Bruce Springsteen
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The New York Times, 30 septembre 2007

Amoureux de la pop, mal à l'aise avec le monde



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Le paradoxe de Magic est peut-être que certaines de ses histoires sont parmi les plus dures qu'il n'ait jamais racontées. L'album est parfois une taquinerie mais rarement une plaisanterie. La chanson qui a donné son titre à l'album, par exemple, apparaît comme un boniment de carnaval séducteur, quelque chose que nous aurions pu entendre sur la promenade d'Asbury Park au bon vieux temps. Un magicien murmurant d'une voix pénétrante en accord mineur, vous leurre avec des descriptions de ses tours de magie, qui deviennent de plus en plus sinistres au fil des couplets ("J'ai une lame de scie rutilante / Tout ce dont j'ai besoin c'est d'un volontaire") "Ne faîtes pas confiance à ce que vous entendez / Et encore moins à ce que vous voyez", nous conseille-t-il fortement. Le refrain - "Voilà ce qui arrivera" - devient de plus en plus terrifiant une fois que vous avez assimilé toutes les nuances et les ombres du reste de l'album.

Vous pouvez toujours faire confiance à ce que vous entendez sur un disque de Bruce Springsteen (l'ironie, fait-il remarquer, n'est pas une chose pour laquelle il est connu), mais dans ce cas, cela vaut la peine d'écouter de près, de remarquer l'obscurité qui plane à la périphérie de ces mélodies et harmonies qui brillent. "J'ai pris ces formes et ce langage classique de la pop et j'y ai injecté du malaise", dit M. Springsteen.

Et alors que toutes les chansons de Magic évitent, de façon caractéristique, des références explicites aux événements actuels, il n'y a pas de doute sur la source de ce malaise, largement politique. La chanson Magic, explique M. Springsteen, parle de l'industrie de l'illusion, de l'engagement explicite du gouvernement Bush à créer sa propre réalité.

"C'est un disque sur l'auto-subversion" me dit-il, sur la façon dont ce pays a saboté et corrompu ses idéaux et ses traditions. Et à sa façon, l'album lui-même est délibérément auto-subversif, troublant ses surfaces lisses et agréables avec l'aveu brutal de faits durs et déplaisants.

Magic démarre là où The Rising s'est arrêté et fait l'inventaire de ce qui s'est passé dans le pays depuis le 11-septembre. À cette époque, l'expérience collective de la douleur et de la terreur étaient évoquées de façon explicite. Maintenant, ces émotions se cachent juste en-dessous de la surface, ce qui signifie qu'une catharsis par la biais du rock'n'roll est plus dure à atteindre. Les mots-clés dans The Rising étaient l'espoir, l'amour, la force, la foi, dans un contexte d'expérience collective de deuil. Il n'y a plus de solitude dans Magic et en dépit d'une atmosphère pop détendue, beaucoup moins d'optimisme.

Les histoires racontées dans Gypsy's Biker et dans Devil's Arcade sont des représentations de pertes vécues par les femmes et amis de soldats dont les vies ont été détruites ou perdues en Irak. "Le disque est un bilan du coût de la vie et de la perte" dit M. Springsteen. "C'est le fardeau d'une vie d'adulte. Point barre. Mais c'est le fardeau d'une vie d'adulte en ce moment, sans aucun doute".

Quand on lui parle, M. Springsteen a beaucoup à dire sur ce qui ce passe dans le pays depuis ces six dernières années: "Désespérant et à vous briser le cœur. Pour ne pas dire rageant". Voilà comment il résume la situation. Mais ces commentaires les plus directs et les plus puissants ont lieu, comme on peut le penser, sur scène. Ce n'est pas ce qu'il dit ou ce qu'il chante, mais plutôt un morceau de tragédie musicale, la façon apparemment simple et technique qu'il a de passer d'une chanson à une autre.

The New York Times, 30 septembre 2007
Sur la scène du Convention Hall, le groupe a manié les nouvelles chansons comme des experts - après 35 années passées ensemble, la communication passe sans aucune difficulté - faisant des pauses pour retravailler les rares fausses notes ou pour ajuster le son. Mais ils ont dû répéter la transition entre The Rising et leur morceau suivant au moins une demi-douzaine de fois.

"Vous devez faire durer cette note. Tout le monde !" dit Springsteen, en les encourageant. "Elle ne peut mourir ainsi".

Les guitaristes avaient le défi supplémentaire de garder le son tout en changeant d'instrument, une série de courses-relais avec passage de témoin pour les assistants, dont le boulot était d'aider à la transition, jusqu'à ce que le son dissonant d'un orgue retentisse, donnant le signal d'un changement de clé et du début tonnant de Last To Die. Il n'est pas trop fort de dire que la façon dont Springsteen a abordé l'histoire des États-Unis post-11 septembre peut être mesurée dans l'espace se trouvant entre les refrains de ces deux chansons. Le public passe d'une exhortation passionnée ("Come on up for the rising") à la sombre et familière question "Qui sera le dernier à mourir pour une erreur ?".

"C'est pourquoi nous devions le jouer de façon très juste aujourd'hui" dit-il plus tard. "Vous nous avez vu bosser là-dessus. Cette chose doit arriver comme si le monde vous tombait dessus, ce premier accord. Il doit hurler à la fin de The Rising et puis craquer, gronder sourdement. Le concert va changer de direction sur cette transition. C'est là où nous en sommes en ce moment, ces 30 secondes".

Mais la nuit ne s'arrête pas là. Sur scène, Last To Die est suivi, comme sur l'album par une chanson intitulée Long Walk Home. Dans le premier couplet, le narrateur retourne dans sa ville natale, dans des endroits connus, et ressent une aliénation, rendue particulièrement pesante par les mots utilisés pour la décrire: "J'ai longuement regardé leurs visages, ils étaient tous devenus étrangers pour moi". Cette expression curieuse et démodée - rank strangers - rappelle une chanson du même nom enregistrée par les Stanley Brothers, lamentation mystérieuse d'un vieux mountain soul.

"Dans cette chanson, un mec revient dans sa ville natale et ne reconnaît rien et n'est reconnu par rien" dit M. Springsteen. "Le chanteur dans Long Walk Home, c'est son expérience. Son monde a changé. Les choses qu'il pensait connaître, les gens qu'il pensait connaître, avec qui il partageait certains idéaux, sont comme des inconnus. Le monde qu'il connaissait lui paraît complètement étranger. Je pense que c'est ce qui s'est passé dans ce pays durant les six dernières années".

Et donc les images de la chanson sur la vie dans une petite ville en train de mourir ("Le restaurant, avec ses volets baissés, était barricadé / Avec juste un panneau qui disait 'parti'") deviennent des métaphores, la dernière nous est livrée avec toute la clarté et la force qui ont caractérisé les meilleurs textes de Springsteen:

Mon père me disait "mon fils, nous avons de la chance dans cette ville
C'est un bel endroit où naître
Elle pose simplement ses bras autour de toi
Personne ne vient t'envahir, personne ne reste seul
Tu sais que ce drapeau qui flotte sur le palais de justice
Signifie que certaines choses sont gravées dans le marbre
Ce que nous sommes, ce que nous ferons
Et ce que nous ne ferons pas"

Le chemin du retour sera long

"C'est la fin de l'histoire que nous racontons chaque soir" dit M. Springsteen. "Parce que c'est ainsi que cela devrait être. Et que ce n'est pas le cas en ce moment".

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Photographies Todd Heisler

Lien The New York Times

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