The Rising - équilibre musical et thématique



Comme souvent chez Bruce Springsteen, ses albums obéissent à un plan. Ils possèdent un équilibre, ils sont pour la plupart "construits": ils ont une introduction, une fin de Face A, un début de Face B et une conclusion. Et le tout avec un nombre de morceaux pair. Même si The Rising comprend 15 titres, le schéma est ici respecté.

Niveau thématique, c'est la même chose: un morceau joyeux, un morceau triste et ainsi de suite... Excepté la dernière partie du disque - de You're Missing jusqu'à My City Of Ruins - où Bruce Springsteen nous tire dessus à bout portant avec des morceaux aussi prenants que tristes et représentant le cœur du thème de l'album.

1. Lonesome Day (introduction - présentation thématique) / Rock
2. Into The Fire / Folk mid-tempo
3. Waitin' On A Sunny Day /Pop-Soul
4. Nothing Man / Ballade mid -tempo
5. Countin' On A Miracle / Rock
6. Empty Sky / Ballade
7. Worlds Apart (fin de Face A) / Rock
8. Let's Be Frieds (Skin To Skin) (pause thématique-pause musicale)
9. Further On (Up The Road) (début de Face B) / Rock
10. The Fuse / Mid-tempo
11. Mary's Place / Rock-Soul-Gospel
12. You're Missing / Ballade
13. The Rising (synthèse thématique) / Rock
14. Paradise / Ballade
15. My City Of Ruins (conclusion) / Ballade gospel

NB: Pour vraiment apprécier les commentaires ci-dessous, je ne saurai que trop vous conseiller d'écouter l'album à l'aide d'un casque, en respectant bien les côtés droite et gauche.

Les chiffres entre parenthèses correspondent au minutage précis à l'intérieur de chaque chanson.

1 - Lonesome Day

Entrée en matière au ton vindicatif, cette chanson peut se voir affublée de titre "faux calme". Le tempo n'est ni vraiment rapide, ni vraiment lent. La demi-teinte, presque la retenue, seront de mise sur cet album.

C'est la même chose au niveau des fréquences des batteries. La caisse claire n'est pas "explosive", mais sèche, sans trop d'aigus, sans trop de réverbérations longues, presque "étouffée".

Les violons sont "mats", tout comme les guitares. Comparez ces violons à ceux d'un titre de Magic pour sentir la différence, vous vous rendrez compte que ceux de 2007 sont bien plus brillants. Les cordes de l'introduction sont tout de même saturées (violons et guitare-12 cordes), mais c'est l'orgue qui prend finalement le dessus, spécialement avec ses "glissés" à l'orgue B3 en fin de refrains.

Un peu comme la batterie, la basse est en demi-teinte. On ne l'entend seulement que lorsqu'on y prend garde et sa ligne, sa mélodie propre, fait "retenue". Les notes sont découpées.

En revanche, plus on avance dans le morceau et plus les instruments entrent tour à tour et commencent un véritable ballet. Qui a remarqué les très belles nappes de synthétiseur sur toute la durée du second couplet qui "tendent" toujours plus la chanson (01:02) ? Qui a remarqué les variations d'accords entre les premiers accords de l'orgue du début du pont (01:36) avec les derniers accords plaqués par Danny Federici (01:46) ? Qui a remarqué le saxophone baryton (un gros saxophone plus grave et plus lourd qu'à l'accoutumée) qui entre à la fin pour renforcer la basse un peu timide (03:09) ?

Le riff principal au violon, pendant le refrain, est également jouée sur le troisième couplet (02:26) afin de "tendre" un peu plus le morceau au fur et à mesure de son déroulement.

Les guitares se répondent sur le premier couplet (00:26) entre la guitare sèche solitaire sur la gauche avec une pointe de seconde guitare électrique sur la droite, jusqu'au duo rythmique "électrique" du second couplet (01:02). Notez également la nappe de synthétiseur jouée sur ce second couplet sur la droite, avec une mélodie originale par rapport à la voix et aux guitares.

Le phénomène le plus à craindre avec un album à trois, voire quatre guitaristes (Bruce Springsteen, Steven Van Zandt, Nils Lofgren et Patti Scialfa), c'est la menace d'une purée compressée sans nom. Au contraire, le résultat est traité avec intelligence et chacun arrive à trouver sa place. Le solo de Nils Lofgren au milieu de la chanson est précédée par un enchaînement de participations diverses: Steven Van Zandt et son riff "général" (01:56), accompagné par le saxophone de Clarence Clemons (02:00), suivi par l'envolée de Nils Lofgren (02:08) et terminée par le violon de Soozie Tyrell (02:20). Un bel enchaînement qui fait monter l'intensité de l'ensemble.

Que nous explique le morceau ? Qu'il va falloir traverser cette journée devenue solitaire. L'entrain de la chanson donne envie de continuer l'écoute et d'avoir la réponse à deux questions: que nous réserve la suite au niveau musical, et trouvera-t-on des réponses thématiques aux évènements qui ont mis le personnage dans cet état...

De manière générale, cette chanson est une véritable réussite, l'équilibre des fréquences est remarquable et l'effet souhaité (donner du punch à l'ensemble au fur et à mesure et sans agressivité) est tout à fait atteint. Les arrangements de Bruce Springsteen donnent l'impression d'avoir été conçu à la manière d'un compositeur de musique classique: un peu de tout par pincées, et surtout bien équilibré, sans qu'un instrument prenne le dessus sur un autre. L'idée est de se souvenir de l'ensemble et pas d'un élément en particulier.

2 - Into The Fire

Les seconds morceaux des albums de Bruce Springsteen ont toujours été intéressants (Adam Raised A Cain, Cover Me...), car ils permettent très souvent de donner une indication précise quand à l'articulation des chansons entre elles: si le deuxième titre est "musclé", alors la face de cet album sera "tendue".

Pour ce morceau, niveau dynamique, c'est encore la demi-teinte qui prédomine. À la simple lecture du titre, on s'imagine de quoi traitera la chanson.

