Bruce Springsteen
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Sounds, 16 mars 1974

Que Dieu bénisse Bruce Springsteen



par Jerry Gilbert

Sounds, 16 mars 1974
Bruce Springsteen était confiné dans le New Jersey à la vie sur le boardwalk (1). Il vivait au-dessus d'un drugstore "dans toute la folie du centre-ville", priait pour que l'été arrive, cherchait un sanctuaire sur la plage d'Asbury.

Greetings From Asbury Park, NJ, son intro carte postale sur la vie en ville, ressemble à une publicité de vacances pour Blackpool (2). En chemin, il a mis Springsteen sur la route de la célébrité - en même temps que ses amis du New Jersey. Il est arrivé comme Bob Dylan, toute cette imagerie branchée et lui, un oursin fragile de la ville avec une barbe broussailleuse, des cheveux ébouriffés et des vêtements qu'il pourrait ne pas avoir quittés durant ces six derniers mois. Springsteen ne parle pas, il marmonne, il ne marche pas, il traîne les pieds.

Il a passé quelques années à étancher sa soif insatiable pour la ville en faisant la navette entre Asbury Park et le centre de New York - surtout au Café Wha (3) dans le [Greenwich] Village; à dépenser l'avance faite par CBS afin qu'il monte un groupe.

Le New Jersey, reculant devant le poids grandissant de New York, n'avait jamais pu être honoré pour aucun personnage et il était fort peu probable que Springsteen devienne important tant qu'il se contenterait de jouer dans les bars du New Jersey. L'album Greetings les a mis tous les deux sur la carte.

"Le New Jersey est un endroit assez laid" dit Springsteen. "Ce que je veux dire, c'est que c'est pas mal, c'est chez moi, mais chaque endroit est un trou paumé. Je pense qu'il a simplement fallu beaucoup de temps pour que quelqu'un trouve quelque chose à écrire à son sujet mais Asbury Park a beaucoup influencé la tonalité du premier album".

Il a été salué comme un génie en herbe - inévitablement le nouveau Dylan, mais quand la pression a disparu, il a eu tendance à s'améliorer.

Mais à ce moment précis, il est 04 heures 30 du matin et Springsteen vient de terminer son deuxième concert à l'Université de Georgetown, Washington DC (4), un scénario pour l'Exorciste. Il est malade - toussant à cracher du sang, l'obligeant à annuler les deux concerts précédents. Il tousse encore beaucoup et s'abreuve d'une bouteille de sirop pour la toux, que le médecin lui a prescrite en même temps que la piqûre de rigueur. Qu'est ce qui n'allait pas, Bruce ? Une question futile quand vous êtes en tournée 90 % du temps.

"Le docteur sait que je vais le voir seulement quand quelque chose ne va pas" dit-il, et compte qu'il a fait plus de 200 concerts cette année. Il met son vieux blouson noir, s'assure que les pans de sa chemise à carreaux dépassent. A 04 heures 30 du matin, il se traîne vers le piano dans la loge pour jouer, sur demande, une nouvelle chanson, et à 05 heures, il décide que nous devrions aller manger. Les flics nous dirigent vers un café dans le métro qui dit "Ouvert pour le petit-déjeuner", mais les portes sont fermées et nous redescendons "M" Street en voiture en direction de Georgetown et du dernier fast-food restant. Springsteen se plaint du manque de bonne nourriture avec un geste tacite au nom de son corps malade et prie pour qu'arrivent l'été et les sports nautiques.

Six heures du matin. Springsteen décide que le hamburger sera suffisant pour lui donner une bonne journée de sommeil avant d'attraper le train pour la Nouvelle Orléans. A son hôtel, Mike O'Mahony de CBS informe Bruce que j'ai fait 25 000 kilomètres pour voir son groupe deux fois - à Los Angeles l'année dernière et à Washington ce soir. "Sûr que j'apprécie" dit-il en tendant la main, et il disparaît au lit.

