Bruce Springsteen
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Los Angeles Times, 05 avril 2009

Tour 2009: travailler pour un rêve



Alors qu'il entame avec le E Street Band une tournée mondiale, le troubadour des temps troubles s'exprime sur où il a été et vers où il se dirige.

05 avril 2009 | Geoff Boucher

reportage d'Asbury Park, NJ

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Los Angeles Times, 05 avril 2009
"Il y a beaucoup de fantômes dans cet endroit" dit Bruce Springsteen alors que ses bottes escaladent lourdement un vieil escalier du Convention Hall d'Asbury Park. C'est ici, dans cette vieille salle de bord de mer, que Springsteen adolescent a vu Jim Morrison rôder sur scène, et Keith Moon, avec les Who, frapper sa batterie tel le tonnerre. C'est aussi dans ces couloirs qu'il est passé tout près d'un enfant terrible appelé Janis Joplin. "Nos coudes, ils ont été tout près, à ça l'un de l'autre" dit Springsteen, toujours stupéfait, d'une certaine façon, qu'un gosse du New Jersey pouvait se retrouver à porter de main de l'histoire du rock. Contrairement à ces icônes perdues, Springsteen était construit pour la longue route. Il aura 60 ans en septembre et ce, pendant qu'il sera en tournée avec le E Street Band, pour promouvoir leur dernier album Working On A Dream. Cette tournée mondiale (qui passera par le Sports Arena de Los Angeles les 15 et 16 avril) a officiellement commencé à San Jose, mais c'était ici, fin mars, dans cette salle aux planchers qui craquent, que Springsteen a commencé à travailler sur cette "conversation" de la tournée, comme il l'appelle, essayant pour la première fois de nouvelles chansons en live devant un public. Par un après-midi très venteux, quelques heures à peine avant le premier des deux concerts caritatifs, Springsteen arrive dans cette salle avec une surprise vieille de 155 ans pour les membres de son groupe. Pendant le soundcheck, il demande aux chanteurs du groupe de se mettre en ligne sur le côté de la scène et, regardant les paroles, Springsteen les guide à travers un dernier ajout au répertoire de leur concert d'ouverture, une complainte de Stephen Foster datant de la guerre de Sécession intitulée Hard Times Come Again No More:

"C'est une chanson que le vent souffle à travers les vagues agitées
C'est un cri qu'on entend le long de la côte
Ce sont des mots que l'on murmure à côté de la modeste tombe
Quand les temps difficiles ne reviendront plus
C'est une chanson et un soupir de ceux qui sont las
Les temps difficiles, les temps difficiles, ne revenez plus"


Ensuite, Springsteen s'adosse contre un mur criblé de trous et pince les cordes de sa Telecaster avec un air distrait sur son visage. "Nous sommes à la recherche du concert" dit-il. "J'ai la moitié du truc programmé dans ma tête... principalement, nous mettons au point les nouvelles chansons et puis nous trouvons des choses qui sont en harmonie avec le moment présent et ce qui se passe maintenant. Mais vous savez, nous sommes un groupe fait pour les temps difficiles".

Pourtant, rien ne vient facilement au E Street Band de nos jours. Le groupe est fier de son éthique de travail, mais les difficultés sont différentes maintenant. Deux des membres viennent de subir des opérations chirurgicales importantes, et puis il y a la nature misérable de l'industrie du disque à l'heure actuelle. Les ventes de l'album (494 000 exemplaires aux États-Unis) sont bonnes, pas fantastiques, et la tournée n'a pas suscité la même sorte de folle bousculade que par le passé. Il y a aussi trois décennies et demie dans le rétroviseur du groupe, mais Springsteen regarde la route devant lui.

"Le concert est un événement toujours d'actualités" dit Springsteen, qui, plus que tout autre artiste, a trouvé comment être en même temps Woody Guthrie et Elvis Presley. En janvier, il a chanté la sérénade à un nouveau président en jouant The Rising, son spiritual déchirant sur le 11-septembre, avec un chœur vêtu de rouge au Lincoln Memorial; quelques semaines plus tard, c'était Springsteen, l'homme de scène, chantant à plein poumons un pot-pourri de 12 minutes avec Glory Days et Born To Run au milieu des feux d'artifices et des pom-pom girls, à la mi-temps du Super Bowl. "Nous avons eu des demandes pour The Ghost Of Tom Joad" a répondu Springsteen, de façon pince-sans-rire, quand on lui a proposé des questions sur les obligations qu'il avait, côté jukebox, pour le match de football, "mais nous avons décidé de la réserver pour un autre jour".

La manifestation d'inauguration était une chose naturelle pour un homme qui, selon ses propres mots, "s'implique dans la conversation nationale" depuis longtemps, mais son apparition au Super Bowl est venue avec le risque d'être vue comme une crassitude. Springsteen dit qu'il a accepté l'offre parce qu'il avait confiance en Don Misher, le producteur du show de la mi-temps (qui a aussi géré le concert d'inauguration), mais il y avait également une autre motivation pragmatique.

