The Observer, 18 janvier 2009

Rencontrez le nouveau patron



C'est Bruce Springsteen d'une humeur tout à fait sincère, discutant sur la manière dont Bush a ruiné l'Amérique, et sur la manière dont il a surmonté ses récentes tragédies personnelles. Mais avec un nouveau président, le chanteur fait preuve d'un nouvel optimisme - mince, il adore même le supermarché du coin maintenant.

Interview de Mark Hagen

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C'est une froide journée d'hiver, et je conduis à travers des champs enneigés pour aller rencontrer Bruce Springsteen. Vers la fin du XVIIIème siècle, un émigré écossais est venu dans cette partie du nord du New Jersey à la recherche d'un nouveau monde. Il a acheté du terrain, a construit une maison pour sa famille et s'est installé dans une vie d'agriculteur. Les canards et les poulets sont toujours là, mais le propriétaire actuel y mène une vie très différente.

Bruce Springsteen et moi, nous nous sommes liés d'amitié il y a dix ans, lorsque j'étais venu dans cette même propriété afin de réaliser un film pour la BBC. C'est un endroit chaleureux et familier, le bois et l'ardoise de la cuisine donnant sur un petit studio d'enregistrement et sur un salon décoré de photos d'Elvis Presley, de Bob Dylan et du Band; en fait, la pièce où Springsteen a enregistré l'album The Seeger Sessions de 2006, les musiciens s'installant autour des canapés et sur les escaliers. Dans l'entrée ont été prises en 2005 certaines des photos pour Devils & Dust et juste derrière, il y a la piscine d'où il émergeait, dégoulinant, en pleine terreur nocturne, pour la vidéo de A Night With The Jersey Devil, un blues spectral, basé sur un extrait de Baby Blue de Gene Vincent datant de 1958, et offert pour Halloween sur son site internet, l'année dernière.

Je suis revenu ici régulièrement, parfois pour revisiter son ancien répertoire, parfois pour parler de nouveaux projets, mais toujours pour boire de la bière, échanger des découvertes musicales et spéculer sur les grands mystères de la vie, comme sur la façon dont Elvis arrivait à faire un toupet avec ses cheveux. Aujourd'hui, je suis là alors que Springsteen se prépare à sortir son 16ème album studio, Working On A Dream, un ensemble de chansons intimistes sur les relations longue durée, les méditations sur les effets du temps, le tout emballé dans une superposition d'arrangements riches et bien ancrés dans les années 60 des Beach Boys, des Turtles et des Byrds.

Springsteen a rarement évité de parler de grands thèmes - repensez à 1975 et à la façon dont une Amérique inquiète, post-Vietnam, post-Watergate a réagi à Born To Run et à sa vision romantique de la fuite, ou comment les tragédies des petites villes américaines de Born In The U.S.A. en 1984 ont trouvé un écho durant les années Reagan, où la division entre les riches et les pauvres s'est aggravée. Ces dernières années, tel a continué à être le cas. Tout le monde sait qu'il a commencé The Rising en 2002 à la suite du 11-septembre, après qu'un inconnu a baissé la vitre de sa voiture et dit au chanteur "Nous avons besoin de vous maintenant". Magic, sorti il y a deux ans, était en grande partie un barrage contre les années Bush, et en novembre dernier, Barack Obama est venu le voir jouer sur scène et a avoué à sa femme qu'il s'était uniquement engagé dans la course à la présidentielle parce qu'il ne pouvait pas être Bruce Springsteen. Il a souvent décrit son travail comme une longue conversation avec son public, et c'est sa capacité à faire durer cet échange - en grande partie dans les deux sens - qui fait de lui quelqu'un de toujours pertinent, actuellement et fermement bien installé aux côtés de Dylan, de Presley et de Johnny Cash sur le Mont Rushmore de la musique populaire américaine.

