par A. O. Scott
Asbury Park, NJ
Asbury Park, NJ
****
C'était le dernier jour de l'été, mais ici sur la promenade, la journée ressemblait plus à un parfait matin de début juillet: l'Océan Atlantique scintillait sous un ciel sans nuage, une douce brise salée calmait l'air humide. J'ai regardé la plage déserte, je suis passé devant les magasins de souvenirs et les snack-bars avec leur peinture fraîche et leurs nouveaux stores verts, en direction du ponton victorien de l'ancien casino, et j'ai eu l'impression d'entrer dans une vieille chanson de Springsteen (oh, je ne sais pas. Peut-être Fourth Of July, Asbury Park. Ou est-ce si évident ?).
Ce sentiment volontairement provoqué, mais pas moins puissant pour autant, logeait en moi depuis ce matin. Très tôt, moi et ma copine - c'est à dire ma femme depuis près de 20 ans - avions claqué la porte d'entrée, déposé nos enfants à l'école et pris la route en direction du Garden State (le New Jersey), dans notre break Volvo. Nous avions, avant sa sortie, une copie du nouvel album de M. Springsteen, Magic, dans notre lecteur CD, et la plupart de son catalogue en réserve dans l'iPod. Et maintenant, nous descendions vers Kingsley. Une dernière chance de le rendre réel. Tramps like us, baby !
Notre but n'était pas de fantasmer mais plutôt d'observer le E Street Band en répétition et puis d'écouter ce que notre homme avait à dire sur le nouvel album, la tournée à venir, et les autres choses qui le préoccupaient. Magic est, musicalement parlant, l'un des albums les plus enjoués et accessibles qu'il ait faits, même si ses thèmes et ses histoires en font l'un des plus politiques. Une fois de plus, il part en tournée alors que l'élection présidentielle approche.
"J'aime sortir à ces moments-là" me dira-t-il plus tard, une fois assis pour discuter dans une loge backstage, après les répétitions. "Quelle que soit la chose, même minime, que nous puissions faire, c'est un bon moment pour le faire".
A un âge où la plupart des rockers, s'ils sont toujours en vie, sont devenus soit des hommages, soit des parodies de ce qu'ils étaient avant, M. Springsteen semble s'épanouir dans une situation fort enviable, explorant de nouvelles formes musicales tout en ayant un ensemble de chansons à son répertoire qui ne semblent jamais vieillir, avec beaucoup de choses à dire et un public qui s'accroche à chacun de ses mots.
Un public - si cela n'était pas déjà évident - dont je fais partie. J'écoute Bruce Springsteen depuis très longtemps mais je ne peux affirmer qu'il a représenté la bande-son de ma jeunesse. J'ai passé mon adolescence sous l'emprise du punk-rock et de ses héritiers et j'ai découvert Springsteen sur le tard, après un stade de la vie où ses grands hymnes de romance, de rébellion et de fuite auraient pu avoir leur impact le plus direct. Par conséquent, j'associe son œuvre avec les chagrins et les satisfactions qu'apporte une vie d'adulte. C'est une musique avec laquelle on mûrit, pas une musique dont on se lasse.
Les meilleures chansons de M. Springsteen, à mon avis, parlent de compromis et de stoïcisme, de déception et de foi, de travail, de patience et de résignation. Elles parlent aussi souvent, même celles écrites dans sa jeunesse, de nostalgie, elles parlent du désir de recapturer ces moments éphémères d'intensité et de possibilité que nous associons au fait d'être jeune.
Des moments qui ont tendance, et non par pure coïncidence, à se cristalliser dans un certain genre de chansons populaires. Une chanson, disons, comme Girls In Their Summer Clothes, au beau milieu de Magic et que le E Street Band était en train de jouer quand ma femme et moi sommes entrés sur la pointe des pieds dans le Convention Hall d'Asbury Park. C'était peu après 10 heures. Le groupe répétait depuis environ une heure, se préparant pour une tournée en Amérique du Nord et en Europe, qui commence mardi à Hartford.
Ce sentiment volontairement provoqué, mais pas moins puissant pour autant, logeait en moi depuis ce matin. Très tôt, moi et ma copine - c'est à dire ma femme depuis près de 20 ans - avions claqué la porte d'entrée, déposé nos enfants à l'école et pris la route en direction du Garden State (le New Jersey), dans notre break Volvo. Nous avions, avant sa sortie, une copie du nouvel album de M. Springsteen, Magic, dans notre lecteur CD, et la plupart de son catalogue en réserve dans l'iPod. Et maintenant, nous descendions vers Kingsley. Une dernière chance de le rendre réel. Tramps like us, baby !
Notre but n'était pas de fantasmer mais plutôt d'observer le E Street Band en répétition et puis d'écouter ce que notre homme avait à dire sur le nouvel album, la tournée à venir, et les autres choses qui le préoccupaient. Magic est, musicalement parlant, l'un des albums les plus enjoués et accessibles qu'il ait faits, même si ses thèmes et ses histoires en font l'un des plus politiques. Une fois de plus, il part en tournée alors que l'élection présidentielle approche.
