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ADIEU A DANNY
Laissez-moi commencer par les anecdotes.
A l'époque des miracles, ces jours de conquête de la frontière où "Mad Dog" Lopez et ses colères paralysaient de peur le groupe, les propriétaires de petits clubs, les civils innocents et toutes les femmes, les enfants et les petits animaux.
A l'époque où vous pouviez encore balancer votre vie en signant un contrat sur le capot d'une voiture dans un parking de New York.
Peu après cette époque où un jeune accordéoniste aux cheveux roux décrocha l'or au cours de l'émission Ted Mack Amateur Hour et où lui et sa maman furent envoyés en Suisse pour leur montrer comment on en joue correctement.
A l'époque où les play-boys sur la plage ne faisaient pas la couverture du Time.
Je parle d'une époque où le E Street Band était une organisation communiste ! Mon pote, le calme et timide Dan Federici, était à lui tout seul le créateur des moments les plus effrayants de nos 40 années de carrière. Et ce n'était pas chose aisée. Il entrait en concurrence avec "Mad Dog" Lopez... Danny a simplement duré plus longtemps que lui.
Peut-être est-ce grâce à cette "émeute avec la police" à Middletown, New Jersey. Un concert que nous donnions afin de récolter l'argent pour la caution de "Mad Dog" Lopez, emprisonné à Richmond, Virginie, suite à une altercation avec des policiers que nous avions exaspérés en jouant trop longtemps. Danny fit prétendument tomber nos énormes amplis Marshall sur ces bonnes gens de Middletown qui s'étaient précipités sur la scène, parce que nous enfreignions la loi... en jouant trop longtemps.
Alors que je regardais ce qui ce passait, plusieurs policiers sont sortis en rampant de sous les enceintes, et se sont sauvés en courant à la recherche d'une assistance médicale. Un autre jeune policier sympathique se tenait devant moi sur la scène, agitant sa matraque, me donnant de petits coups et m'insultant de tous les noms. J'ai regardé par-dessus son épaule et j'ai vu Danny, avec un policier costaud qui le tirait par un bras, pendant que Flo Federici, sa première femme, le tirait de l'autre, aidant son homme à résister à l'arrestation.
Un gosse a bondi du public sur la scène, et a momentanément déconcentré ce policier costaud en lui criant les insultes de l'époque. Après cet épisode, pour toujours, "Phantom" Dan Federici se glissa dans la foule et disparut.
Un mandat d'arrêt contre lui et un mois de cavale plus tard, il n'avait toujours pas comparu devant la justice. Nous le cachions dans divers endroits, mais à ce moment-là, nous avions un problème. Nous allions donner un concert au Monmouth College. Nous avions besoin d'argent et nous devions faire ce concert. Nous avons essayé un remplaçant, mais cela ne fonctionnait pas. Donc, Danny, suscitant toute notre admiration, s'avança et dit qu'il risquerait sa liberté, tenterait sa chance et jouerait.
Soir du concert. 2000 fans hurlent dans le gymnase de Monmouth College. Nous nous étions arrangés pour que Danny n'apparaisse sur scène qu'au moment où nous commencerions à jouer. Nous pensions que les policiers présents pour l'arrêter ne le feraient pas sur scène, pendant le concert, au risque de provoquer une autre émeute.
Laissez-moi vous planter le décor. Danny se cache, accroupi sur la banquette arrière d'une voiture sur le parking. A huit heures moins cinq, heure officielle du début du concert, je pars pour le ramener discrètement. Je frappe à la vitre.
"Danny, c'est l'heure".
J'entends comme réponse, "Je ne viens pas".
Moi: "Qu'est-ce que tu veux dire par tu ne viens pas ?".
Danny, "les flics sont sur le toit du gymnase. Je les ai vus et ils vont me choper à la minute où je sors de cette voiture".
Lorsque j'ouvre la portière, je me rends compte que Danny a fumé un petit quelque chose et qu'il était devenu un tant soit peu parano. J'ai dit, "Dan, il n'y a aucun flic sur le toit".
Il dit, "Si, je les ai vus je te dis, je ne viens pas".
J'ai alors utilisé un procédé auquel j'allais avoir souvent recours pendant les 40 années à venir pour gérer les inquiétudes de mon vieux pote. Je l'ai menacé... et je l'ai couvert de gentillesses. Finalement, il est sorti. Nous avons traversé le parking pour nous engouffrer dans le gymnase et faire un concert extatique durant lequel nous avons ri comme des fous, pensant à notre excellente esquive des flics du coin.