Avec ça à l'esprit, plus le fait qu'il jouera au Super Bowl - le plus américain des événements - le 1er février, la semaine suivant la sortie de l'album, il est assez surprenant que Working On A Dream ne soit pas un discours sur l'état de la nation, mais quelque chose de plus personnel, et une rupture par rapport à sa sonorité habituelle. Springsteen lui-même le reconnaît quand il dit "vous entendrez des fragments de tous mes autres disques, mais si vous avez tous mes autres disques, vous n'avez pas celui-ci, il vous amène vers un endroit différent".

Le Springsteen qui m'accueille chaleureusement en me serrant dans ses bras est dans sa forme habituelle, avec un rire rauque lorsqu'il se rappelle de la fois où il a vu les New York Dolls au Max's Kansas City en 1972, coincé à Manhattan après avoir manqué le dernier bus. Il me demande ce que j'écoute en ce moment et note soigneusement les noms de Kate Rusby et de Girls Aloud pour faire des recherches complémentaires. Svelte dans une chemise noire sur un tee-shirt noir, qui arbore un crâne et une tête de mort, il n'a jamais été la personne la plus enthousiaste qui soit pour faire des interviews mais se prête au jeu de bonne grâce, peaufinant et aiguisant ses réponses aussi méticuleusement qu'on peut l'imaginer écrire ses chansons. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit sur ses gardes ou en aucun cas secret, ni qu'il se tient à l'écart de la politique. En fait, les deux heures suivantes vont révéler un homme prêt à parler ouvertement de sa vie et de son travail à un niveau assez remarquable.

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"Bruce, pour commencer, quelle est, à votre avis, votre première motivation quand vous vous asseyez pour écrire une chanson ?

Martin Scorsese disait que le travail de l'artiste est de faire en sorte que les gens s'intéressent à vos obsessions et qu'ils les voient, qu'ils les voient et qu'ils les vivent comme les leurs. C'est ce que vous êtes toujours en train de faire. Et je pense que quand vous captivez votre public, vous le faîtes bien et quand vous et votre public divergez, alors vous ne le faîtes peut-être pas aussi bien que ça. Donc, je m'y essaye. Même si je me suis aventuré à faire des albums comme The Ghost Of Tom Joad ou Nebraska, je pars toujours du principe que les gens sont intéressés par ce qui m'intéresse, si je raconte l'histoire de façon intéressante. C'est mon boulot. Il consiste à rechercher et à découvrir la beauté dans chaque jour.

Ce qui était fantastique dans toute la musique que j'aimais quand j'étais enfant, les gens pensaient que c'était nul, que ce n'était pas beau. Les gens n'étaient pas conscients du non-dit qui était présent dans tant de ces chansons fantastiques, mais si vous étiez un gosse, vous étiez totalement pris par ces chansons, même si vous ne le disiez pas toujours - vous n'osiez pas dire que c'était beau. Vous disiez simplement, "Je l'aime bien. Non, papa, j'aime plutôt celle-ci", ou bien elle est fantastique, ou elle est drôle, ou elle m'excite. Et certains de ces disques ont gardé leur beauté. Si vous écoutez les grands disques des Beatles, les premiers où les paroles sont incroyablement simples. Pourquoi sont-ils toujours aussi beaux ? Et bien, ils sont chantés d'une très belle façon, joués d'une très belle façon et leur construction est élégante. Ils gardent leur élégance. Alors, vous essayez vous aussi d'écrire avec élégance. Il y a quelques morceaux sur ce disque où je me suis intéressé à ce genre de force créatrice, et ce dont on parle ce n'est pas le ruisseau qui coule en traversant votre ferme, c'est le ruisseau quand il disparaît sous terre.

Cet album commence évidemment avec Outlaw Pete, une histoire très américaine (une fable sur un personnage qui ne peut échapper à son passé). Robert Mitchum et Out Of The Past (Les griffes du passé, 1947), The Great Gatsby (Gatsby le magnifique, 1974), ce genre de choses. Quel en est le thème ? Quel message essayiez-vous de faire passer ?