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Sounds, 16 mars 1974
Douze heures auparavant, nous étions arrivés à l'université Jésuite, avions trouvé le grand amphi et étions entrés en plein soundcheck (5) ... "Spirits in the night, all night, in the night, all night..." COUPEZ. Retour à cette intro blues et discordante, reprise du début, chanson fantastique.

Comme la plupart des chansons de Springsteen, elle s'est améliorée avec l'âge. Je veux dire qu'il y a des morceaux sur le nouvel album que vous auriez du mal à reconnaître si vous les entendiez sur scène maintenant - New York City Serenade, par exemple, tandis que Kitty's Back, un morceau remarquable, est rallongé par une intro marathon au piano de David Sancious, terriblement enjolivé à outrance mais un succès garanti auprès du public.

"Je ne l'ai jamais entendu jouer une chanson deux fois de la même manière" s'exclame un fan de Springsteen qui le suit en tournée. Et pendant que nous observons l'ensemble des instruments et le groupe incongru de musiciens de bar qui sont sur le point de les utiliser, vous vous demandez comment Springsteen peut leur imposer une discipline qui inciterait à le comparer à Van Morrison.

En tout cas, il est sur la scène et il est accueilli comme une pop star - la foule hurle son nom mais s'arrête net afin de déchiffrer l'introduction qu'il marmonne, un monologue assez drôle, ponctué de temps en temps par un rire et un rare mot compréhensible. Il s'empare de la guitare acoustique. Danny Federici est à l'accordéon et Garry Tallent soulève le tuba prêt à jouer, entre temps le public a déjà prédit que ce serait Wild Billy's Circus Story.

Peu à peu, il progresse à travers les nouvelles chansons - Incident On 57th Street, qu'il appelle "Spanish Johnny", New York City Serenade, puis Spirit In The Night, dont il joue à présent lui-même l'introduction à l'harmonica à l'unisson avec le saxophone de Clarence Clemons.

Alors que le concert monte en intensité, Springsteen s'empare finalement de sa guitare Stratocaster et le groupe se lance immédiatement d'une façon rock dans le E Street Shuffle, la chanson phare de son nouvel album, ralentit le rythme pour sa magnifique chanson d'amour 4th Of July, Asbury Park (Sandy), que j'ai toujours et uniquement entendu appeler "Sandy". C'est du Springsteen, à son plus évocateur, plus détendu et pour une fois, Springsteen résiste à la tentation de mélanger trois styles de musique radicalement différents dans une seule composition. C'est une chanson de carnaval, avec Federici à l'accordéon et Bruce se déchaînant sur les allusions au boardwalk.

Mais il a toujours envie de jouer du rock et attaque Blinded By The Light, la chanson qui l'a vraiment fait démarrer, avec un tel enthousiasme, que c'est seulement au troisième vers que j'ai reconnu la chanson.

Il demande un mouchoir au public et se lance dans une nouvelle pitrerie, héritage de l'amuseur des bars, et sur ce coup-là, son rhume génère ce qui est devenu une caractéristique régulière de son jeu de comédie.

Puis il a enchaîné avec cette impérieuse intro à la guitare de Kitty's Back, qui inspire l'autorité, comme si c'était le thème musical d'un film épique. De toute façon, c'est à ce moment que le groupe commence à vraiment chauffer, l'orgue et le saxophone dans une masse de son tourbillonnante, le son de la guitare de Springsteen s'élevant en complète harmonie, et le nouveau batteur Ernest "Boom" Carter attaquant un superbe solo, quatre concerts seulement après le départ de Vini Lopez, compagnon de longue date de Bruce.

Le public se déchaîne et exige un rappel. Bruce y répond avec Rosalita, une de ses chansons préférées du nouvel album, et l'unique titre qu'il lui reste à jouer. Sancious et Federici s'échangent leurs claviers alors que le concert de 90 minutes touche à sa fin.


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