A la fin de la soirée, pendant la dernière chanson, j'ai fait monter toute la foule sur scène et Danny s'est glissé dans le public et il est sorti par la porte principale. Une fois encore, "Phantom" Dan avait réussi sa sortie. (Je reçois toujours, à l'occasion, une carte de l'ancien Chef de la Police de Middletown, nous souhaitant plein de bonnes choses. Nos histoires sont liées à jamais). Et cette histoire, mes amis, ne fut que le commencement.
Il y a eu l'époque où Danny a quitté le groupe durant une période difficile au Max's Kansas City, m'expliquant qu'il partait pour réparer des téléviseurs. Je lui ai demandé d'y réfléchir et de revenir plus tard.
Ou Danny, dans la voiture de location du groupe, jouant aux autos-tamponneuses avec plusieurs voitures garées, après une nuit d'amusement, brisant le pare-brise avec sa tête mais s'en sortant sans blessures graves, grâce à l'énorme chapeau de cow-boy qu'il avait acheté au Texas, lors de notre virée dans l'Ouest.
Ou Danny, laissant un énorme plant de marijuana sur le siège avant de sa voiture dans une zone où le stationnement était interdit. La voiture fut rapidement remorquée. Il m'a dit, "Bruce, je vais aller au commissariat et signaler qu'elle a été volée". Je lui ai dit, "Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée".
Et le voilà parti, directement en prison, sans passer par la case départ.
Ou Danny, le seul membre du E Street Band à s'être fait physiquement jeté dehors du Stone Pony. Considérant la somme d'argent que nous leur avons rapportée, ce n'était pas chose facile à faire.
Ou Danny recevant et survivant à des "coups et blessures d'avertissement" d'un "Big Man" Clarence Clemons, enragé mais mesuré, à l'époque où ils vivaient ensemble, et Danny avait finalement réussi à pousser le "Big Man" à bout.
Ou Danny m'aidant à enlever mon pied d'une enceinte après avoir été le seul membre du groupe à m'avoir jamais mis dans une colère aussi violente.
Et à travers toutes ces histoires, Danny jouait de son superbe orgue B3 en y mettant toute son âme et notre amour a grandi. Et a continué de grandir. La vie est drôle ainsi. C'était le gamin du coin, et génial en plus, et c'est pour cette raison que vous devez être indulgent... Et il était beaucoup plus tolérant envers mes échecs, que moi envers les siens.
Quand Danny ne provoquait pas le chaos, c'était un mec doux, talentueux, simple, sans prétention, qui avait simplement une capacité démesurée à faire fabuleusement échouer la bonne fortune et les bonnes choses.
Mais au-delà de tous ces aspects, il avait également une montagne de bons côtés. Il avait le cœur et l'âme d'un ingénieur. Il a appris à piloter un avion. Il était toujours au fait des dernières technologies et vous les expliquait avec patience et avec énormément de détails. Il était toujours en train de "trafiquer" quelque chose dans le but d'améliorer sa voiture, sa chaîne stéréo, son B3. Quant Patti s'est jointe au groupe, il a été l'ami le plus accueillant, le plus attentif, le plus gentil envers la première femme qui entrait dans notre "club de garçons".
Il adorait ses enfants, vantant sans cesse Jason, Harley et Madison et il aimait sa femme Maya pour toutes les nouvelles choses qu'elle lui avait apportées dans sa nouvelle vie.
Et puis, il y avait son talent artistique. C'était le musicien le plus intuitif que j'ai jamais vu. Son style était glissant et fluide, attiré par les espaces que laissaient les autres musiciens du E Street Band. Ce n'était pas un musicien dominant, c'était un musicien complémentaire. Un véritable accompagnateur. Il apportait naturellement la colle qui fixait le son du groupe. Ainsi, il s'est créé un style très spécifique. Quand vous entendez Dan Federici, vous n'entendez pas une couverture de sons, vous entendez un riff, débordant d'énergie, flottant au-dessus de tout le reste pour quelques instants et puis disparaissant dans la chanson. "Phantom" Dan Federici. A présent vous l'entendez, à présent vous ne l'entendez pas.
Quand il n'était pas sur scène, Danny était incapable de réciter une parole ou la progression d'un accord d'une de mes chansons. Sur scène, ses oreilles s'ouvraient. Il écoutait, il ressentait, il jouait, trouvant le vide parfait, la place parfaite pour un accord ou une rafale de notes. Ce style a créé un sentiment formidable de spontanéité dans la musique jouée tous ensemble.
