Bruce Springsteen
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The Atlantic, 23 juin 2020

La playlist de Bruce Springsteen à l'époque de Trump



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C'est un moment de tumulte, de colère, d'espoir et de changement social. Dans de tels moments, les auteurs-compositeurs et les musiciens ont le pouvoir de nommer les choses et de nous aider à donner un sens aux événements – des artistes comme Kendrick Lamar, Janelle Monáe, Tom Morello, Nina Simone, Marvin Gaye, Bob Dylan, et Bruce Springsteen.

Springsteen a écrit
American Skin (41 Shots) il y a plus de 20 ans, une chanson forte qui parle du meurtre d'un homme noir par la police. J'ai pensé que ce serait une bonne idée de faire le point avec Bruce, d'avoir son point de vue sur la période actuelle, en paroles et en musique. Voici une transcription légèrement modifiée de notre conversation, qui s'est déroulée le 09 juin (la playlist de Bruce est disponible en intégralité sur Spotify).

6:45 AM ET
David Brooks
Contributeur pour
The Atlantic et chroniqueur pour The New York Times

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Nous voyons des citoyens défiler dans la rue. Nous voyons un grand tumulte. Et vous, que voyez-vous ? Êtes-vous optimiste ou pessimiste par rapport à ce qui est en train de se passer là, dehors ?

Je ne pense pas que quiconque sache réellement la direction vers laquelle nous nous dirigeons. Il y a trop d'inconnues. Nous ne savons pas vers où le virus du COVID nous conduira. Nous ne savons pas aujourd'hui vers où [le mouvement] Black Lives Matter (1) nous conduira. Avons-nous une véritable conversation pragmatique sur la race et le maintien de l'ordre, et en fin de compte sur l'inégalité économique, qui a été une tâche sur notre contrat social ?

Et évidemment, personne ne sait vers où notre prochaine élection nous conduira. Je crois que notre président en exercice représente une menace pour notre démocratie. Il rend n'importe quelle réforme tellement plus difficile. Je ne sais pas si notre démocratie pourrait supporter quatre années supplémentaires sous sa tutelle.

Voilà toutes les menaces qui planent sur notre démocratie, et sur notre mode de vie.

Si vous prenez tous ces éléments-là, vous pourriez être pessimiste, mais il y a des côtés positifs pour chacune de ces situations. Je pense que nous avons l'espoir de trouver un vaccin. Je pense qu'à chaque fois qu'une représentation de plusieurs mètres de long de Black Live Matters pointe vers la Maison-Blanche, c'est un bon signe. Et les manifestations ont rassemblé côte à côte les blancs et les noirs, au nom furieux de l'amour. C'est un bon signe.

Quoi d'autre, les sondages du président semblent s'écrouler. C'est un bon signe. Je pense que nous avons finalement atteint un point critique avec cette marche de Lafayette Square, qui s'est trouvée être outrageusement anti-américaine, totalement bouffonne et si stupide, et contraire à la liberté de parole. Et nous en avons des images qui resteront gravées à jamais.

Je suis optimiste pour la prochaine élection. Je crois que ce sont ces gosses dans la rue qui m'inspirent cet espoir. Et le fait que ces manifestations se déroulent partout dans le monde. Je crois qu'il s'agit d'un mouvement, en définitive, qui dépasse la violence policière, et qui dépasse même George Floyd, qu'il repose en paix.

Parlons un peu de certains de ces sujets sensibles. Ces évènements ont de nouveau levé le voile sur l'injustice sociale, la division raciale, et l'inégalité raciale. Vous chantez sur ces sujets-là depuis très longtemps. Je me souviens que dans votre chanson My Hometown, vous parliez de la tension raciale dans le lycée de votre ville. Comment pensez-vous que nous avançons dans l'ensemble ? Pensez-vous que nous avons fait des progrès ?

Si vous jetez un œil aux évènements rugueux de ces dernières semaines, et même aux cas recensés d'oppression et de violence policière, vous pourriez dire que nous allons très mal. Vous pourriez être terriblement pessimiste. Mais d'un autre côté, j'ai fait une expérience amusante. Quand j'ai regardé le président marcher vers l'église St John et poser avec sa Bible, accompagné de son équipe de façade, toute blanche, rien n'avait l'air réel. Car ce n'était pas réel. Il ne s'agit pas de l'Amérique d'aujourd'hui. Cette culture, qui maintient invisible le peuple noir, est révolue.

Au jour d'aujourd'hui, si le peuple noir n'est pas visible, ce n'est pas acceptable. Et je pense qu'il s'agit d'un signe de progrès. Quand vous regardez les représentants Démocrates à l'assemblée, métis et noirs, hétéros et homos, et puis que vous regardez les Républicains, lesquels apparaissent figés dans le passé aujourd'hui ? Ils sont ridicules. Et, en dépit de leur pouvoir actuel, ils ressemblent à un parti en faillite.

Si vous remontez plus loin dans le temps, il y a un demi-siècle par exemple, lorsque j'avais 20 ans, ou en 1968, lorsque j'avais 18 ans, vous pourriez dire qu'il y a eu des améliorations significatives - le mouvement pour les droits civiques, la loi sur le Droit de Vote, la présidence Obama. Évidemment, il y a toujours des éléments réactionnaires prêts à constamment repousser n'importe quel progrès. Mais, j'ai le sentiment que c'est moins important aujourd'hui qu'auparavant, quelle que soit la période, c'est en diminution constante. Il y a ceux qui se voient laissés de côté par l'histoire et par la perte de statut, et il y a les forces au sein du parti Républicain et dans la société qui sont résolues à maintenir la balance du pouvoir de la nation dans une seule main, alors que c'est tout simplement impossible.

Donc, je dirais qu'il y a eu énormément de progrès, mais évidemment, le chemin est encore long. Il y a cette citation connue de Martin Luther King qui dit, "L'arc moral de l'univers est long, mais il tend vers la justice". Je crois toujours en cette citation. Mais il y encore beaucoup de virages le long de la route. Et pour notre époque, c'est bien trop lent.

Mais nous avons un débat dans le pays, sur le comportement de la police, un débat qui n'a que trop tardé. Ce sera douloureux, mais je pense que les effets seront positifs. A l'ère de la vidéo, une mauvaise conduite - une violence injustifiée, des meurtres - ne peut être ignorée ou cachée. Le président peut prétendre que rien ne s'est passé, et que George Floyd est au ciel, en train de sourire, parce que les statistiques sur l'emploi de cette semaine sont bonnes. Mais chaque américain, et le monde entier, il me semble, se rend compte aujourd'hui que le statu-quo n'est pas bon. Et c'est un progrès. J'ai le sentiment que les choses sont meilleures aujourd'hui, et vont dans la bonne direction, en dépit ou à cause du chaos de l'époque actuelle.

Nous n'allons pas faire que bavarder; nous allons aussi écouter un peu de musique. Et vous avez donc sélectionné des chansons pour enrichir l'instant et apporter peut-être une compréhension plus profonde des évènements actuels. La première chanson choisie, c'est Strange Fruit de Billie Holiday.

La chanson a été écrite en 1937 par Abel Meeropol. Alors imaginez-vous écrire Strange Fruit, une chanson sur le lynchage dans le Sud, et prenez une chanteuse populaire comme Billie Holiday pour la chanter en 1939. C'était un enregistrement très controversé. Son label, Columbia, ne voulait pas la sortir. Elle l'a donc sortie sous un autre label.

C'est un morceau épique qui était bien en avance sur son temps. C'est une chanson qui touche du doigt, de façon très, très profonde, un point sensible de notre conversation actuelle.



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