Cette impression est vite confirmée par le début, qui commence comme un country-folk "pauvre". La batterie se trouve en-dessous du niveau sonore habituel, la guitare de Bruce Springsteen (à gauche) est jouée en arpèges sur le coup de caisse claire de Max Weinberg, et une guitare jouée en slide, au bootleneck, par Nils Lofgren, légèrement sur la droite (00:05) essaye de suivre la voix. Un zeste de violon complète l'ensemble sur la droite (très clair à 00:18). Sur ce premier couplet, il est à noter également une troisième guitare, totalement sur la droite, qui joue quelques notes tenues (00:02, 00:20, 00:24, 00:30...), comme pour donner un peu plus de "profondeur" à l'ensemble un peu haut médium.

Le style de chant, comme l'a décrit Bruce Springsteen lui-même, est très folk sur les couplets et tombe à nouveau dans le gospel (avec un petit orgue - 00:48) sur le premier refrain.

On remarque sur le premier temps de chaque refrain, où l'ensemble du groupe est présent, qu'il y a un drôle de bruit grave/médium grave (01:12, 01:18...). C'est un accord joué à la guitare barytone, un croisé parfait entre la basse et la guitare électrique, une sorte de grosse guitare à 6-cordes montée avec des mini-cordes de basse (vendue et produite par Fender).

La basse utilisée ici est une électro-acoustique, modèle que Garry Tallent utilise rarement sur scène (mais utilisée ici aussi sur You're Missing) et qui donne un son un peu plus feutré que sa basse solid body (à corps plein) habituelle, assez discrète toutefois tout au long de l'album.

Les cordes - violons et violoncelles - à nouveau sur un riff, finissent d'accrocher le morceau dans les têtes.

A partir du second couplet, une guitare électrique vient marquer le temps de la caisse claire (01:25), toujours à gauche (mais encore plus, élargissant ainsi le morceau), complétant le travail de la guitare sèche, toujours présente. Au même moment, une autre guitare électrique vient prendre toute la place sur la droite. Elle est encore complétée par une quatrième guitare, à partir de la fin du chorus (02:05).

De nombreuses percussions alourdissent considérablement le morceau (comme au début du troisième couplet, sur la gauche, à 01:50). Notamment un "sapin de Noël", une grosse percussion triangulaire, tenue par le bas, et bourrée de petites lames qui s'entrechoquent. Un contraste a sans doute été recherché entre les couplets et les refrains: les premiers sont lourds, avec peu de variations d'accords et beaucoup de percussions et de sons "secs", alors que les refrains sont amples, avec un riff jouées par les cordes, et chargés niveau chant.

Les chœurs sont omniprésents, surtout ceux de Patti Scialfa et de Soozie Tyrell sur la droite (01:37). Mais, en faisant attention, on entend la grosse voix grave de Clarence Clemons, et surtout celle de Steven Van Zandt (sur la gauche, sur les refrains). Le chant de Bruce Springsteen est lui-même émouvant. Il est facile de ressentir les grimaces de son faciès et l'émotion employée, seule face à son micro, lors de l'enregistrement. Les secondes voix, pendant les couplets, sont l'œuvre de Patti Scialfa (Steven Van Zandt est généralement présent sur les morceaux plus rock). Il est à noter que les enregistrements live de cette tournée restituent parfaitement le remarquable travail des secondes voix.

Sur le troisième couplet (02:43), le groupe redescend et les instruments reprennent à peu près leur configuration du premier couplet, pour mieux remonter vers un final avec le groupe au complet.

Première chanson écrite à la suite du 11-septembre, le texte se situe au cœur des évènements et les entrées soudaines de tous les instruments font écho à la "soudaineté" et au fracas de l'entrée des avions dans les tours. A partir de ce moment-là, tous les instruments sont là et tout le monde est solidaire au chant. Si le premier morceau annonçait une journée difficile, Into the Fire nous y plonge directement.

3 - Waitin' On A Sunny Day

L'album prend un premier virage avec cette chanson. Sa place n'est d'ailleurs pas anecdotique et elle sert à détendre quelque peu la thématique pesante.

Le titre commence par un gros son de batterie, que l'on retrouve à la fin du premier refrain, juste avant le début du deuxième couplet (01:17), afin de relancer la machine avec l'entrée de tous les instruments. Il est à noter que le son de la batterie semble plus présent à ces moments-là, lorsqu'elle reste seule. C'est une caractéristique de la compression appliquée à un morceau entier. Elle permet de regonfler tout signal, mais peut, au passage, écraser certains instruments ou certaines fréquences.

La ligne de la basse électrique est une véritable signature de Garry Tallent. Il laisse "respirer" le deuxième coup de caisse claire, en ne jouant pas à ce moment-là. C'est une structure efficace qui peut être retrouver sur beaucoup de chansons des albums précédents.

Le piano est omniprésent et il est joué, sur la droite, dès l'entrée de tous les instruments (00:05). Identique à Hungry Heart, il est joué "en sautillant" tout le long.

Le riff principal est une nouvelle fois joué au violon (doublé cette fois-ci à droite et à gauche), sur l'introduction et les refrains, une caractéristique générale de cet album.

La deuxième voix dès l'entame du refrain (00:58) est l'œuvre de Steven Van Zandt (qui prendra même le chant principal sur la tournée). Sa voix, assez particulière, s'accorde à merveille avec celle de Bruce Springsteen. Les chœurs, à l'extrême droite (01:37), sont pour la première fois de l'album utilisés comme rythmique sur ce couplet (la dernière utilisation de chœurs marqués à ce point-là remonte à la tournée 1992/93). Ils sont ensuite tenus sur le couplet qui suit le solo de saxophone (02:38).

A partir du deuxième couplet, deux instruments viennent grossir le son: l'orgue sur la droite et la steel guitare, également sur la droite (01:19). Pour la première fois sur ce disque, on peut aussi entendre le glockenspiel (un instrument à percussion dont le son est proche du carillon), joué par Brendan O'Brien lui-même (02:14 & 03:33) pendant les solos de saxophone. Cet instrument a été régulièrement utilisé par Bruce Springsteen sur ces précédents albums.

Une discrète section rythmique de cuivres complète le tableau (jouée par Roy Bittan pendant les concerts).