Le thème est que le passé n'est jamais le passé. Il est toujours présent. Et il vaut mieux le prendre en compte dans votre vie et dans votre expérience quotidienne, sinon il va vous rattraper. Il va vraiment vous rattraper. Il reviendra vous dévorer, il vous écartera du présent. Il vous volera votre futur et ça arrive chaque jour. La chanson parle donc d'un personnage à qui cette situation se présente. Il avance. Il essaie de suivre le droit chemin. Il se réveille avec la vision de sa propre mort et se rend compte que la vie a une fin. Le temps est en moi, constamment. Et j'ai peur. Et il s'en va dans l'Ouest où il s'installe. Mais le passé ressurgit sous la forme de ce chasseur de primes, dont l'esprit est aussi animé et envahi par ce besoin d'avoir cet homme. Et ces deux créatures possédées se rencontrent sur les bords de cette rivière où le chasseur de primes est bien évidemment tué et ses derniers mots sont: "Nous ne pouvons défaire ce que nous avons fait".

En d'autres termes, votre passé est votre passé. Vous le portez toujours en vous. Ce sont vos pêchés. Vous les portez toujours en vous. Il vaut mieux apprendre à vivre avec, apprendre l'histoire qu'ils vous racontent. Parce qu'ils vous murmurent votre avenir dans le creux de l'oreille, et si vous n'écoutez pas, cet avenir sera contaminé par la toxicité de votre passé.

Nous avons ici vécu un cauchemar similaire durant les huit dernières années. Nous avons eu un gouvernement aveugle sur le plan historique, qui n'a pas pris en compte le passé. Des milliers et des milliers de gens sont morts, des vies ont été ruinées et de terribles, terribles choses se sont produites parce qu'il n'y avait aucun sens de l'histoire, aucun sens que le passé est vivant et réel.

Pensez-vous alors que ce genre de cauchemar va changer ? Que, dans une certaine mesure, l'Amérique l'a aujourd'hui pris en compte ?

Oui, parce que, vous savez... tout le pays s'est pratiquement effondré (rires). Oui, nous sommes en train d'en faire durement le décompte. Nous traversons, je pense, une période que nous n'avons jamais encore traversée de mon vivant. La politique étrangère, la politique intérieure - amenées à leur point de rupture. Tout a été ruiné. Tout a été cassé.

Et la philosophie qui était à la base de ce gouvernement a détruit les vies de beaucoup, beaucoup de gens. La dérégulation, l'idée d'un marché totalement libre, une politique étrangère aveugle. C'était un groupe de gens très radicaux qui a poussé les choses dans une direction très radicale, qui a eu beaucoup de succès en faisant bouger les choses de la sorte, et nous en subissons les conséquences.

Et êtes-vous optimiste aujourd'hui ?

Les choses sont ainsi. Vous sortez. Vous passez 35 années à chanter vos chansons au sujet d'un endroit. Et vous voyez cet endroit de façon locale, à travers les choses que les gens font dans leurs communautés, d'une ville à l'autre, à l'échelle locale. Mais vous ne les voyez pas à l'échelle nationale. En fait, vous voyez le contraire. Vous voyez un pays s'éloigner de plus en plus des valeurs démocratiques, s'éloigner de plus en plus de toute forme de justice économique et vous continuez simplement à chanter vos chansons.

Vous travaillez en assumant le fait qu'il y a de petites choses que vous pouvez faire. Vous avancez en assumant le fait que vous pouvez avoir un impact limité sur le marché des idées, sur le genre d'endroit dans lequel vous vivez, ses valeurs et les choses qui le rendent spécial à vos yeux. Mais vous ne le voyez pas. Et puis, quelque chose se passe que vous pensiez ne pas voir arriver de votre vivant, qui est que ce pays, en fait, montre son visage le soir des élections".

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Pour un homme dont les idées politiques avaient généralement été suggérées plutôt qu'exprimées ouvertement, Springsteen est finalement sorti de son silence avec le soutien public apporté au candidat démocrate à la présidentielle de 2004, John Kerry. Cette fois, il s'est très tôt déclaré pour Obama, le décrivant comme "dépassant tous les autres candidats de la tête et des épaules" en avril 2008. En octobre, il était la tête d'affiche, avec Billy Joel et John Legend, d'un concert visant à collecter des fonds, puis il a pris la route pour jouer au cours de quatre meetings politiques, le dernier d'entre eux, le 02 novembre à Cleveland dans l'Ohio, l'a vu jouer pour la première fois la chanson-titre de Working On A Dream, avant de faire venir toute sa famille sur scène pour qu'elle soit aux côtés de la femme d'Obama et de ses filles.

