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Bruce et Clemons repensaient souvent à cette fin de septembre 1971, quelques jours après que Bruce avait assisté à un concert des Joyful Noyze au Wonder Bar. Norman Seldin, aux claviers, était le leader du groupe, mais l'ex-petite amie de Bruce, Karen Cassidy, en était la chanteuse, et elle lui avait parlé de ce charismatique saxophoniste qui partageait le devant de la scène avec elle. A la fin du set, Cassidy était venu saluer Bruce. "Je lui ai demandé comment ça allait et il avait des étoiles dans les yeux", raconte-t-elle. "Il m'a posé des questions sur Clarence et j'ai éclaté de rire. J'en étais sûre ! Tu vas nous le piquer !". Mais tant pis. Cassidy était allé rejoindre Clemons et lui avait montré du doigt Bruce, qui sirotait un Pepsi au bar. "Je lui ai dit que j'avais un ami dont j'étais sûre qu'il allait devenir une très grande star et qu'il fallait qu'il le rencontre". Quand le Bruce Springsteen Band prit ses quartiers pour une série de soirées régulières au Student Prince, à quelques rues de là sur Kingsley Street, elle emmena Clarence les voir. Ça supposait de sortir en pleine tempête, mais Clemons s'en moquait. Il fourra son saxo dans son étui et ils y allèrent.
Lorsqu'il pénétra dans le club, avec la porte arrachée qui s'envolait derrière lui, ses yeux se fixèrent instantanément sur ce jeune Blanc gringalet qu'il avait croisé quelques soirs plus tôt. Bruce et son groupe faisaient une pause, mais Bruce le vit arriver et, comme il le raconta des années après, se sentit aussitôt subjugué. "Voici qu'arrive mon frère, voici qu'arrive mon saxophoniste, mon inspiration, mon partenaire, mon ami pour la vie".
Il y avait des vibrations dans l'air, c'est sûr. Et quand Cassidy entraina Clarence derrière elle pour faire les présentations, il désigna d'un hochement de tête le saxophone qu'il avait trimballé sous la pluie. Ce serait possible de se joindre à eux pour le prochain set ? Bien sûr que oui, c'était possible. Quelques minutes plus tard, Clemons montait sur scène avec le reste du groupe et attendait le décompte du premier morceau. Ils commencèrent, se souvient-il, par un instrumental sans titre. "Je n'oublierai jamais, jamais la sensation que j'ai eue quand on a joué cette première note", dit-il. "C'était tellement urgent, tellement réel, tellement excitant pour moi. C'était comme si j'avais cherché pendant très, très longtemps et que là, Dieu merci, j'avais enfin, enfin, trouvé ma place".
Bruce le sentait aussi. Même au milieu d'une jam-session impromptue dans un bar miteux où seulement la moitié d'une moitié d'une salle écoutait la musique d'une moitié d'oreille, leur alchimie faisait des étincelles sur scène. "Se tenir aux côtés de Clarence, c’était comme se tenir aux côtés du mec le plus cool de la planète", écrivit plus tard Bruce. "Vous étiez fier, vous étiez fort, vous étiez excité et vous souriez à l’idée de ce qui pourrait arriver, à l’idée de ce que vous seriez capable de faire, ensemble".
"Et voilà", dit Cassidy. "C'était fait".
En vérité, Bruce allait mettre neuf mois avant de retomber sur Clemons lors d'un prochain concert. Mais, dès qu'il débarqua au Shipbottom Lounge de Point Pleasant ce soir de juin 1972, Clemons insista pour qu'il monte jammer avec eux sur scène. Bruce dut emprunter une guitare, mais ils connaissaient tous les mêmes vieux standards de rock et de soul, et le groove qu'ils avaient trouvé au Student Prince rejaillit aussitôt. Les deux musiciens échangèrent leur numéro de téléphone à la fin du set - Bruce épelant le nom de famille de son nouvel ami avec une faute d’orthographe : "Clemens" - et se promirent de rester en contact. Cette fois, il ne fallut à Bruce que deux semaines pour recroiser les Joyful Noyze et refaire un boeuf avec Clemons. Le courant entre les deux hommes passa encore mieux ce soir-là et, à la fin du set, ils sortirent prendre un verre tous les deux (à 22 ans, Bruce avait commencé à boire une goutte d'alcool de temps en temps) et bavarder un peu. Ce "dernier verre" du petit matin se prolongea finalement en une aventure spirituelle de plusieurs jours. "On a descendu South Street en s'arrêtant dans tous les bars en chemin, on a parlé et écouté de la musique non -stop pendant deux ou trois jours", me raconta Clemons. "C'est un peu flou dans mon souvenir maintenant, mais j'ai des frissons quand j'y repense".