"J'aime sortir à ces moments-là" me dira-t-il plus tard, une fois assis pour discuter dans une loge backstage, après les répétitions. "Quelle que soit la chose, même minime, que nous puissions faire, c'est un bon moment pour le faire".
A un âge où la plupart des rockers, s'ils sont toujours en vie, sont devenus soit des hommages, soit des parodies de ce qu'ils étaient avant, M. Springsteen semble s'épanouir dans une situation fort enviable, explorant de nouvelles formes musicales tout en ayant un ensemble de chansons à son répertoire qui ne semblent jamais vieillir, avec beaucoup de choses à dire et un public qui s'accroche à chacun de ses mots.
Un public - si cela n'était pas déjà évident - dont je fais partie. J'écoute Bruce Springsteen depuis très longtemps mais je ne peux affirmer qu'il a représenté la bande-son de ma jeunesse. J'ai passé mon adolescence sous l'emprise du punk-rock et de ses héritiers et j'ai découvert Springsteen sur le tard, après un stade de la vie où ses grands hymnes de romance, de rébellion et de fuite auraient pu avoir leur impact le plus direct. Par conséquent, j'associe son œuvre avec les chagrins et les satisfactions qu'apporte une vie d'adulte. C'est une musique avec laquelle on mûrit, pas une musique dont on se lasse.
Les meilleures chansons de M. Springsteen, à mon avis, parlent de compromis et de stoïcisme, de déception et de foi, de travail, de patience et de résignation. Elles parlent aussi souvent, même celles écrites dans sa jeunesse, de nostalgie, elles parlent du désir de recapturer ces moments éphémères d'intensité et de possibilité que nous associons au fait d'être jeune.
Des moments qui ont tendance, et non par pure coïncidence, à se cristalliser dans un certain genre de chansons populaires. Une chanson, disons, comme Girls In Their Summer Clothes, au beau milieu de Magic et que le E Street Band était en train de jouer quand ma femme et moi sommes entrés sur la pointe des pieds dans le Convention Hall d'Asbury Park. C'était peu après 10 heures. Le groupe répétait depuis environ une heure, se préparant pour une tournée en Amérique du Nord et en Europe, qui commence mardi à Hartford.
Le Convention Hall est une petite salle de concert vétuste où, quand il était ado, M. Springsteen a vu des groupes tels que les Who et les Doors. Ce matin-là, il y régnait un son d'été scintillant, comme si nous avions remonté le temps, jusqu'au paysage sonore de Phil Spector, de Brian Wilson et des Byrds, au milieu des années 60. Steve Van Zandt grattait une guitare 12-cordes et les harmonies vocales, le son des claviers, le saxophone de Clarence Clemons et le violon de Soozie Tyrell, l'ensemble offrait un riche coussin orchestral à la voix de M. Springsteen, qui s'évanouissait dans des paroles aussi romantiques que le titre de la chanson.
"Je voulais une chose sur cet album, l'univers parfait de la pop" a dit M. Springsteen, une fois le groupe parti et son déjeuner avalé (granola, avec fruit frais et lait de soja). C'était deux jours avant son 58ème anniversaire et il paraissait plus élégant et bronzé que la dernière fois où je l'ai vu, sur l'écran vidéo JumboTron du Giants Stadium, il y a quelques années. "Vous savez, ce jour où tout va bien. C'est un monde qui n'existe seulement que dans les chansons pop, et que de temps en temps, vous arrivez à atteindre".
Bien que dans Girls In Their Summer Clothes il y ait une touche de mélancolie. Son narrateur, après tout, est là et regarde les filles de la chanson "passer". "C'est le désir, le désir pour un monde parfait", continue M. Springsteen. "La musique pop est drôle. Elle allume. Elle allume beaucoup, mais ne reste qu'à ce stade, et c'est ce qui la rend belle et drôle".
Et la plupart des chansons de Magic, après une première écoute, semblent dévoiler un esprit similaire. Il y a l'éclat du son, une légèreté du toucher qui sont sensiblement différents de ce que M. Springsteen a produit récemment. Ces cinq dernières années, il a sorti quatre albums de matériel original, une route zigzaguant à travers des choses nouvelles et d'autres plus traditionnelles. The Rising (2002) a réuni en studio le E Street Band après un long hiatus (leur son étant remis au goût du jour par Brendan O'Brien) et a été une réponse au traumatisme du 11-septembre, avec le rugissement provocant et rédempteur d'une solide musique rock. Avec Devils & Dust (2005), M. Springsteen a repris les thèmes d'histoires de Western et de ballades acoustiques qui remontaient à des projets sans le E Street Band, tels que The Ghost Of Tom Joad et Nebraska (y compris des thèmes de The River). The Seeger Sessions, sorti l'année dernière, était une sorte de théâtre folk ambulant, traditionnel, aux idées contestataires, avec un grand orchestre indiscipliné jouant des spirituals, des chansons de l'Union, et des ballades du Dust Bowl.