"Vous avez dit qu'on a dû vous "ramasser à la petite cuillère" après la défaite de Kerry. Comment était-ce cette année ?

Et bien, il y avait une euphorie que je n'avais jamais vue après une élection. Et elle était bien ancrée, je pense, dans la reconnaissance que ce pays, qui semble si souvent enseveli sous les faux-pas et les erreurs, avait subitement montré son vrai visage.

Je suis curieux de savoir de quoi relève votre engagement pour Obama. Je veux dire que vous avez activement fait campagne pour lui, vous avez joué lors de meetings politiques pour lui, vous avez participé au concert d'inauguration cette semaine. Qu'est-ce que vous aimez chez lui ?

Obama est un personnage unique dans l'histoire. L'aspect fondamentalement américain de son histoire et le fait qu'il représente pour beaucoup, beaucoup de gens, une image, et une idée du pays qui semblait avoir disparue au combat.

Son élection a été un moment incroyable pour quelqu'un qui semblait porter en lui, à la fois sérieusement et... pas légèrement, mais sans que ce soit un lourd fardeau, d'énormes pans de l'histoire américaine. Des pans énormes et douloureux.

Quelqu'un qui peut compter avec son passé, qui peut vivre avec son passé dans le présent et avancer vers l'avenir - c'est fabuleux. Et qu'un pays le reconnaisse a été un moment merveilleux. Cet endroit dont nous parlons, sur lequel nous chantons... il est vivant. Il n'est pas mort. Il existe. C'était tout simplement merveilleux, vous savez.

Cette dynamique dans ma vie a joué un grand rôle pour rester en vie. Rester présent. Ne pas trop déconner à un moment donné. Mais c'est une expérience quotidienne. Il y a toujours un lendemain, et heureusement, vous pouvez maintenant utiliser le mot "heureusement". On peut vivre ici et utiliser le mot "heureusement". Donc, c'est plutôt bien".

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Une fois l'élection gagnée, il semblerait que Springsteen ait d'autres choses en tête. Approchant maintenant les 60 ans, son univers personnel change également. Une grande partie a été constante. Il habite dans cet endroit du New Jersey où il a vécu la majeure partie de sa vie. Il a passé la plupart de sa carrière professionnelle avec le même groupe de musiciens, le E Street Band, et tout ça dans un univers où les Beatles ont à peine duré une décennie. Il vit avec sa femme, Patti Scialfa - elle-même membre du groupe - depuis 20 ans, et ils ont trois enfants adolescents.

Aujourd'hui, ses enfants grandissent et quittent le cocon familial, avec Evan, le fils aîné, qui vient de partir à l'université. Et au cours des 18 derniers mois, il a dû endurer la mort de deux de ses amis proches: son assistant personnel, Terry Magovern, et puis, en avril, le claviériste du E Street Band, Danny Federici, qui avait joué avec Springsteen pendant plus de 40 ans. Il est donc peu surprenant, quand il parle du nouvel album, qu'il cite Martin Scorsese - "le travail de l'artiste est de faire en sorte que les gens s'intéressent à vos obsessions et qu'ils les voient et qu'ils les vivent comme les leurs" - même si certaines de ces obsessions proviennent de sources inattendues.

"Il y a une chanson sur l'album - Queen Of The Supermarket - sur un mec qui a complètement craqué pour une caissière. Diable, d'où sort-elle celle-là ?

Ils ont ouvert ce bel et grand supermarché près de chez nous. Patti et moi y sommes allés, et je me souviens avoir parcouru ces allées - je n'avais pas mis les pieds dans un supermarché depuis un bon bout de temps - et j'ai pensé que cet endroit était spectaculaire. Cet endroit est... c'est une terre de fantasmes ! Et puis j'ai commencé à me mettre dans l'ambiance. J'ai commencé à regarder autour de moi et hmmmm - le sous-entendu dans cet endroit est énorme ! Du style "Est-ce que les gens viennent vraiment faire leurs courses dans ce magasin ou peut-être veulent-ils juste baiser sur le carrelage ?" (rires).