En studio, si je voulais aérer la chanson que nous étions en train d'enregistrer, je mettais Danny sur le coup sans lui dire ce qu'il fallait jouer. Je lui laissais le champ libre. Il a apporté avec lui le son du carnaval, des parcs d'attraction, du boardwalk, de la plage, de la géographie de notre jeunesse et le cœur et l'âme du lieu de naissance du E Street Band.
Puis nous avons grandi. Très lentement. Nous avons traversé ensemble beaucoup d'épreuves et de tribulations. La réponse que donnait Danny à une erreur commise sur scène, à des moments difficiles, à des évènements catastrophiques se résumait habituellement à un haussement d'épaules et à un sourire. Du genre, "Je ne suis qu'un homme sur une mer déchaînée, mais je flotte toujours. Et nous sommes toujours là".
J'ai vu Danny combattre et vaincre de sérieuses addictions. Je l'ai vu se démener pour mettre de l'ordre dans sa vie et durant les dix dernières années, quand le groupe s'est reformé, je l'ai vu s'épanouir à prendre place derrière ce gros B3, débordant de vie et, oui, d'une nouvelle maturité, d'une passion pour son travail, pour sa famille et son foyer, dans la fraternité de notre groupe.
Ensuite, je l'ai vu se battre contre son cancer sans se plaindre et avec un grand courage et un grand optimisme. Quand je lui demandais comment les choses se présentaient, il me disait simplement, "Qu'est-ce que tu vas y faire ? J'attends demain avec impatience". Danny, le fataliste rayonnant. Il s'est accroché jusqu'au bout.
Il y a quelques semaines, nous nous sommes finalement retrouvés sur scène à Indianapolis, pour ce qui serait sa dernière fois. Avant de monter, je lui ai demandé ce qu'il voulait jouer et il a dit "Sandy". Il voulait sangler l'accordéon et revisiter le boardwalk de notre jeunesse, durant ces nuits d'été où nous marchions le long des planches en prenant tout notre temps.
Alors qu'importe si nous avions simplement détruit trois voitures en stationnement, c'est une nuit magnifique ! Alors qu'importe si nous étions poursuivis par l'ensemble des services de police de Middletown, allons nager ! Il voulait jouer encore une fois la chanson qui parle, bien évidemment, de la fin de quelque chose de merveilleux et du début de quelque chose d'inconnu et de nouveau.
Retournons à l'époque des miracles. Pete Townsend a dit, "Un groupe de rock'n'roll est quelque chose de dingue. Vous rencontrez certaines personnes quand vous êtes gamin et contrairement à n'importe quelle autre profession dans le monde entier, vous restez enchaînés à eux pour le reste de votre vie, peu importe qui ils sont ou les choses dingues qu'ils font".
Si nous n'avions pas joué ensemble, les membres du E Street Band ne se connaîtraient probablement pas aujourd'hui. Nous ne serions pas dans cette pièce ensemble. Mais nous... nous jouons ensemble. Et chaque soir, à 20 heures, nous montons sur scène et là, mes amis, c'est un endroit où les miracles se produisent... d'anciens et de nouveaux miracles. Et ceux qui sont avec vous, quand les miracles se produisent, vous ne les oubliez jamais. La vie ne vous sépare pas. La mort ne vous sépare pas. Ceux qui se trouvent à vos côtés et créent des miracles pour vous, comme Danny le faisait pour moi tous les soirs, c'est un bonheur pour vous de se trouver parmi eux.
Évidemment, nous avons tous grandi et nous savons que "ce n'est que du rock'n'roll"... mais ce n'est pas ça. Après une vie entière à regarder un homme accomplir son miracle pour vous, soir après soir, vous ressentez quelque chose qui ressemble énormément à de l'amour.
Ainsi aujourd'hui, faisant une autre de ses mystérieuse sorties, nous disons au revoir à Danny, "Phantom" Dan, Federici. Père, mari, mon frère, mon ami, mon mystère, mon épine, ma rose, mon musicien, mon miracle personnifié et membre honoraire à vie d'un E Street Band légendaire faisant trembler les murs, tombant les pantalons, scandalisant la terre, jouant un rock rugueux, secouant les culs, faisant l'amour, brisant les cœurs, pleurant de l'âme... et oui, défiant la mort.
Laissez-moi commencer par les anecdotes.
A l'époque des miracles, ces jours de conquête de la frontière où "Mad Dog" Lopez et ses colères paralysaient de peur le groupe, les propriétaires de petits clubs, les civils innocents et toutes les femmes, les enfants et les petits animaux.