Le solo de Clarence Clemons (02:14 & 03:33) est superbement arrangé, avec des changements d'accords, spécialement pour cet instrument. Un saxophone baryton vient tenir la rythmique à la fin de la chanson, sur l'extrême gauche (03:15).

Très bien composé, très bien arrangé, très bien mixé, ce titre nous permet de rester dans le "chaud" et "rond" grâce aux guitares acoustiques. La décontraction prédomine en attendant mieux, mais la patience est de mise avant que la joie revienne.

4 - Nothing Man

Écrite pendant la période Streets Of Philadelphia, avec qui elle partage la même veine, cette chanson est une véritable perle, niveau composition. Il est très difficile en effet de produire différentes "lignes de chants" (la mélodie que prennent les mots) avec seulement trois accords parcourant le morceau. Seuls les moments de départ de chant et les chœurs permettent de casser les schémas de chant des couplets et des refrains.

Le premier couplet est joué sans basse. C'est une vieille recette qu'utilise Bruce Springsteen dans certaines chansons (cf. Secret Garden): ne laisser entrer la basse qu'à partir du second couplet (00:52), ce qui fait souvent remonter une émotion lyrique. Cette technique est souvent utilisée au cinéma sur les moments émouvants, quand les cordes de l'orchestre philharmonique se font plus graves.

Par instants, il est possible d'entendre des nappes s'ajouter à celles présentes (comme sur Secret Garden, une nouvelle fois). Sauf qu'ici, c'est Nils Lofgren qui fait du "violoning" à l'aide de sa guitare Stratocaster (par exemple à 01:40). Il joue sur quelques notes en ouvrant puis fermant progressivement le niveau du volume du micro de sa guitare, ce qui donne une impression de violon électrique. Bruce Springsteen utilisait déjà cette technique au cours de certains concerts dans les années 1973/74.

Les percussions font leur entrée sur le troisième couplet (02:38). C'est un petit djembé, joué sur la droite. C'est une autre spécialité de cet album: il y a toujours un instrument qui vient s'ajouter à chaque strophe.

En revanche, les gros coups de cymbales réguliers (00:00, 00:52...) ont été ajoutés durant le mixage. La technique studieuse qu'utilise aujourd'hui Bruce Springsteen et son producteur Brendan O'Brien (Bruce Springsteen, Max Weinberg, Garry Tallent et Roy Bittan enregistrent seuls les chansons. Puis les autres instruments sont ajoutés au fur et à mesure) leur permettent des possibilités infinies sur la musique. Il convient juste de ne pas oublier de faire participer l'ensemble du groupe afin de respecter l'équilibre du son du E Street Band.

Esthétiquement réussis, les synthétiseurs sont très épais à gauche et très "transparents" à droite, bien que ce dernier soit présent dès l'introduction. Ils deviennent doublés dans les hauts médiums (01:19) avec l'ajout d'un troisième synthétiseur à l'extrême gauche. Ce qui fait trois synthétiseurs simultanément. Roy Bittan joue ici à la tierce du groupe: il joue les accords et la mélodie plus aiguë que les autres parties des musiciens, suivant la mélodie du chant. Cette technique a un fort impact émotionnel et se retrouve elle aussi souvent dans les musique de films.

Thématiquement, cette chanson sur une personne qui ne se remet pas d'avoir été le héros du jour, colle parfaitement avec le reste de l'album, même si sa composition remonte à 1994. Le "patchwork" thématique est réussi.

5 - Countin' On A Miracle

Semblant assez plate et assez classique à la première écoute, cette chanson se révèle finalement très intéressante sur le plan musical.

Elle débute par une série de mélodies en arpèges jouée par les deux guitare sèches (une à gauche, une en face) de Nils Lofgren. Une mélodie qui se retrouvera bien plus étoffée pendant la tournée qui suivra. Une légère couche de synthétiseur, au centre, accompagne cette introduction.

Avec l'arrivée des instruments, c'est un morceau classique "made in" Bruce Springsteen qui démarre: des couplets (00:17 & 01:05) aux phrases chantées courtes sur une petite série d'accords, un pré-refrain (00:30 & 01:18) qui ralentit le rythme et un refrain (00:48 & 01:36) qui balance une mélodie "standard".

Il est à noter tout au long du morceau le jeu de basse assez remarquable de Garry Tallent (à 04:07 par exemple).

Le premier refrain voit l'arrivée d'un tambourin. Les percussions sont d'ailleurs innombrables sur cette chanson, impossible à décrire dans leur intégralité.

Les trois guitares (une guitare sèche à droite et une guitare électrique de chaque côté) sont complétées dès le deuxième couplet (01:05) par une quatrième guitare pour bien marquer la progression.

La mélodie du deuxième refrain est renforcée par le "contre chant" de Steven Van Zandt sur la gauche qui répond et croise le chant principal de Bruce Springsteen. Après l'arrêt, à la reprise du refrain (03:37), ce sont Patti Scialfa et Soozie Tyrell qui complètent à la tierce la voix de Bruce Springsteen, tandis que Steven Van Zandt continue de leur répondre, aidé par le saxophone.

Mais la véritable beauté de la chanson se révèle à partir du pont (01:51) avec un arrêt total de tous les instruments pour laisser la place à un ensemble de violons, violoncelles et autres cordes de toute beauté. Que ce soit Bruce Springsteen ou Brendan O'Brien l'arrangeur de cette partie, dans tous les cas, l'idée et le résultat sont magnifiques.

Lorsque le groupe entre à nouveau pour compléter les cordes, les chœurs répondent au chant principal (02:09), sur un solo de guitare de Nils Lofgren déjà entamé, à droite (02:13), et qui se terminera en "lead" avec le renfort de Clarence Clemons, toujours sur la droite (02:30). A la fin de ce solo, une seconde guitare donne encore plus de profondeur au morceau (02:39).

Sur la reprise du chant, le saxophone, sur la droite (02:51), prend le rôle qui est généralement attribué à Roy Bittan et à son piano: répondre et compléter la mélodie du chant. Au même moment, les cordes doublent l'instrument de Clarence Clemons sur la gauche. En live, ces cordes sont jouées à la guitare par Nils Lofgren, puis par Steven Van Zandt à la fin du morceau. L'ensemble est complété par des cordes qui se font de plus en plus fortes jusqu'à la fin, où elles se retrouvent quasiment esseulées avec la batterie.