Parfois, c'est juste pour faire les courses, vous savez...

Peut-être qu'ils veulent simplement faire leurs courses, mais... (rires) peut-être que cette autre chose se passe. Aux États-Unis, les supermarchés n'ont, quelque part, aucune honte, l'abondance qu'ils offrent est débordante. Alors, l'aspect sexuel, le sous-entendu sexuel au sein du supermarché, et bien, il m'a peut-être embrouillé l'esprit.

Ça doit être vraiment dur d'aller faire les courses avec vous ?


Je vous le dit, c'est comme ça... (rires). Je suis alors rentré à la maison et je me suis dit "Wow, le supermarché est fantastique. C'est mon nouvel endroit préféré (rires). Et je vais écrire une chanson dessus !" Et j'ai commencé à écrire cette chanson, Queen Of The Supermarket, parce que s'il existe un supermarché et que toutes ces choses s'y trouvent, et bien, il doit forcément y exister une reine. Et si vous y allez, évidemment qu'il y en a une. Il y en a des millions. C'est donc une sorte de chanson qui parle de trouver la beauté là où elle est ignorée ou là où elle passe inaperçue.

Et est-ce que Patti vous emmène toujours faire les courses ?

Oui (rires), toujours. Elle me dit "Hé, elle parle de quoi cette chanson ?"

Ne lui dites pas. Je ne lui dirais pas si j'étais vous... Vous devez garder une part de mystère.

C'est drôle - tous ces vieux disques fantastiques semblent toujours suivre un chemin qui mène vers le mystère. Vous vous demandez toujours "Comment était la pièce où ces types ont enregistré ce disque ? Là où ils ont fait ces disques pour Sun Records, qu'est-ce qu'on ressentait ?". Ces disques sont entourés de tant de mystères. De nos jours, on a enlevé à la musique pop une grande partie de ce mystère, mais il ressurgit toujours".

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Il a commencé à être fasciné par ce mystère dans la petite ville de Freehold, dans le comté de Monmouth, dans le New Jersey, là où il a grandi, fils d'un chauffeur de bus et d'une secrétaire juridique. Au dire de tous, obnubilé par Elvis et mal dans sa peau de ne pouvoir trouver un sens à son univers que par l'intermédiaire de la musique, il rit tout bas quand il mentionne qu'il a récemment écouter des bandes-sons de son premier groupe, les Castiles, et son visage s'illumine devant ce souvenir.

"Vous jouez aujourd'hui avec le E Street Band et l'avez fait sur trois de vos derniers disques, mais vous avez fait cette longue pause où vous n'avez plus du tout joué avec eux...

Durant les années 90, j'ai galéré pour trouver un son et un objectif pour le E Street Band, ce qui explique la raison pour laquelle nous avons fait cette longue pause. Je me suis dit "Mon Dieu, que vais-je faire avec le groupe ? Je ne suis pas trop sûr. Comment sonne le groupe aujourd'hui ? Je ne sais pas vraiment. Je ne veux pas que nous ayons le même son que par le passé. J'ai n'ai aucune idée de la direction à suivre ". Et pendant la tournée qui a suivi notre réunion, j'ai écrit Land Of Hope And Dreams et American Skin. Ce sont deux chansons qui sont aussi bonnes que n'importe quelle chanson que j'ai pu écrire pour le groupe par le passé. Ces chansons auraient pu se trouver sur Darkness On The Edge Of Town, elles auraient pu se trouver sur The River. Ces chansons auraient pu se trouver sur n'importe quel album que les fans considéraient comme classiques à cette époque.