A l'époque où vous pouviez encore balancer votre vie en signant un contrat sur le capot d'une voiture dans un parking de New York.
Peu après cette époque où un jeune accordéoniste aux cheveux roux décrocha l'or au cours de l'émission Ted Mack Amateur Hour et où lui et sa maman furent envoyés en Suisse pour leur montrer comment on en joue correctement.
A l'époque où les play-boys sur la plage ne faisaient pas la couverture du Time.
Je parle d'une époque où le E Street Band était une organisation communiste ! Mon pote, le calme et timide Dan Federici, était à lui tout seul le créateur des moments les plus effrayants de nos 40 années de carrière. Et ce n'était pas chose aisée. Il entrait en concurrence avec "Mad Dog" Lopez... Danny a simplement duré plus longtemps que lui.
Peut-être est-ce grâce à cette "émeute avec la police" à Middletown, New Jersey. Un concert que nous donnions afin de récolter l'argent pour la caution de "Mad Dog" Lopez, emprisonné à Richmond, Virginie, suite à une altercation avec des policiers que nous avions exaspérés en jouant trop longtemps. Danny fit prétendument tomber nos énormes amplis Marshall sur ces bonnes gens de Middletown qui s'étaient précipités sur la scène, parce que nous enfreignions la loi... en jouant trop longtemps.
Alors que je regardais ce qui ce passait, plusieurs policiers sont sortis en rampant de sous les enceintes, et se sont sauvés en courant à la recherche d'une assistance médicale. Un autre jeune policier sympathique se tenait devant moi sur la scène, agitant sa matraque, me donnant de petits coups et m'insultant de tous les noms. J'ai regardé par-dessus son épaule et j'ai vu Danny, avec un policier costaud qui le tirait par un bras, pendant que Flo Federici, sa première femme, le tirait de l'autre, aidant son homme à résister à l'arrestation.
Un gosse a bondi du public sur la scène, et a momentanément déconcentré ce policier costaud en lui criant les insultes de l'époque. Après cet épisode, pour toujours, "Phantom" Dan Federici se glissa dans la foule et disparut.
Un mandat d'arrêt contre lui et un mois de cavale plus tard, il n'avait toujours pas comparu devant la justice. Nous le cachions dans divers endroits, mais à ce moment-là, nous avions un problème. Nous allions donner un concert au Monmouth College. Nous avions besoin d'argent et nous devions faire ce concert. Nous avons essayé un remplaçant, mais cela ne fonctionnait pas. Donc, Danny, suscitant toute notre admiration, s'avança et dit qu'il risquerait sa liberté, tenterait sa chance et jouerait.
Soir du concert. 2000 fans hurlent dans le gymnase de Monmouth College. Nous nous étions arrangés pour que Danny n'apparaisse sur scène qu'au moment où nous commencerions à jouer. Nous pensions que les policiers présents pour l'arrêter ne le feraient pas sur scène, pendant le concert, au risque de provoquer une autre émeute.
Laissez-moi vous planter le décor. Danny se cache, accroupi sur la banquette arrière d'une voiture sur le parking. A huit heures moins cinq, heure officielle du début du concert, je pars pour le ramener discrètement. Je frappe à la vitre.
"Danny, c'est l'heure".
J'entends comme réponse, "Je ne viens pas".
Moi: "Qu'est-ce que tu veux dire par tu ne viens pas ?".
Danny, "les flics sont sur le toit du gymnase. Je les ai vus et ils vont me choper à la minute où je sors de cette voiture".
Lorsque j'ouvre la portière, je me rends compte que Danny a fumé un petit quelque chose et qu'il était devenu un tant soit peu parano. J'ai dit, "Dan, il n'y a aucun flic sur le toit".
Il dit, "Si, je les ai vus je te dis, je ne viens pas".
J'ai alors utilisé un procédé auquel j'allais avoir souvent recours pendant les 40 années à venir pour gérer les inquiétudes de mon vieux pote. Je l'ai menacé... et je l'ai couvert de gentillesses. Finalement, il est sorti. Nous avons traversé le parking pour nous engouffrer dans le gymnase et faire un concert extatique durant lequel nous avons ri comme des fous, pensant à notre excellente esquive des flics du coin.