L'arrêt sur le dernier pré-refrain (03:34) est une technique classique, souvent utilisée pour marquer la relance sur le dernier refrain.

Le mixage de cette chanson est particulièrement réussi, notamment le mixage des violons, de plus en plus mis en évidence au cours du morceau. En revanche, ce titre a beaucoup plus de difficulté à "décoller" sur scène, la faute aux parties de cordes jouées par Soozie Tyrell et par Roy Bittan, qui rendent le rythme un peu "mou". Cette chanson aurait gagnée à être jouée, dans sa version live, avec un tempo accéléré.

Les paroles de cette chanson restent assez imaginaires ("magie", "princesse", "chevalier", "roi"...), mais ce qui la rattache à l'album est le total manque de moyen du personnage pour s'en sortir, comptant même sur un miracle...

6 - Empty Sky

Sur un texte simple et des accords minimalistes, Empty Sky prolonge la même veine que Into The Fire.

Pendant l'introduction, la batterie (qui restera à gauche pendant la durée de la chanson) et le piano (à droite) sont sous-mixés en volume, certainement dans le but d'obliger l'auditeur à monter le son, avant l'entrée en bloc de tout le groupe (00:10). Avec l'arrivée de deux guitares sèches, de la basse avec sa ligne simple mais efficace et de la batterie bien présente, l'effet est efficace.

Pour alourdir le morceau, de nombreuses percussions (avec des variations entre les couplets et les refrains) ont de nouveau été ajoutées (par exemple à 00:59), avec le "sapin de Noël" déjà utilisé et joué en concert par Clarence Clemons. Une percussion entre également, complètement sur la droite, à partir du troisième couplet (02:10).

Minimaliste en accords - deux ou trois accords seulement, et un accord supplémentaire sur le refrain - la recherche de la lourdeur et le peu d'instruments utilisés pour y parvenir, oblige le son a être "comprimé" à l'aide de compresseurs et le niveau sonore franchement monté. Ce qui donne malheureusement un aspect un peu "bouilli" sur les attaques de cordes et sur les guitares sèches.

Le piano rejoint le reste de l'ensemble compact à partir du deuxième couplet (01:18), sur la droite. De la même manière, sur ce même couplet, un roulement de caisse claire (01:23) de Max Weinberg a été ajouté (par-dessus les enregistrements de la caisse claire initiale), dans le but, une nouvelle fois, de faire entrer les éléments les uns après les autres. L'orgue - superbe - de Danny Federici s'invite sur la gauche sur les refrains et à partir du troisième couplet (02:10) jusqu'à la fin.

On notera ici la participation, par petites touches, de la guitare électrique de Nils Lofgren sur la droite (02:21 & 02:41) et des chœurs (Steven Van Zandt à 00:59, Patti Scialfa à 01:52, 02:35, 02:51...).

Pour souligner la fin du dernier refrain, un deuxième orgue a été ajouté (03:08) avant que l'harmonica ne fasse, pour finir, une superbe apparition en prenant les solos du morceau (03:15).

Par contre, à l'opposé de cette version, il est à souligner la légèreté de l'arrangement live. L'excellent travail de Bruce Springsteen en tant qu'arrangeur est vraiment perceptible ici, souligné par les sublimes chœurs qu'il partage avec sa femme en début et fin de morceau. Une version simplissime, niveau instruments qui accompagne le vide du ciel.

Le texte est lui aussi assez simple, comme la plupart des chansons de cet album, sans aucun sens caché. Le mur du son qui s'abat au vrai départ de la chanson est comme une dure réalité qui tombe un matin au réveil, quelques jours après les évènements du 11 septembre.

7 - Worlds Apart

Worlds Apart est une véritable surprise et personne n'aurait imaginé Bruce Springsteen chanter en compagnie d'un groupe d'origine pakistanaise.

La musique démarre avec une boite à rythmes moderne et une profusion de percussions et de chants lointains, où se côtoient le groupe de Asif Ali Khan et le clan Springsteen: l'orgue de Danny Federici à l'extrême gauche (00:21), le banjo de Nils Lofgren au même moment, mais à l'extrême droite, et le timbre singulier de Patti Scialfa (00:39).

Les chœurs sont disséminés tout au long du titre avec parcimonie et leur aspect "planant" contraste avec la lourdeur du reste du groupe. Le contraste étant le thème de la chanson, l'ensemble colle parfaitement.

La mélodie principale apparait peu après, soutenue par la voix principale de Bruce Springsteen (00:57). Le premier couplet reste dans la même optique, les chants sur le côté devenant muets. Les chœurs revenant sur le premier refrain (01:37).

Dès son entrée avec le reste du groupe, Garry Tallent nous gratifie une fois de plus de ses superbes envolées tout au long de la chanson (à 04:35, par exemple). La ligne de basse est minimaliste, mais les couplets sont seulement composés de deux accords et la batterie est quasi-binaire...

Dès le début du second couplet, le groupe fait son entrée (01:54). Le son de la batterie est relativement "explosif" (de la réverbération de type "plate" a été ajoutée).

Par contre, pour la première fois de l'album, les guitares sont bien présentes, préfigurant certainement dans l'esprit de Bruce Springsteen un fort potentiel live. L'équilibre des trois guitares est assez réussi. Une guitare acoustique a même été ajoutée sur la droite afin de récupérer un peu "d'attaque" sur ce côté droit. C'est une pratique courante et efficace lorsque trop de guitares électriques se chevauchent et créent un problème d'intelligibilité de l'ensemble.

L'harmonica, sur le deuxième refrain, calque sa mélodie sur les chœurs pakistanais (02:13).

Le solo de guitare au milieu du titre (02:31) est probablement joué par Bruce Springsteen, copiant le style particulier de Nils Lofgren (qui jouera cette partie en concert). En revanche, le dernier solo, mélodique et aéré, est clairement l'œuvre de Bruce Springsteen (Nils Lofgren aère peu ses solos de guitare et Steven Van Zandt, moins dans la mélodie, reste souvent autour d'une seule note ou d'une même ligne mélodique).