Je me suis donc dit "D'accord, je peux encore écrire des chansons pour le groupe". Après la tournée, nous sommes allés en studio et nous les avons enregistrées. Elles ne sonnaient pas assez juste. En tant qu'équipe de production, à ce moment-là, nous étions tout simplement à court d'énergie et à court d'options et à court d'idées nouvelles et nous nous sommes précipités dans le mur.

Donc, je présume que Brendan O'Brien qui a produit ce disque et The Rising et Magic auparavant, vous a, évidemment, permis de surmonter cette difficulté que vous aviez d'enregistrer le groupe. Comment cela affecte-t-il ce que vous écrivez et ce que vous faites en studio ?

Une grande partie de ce que vous faites est d'écrire pour un public. La première personne de ce public, c'est moi. En second, viennent les membres du groupe. C'est le public pour lequel je joue en premier quand j'ai de nouvelles chansons. Je dis aux gars "Qu'est-ce que vous en pensez ?". C'est le premier endroit où j'ai un retour.

Et tout à coup, il y a eu ce nouveau type, il y a eu ce nouveau public. Des racines différentes, un peu plus jeune que nous. Il avait un langage qui ne s'inspirait pas seulement des références musicales dont nous nous inspirions. Mais voilà un type qui s'inspirait de... Il connaissait toutes nos références, cet endroit où je vole toutes mes choses, toutes mes influences, mais il avait aussi tout le reste. Il a amené avec lui ses nombreuses influences, différentes des miennes. Et ce qu'il a apporté, c'est vraiment un second souffle à nos enregistrements. Si vous n'avez plus d'idées, trouvez quelqu'un qui en a, vous savez. Trouvez quelqu'un et intégrez cette personne à votre vie créative. Et il savait tout simplement comment enregistrer le groupe d'une façon puissante, actuelle et de manière fidèle à son identité.

Il y avait donc un énorme sentiment d'excitation, c'était une immense stimulation pour moi et pour mon écriture. Pour une raison ou une autre, l'écriture, quand j'ai eu 50 ans, est venue très..., je ne dirais pas facilement, mais elle a été fructueuse. J'ai eu une période très prolifique, et je pense que c'est en partie dû au fait que quand je m'apprête à écrire quelque chose, j'ai une personne qui donnera à ma chanson un son fantastique.

D'une certaine façon, Working On A Dream a un son très différent pour vous. Qu'est-ce qui a amené ça ?

Et bien, je n'avais pas écris ainsi depuis longtemps et j'aime ce genre de musique. J'aime les grandes productions pop des années 60, et les Righteous Brothers, les Walker Brothers, j'aime ces grands disques romantiques. Et je me suis donc dit que c'était quelque chose que je n'avais pas fait. Et quand je me suis mis à écrire, c'était comme si cette petite veine était restée là sans être utilisée et attendait patiemment, pleine de carburant. Donc, j'ai écrit beaucoup de morceaux, très rapidement. Et je me suis dit que ce que je voulais sur cet album, c'étaient des chansons romantiques, de grandes mélodies que je vais chanter avec cette grande voix, dont j'étais resté éloigné depuis longtemps. Je voulais simplement ces morceaux orchestral, rock, pop, et c'est vraiment devenu le thème vers lequel je voulais aller. A chaque album, vous cherchez à élargir votre vision, ce que vous avez fait musicalement et à agrandir cette vision, d'une certaine façon. Tout ce que j'essaie de faire aujourd'hui, c'est de vouloir faire des disques vraiment bien pensés, bien façonnés et inspirateurs, et d'amener de la musique à mon public qui corresponde à l'époque dans laquelle nous vivons et aux moments de leur vie.

Les derniers albums ont été, à leur façon, assez politiques. Mais celui-là ne l'est vraiment pas. Avez-vous senti que vous écriviez différemment ?

Comme je l'ai dit, je crois que cet album parle d'amour et de mortalité. Il y a cette chanson, This Life, et je pense à Kingdom Of Days. Ce sont des chansons qui parlent de l'amour éternel. Patti et moi sommes ensemble depuis 20 ans, vous savez. On a l'impression que ce n'est rien, mais c'est énormément d'expérience ensemble. Et vous arrivez à ce moment de votre vie qui non seulement vous donne toute cette expérience ensemble, mais cette expérience est limitée dans le temps. Cette vie est une grande part de ma vie. Nous avons passé une grande partie de notre vie ensemble et les éléments cosmiques commencent à s'infiltrer dans notre relation, où vous voyez dans l'avenir, mais vous voyez aussi sa limite dans le temps et vous vous dîtes "Wow".

