Remplissez votre réservoir et ajustez votre casque. Ses années 90 mitigées dans le rétroviseur, Bruce Springsteen brûle de la gomme en ce 21ème siècle. Avec un DVD live soulignant la force intacte de son groupe, et son statut assuré – à 60 ans – dans le panthéon du rock, il réfléchit aux choses qui font de Bruce Bruce : le New Jersey, les Clash, son appel, “L'Obscurité” et la Chartreuse verte. “Nous sommes uniques” dit-il à Keith Cameron. “Il n'y a qu'un groupe comme le nôtre”.
par Keith Cameron
par Keith Cameron
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IL FAIT UN 27° ÉTOUFFANT DANS LES RUES DE Manhattan, mais la sérénité règne à l'intérieur du Lowell Hotel. Signalant à peine sa présence sur la 63ème Rue, ce magnifique exemple d'art-déco de l'Upper East Side dégage le luxe très discret apprécié par ses clients fortunés : les capitaines d'industrie qui ont du goût, les retraités des Hamptons, la star de cinéma occasionnelle. A 15 heures 20, le Post House, restaurant de viandes du Lowell, est vide, sauf pour la présence de MOJO qui, au bar, apprécie une bonne pinte de Goose Island.
La porte s'ouvre et entre Bruce Springsteen. Il prend le siège juste à côté de MOJO, salue Joe, le barman du Post House, et commande une téquila Gran Patron et une bière pour la suite. Alors que Joe s'occupe des boissons, Bruce scrute les bouteilles derrière le bar et se demande si l'une d'entre elles ne serait pas de la Chartreuse verte. Joe confirme que ça n’en est pas. Bruce semble soulagé.
"Tu connais The Osprey à Manasquan ?" demande-t-il à Joe.
Comme Bruce Springsteen, Joe est originaire du New Jersey, l'État situé de l'autre côté de l'Hudson River avec lequel les New-Yorkais aiment se mesurer pour savoir qui est meilleur que l'autre, à coups de répliques cinglantes. Il connait bien The Osprey, un grand night-club bruyant, typique de ces lieux de prédilection de la côte du New Jersey à proximité d'Asbury Park, là où Springsteen et son groupe ont aiguisé leurs armes au début des années 70, un lieu qui a atteint un statut mythique, grâce aux décors autobiographiques de ses premiers disques. "Donc, tu buvais de la Chartreuse verte au Osprey à Manasquan ?" demande Joe, avec un sourire complice.
La porte s'ouvre et entre Bruce Springsteen. Il prend le siège juste à côté de MOJO, salue Joe, le barman du Post House, et commande une téquila Gran Patron et une bière pour la suite. Alors que Joe s'occupe des boissons, Bruce scrute les bouteilles derrière le bar et se demande si l'une d'entre elles ne serait pas de la Chartreuse verte. Joe confirme que ça n’en est pas. Bruce semble soulagé.
"Tu connais The Osprey à Manasquan ?" demande-t-il à Joe.
Comme Bruce Springsteen, Joe est originaire du New Jersey, l'État situé de l'autre côté de l'Hudson River avec lequel les New-Yorkais aiment se mesurer pour savoir qui est meilleur que l'autre, à coups de répliques cinglantes. Il connait bien The Osprey, un grand night-club bruyant, typique de ces lieux de prédilection de la côte du New Jersey à proximité d'Asbury Park, là où Springsteen et son groupe ont aiguisé leurs armes au début des années 70, un lieu qui a atteint un statut mythique, grâce aux décors autobiographiques de ses premiers disques. "Donc, tu buvais de la Chartreuse verte au Osprey à Manasquan ?" demande Joe, avec un sourire complice.
"Oui, moi, un de mes amis, et Big Man, complètement perdu au fin fond des marécages du New Jersey", dit Bruce avec un petit rire. "Big Man a dit qu'il connaissait la Chartreuse verte, qu'il en gardait une bouteille dans sa cuisine, près de ses Cheerios. Probablement qu'il en mettait sur ses Cheerios. De toute façon..." Et le voilà lancé, racontant une histoire à dormir debout, parlant de lui et du saxophoniste Clarence Big Man Clemons, et qui est le point de départ des traditions du New Jersey de Springsteen, jusqu'au clin d'œil référentiel à ses propres paroles (tirées de Rosalita, la farce délirante sur la fugue, extrait de The Wild, The Innoncent & The E Street Shuffle de 1973, où la voiture du narrateur est "embourbée quelque part dans les marécages du New Jersey"). Comme Springsteen le raconte, Big Man a persuadé les autres d'ingurgiter cette liqueur de 55° - l'invention de moines chartreux français – sur laquelle Bruce a passé cinq minutes à essayer de faire passer ce breuvage dans son œsophage, pour au final voir son pote remplir ses joues et se précipiter dehors pour repeindre le trottoir de Manasquan avec son diner teintée d'émeraude. Si seulement ils avaient connu la devise des Chartreux: Stat crux dum volvitur orbis – "La croix est stable alors que le monde tourne".