Tous ces disques étaient fortement teintés par le populisme fondamental de M. Springsteen, mais aucun n'était ce que j'appellerais un disque pop. Pop est le mot que lui et ses musiciens utilisent sans cesse pour décrire Magic. M. Van Zandt, qui joue et parle musique avec M. Springsteen depuis 40 ans (les érudits citent le 03 novembre 1967, la date de leur première rencontre) a remarqué que par le passé les compositions les plus légères et les plus mélodiques de Springsteen avaient tendance à ne pas se retrouver sur l'album final.
"C'était une bonne chose que pour celui-là, nous ayons été plus ouverts" a-t-il dit dans une interview par téléphone quelques jours après ma visite à Asbury Park, "avec quelque chose d'un peu plus pop, sans compromettre l'intégrité ou aucune des qualités. Une bonne surprise, un bon changement de rythme que d'inclure ces choses et de les intégrer à l'album, au lieu d'avoir beaucoup de plaisir à les enregistrer pour les mettre à la poubelle plus tard".
Pour sa part, M. Springsteen a dit qu'en écrivant les chansons de Magic, il était retombé amoureux "de la musique pop". "Je suis retourné vers des formes que je n'avais pas utilisées auparavant ou que je n'avais pas beaucoup utilisé, qui étaient de véritables productions pop", dit-il. "J'ai écrit beaucoup de musique qui accroche. C'est simplement la façon dont les chansons se sont écrites d'elles-mêmes. Je pense que parce que je me sentais assez libre, je n'ai pas eu peur de la pop music. Dans le passé, je voulais être sûr que ma musique soit assez dure pour illustrer les histoires que j'allais raconter".
"Je voulais une chose sur cet album, l'univers parfait de la pop" a dit M. Springsteen, une fois le groupe parti et son déjeuner avalé (granola, avec fruit frais et lait de soja). C'était deux jours avant son 58ème anniversaire et il paraissait plus élégant et bronzé que la dernière fois où je l'ai vu, sur l'écran vidéo JumboTron du Giants Stadium, il y a quelques années. "Vous savez, ce jour où tout va bien. C'est un monde qui n'existe seulement que dans les chansons pop, et que de temps en temps, vous arrivez à atteindre".
Bien que dans Girls In Their Summer Clothes il y ait une touche de mélancolie. Son narrateur, après tout, est là et regarde les filles de la chanson "passer". "C'est le désir, le désir pour un monde parfait", continue M. Springsteen. "La musique pop est drôle. Elle allume. Elle allume beaucoup, mais ne reste qu'à ce stade, et c'est ce qui la rend belle et drôle".
Et la plupart des chansons de Magic, après une première écoute, semblent dévoiler un esprit similaire. Il y a l'éclat du son, une légèreté du toucher qui sont sensiblement différents de ce que M. Springsteen a produit récemment. Ces cinq dernières années, il a sorti quatre albums de matériel original, une route zigzaguant à travers des choses nouvelles et d'autres plus traditionnelles. The Rising (2002) a réuni en studio le E Street Band après un long hiatus (leur son étant remis au goût du jour par Brendan O'Brien) et a été une réponse au traumatisme du 11-septembre, avec le rugissement provocant et rédempteur d'une solide musique rock. Avec Devils & Dust (2005), M. Springsteen a repris les thèmes d'histoires de Western et de ballades acoustiques qui remontaient à des projets sans le E Street Band, tels que The Ghost Of Tom Joad et Nebraska (y compris des thèmes de The River). The Seeger Sessions, sorti l'année dernière, était une sorte de théâtre folk ambulant, traditionnel, aux idées contestataires, avec un grand orchestre indiscipliné jouant des spirituals, des chansons de l'Union, et des ballades du Dust Bowl.
Tous ces disques étaient fortement teintés par le populisme fondamental de M. Springsteen, mais aucun n'était ce que j'appellerais un disque pop. Pop est le mot que lui et ses musiciens utilisent sans cesse pour décrire Magic. M. Van Zandt, qui joue et parle musique avec M. Springsteen depuis 40 ans (les érudits citent le 03 novembre 1967, la date de leur première rencontre) a remarqué que par le passé les compositions les plus légères et les plus mélodiques de Springsteen avaient tendance à ne pas se retrouver sur l'album final.
"C'était une bonne chose que pour celui-là, nous ayons été plus ouverts" a-t-il dit dans une interview par téléphone quelques jours après ma visite à Asbury Park, "avec quelque chose d'un peu plus pop, sans compromettre l'intégrité ou aucune des qualités. Une bonne surprise, un bon changement de rythme que d'inclure ces choses et de les intégrer à l'album, au lieu d'avoir beaucoup de plaisir à les enregistrer pour les mettre à la poubelle plus tard".
Pour sa part, M. Springsteen a dit qu'en écrivant les chansons de Magic, il était retombé amoureux "de la musique pop". "Je suis retourné vers des formes que je n'avais pas utilisées auparavant ou que je n'avais pas beaucoup utilisé, qui étaient de véritables productions pop", dit-il. "J'ai écrit beaucoup de musique qui accroche. C'est simplement la façon dont les chansons se sont écrites d'elles-mêmes. Je pense que parce que je me sentais assez libre, je n'ai pas eu peur de la pop music. Dans le passé, je voulais être sûr que ma musique soit assez dure pour illustrer les histoires que j'allais raconter".