La musique rock se situe dans un présent éternel. Quand j'étais jeune, ce qui constituait pour moi son message primaire, c'était maintenant, maintenant, maintenant, vivez maintenant. Et je pense que c'est une des raisons pour laquelle quand moi et le groupe montons sur scène, nous voulons désespérément ce "maintenant". Et cette immédiateté et cette urgence est une forme d'énergie que vous essayez de communiquer, de façon à ce que les gens se saisissent de leur propre jour. C'était à mes yeux, une partie essentielle de ce que la musique m'a communiqué. C'était un souffle profond de "maintenant", un souffle profond du présent, un souffle profond de la vie où on la vit. Tous ces disques fantastiques m'ont rempli de ce souffle, ce souffle de vie, ce souffle de "maintenant". Oh oui, et il vous alimente et vous fait continuer. C'était une partie de l'essence de la musique pop quand elle est apparue, ce "il n'y a pas assez de maintenant en ce moment".

Kingdom Of Days a le meilleur vers le l'album: "Je ne vois pas l'été qui décline, simplement le subtil changement de lumière sur ton visage"...

Kingdom Of Days parle du temps. C'est un vers sur le temps qui passe et je suis assez âgé pour m'en inquiéter quelque peu. Pas trop, mais un peu (rires). Donc, les deux premiers couplets parlent de la façon dont, à certains moments, le passage du temps est occulté par la présence de la personne que vous aimez. Ils parlent de la façon dont il semble y avoir une transcendance du temps avec l'amour. Ou je crois qu'il y en a. Je porte en moi beaucoup de gens qui ne sont plus là. Et donc, l'amour transcende le temps. Les marqueurs habituels du jour, du mois de l'année, quand vous vieillissez, ces marqueurs effrayants... la présence de l'amour, de quelqu'un qui vous est cher. Ils perdent quelque peu de leur pouvoir effrayant.

C'est vrai...

Mais la chanson parle aussi du fait que l'idéal romantique à un moment donné traite de la détérioration physique du corps. Le dernier couplet parle vraiment de ça, du vieillissement. Il s'évapore, c'est juste une partie de votre vie. Mais la beauté reste. Elle parle de deux personnes et vous visitez cet endroit sur le visage de l'autre. Pas seulement le passé et le présent, mais vous visitez aussi le futur dans le visage de l'autre au moment présent. Et tout le monde sait ce que cela contient.

Je suppose que c'est un nouveau thème pour vous, non ?

En fait, si vous retournez jusqu'à Wreck On The Highway, ce thème commence à traverser beaucoup de mes chansons. Sinaloa Cowboys... C'est le sous-entendu dans beaucoup de choses. C'est dans Ramrod (rires). "On ira s'éclater encore et encore". C'est l'idée que peut-être on peut échapper au temps. On retrouve ce thème dans la majorité de la grande musique rock, parce que ce côté désespéré, au moment présent, l'impact de tant de superbes disques vous dit immédiatement "Oh, il y a quelque chose d'autre, mon ami". L'aspect présent désespéré que l'on trouve dans tant de grande musique rock, la force vitale en elle, c'est un discours déclamatoire contre l'autre chose. C'est pourquoi la mythologie est toujours un mélange. Les crânes, les os croisés, la tête de mort. Pourquoi est-elle sur votre moto ? Elle est toujours omniprésente. MOI, j'entends la mort dans les premiers disques d'Elvis, dans tous ces premiers disques de blues sinistres. Et dans des disques faits par de jeunes gosses. C'est dans Thunder Road. Une notion du temps et du passage du temps, et vous n'êtes plus si jeune, de l'innocence qui s'en va.