Lorsqu'il pénétra dans le club, avec la porte arrachée qui s'envolait derrière lui, ses yeux se fixèrent instantanément sur ce jeune Blanc gringalet qu'il avait croisé quelques soirs plus tôt. Bruce et son groupe faisaient une pause, mais Bruce le vit arriver et, comme il le raconta des années après, se sentit aussitôt subjugué. "Voici qu'arrive mon frère, voici qu'arrive mon saxophoniste, mon inspiration, mon partenaire, mon ami pour la vie".
Il y avait des vibrations dans l'air, c'est sûr. Et quand Cassidy entraina Clarence derrière elle pour faire les présentations, il désigna d'un hochement de tête le saxophone qu'il avait trimballé sous la pluie. Ce serait possible de se joindre à eux pour le prochain set ? Bien sûr que oui, c'était possible. Quelques minutes plus tard, Clemons montait sur scène avec le reste du groupe et attendait le décompte du premier morceau. Ils commencèrent, se souvient-il, par un instrumental sans titre. "Je n'oublierai jamais, jamais la sensation que j'ai eue quand on a joué cette première note", dit-il. "C'était tellement urgent, tellement réel, tellement excitant pour moi. C'était comme si j'avais cherché pendant très, très longtemps et que là, Dieu merci, j'avais enfin, enfin, trouvé ma place".
Bruce le sentait aussi. Même au milieu d'une jam-session impromptue dans un bar miteux où seulement la moitié d'une moitié d'une salle écoutait la musique d'une moitié d'oreille, leur alchimie faisait des étincelles sur scène. "Se tenir aux côtés de Clarence, c’était comme se tenir aux côtés du mec le plus cool de la planète", écrivit plus tard Bruce. "Vous étiez fier, vous étiez fort, vous étiez excité et vous souriez à l’idée de ce qui pourrait arriver, à l’idée de ce que vous seriez capable de faire, ensemble".
"Et voilà", dit Cassidy. "C'était fait".
En vérité, Bruce allait mettre neuf mois avant de retomber sur Clemons lors d'un prochain concert. Mais, dès qu'il débarqua au Shipbottom Lounge de Point Pleasant ce soir de juin 1972, Clemons insista pour qu'il monte jammer avec eux sur scène. Bruce dut emprunter une guitare, mais ils connaissaient tous les mêmes vieux standards de rock et de soul, et le groove qu'ils avaient trouvé au Student Prince rejaillit aussitôt. Les deux musiciens échangèrent leur numéro de téléphone à la fin du set - Bruce épelant le nom de famille de son nouvel ami avec une faute d’orthographe : "Clemens" - et se promirent de rester en contact. Cette fois, il ne fallut à Bruce que deux semaines pour recroiser les Joyful Noyze et refaire un boeuf avec Clemons. Le courant entre les deux hommes passa encore mieux ce soir-là et, à la fin du set, ils sortirent prendre un verre tous les deux (à 22 ans, Bruce avait commencé à boire une goutte d'alcool de temps en temps) et bavarder un peu. Ce "dernier verre" du petit matin se prolongea finalement en une aventure spirituelle de plusieurs jours. "On a descendu South Street en s'arrêtant dans tous les bars en chemin, on a parlé et écouté de la musique non -stop pendant deux ou trois jours", me raconta Clemons. "C'est un peu flou dans mon souvenir maintenant, mais j'ai des frissons quand j'y repense".
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Ce passage est un extrait de la biographie intitulée Bruce, écrite par Peter Ames Carlin, et publiée aux éditions Sonatine, en 2012.