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Rolling Stone, 25 août 2015

"Nous sommes allés jusqu'à l'extrême"



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Le style lyrique, les parties de piano - Thunder Road, Backstreets - se sont imposées comme la pierre angulaire de votre son. D'où ce son venait ? Quelles étaient les influences musicales à cette époque ?

Le fait que ces chansons aient des introductions élaborées et des parties mélodiques et une variété de changements, vous pouvez en trouver la trace dans la manière dont les chansons de Roy Orbison étaient composées. Mais c'était, également, quelque chose que j'aimais. J'avais ce vieux piano Aeolian dans mon salon, et je savais que j'étais intéressé par la manière de composer au piano à cette époque-là, en partie parce que j'étais intéressé par ces changements thématiques. Je suppose que quand vous le faites correctement, une bonne introduction et une bonne conclusion donnent à la chanson l'illusion de sortir de quelque part pour entrer ailleurs. Comme une impression de continuité, et c'était spectaculaire, aussi. Le but était d'assembler la chanson. Je crois que quelqu'un m'a interrogé à ce sujet dans le petit documentaire que nous avons fait, et j'ai répondu que l'idée était, en partie, de faire croire que quelque chose de bon augure allait arriver. Pour fixer la scène. Il y a quelque chose dans la mélodie de Thunder Road qui suggère "un jour nouveau", qui suggère un matin, qui suggère quelque chose qui s'ouvre. C'est la raison pour laquelle cette chanson a été placée en début d'album, à la place de Born To Run - ce qui aurait donné du sens, de placer Born To Run en premier sur le disque. Mais nous avons placé cette chanson au début de la face B. Mais en raison de son introduction, Thunder Road était si évidente comme ouverture. Et puis ces choses-là évoluent. Je crois qu'il n'y a que 8 chansons dans Born To Run - je ne crois pas que l'album dépasse de beaucoup les 35 minutes. Mais en le parcourant, que chaque chanson puisse arriver comme une séquence, donne du sens - même si nous n'y avions pas pensé; nous fonctionnions à l'instinct à cette époque-là.

Avant d'enregistrer la première note de Born To Run, quelle image aviez-vous en tête ?

Tout simplement, de l'exaltation, orgasmique [rires] Je me souviens du moment où le riff m'a traversé la tête. J'écoutais le disque Because They're Young de Duane Eddy, et j'écoutais beaucoup Duane Eddy à cette époque-là, car je cherchais ce son de guitare clinquant. Mais c'était une de ces choses dont je n'arrive pas à complètement retrouver l'origine. J'avais une énorme ambition. Je voulais réaliser le plus grand disque de rock de tous les temps, et je voulais que le son soit énorme, et je voulais que le disque vous saisisse à la gorge et vous oblige à faire ce voyage avec lui, vous oblige à y prêter attention, pas uniquement à la musique, mais à la vie, pour se sentir vivant, pour être vivant. C'était un peu la question que la chanson posait, et c'était mettre un pied dans l'inconnu. C'est la grande différence, disons, entre Born To Run et Born In The U.S.A.. Born In The U.S.A. vous proposait, à l'évidence, de vous placer quelque part. Born To Run ne le faisait pas. Le disque vous proposait de chercher cette place. C'était ce que je recherchais lorsque j'étais plus jeune. Je n'avais pas d'attache et j'avais une carte approximative et je m'apprêtais à partir chercher ma frontière - personnelle et émotionnelle- et tout était très, très ouvert, grand ouvert. C'est ainsi qu'était le disque, juste grand ouvert, plein de possibilités, plein de crainte, vous comprenez ? Mais c'est la vie [rires].

Aujourd'hui, lorsque vous jouez Born To Run en concert, le public - qui ne court nulle part - est excité, et il chante comme s'il s'agissait de son hymne. Et vous non plus, vous ne courrez nulle part. Alors, que signifie la chanson aujourd'hui par rapport à sa signification d'origine ?

Je pense que ces émotions et ces désirs - et c'était un disque d'énorme envie, d'immense envie - ne vous quittent jamais. Quand ces sentiments vous quittent c'est que vous êtes mort. C'est juste, "Hé, tu vas avancer jusqu'au jour suivant, et personne ne sait ce que demain apportera". Personne ne peut le savoir. Et donc, cette chanson continue de parler à cette partie de vous - elle transcende l'âge et elle continue de parler à cette partie de vous qui est à la fois euphorique et effrayée par ce que réserve le futur. Elle fera tout le temps cet effet-là, c'est ainsi que la chanson a été construite.

A mes yeux, Meeting Across The River laisse présager Nebraska et de nombreuses autres chansons à l'histoire dépouillée. Quelle en était l'origine ?

J'avais ce riff au piano. Mais je ne suis pas vraiment sûr de l'origine des paroles. Je ne sais pas, il y avait quelque chose qui me faisait penser au nord du New Jersey; Je ne peux pas l'expliquer... Il y avait ce truc New York-New Jersey, grand-petit, vous comprenez ? C'est marrant, car à cette époque-là, quand vous habitiez dans le New Jersey, vous auriez pu vous trouvez à des milliers de kilomètres de New York, et cependant la ville était toujours là. A l'époque, on ne comptait pas sur moi, et la chanson parle certainement de ça, un sentiment me concernant, peut-être, que j'avais sous-estimé. La plupart des personnes qui travaillent dans le milieu de la musique ont expérimenté ce rejet, ou ont été sous-estimé, ou alors votre vie a été considérée comme n'ayant que peu de valeur. Donc, cette chanson est née de là, "Hé, ce type est un petit joueur, mais il a toujours le regard tourné vers ce qui se passe de l'autre côté de la rivière". Je suppose que les émotions qui parcourent la chanson viennent de là.

Quand vous regardez les images nouvellement remastérisées de votre concert à l'Hammersmith Odeon, qu'est-ce qui vous frappe ?

Je crois que ce qui m'a le plus surpris a été de voir que nous avions une incroyable setlist. La chanson Born To Run est placée au milieu du concert ! C'était notre nouvelle chanson. Je me souviens qu'il était difficile de la jouer parce qu'il s'agissait d'un travail de studio et j'ai toujours pensé que nous n'en n'avions pas une version assez forte pour qu'elle puisse terminer le concert, pendant la première année et la deuxième, en tout cas. C'est intéressant de voir comme le groupe était bon - c'était un groupe relativement nouveau que vous voyez, vraiment. Steven venait de rejoindre le groupe; Max et Roy étaient de nouveaux membres - il s'agissait de leur première tournée et de leur premier disque. C'était un groupe très différent de ma formation précédente, un vrai groupe de cirque. Donc, le groupe était nouveau, et il a évolué pour prendre sa forme définitive. C'était sympa de nous voir, des diables sortant de leur boîte. Nous étions très bons, tout simplement. Nous étions très bons.

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NOTES

Photographies Barbara Pyle

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