"J'ai dit non pendant environ 10 ans ou depuis le temps qu'on me demandait de le faire, mais laissez-moi vous dire un truc, quand nous avons fait la dernière tournée, il y avait quelques sièges vides ici et là et bien, il ne devrait y avoir aucun siège vide lors d'un concert du E Street Band. Je suis fier que nous restions l'une des grandes merveilles du monde... donc vous devez parfois le rappeler un petit peu aux gens".

Pour Springsteen, il ne suffit pas d'être un artiste important, il veut aussi être urgent. Il se moque de l'idée des groupes "d'héritage", jargon de l'industrie du disque pour décrire des groupes vieillissants qui font des tournée basées uniquement sur leurs vieux succès. "Se reposant sur leurs lauriers, se reposant sur leur... héritage" dit-il d'un sourire malicieux. "Hé, je suis assis sur mon héritage ! Aïe, mon héritage me tue !".

Le Springsteen à la jeunesse éternelle semblait être animé par de nouvelles raisons d'y croire après avoir vu l'élection de Barack Obama.

"Vous aviez le sentiment que le pays que vous aviez imaginé dans votre œuvre, le genre d'endroit où vous voulez que vos enfants grandissent, a montré son visage le soir de l'élection" dit-il. "Je ne savais jamais si j'allais voir son visage. Je me suis toujours demandé si peut-être je n'étais qu'un maillon de la chaîne qui nous tirait vers cet endroit. Mais en avoir un aperçu, juste un aperçu... donc il existe maintenant. Je ne savais pas que nous l'avions en nous, pour être honnête. Le jour suivant, toute ma musique a été plus vraie que le jour précédent. C'était énorme pour moi".

Springsteen est animé, compétitif et, que ce soit sur scène ou dans une salle de sport, obsédé par une expression musculaire de lui-même, telle une sorte de poète-populiste-athlète, un concept peut-être aussi particulier à l'Amérique que la pratique qui consiste à amener des guitares et des avions de combat à des matchs de football.

Le chanteur veut être une force du bien mais veut aussi amplifier sa musique en atteignant un public le plus large possible. Cela le met dans des situations délicates. L'année dernière, il a signé un contrat d'amoureux avec Wal-Mart pour un CD exclusif mais s'en est ensuite publiquement excusé après alors que des critiques ont dit qu'il avait trahi son rôle de champion des droits de la classe ouvrière ("J'ai relâché la balle" a-t-il déclaré au New York Times). En février, Springsteen était de nouveau dans l'actualité, s'en prenant violemment à Ticketmaster pour avoir agi de façon suspecte comme le plus grand revendeur national de billets au marché noir lors de la mise en vente des tickets pour la prochaine tournée. En mars, l'icône du rock s'attendait à une conversation drôle mais s'est retrouvé, au lieu de ça, très mal à l'aise lors de son apparition au Daily Show avec Jon Stewart, quand le présentateur, généralement beau parleur, s'est transformé en un fan du Boss balbutiant.

En personne, Springsteen semble étrangement timide et rit vraiment bêtement. Il est intense quand il s'agit du contrôle de la qualité, mais les répétitions de son groupe sont pimentées de blagues entre vieux copains. Mais il ne fait aucun doute que Springsteen est un homme sérieux dans un âge ironique, un évangéliste du rock de l'ère des vinyles à un moment où les fans de musique perdent cette religion - ou tout du moins, mettent leur confession en mode aléatoire. Puis, il y a le fait que Springsteen est un baron chantant des chansons contestataires durant une période de calamité économique. Il est tout à fait conscient de ces tiraillements; il a même chanté à ce sujet en 1992 dans Better Days: "C'est un dénouement étrange et triste que de se voir soi-même jouer un rôle / Un homme riche dans la peau d'un homme pauvre".

Pour Springsteen, cependant, la mission devient claire quand il est en tournée.

"Notre musique, nos chansons ont énormément de doux-amer en elles. Les gens viennent me voir la plupart du temps et ils disent la même chose: ils mentionnent davantage comment vous les avez aidés à traverser les moments durs de leur vie. C'est toujours, 'Vous m'avez aidé à traverser ceci ou cela, un divorce, les années lycée, quand j'ai perdu quelqu'un' ".

"C'était en quelque sorte l'endroit d'où nous sommes venus, en particulier à partir de Darkness On The Edge Of Town. C'était aussi exactement dans le genre d'intensité avec laquelle le groupe jouait. C'était toujours dans la musique. Le groupe a développé cette philosophie qui console les gens quand les choses sont très stressantes. Nous sommes un bon groupe à aller voir quand les choses ne vont pas si bien, quand vous traversez des moments difficiles. Donc, nous mettons cette chose en marche, nous trouvons notre concert".

Que tout cela vous mette des sanglots dans la voix ou vous fasse simplement lever les yeux au ciel, on ne peut nier la puissance qu'il y a à voir ce groupe sur ce rivage et devant ces fans, tout le monde attendant les cloches qui sonnent, comme le dit la vieille chanson. Peu importe l'année, d'audacieuses promesses sont faites quand Bruce Springsteen joue avec l'océan dans son dos et le New Jersey à ses pieds.


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