A la fin de la soirée, pendant la dernière chanson, j'ai fait monter toute la foule sur scène et Danny s'est glissé dans le public et il est sorti par la porte principale. Une fois encore, "Phantom" Dan avait réussi sa sortie. (Je reçois toujours, à l'occasion, une carte de l'ancien Chef de la Police de Middletown, nous souhaitant plein de bonnes choses. Nos histoires sont liées à jamais). Et cette histoire, mes amis, ne fut que le commencement.
Il y a eu l'époque où Danny a quitté le groupe durant une période difficile au Max's Kansas City, m'expliquant qu'il partait pour réparer des téléviseurs. Je lui ai demandé d'y réfléchir et de revenir plus tard.
Ou Danny, dans la voiture de location du groupe, jouant aux autos-tamponneuses avec plusieurs voitures garées, après une nuit d'amusement, brisant le pare-brise avec sa tête mais s'en sortant sans blessures graves, grâce à l'énorme chapeau de cow-boy qu'il avait acheté au Texas, lors de notre virée dans l'Ouest.
Ou Danny, laissant un énorme plant de marijuana sur le siège avant de sa voiture dans une zone où le stationnement était interdit. La voiture fut rapidement remorquée. Il m'a dit, "Bruce, je vais aller au commissariat et signaler qu'elle a été volée". Je lui ai dit, "Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée".
Et le voilà parti, directement en prison, sans passer par la case départ.
Ou Danny, le seul membre du E Street Band à s'être fait physiquement jeté dehors du Stone Pony. Considérant la somme d'argent que nous leur avons rapportée, ce n'était pas chose facile à faire.
Ou Danny recevant et survivant à des "coups et blessures d'avertissement" d'un "Big Man" Clarence Clemons, enragé mais mesuré, à l'époque où ils vivaient ensemble, et Danny avait finalement réussi à pousser le "Big Man" à bout.
Ou Danny m'aidant à enlever mon pied d'une enceinte après avoir été le seul membre du groupe à m'avoir jamais mis dans une colère aussi violente.
Et à travers toutes ces histoires, Danny jouait de son superbe orgue B3 en y mettant toute son âme et notre amour a grandi. Et a continué de grandir. La vie est drôle ainsi. C'était le gamin du coin, et génial en plus, et c'est pour cette raison que vous devez être indulgent... Et il était beaucoup plus tolérant envers mes échecs, que moi envers les siens.
Quand Danny ne provoquait pas le chaos, c'était un mec doux, talentueux, simple, sans prétention, qui avait simplement une capacité démesurée à faire fabuleusement échouer la bonne fortune et les bonnes choses.
Mais au-delà de tous ces aspects, il avait également une montagne de bons côtés. Il avait le cœur et l'âme d'un ingénieur. Il a appris à piloter un avion. Il était toujours au fait des dernières technologies et vous les expliquait avec patience et avec énormément de détails. Il était toujours en train de "trafiquer" quelque chose dans le but d'améliorer sa voiture, sa chaîne stéréo, son B3. Quant Patti s'est jointe au groupe, il a été l'ami le plus accueillant, le plus attentif, le plus gentil envers la première femme qui entrait dans notre "club de garçons".
Il adorait ses enfants, vantant sans cesse Jason, Harley et Madison et il aimait sa femme Maya pour toutes les nouvelles choses qu'elle lui avait apportées dans sa nouvelle vie.
Et puis, il y avait son talent artistique. C'était le musicien le plus intuitif que j'ai jamais vu. Son style était glissant et fluide, attiré par les espaces que laissaient les autres musiciens du E Street Band. Ce n'était pas un musicien dominant, c'était un musicien complémentaire. Un véritable accompagnateur. Il apportait naturellement la colle qui fixait le son du groupe. Ainsi, il s'est créé un style très spécifique. Quand vous entendez Dan Federici, vous n'entendez pas une couverture de sons, vous entendez un riff, débordant d'énergie, flottant au-dessus de tout le reste pour quelques instants et puis disparaissant dans la chanson. "Phantom" Dan Federici. A présent vous l'entendez, à présent vous ne l'entendez pas.
Quand il n'était pas sur scène, Danny était incapable de réciter une parole ou la progression d'un accord d'une de mes chansons. Sur scène, ses oreilles s'ouvraient. Il écoutait, il ressentait, il jouait, trouvant le vide parfait, la place parfaite pour un accord ou une rafale de notes. Ce style a créé un sentiment formidable de spontanéité dans la musique jouée tous ensemble.
