, je lui demande finalement, pour que mon fils de trois ans et demi soit capable de voir Bruce Springsteen & The E Street Band quand il aura cinq ans ?
"Ses chances sont bonnes. Ma théorie est que, alors que nous jouons probablement aujourd'hui pour un public qui nous survivra, nous sommes toujours puissants et forts. Je pense que le groupe sera actif au cours de la prochaine décennie".
"Premièrement, de mon point de vue, nous sommes à notre meilleur niveau : le répertoire est conséquent, la passion de chacun ne s'est pas éteinte, tout le monde comprend la raison pour laquelle nous sommes là. Quand le groupe s'est reformé, l'idée n’était pas de remonter sur scène et de rabâcher les bons vieux hits, même si nous le faisons dans le cadre du concert et c'est toujours agréable. C'est notre histoire commune avec des personnes qui sont venus nous voir au cours de ces 35 années. Nous sommes également remontés sur scène pour voir quelle direction nous allons prendre au cours de la prochaine décennie, les 20 prochaines années. Nous sommes uniques. Il n’y a qu’un groupe comme le notre. Quand nous arrêterons, beaucoup d'autres merveilleuses choses seront faites, mais ils ne feront pas ce que nous faisons. Et nous aimerions le partager avec vous avant que ce moment n’arrive. Pour faire honneur et gloire à notre groupe et au nom de notre groupe : c'est la seule et unique raison pour laquelle nous montons sur cette scène chaque soir. L'argent est une bonne chose - et personne ne le rend, d’accord ?! - mais nous sommes là pour toutes ces autres choses".
Ayant avalé sa tequila, mais pas sa bière, il se lève pour partir. "C'est bon les gars, je ne paie pas !" dit-il en ricanant, en embrassant Barbara Carr sur la joue. Puis, Bruce Springsteen dit au revoir de la main et sort sur la 63ème rue, prêt à rentrer chez lui.
Derrière le bar, Joe prépare une autre tournée et hoche la tête de manière admirative en direction de son compatriote du New Jersey. "Pour un petit État, il a produit beaucoup de talents'', dit-il.
MOJO lui demande si il y a un test infaillible pour savoir si la personne est véritablement originaire du New Jersey. Joe réfléchit un instant, et sourit, s'amusant peut-être encore de l’histoire de Bruce sur Big Man, la Chartreuse verte et les rues de Manasquan repeintes. "Oui" dit-il enfin. "Ils ne se prennent pas trop au sérieux".
Vingt minutes plus tard, alors que MOJO et l’attaché de presse anglais de Springsteen sont assis au bar, Bruce se joint à nous de manière assez inattendue. Il raconte l'histoire de Big Man et de la liqueur maléfique produite par les moines français, puis lève son verre de Gran Patron pendant que MOJO lui raconte l'histoire d'un ami qui a amené son fils de huit ans voir, l'été dernier, le concert du E Street Band à Glasgow. "En ce moment, nous avons beaucoup de jeunes enfants", dit-il.
Quelles sont les chances, je lui demande finalement, pour que mon fils de trois ans et demi soit capable de voir Bruce Springsteen & The E Street Band quand il aura cinq ans ?
"Ses chances sont bonnes. Ma théorie est que, alors que nous jouons probablement aujourd'hui pour un public qui nous survivra, nous sommes toujours puissants et forts. Je pense que le groupe sera actif au cours de la prochaine décennie".
"Premièrement, de mon point de vue, nous sommes à notre meilleur niveau : le répertoire est conséquent, la passion de chacun ne s'est pas éteinte, tout le monde comprend la raison pour laquelle nous sommes là. Quand le groupe s'est reformé, l'idée n’était pas de remonter sur scène et de rabâcher les bons vieux hits, même si nous le faisons dans le cadre du concert et c'est toujours agréable. C'est notre histoire commune avec des personnes qui sont venus nous voir au cours de ces 35 années. Nous sommes également remontés sur scène pour voir quelle direction nous allons prendre au cours de la prochaine décennie, les 20 prochaines années. Nous sommes uniques. Il n’y a qu’un groupe comme le notre. Quand nous arrêterons, beaucoup d'autres merveilleuses choses seront faites, mais ils ne feront pas ce que nous faisons. Et nous aimerions le partager avec vous avant que ce moment n’arrive. Pour faire honneur et gloire à notre groupe et au nom de notre groupe : c'est la seule et unique raison pour laquelle nous montons sur cette scène chaque soir. L'argent est une bonne chose - et personne ne le rend, d’accord ?! - mais nous sommes là pour toutes ces autres choses".
Ayant avalé sa tequila, mais pas sa bière, il se lève pour partir. "C'est bon les gars, je ne paie pas !" dit-il en ricanant, en embrassant Barbara Carr sur la joue. Puis, Bruce Springsteen dit au revoir de la main et sort sur la 63ème rue, prêt à rentrer chez lui.
Derrière le bar, Joe prépare une autre tournée et hoche la tête de manière admirative en direction de son compatriote du New Jersey. "Pour un petit État, il a produit beaucoup de talents'', dit-il.
MOJO lui demande si il y a un test infaillible pour savoir si la personne est véritablement originaire du New Jersey. Joe réfléchit un instant, et sourit, s'amusant peut-être encore de l’histoire de Bruce sur Big Man, la Chartreuse verte et les rues de Manasquan repeintes. "Oui" dit-il enfin. "Ils ne se prennent pas trop au sérieux".