Durant le pont, on entend clairement la voix de Patti Scialfa sur l'extrême droite (02:54), accompagnée par l'orgue sur la gauche. Par contre, on la découvre dans une tonalité grave, très rare chez elle, sur l'extrême gauche (03:23) et presque cachée, sur le troisième couplet (elle reprendra cette partie en concert).

L'arrêt typique sur le troisième couplet sert à faire repartir le morceau (cf. Countin' On A Miracle). Le violon de Soozie Tyrell est présent sur la droite.

Pour la dernière partie, Bruce Springsteen abandonne la vedette à Asif Ali Khan, en le laissant jouer tout seul avec son groupe.

Traitant du choc culturel, le texte calque son schéma sur l'histoire de Roméo & Juliette, et décrit une histoire d'amour impossible entre un soldat américain et une femme, d'origine musulmane, que les traditions opposent. Une curiosité vraiment réussie dont on ne pensait pas Bruce Springsteen capable, musicalement parlant.

8 - Let's Be Friends (Skin To Skin)

Encore une curiosité qui semble avoir du mal à trouver sa place au sein de cet album et qui ne lui apporte pas grand chose, si ce n'est prouver que Bruce Springsteen est capable d'écrire et d'arranger ce genre de chanson, dans un style où il n'est pas forcément attendu. Ce titre permet en tout cas de ne pas monter en intensité rock, comme pour calmer les auditeurs.

Le rythme initial est celui d'une boite à rythmes, doublée par la batterie DW de Max Weinberg (00:10). Une percussion est au centre du mixage, un positionnement assez rare. Dès le début, un bruit se fait entendre, légèrement sur la droite. Des micros d'ambiance enregistrent en effet un groupe de personnes rassemblées en rond autour d'un micro unique, ce qui permettra d'enregistrer les chœurs à venir. Un procédé régulièrement utilisé par Bruce Springsteen (cf. le documentaire Blood Brothers).

Dès cette introduction, un synthétiseur (à droite) et un orgue (à l'extrême droite) font leur entrée. Ils sont accompagnés d'une guitare sèche (à gauche) et d'un petit piano (au centre).

Les claquements de mains du groupe entrent sur la droite dès le premier couplet (00:29).

La basse utilisée est une contrebasse au son plus bas et parfois plus sec, selon la place du micro. Un micro est souvent placé près des cordes (pour l'attaque), et un autre près du pincement (pour prendre la note et le son propre de l'instrument) qui est qualifié "d'ambiance". Pour les guitares électriques, le procédé est le même: un micro proche de la membrane de l'ampli et un micro "d'ambiance" plus éloigné.

D'une manière générale, on place un micro (ou deux) devant une guitare sèche, au niveau de la jonction du manche et du corps, ce qui permet d'entendre l'attaque et la note à la fois. Pour la batterie, un micro capte chaque élément, et deux micros "overhead" sont placés au-dessus des cymbales. Pour les synthétiseurs et la basse, le micro est généralement branché directement dans un boitier de DI (Direct Injection), qui permet de mettre la sortie de l'instrument au niveau de l'entrée de la ligne d'une console.

Les chœurs font leur apparition dès le premier refrain et il en existe de toutes sortes: des chants à l'unisson, des tierces, des chœurs qui répondent à Bruce Springsteen (01:04)... L'effet est assez réussi.

Le solo de saxophone de Clarence Clemons (02:12) change un peu la tonalité du morceau.

Une chanson comme Code Of Silence aurait tout aussi bien été capable de coller, niveau thématique et n'aurait pas été de trop sur une si belle track-list. En tout cas, ce titre se rapproche du style doo-wop et ne sert qu'à marquer une pause.

9 - Further On (Up The Road)

En compagnie des autres inédits découverts pendant le Reunion Tour (American Skin (41 Shots), Another Thin Line, Code Of Silence), Further On (Up The Road) était un titre attendu dans sa version studio. Le résultat, à la hauteur, sonne encore plus lourd que la version live et s'inscrit bien dans la lignée des morceaux sombres, mais pas vindicatifs, de cet album.

La batterie de l'introduction est superbement compressée, la dynamique bien retenue et juste dosée comme il faut. Le timbre de la caisse claire et de la grosse caisse s'entend parfaitement au travers des compresseurs Urei Black Face 1176. La caisse claire a bénéficié de la distorsion que produit ce compresseur. Quant à la grosse caisse, elle a subit un traitement particulier, avec deux micros nécessaires pour sculpter ce son si particulier: on dispose de l'attaque et du "sustain" du son.

La basse, discrète, est jouée avec une respiration sur un coup de caisse claire sur deux (cf. Waitin' On A Sunny Day). Elle est la première victime du traitement "sobre" de la totalité de l'album, avec un seul ensemble de fréquences pour elle: les graves, en-dessous de la grosse caisse, sans aigu et sans trop d'attaque.

Les guitares font leur entrée dès le début (00:07). Une à droite et une à gauche, complétée, pour celle de gauche, par des pointes de guitare sèche sur les changements d'accords. Une quatrième guitare vient s'ajouter sur le deuxième couplet, à l'extrême droite (00:46). Un banjo complète ce tableau, sur la droite, à partir du refrain (01:17) afin d'aider le piano électrique.

Le premier clavier fait son apparition sur la droite, pendant le refrain (01:17). C'est un piano électrique, traité pour ne pas faire sortir certaines fréquences, et très rapidement accompagné par un orgue discret, sur la droite (01:29). Il se fera plus présent à la fin du solo de guitare (02:08), en étant doublé à l'extrême droite. D'une manière générale, les claviers de cette chanson sont chaleureux et commencent à se rapprocher des sons de l'album Magic, mais les extrêmes nous laissent à penser qu'ils ont été sous-mixés ou radicalement coupés pendant l'étape du mixage.

La fin du solo de guitare est doublé par une autre guitare (cf. The Fuse ou Worlds Apart), une technique rarement utilisée par Bruce Springsteen par le passé, et qui donne une certaine grosseur à la production, une richesse qu'on ne retrouve pas en concert.