En studio, si je voulais aérer la chanson que nous étions en train d'enregistrer, je mettais Danny sur le coup sans lui dire ce qu'il fallait jouer. Je lui laissais le champ libre. Il a apporté avec lui le son du carnaval, des parcs d'attraction, du boardwalk, de la plage, de la géographie de notre jeunesse et le cœur et l'âme du lieu de naissance du E Street Band.
Puis nous avons grandi. Très lentement. Nous avons traversé ensemble beaucoup d'épreuves et de tribulations. La réponse que donnait Danny à une erreur commise sur scène, à des moments difficiles, à des évènements catastrophiques se résumait habituellement à un haussement d'épaules et à un sourire. Du genre, "Je ne suis qu'un homme sur une mer déchaînée, mais je flotte toujours. Et nous sommes toujours là".
J'ai vu Danny combattre et vaincre de sérieuses addictions. Je l'ai vu se démener pour mettre de l'ordre dans sa vie et durant les dix dernières années, quand le groupe s'est reformé, je l'ai vu s'épanouir à prendre place derrière ce gros B3, débordant de vie et, oui, d'une nouvelle maturité, d'une passion pour son travail, pour sa famille et son foyer, dans la fraternité de notre groupe.
Ensuite, je l'ai vu se battre contre son cancer sans se plaindre et avec un grand courage et un grand optimisme. Quand je lui demandais comment les choses se présentaient, il me disait simplement, "Qu'est-ce que tu vas y faire ? J'attends demain avec impatience". Danny, le fataliste rayonnant. Il s'est accroché jusqu'au bout.
Il y a quelques semaines, nous nous sommes finalement retrouvés sur scène à Indianapolis, pour ce qui serait sa dernière fois. Avant de monter, je lui ai demandé ce qu'il voulait jouer et il a dit "Sandy". Il voulait sangler l'accordéon et revisiter le boardwalk de notre jeunesse, durant ces nuits d'été où nous marchions le long des planches en prenant tout notre temps.
Alors qu'importe si nous avions simplement détruit trois voitures en stationnement, c'est une nuit magnifique ! Alors qu'importe si nous étions poursuivis par l'ensemble des services de police de Middletown, allons nager ! Il voulait jouer encore une fois la chanson qui parle, bien évidemment, de la fin de quelque chose de merveilleux et du début de quelque chose d'inconnu et de nouveau.
Retournons à l'époque des miracles. Pete Townsend a dit, "Un groupe de rock'n'roll est quelque chose de dingue. Vous rencontrez certaines personnes quand vous êtes gamin et contrairement à n'importe quelle autre profession dans le monde entier, vous restez enchaînés à eux pour le reste de votre vie, peu importe qui ils sont ou les choses dingues qu'ils font".
Si nous n'avions pas joué ensemble, les membres du E Street Band ne se connaîtraient probablement pas aujourd'hui. Nous ne serions pas dans cette pièce ensemble. Mais nous... nous jouons ensemble. Et chaque soir, à 20 heures, nous montons sur scène et là, mes amis, c'est un endroit où les miracles se produisent... d'anciens et de nouveaux miracles. Et ceux qui sont avec vous, quand les miracles se produisent, vous ne les oubliez jamais. La vie ne vous sépare pas. La mort ne vous sépare pas. Ceux qui se trouvent à vos côtés et créent des miracles pour vous, comme Danny le faisait pour moi tous les soirs, c'est un bonheur pour vous de se trouver parmi eux.
Évidemment, nous avons tous grandi et nous savons que "ce n'est que du rock'n'roll"... mais ce n'est pas ça. Après une vie entière à regarder un homme accomplir son miracle pour vous, soir après soir, vous ressentez quelque chose qui ressemble énormément à de l'amour.
Ainsi aujourd'hui, faisant une autre de ses mystérieuse sorties, nous disons au revoir à Danny, "Phantom" Dan, Federici. Père, mari, mon frère, mon ami, mon mystère, mon épine, ma rose, mon musicien, mon miracle personnifié et membre honoraire à vie d'un E Street Band légendaire faisant trembler les murs, tombant les pantalons, scandalisant la terre, jouant un rock rugueux, secouant les culs, faisant l'amour, brisant les cœurs, pleurant de l'âme... et oui, défiant la mort.
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NOTES
Cet éloge funèbre a été prononcé par Bruce Springsteen aux funérailles de Danny, le 21 avril 2008 à Red Bank, New Jersey, puis publié sur le site officiel du chanteur.
Cet éloge funèbre a été prononcé par Bruce Springsteen aux funérailles de Danny, le 21 avril 2008 à Red Bank, New Jersey, puis publié sur le site officiel du chanteur.