"Pendant ce temps-là" dit Springsteen, sirotant sa téquila, "Big Man décide qu'il veut un autre verre..."
"Pendant ce temps-là" dit Springsteen, sirotant sa téquila, "Big Man décide qu'il veut un autre verre..."
MÊME DANS CE REFUGE CLINQUANT DE MANHATTAN, C'EST LA TERRE DU NEW JERSEY COLLANT aux bottes de Springsteen qui légitime son statut de plus grande icône rock vivante de l'Amérique. Il ne vit pas seulement, toujours et encore, dans cet État, mais à Monmouth, le comté qui l'a vue naitre. Aujourd'hui bien installé à Rumson, à quelques minutes en voiture de Freehold, la ville ouvrière où il a grandi, produit bâtard d'un héritage d'immigrés Italiens, Irlandais et Hollandais (son nom signifie littéralement une pierre d'où jaillit une source). Si vous croyez en Bruce, vous acceptez les vérités éternelles de The Ties That Bind, la chanson d'ouverture de The River (1980), son premier album numéro 1 : "Nous courons pour l'instant mais nous arriverons à temps, ma chérie / Pour regarder en face les liens qui se nouent".
Le mojo de Bruce Springsteen est enveloppé dans le franc parler pragmatique du Garden State. Il est édifiant que sa seule période de confusion artistique, concernant Human Touch et Lucky Town, les albums de 1992 sortis simultanément, ait coïncidé avec l'exil à Beverly Hills, où il s'est réfugié à la suite de son divorce avec l'actrice Julianne Philips en 1988 et puis, celui en octobre 1989, avec le E Street Band (après le coup de téléphone reçu lui annonçant la dissolution du groupe, Clemons a été si traumatisé qu'il a juré de ne plus jamais se couper les cheveux). Mais vers le milieu des années 90, Springsteen était de retour dans le New Jersey avec sa nouvelle femme, la choriste du E Street Band, Patti Scialfa, elle-même fille du New Jersey, et leurs trois jeunes enfants. A partir de là, il s'est fixé l'objectif de restaurer sa crédibilité musicale, d'abord avec l'Oscarisée Streets Of Philadelphia en 1994, puis le retour en 1995 sur des mauvaises terres politiques, avec The Ghost Of Tom Joad, et enfin, en 1999, après une pause de 10 ans, la reformation officielle du E Street Band.
Il y a longtemps eu un article du livre-de-foi-de-Bruce qui disait qu'il ne se ferait pas détruire par la célébrité comme son idole Elvis Presley, mais apparaître aussi beau à 60 ans est presque indécent. Arrivant dans la suite 12A du Lowell avec précisément une minute d'avance, Springsteen distribue des accolades à la fois à sa manager Barbara Carr et au journaliste de MOJO un peu surpris, tandis que son bronzage d'été éclatant éclipse le clinquant des rues de Manhattan. La clé de son régime fitness, apparemment, c'est de faire beaucoup de marche. Puis une fois de plus, depuis la reformation du E Street Band, il a méprisé les temps morts. Dans la première décennie du nouveau siècle, Springsteen a enregistré trois albums avec le groupe – The Rising (2002), Magic (2007) et Working On A Dream (2009) – plus le solitaire Devils & Dust (2005) et We Shall Overcome (2006), l'hommage à Pete Seeger, tout en enchainant les tournées pendant huit ans sur ces dix dernières années. Il a également commencé à organiser son héritage : en 2005, une re-sortie anniversaire des 30 ans de Born To Run comprenait deux superbes DVD de Thom Zimny – un documentaire sur l'atroce gestation de l'album, et un film du légendaire premier concert anglais du E Street Band à l'Hammersmith Odeon de Londres en 1975. (La même équipe en fait actuellement de même pour Darkness On The Edge Of Town de 1978).
Le mojo de Bruce Springsteen est enveloppé dans le franc parler pragmatique du Garden State. Il est édifiant que sa seule période de confusion artistique, concernant Human Touch et Lucky Town, les albums de 1992 sortis simultanément, ait coïncidé avec l'exil à Beverly Hills, où il s'est réfugié à la suite de son divorce avec l'actrice Julianne Philips en 1988 et puis, celui en octobre 1989, avec le E Street Band (après le coup de téléphone reçu lui annonçant la dissolution du groupe, Clemons a été si traumatisé qu'il a juré de ne plus jamais se couper les cheveux). Mais vers le milieu des années 90, Springsteen était de retour dans le New Jersey avec sa nouvelle femme, la choriste du E Street Band, Patti Scialfa, elle-même fille du New Jersey, et leurs trois jeunes enfants. A partir de là, il s'est fixé l'objectif de restaurer sa crédibilité musicale, d'abord avec l'Oscarisée Streets Of Philadelphia en 1994, puis le retour en 1995 sur des mauvaises terres politiques, avec The Ghost Of Tom Joad, et enfin, en 1999, après une pause de 10 ans, la reformation officielle du E Street Band.