Les voix sont très belles. La voix de Bruce Springsteen est pleine et les chœurs sont vraiment travaillés (une tierce au minimum et une quinte, le tout chanté au même moment), permettant de véritablement faire décoller ce morceau. Bruce Springsteen n'hésite pas à chanter à plusieurs reprises son chant principal sur le dernier refrain, en faisant augmenter, sur la fin, l'intensité de la batterie et de la basse, en même temps que les voix, pour un arrêt "en suspens".

Niveau thématique, rien ne semble raccrocher ce titre au reste de l'album, mais des références sombres (crâne, cimetière...) laissent à penser que cette route mène tout droit... de l'autre côté de la vie.

10 - The Fuse

The Fuse est le morceau le plus atypique de l'album et peut-être même de toute la carrière discographique de Bruce Springsteen. Remplie d'effets de style dans sa construction et dans sa composition, la chanson prouve que la "réalisation" d'un morceau est le prolongement même de l'écriture. C'est là que le travail de Brendan O'Brien devient véritablement visible.

L'introduction fait appel à une séquence de boite à rythmes qui tournera pendant la quasi-totalité de la chanson. Mais la batterie de Max Weinberg viendra s'y ajouter rapidement (00:05).

Très vite (00:15), entrent aussi les guitares électriques, pleines de "delay" (surtout celle de droite). Un effet qui est la marque de fabrique du guitariste de U2, The Edge. En revanche, la progression de ce titre se rapproche sensiblement du travail de Peter Gabriel: la rythmique (boite à rythme et batterie) entre en premier, sèche, avec quelques parties de guitares et de synthétiseurs, puis la basse, le piano et les secondes guitares entrent à partir du deuxième couplet.

Dès l'entrée de la voix (00:25), on remarque qu'un effet - le "dynamic delay" - a été appliqué. C'est un effet qui ne s'enclenche que lorsque le signal original cesse. La répétition de la voix ne s'entend donc que lorsqu'elle s'arrête (la première manifestation de cet écho intervient à 00:31). Assez rare également dans la discographie de Bruce Springsteen pour être signalé, la seconde voix sur la fin des refrains est une voix grave (01:09). On peut retrouver cette particularité sur le magnifique Lift Me Up.

Comme mentionné, le second couplet voit l'arrivée de la basse de Garry Tallent (01:25), minimaliste mais efficace, avec un effet glissé sur le manche, répétitif mais de toute beauté. Et à partir de ce second couplet, la guitare de droite perd son effet de "delay" et redevient naturelle.

Sur le pont (02:30), la guitare solo, à gauche, est utilisée comme instrument principal mélodique sur cette partie, une fois de plus assez inhabituel chez le chanteur.

Encore plus atypique est l'arrêt de tous les instruments (03:05) pour laisser la place à un piano, sur la droite (en arpèges graves) et sur la gauche (par notes aiguës dispersées) et une boite à rythmes sur la gauche. Puis apparaissent sur la droite et la gauche des effets de voix surprenants (03:14), l'entrée de la basse (03:19), avant de laisser la voix nue de Bruce Springsteen à la fin du pont (03:40).

En effet, enlever tout effet sur la voix alors qu'elle en est pleine durant la totalité du morceau (voire de l'album) est une idée osée qui renforce le travail de Brendan O'Brien.

Le titre repart alors tranquillement, avec un petit banjo sur la droite (03:50), jusqu'au solo final de Nils Lofgren.

La version live de cette chanson montre bien l'impact que la section rythmique peut donner à un titre, alors que c'est ce qui a été "limé" en studio. La guitare électrique 12-cordes de Bruce Springsteen prend d'ailleurs toute sa place et les arrêts et reprises successives sur le superbe solo de Nils Lofgren rehaussent véritablement ce morceau sur scène.

Niveau thématique, la suggestion fait ici place à la description, avec des bribes de scènes quotidiennes, mais ce titre a bel et bien été écrit pour cet album.

11 - Mary's Place

Cette chanson, écrite pour la scène, n'est pas un titre violent, mais un de ces morceaux épiques que Bruce Springsteen écrivait plus jeune, afin de laisser son public le souffle coupé, à la manière de Thundercrack ou de Rosalita (Come Out Tonight). Il est possible, d'ailleurs, de trouver des traces musicales de cette époque...

Le riff principal est joué avec la corde d'une guitare sèche, un peu sourde (légèrement excentré sur la droite) dès l'entrée de la chanson. Dans cette introduction, une discrète mandoline (sur la droite), une guitare électrique (sur l'extrême gauche), quelques notes d'orgue (sur la gauche) et enfin un tambourin (sur l'extrême droite) complètent le tableau.

La caisse claire est jouée dès le début en "crosstick". La main est posée sur une partie de la peau de frappe, qui se trouve ainsi totalement amortie. Cette technique (cf. Racing In The Streets) permet de laisser une marge pour faire sonner la batterie de plus en plus fort, au fur et à mesure du morceau.

La basse est absente du début de la chanson et n'arrive que très tard (00:41), en compagnie de l'orgue, situé cette fois-ci sur l'extrême droite, et le piano, sur la droite également (00:45), juste avant le départ du refrain. Un refrain qui tranche, niveau sonore, avec cette arrivée massive de tous les instruments et de la caisse claire enfin jouée intégralement. Une mandoline est conservée sur la droite et participera à la fête jusqu'à la fin du titre.

Les chœurs (de Patti Scialfa et de Soozie Tyrell) n'arrivent qu'à la fin de ce refrain (01:12), en supplément de la voix de Bruce Springsteen, qui n'arrête pas de monter et de descendre en intensité tout au long de la chanson. Des chœurs qui reviendront par la suite, dès les pré-refrains, aux extrêmes droite et gauche (01:41) à un haut niveau sonore. Au niveau rythmique, il est à noter, fait assez rare, que le début du refrain se fait sur un contre-temps.

Dès le début du second couplet, le piano est présent (01:17) et restera jusqu'à la fin. Pour faire progresser l'intensité, des cuivres ont été ajoutés sur la gauche (01:24). Cependant, la production de Brendan O'Brien cache très souvent, au mixage, la section de cuivres, qu'on n'entend jamais vraiment (écoutez Lion's Den qui dispose des mêmes musiciens et notez la différence). En concert, ces instruments sont joués par Roy Bittan au synthétiseur, et le résultat n'est clairement pas à la hauteur.

Clarence Clemons nous gratifie d'un solo de saxophone (sur la gauche, 02:20) très dur à jouer, mais compressé, car le son est aussi fort au début qu'à la fin. Le saxophone est un instrument presque toujours compressé, car il n'est pas aisé de tenir le même souffle et la même puissance aussi longtemps. Le solo est d'ailleurs lancé par la section de cuivres (02:17), ce qui permet de faire ressortir encore plus l'instrument du "Big Man". Pendant tout ce temps, les chœurs restent présent aux extrêmités.

Après cette très belle partie, on note la présence, sur la gauche, de l'orgue Hammond de Danny Federici (02:58), pour une fois bien saturée, avec un son "surpuissant" qu'il utilisait régulièrement dans les années 60/70.

Sur le dernier couplet (03:52), la basse et la batterie entrent avec les cuivres et les chœurs, dans le but de lâcher tout le groupe jusqu'au refrain final et la fin du morceau. Une variation sur les accords principaux est même proposée (05:04), pour toujours plus faire monter la chanson.

Cette atmosphère de fête tranche avec les thèmes de l'album, mais permet tout de même de détendre l'atmosphère, avant la terrible conclusion des quatre derniers titres.

12 - You're Missing

Avec cette chanson, la production de Brendan O'Brien permet à Bruce Springsteen d'amener aussi loin que possible sa vision de compositeur (peut-être même au-delà), grâce à un habillage sonore judicieux. Malgré tout, sans trop de compression et avec un son clair, le mixage se rapproche plus de l'ancien que du nouveau Springsteen, période O'Brien.

L'entrée du morceau est d'abord composé d'un mélange de cordes et d'orgue. Puis, sur la mélodie principale, le piano arrive sur la gauche (00:09), accompagné à droite par une nappe. Ce piano, très bas médium sans être claquant, attaque seul, mais il est rapidement rejoint par le violon solo, très bas médium lui aussi, sur la gauche. Il est à noter que la prise de son du violon se fait très près des cordes et nous plonge dans un son beaucoup plus direct, préfigurant les cordes de l'album Magic.

L'introduction laisse la place, dès le premier couplet, à une batterie et à une basse (00:21). Là aussi, les fréquences sont un peu moins "mats" que les autres titres de l'album, et il est facile de distinguer les cymbales (notamment la Ride qui donne le tempo sur les refrains) et le beau son de la caisse claire de Max Weinberg.

Dès le premier refrain, le piano rejoint ces deux instruments sur la droite (00:46).

Une fois ce refrain terminé, une steel guitare rejoint le violon (00:54) dans le même riff, un mélange inédit pour Bruce Springsteen, mais qui colle parfaitement au morceau.

Dès la reprise du second couplet, on remarque un coup de tambourin (01:19) placé sur le second coup de la caisse claire, une technique assez classique pour les compositions mi-tempo.

Au début du troisième couplet, l'orgue fait une entrée discrète sur la droite (01:42), avant d'exploser littéralement avec ce superbe son Hammond, à la fin du sublime solo qui lui est dédié.

Avec le pont, une percussion fait son apparition sur l'extrême droite (02:18) et les cordes se chargent au même moment de lier tous les instruments entre eux avec des notes tenues. La fin du pont se fait sur un arrêt rythmique où seuls l'orgue et le piano (et la cymbale de Max Weinberg) restent en petite mélodie, à la manière du E Street Band des débuts.

Pendant le quatrième couplet, tous les instruments entrent à nouveau, complétés, à droite, par une guitare 12-cordes, dont les pincements rappellent le son du clavecin (02:52).

A la fin de la chanson, lorsque tout le groupe s'arrête pour laisser la place juste au piano et aux cymbales, il est possible d'apercevoir sur la gauche (03:30), un son sourd et "mat", un peu entre un tom grave et un glockenspiel très grave. Probablement tiré d'un synthétiseur, ce son colle impeccablement à l'ensemble et prouve le travail précis et méticuleux de Brendan O'Brien.

Avec une version live extrêmement proche, cette chanson décrit des scènes du quotidien, format "photo", où des absents manquent justement sur chacune de ces photographies. Un texte en retenue, écrit pour l'occasion, mais dont la portée est universelle.

13 - The Rising

Censée jouer le rôle de morceau-phare de l'album, cette chanson souffre d'un problème de compression. En effet, trop compressée, il n'y a pas de médium, juste des graves et des aigus. Les timbres sont étouffés et le mix seulement relevé grâce aux effets de voix et aux nombreux chœurs, et grâce à la guitare de Nils Lofgren. Heureusement, la construction du morceau est parfaite.

L'introduction, de même que la reprise (03:00) donnent l'impression de brouillard grâce aux vagues de cordes (graves à droite et aigues à gauche) légèrement sous-mixées, grâce à une guitare rehaussée d'une pointe de "delay" (sur la gauche) et une guitare plus nette avec des trémolos (sur la droite) et grâce à la voix de Bruce Springsteen, très travaillée. Sur les passages calmes, cette voix bénéficiera d'un "dynamic delay" (cf. The Fuse).

C'est l'entrée de la caisse claire et de la basse (00:35) qui permet de commencer à tendre un peu plus le morceau.

En revanche, l'entrée des guitares sur le deuxième couplet (00:52) permet à l'ensemble de décoller. La guitare jouée en slide de Nils Lofgren sur la droite en open tuning (guitare qui donne un accord en ne jouant que les cordes "à vide", sans que la main gauche soit présente sur le manche) apporte l'énergie nécessaire, accompagnée d'une basse en mouvement perpétuel.

Les percussions montrent également une belle présence dès leur entrée sur ce deuxième couplet.

Sur le refrain, deux autres guitares électriques, une de chaque côté, viennent alourdir l'ensemble (01:10). Les chœurs sont très présents et sortent du mixage, au détriment des autres instruments. Par bribes, il est aussi possible d'entendre un piano pendant les refrains.

L'orgue est très compressé durant tout le morceau et considérablement monté en niveau à la suite du solo de guitare (02:01).