Il y a longtemps eu un article du livre-de-foi-de-Bruce qui disait qu'il ne se ferait pas détruire par la célébrité comme son idole Elvis Presley, mais apparaître aussi beau à 60 ans est presque indécent. Arrivant dans la suite 12A du Lowell avec précisément une minute d'avance, Springsteen distribue des accolades à la fois à sa manager Barbara Carr et au journaliste de MOJO un peu surpris, tandis que son bronzage d'été éclatant éclipse le clinquant des rues de Manhattan. La clé de son régime fitness, apparemment, c'est de faire beaucoup de marche. Puis une fois de plus, depuis la reformation du E Street Band, il a méprisé les temps morts. Dans la première décennie du nouveau siècle, Springsteen a enregistré trois albums avec le groupe – The Rising (2002), Magic (2007) et Working On A Dream (2009) – plus le solitaire Devils & Dust (2005) et We Shall Overcome (2006), l'hommage à Pete Seeger, tout en enchainant les tournées pendant huit ans sur ces dix dernières années. Il a également commencé à organiser son héritage : en 2005, une re-sortie anniversaire des 30 ans de Born To Run comprenait deux superbes DVD de Thom Zimny – un documentaire sur l'atroce gestation de l'album, et un film du légendaire premier concert anglais du E Street Band à l'Hammersmith Odeon de Londres en 1975. (La même équipe en fait actuellement de même pour Darkness On The Edge Of Town de 1978).
Peut-être pas tout à fait par hasard, la décennie a vu Springsteen émerger comme une influence, une référence pour de nouveaux groupes, notamment pour The Hold Steady, des musiciens qui mettent de l'ambiance dans des bars de Minneapolis en passant par Brooklyn, et aussi Titus Andronicus et The Gaslight Anthem, les natifs du New Jersey, offrant tous une vue particulière sur un punk-soul littéraire, et qui aiment Broooooce passionnément, chose inconcevable quelques années auparavant. Springsteen a écouté ces groupes, les a apprécié, et a sa propre opinion.
"Je pense que nous avons sauté une génération au cours des années 90" dit-il. "Cette décennie où le E Street Band n'a pas joué a été une décennie où j'ai senti une récession de notre impact".
Il porte au crédit de son fils ainé de l'avoir branché sur cette nouvelle vague, et Evan James Springsteen a fait quelques petites apparitions en jouant de la guitare avec le E Street Band en 2008/09. "La dernière tournée a probablement été la première fois où il a commencé à écouter un peu ce que je faisais" dit Bruce. "Car ce sont vos parents, comment pouvez-vous être intéressé ?! Aucun adolescent normalement constitué souhaite venir voir ses parents se faire acclamer. Vous pourriez vouloir venir voir vos parents se faire huer – ce serait gratifiant !".
Nous nous rencontrons pour discuter de London Calling, le DVD live du concert de l'an dernier à Hyde Park, dont la pochette est sur la table entre nous. De temps en temps, Springsteen la regarde d'un air songeur, mais il est heureux que la conversation bifurque vers des moments-clés d'une carrière longue de 40 ans, aussi facilement qu'une de ses setlists.
"Je pense que nous avons sauté une génération au cours des années 90" dit-il. "Cette décennie où le E Street Band n'a pas joué a été une décennie où j'ai senti une récession de notre impact".
Il porte au crédit de son fils ainé de l'avoir branché sur cette nouvelle vague, et Evan James Springsteen a fait quelques petites apparitions en jouant de la guitare avec le E Street Band en 2008/09. "La dernière tournée a probablement été la première fois où il a commencé à écouter un peu ce que je faisais" dit Bruce. "Car ce sont vos parents, comment pouvez-vous être intéressé ?! Aucun adolescent normalement constitué souhaite venir voir ses parents se faire acclamer. Vous pourriez vouloir venir voir vos parents se faire huer – ce serait gratifiant !".
Nous nous rencontrons pour discuter de London Calling, le DVD live du concert de l'an dernier à Hyde Park, dont la pochette est sur la table entre nous. De temps en temps, Springsteen la regarde d'un air songeur, mais il est heureux que la conversation bifurque vers des moments-clés d'une carrière longue de 40 ans, aussi facilement qu'une de ses setlists.