Le solo de guitare (01:43) a un son très particulier, qui se retrouvera avec bonheur en concert, comme une guitare qu'on essaye d'étrangler.

Après le passage calme, vers la fin de la chanson, les chœurs de Patti Scialfa et de Soozie Tyrell sont croisés (03:01) et la voix de Bruce Springsteen subit des panorisations alternées, une fois à droite (03:13), une fois à gauche (03:18). Nils Lofgren se chargera de cette deuxième voix sur scène, afin de conserver cet effet. Tous ces effets de voix permettent de donner le tournis à l'auditeur.

Le saxophone est utilisé en rythmique et en solo dans cette dernière partie (04:03) sur l'extrême droite et l'extrême gauche.

Cerise sur le gâteau, les chœurs accomplissent une mélodie complètement différente, sur une tonalité différente, sur les deux extrêmes (04:20). Une superbe idée, rapidement abandonnée pendant la tournée.

Résumant assez bien toutes les thématiques présentes dans l'album, ce titre-phare l'est également en concert où il a été choisi pour ouvrir la plupart des concerts de la tournée qui a suivi. En attaquant doucement, pour finir rapidement, ce rôle lui convenait à merveille.

14 - Paradise

L'introduction de cette chanson sert à casser l'ambiance du titre précédent et à poser celle de ce morceau envoutant, une des plus belles surprises de l'album.

Cette introduction est un mélange d'accords de guitare saturée (extrême droite), de notes de synthétiseur aux accents modernes (droite), accompagnés par la nappe de synthétiseur qui restera présente tout au long du titre (gauche). Ces synthétiseurs semblent répondre "par vagues", calmement, au chant de Bruce Springsteen, marquant une véritable respiration.

Sur la voix, une réverbération stéréo a été appliquée, facile à entendre sur le premier couplet. Il est à noter que chaque chanson de cet album bénéficie d'une véritable signature niveau voix, que ce soit le choix de "delay", de réverbération ou de compression, un travail "léché", comme aucun autre album auparavant.

La guitare sèche, à droite (et accompagné par la guitare électrique sur l'extrême droite, dont la réverbération ressort sur l'extrême gauche) ressemble fortement aux guitares utilisées sur l'album The Ghost Of Tom Joad, avec un son plutôt médium. Le bruit du pincement des cordes signifie que la prise de son a été effectuée assez proche du guitariste.

A partir du second couplet (01:39), l'arrivée d'une percussion au centre (un "œuf", un cylindre métallique rempli de petites particules) renforce l'aspect "tangueux" du morceau. Comme un suspens palpable, en attente de quelque chose qui n'arrivera jamais.

Une guitare steel apparait également sur la gauche (01:40) pour renforcer le côté introspectif du morceau, avant d'entamer le solo (04:25), avec un son distordu et grave, donnant un sentiment d'introspection.

La voix de Patti Scialfa fait une discrète apparition sur le second couplet (01:50 & 01:56), pleine de réverbération. Ses chuchotements forts réussis, discrets et efficaces, renforce l'effet mystérieux. La chorale sur la fin (03:55 & 04:19) est presque inaudible, tellement les voix sont proches du son des synthétiseurs. Un beau travail.

A la fin du troisième couplet (03:19), un troisième synthétiseur aigu vient annoncer le solo qui va suivre...

La présence de la basse ou non sur ce titre reste difficile à établir: est-ce plutôt une nappe de synthétiseur qu'on entend parfois ou une basse jouée en "violoning" ?

Un texte assez imagé sur des situations différentes qui nous permet de nous faire penser aux conséquences de tels actes, dans leur globalité.

15 - My City Of Ruins

Composée bien avant les évènements du 11 septembre, cette chanson évoque pourtant bien le contenu de l'album. C'est une sorte de psaume "païen", avec ces chœurs tirant vers le haut.

La chanson démarre comme une procession funèbre, avec un piano très sourd, à droite, un peu plus présent que sur l'ensemble des titres de cet album. L'orgue (plutôt gospel) reste très discret, sur la gauche, avec une attaque de note assez douce, sans saturation.

Niveau batterie et basse, le son est encore plus "feutré" par rapport aux autres morceaux. La basse se fait discrète, si proche de la grosse caisse, qu'il est difficile d'entendre son jeu avec discernement.

Dès cette introduction, il est possible d'entendre une petite guitare sèche, légèrement sur la droite, certainement jouée par Steven Van Zandt, comme sur scène. Quant à la guitare électrique de Nils Lofgren, sur la droite et sur la gauche, elle fait entendre son phrasé tout au long du morceau (00:42 par exemple).

Très rapidement, sur le second couplet, des chœurs font leur apparition, comme à l'église (00:53), sur la gauche. Un deuxième orgue, plus soul, vient renforcer l'aspect gospel de l'ensemble sur l'extrême droite (01:06). Le joli son Hammond de l'orgue se fera entendre avec le solo (01:59), sur la gauche, un son qui continuera jusqu'à la fin de la chanson, mais un peu moins fort.

Une section de cuivres entre sur la gauche (01:32), en jouant tout d'abord des accords tenus, puis en jouant vers la fin (03:29), une petite mélodie accompagnant la montée sur les phrases répétées des voix, puis en accompagnant l'explosion finale.

La dernière montée, impeccable, permet d'entendre clairement les chants de chaque membre du groupe: Steve Van Zandt & Clarence Clemons à gauche (03:16), Patti Scialfa & Soozie Tyrell à droite (03:16), puis à gauche (03:41). Elles montent clairement le volume au fur et à mesure, puis chantent à la tierce (à partir de 03:54), d'où elles resteront. On peut remarquer également la note tenue par Clarence Clemons, en toute fin de morceau, sur la gauche (04:46). Un vrai travail d'orfèvre dans le mixage, qui prend toute sa dimension sur scène.

Le côté presque religieux, niveau thématique, des chansons précédentes, est ici rejoint par la musique. C'est la vision post-évènement, avec une vision plus sociale que The Rising ou Into The Fire, clairement dans l'action. Placée en dernière position de l'album, cette chanson scelle les scènes de deuil de The Fuse, l'espoir de Waiting On A Sunny Day, et de tout le reste...


Lu 3092 fois