Ça traverse toute la musique populaire, mais sur ce disque, c'est plus à la surface. C'est clair, c'est clairement écrit. Je peux obscurcir ces choses des heures durant, mon ami. Donnez-moi juste le temps, j'en parlerai indéfiniment, vous en resterez perplexe. Mais vous vieillissez et les choses deviennent aussi plus simples.

Évidemment, ces deux dernières années, deux de vos amis sont décédés, le plus récent étant Danny Federici, le claviériste du E Street Band, et qui jouait avec vous depuis une quarantaine d'années. The Last Carnival, cette chanson sur l'album, parle de lui ? Pour lui ?

C'était simplement une chanson que j'ai écrite pour Danny, après sa mort. C'est la face B de Wild Billy's Circus Story, je suppose. Au début, c'était une façon de donner un sens à sa mort. Il était partie intégrante de ce son boardwalk avec lequel le groupe a grandi et c'est quelque chose qui va manquer à présent. Danny a apporté ce... Danny était un musicien unique. C'était un véritable musicien folk, dans le sens où personne ne jouait comme lui, où il ne savait pas refaire les choses qu'il faisait régulièrement. Je n'ai jamais vu de musicien plus spontané. Je n'ai jamais vu un autre type capable de court-circuiter les parties de son cerveau qui le freinaient et son instinct passait directement dans ses doigts.

Comme je l'ai dit, quand je voulais alléger un morceau, je mettais toujours Danny sur le coup car il jouait simplement quelque chose. D'abord, je mettais Danny sur le coup sans lui dire quoi jouer parce que c'était une cause perdue. Ce n'était pas quelqu'un avec qui vous pouviez travailler de façon intensive sur des arrangements. Ce n'était pas son point fort. Son point fort était de faire émerger quelque chose de ses doigts, qui donnait un aspect détendu, excitant et spontané au morceau que vous étiez en train de travailler. Il jouait presque exclusivement d'une seule main mais il était magique. Cette seule main était magique. Et ce qui est bien, c'est que nous l'avons eu sur une assez grande partie de l'album avant sa mort.

Danny était un membre du E Street Band toujours très téméraire (rires). Nous nous sommes beaucoup disputés, beaucoup... Il était aussi merveilleusement gentil. Quand Patti a intégré le groupe, il a été, pour elle, le meilleur de tous. Il avait une gentillesse profonde et courtoise et des blessures, beaucoup de blessures. Et beaucoup de temps a passé, beaucoup de temps ensemble. En fin de compte, vous ne pouviez qu'aimer ce type.

Est-ce qu'écrire une chanson comme celle-là vous aide à l'accepter vous-même ?

Peut-être. Je ne sais pas. Vous savez... d'un côté, ce n'est qu'une chanson.

Ce n'est jamais qu'une simple chanson, Bruce...

Vous savez, c'est la première personne que nous avons perdu. La chose dont j'ai été le plus fier pendant longtemps était que, contrairement à de nombreux autres groupes, les membres de notre groupe, ils étaient en vie. Ils étaient en vie et c'était quelque chose qui ressemblait à un effort commun; c'était quelque chose que nous avions fait ensemble. Ce truc de survivre. Chacun veillait vraiment sur l'autre. Et c'était un témoignage de la force de la vie qui, je pense, était au cœur de notre musique - que personne ne vous abandonnait. Et qui a duré longtemps. Les gens se sont sortis de beaucoup de mauvaises situations. Et moi inclus, de diverses façons, pendant de nombreuses, nombreuses années".

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Même s'il ne dit rien d'autre, le temps nous dit que beaucoup de rock stars ont du mal à accepter le processus de vieillissement. Une des tragédies de la vie de Presley était qu'il a été la première de ces rock stars, et à cette époque, le carte routière n'était pas fournit avec ce job. Trente-six ans après la sortie de son premier album, il est évident que Springsteen possède une carte, une carte qu'il a tracée lui-même et qu'il a soigneusement étudiée. Il a une vision claire de l'avenir et en des temps difficiles, ses pensées se portent sur ce qui perdure.

Vous avez gagné un Golden Globe pour votre chanson pour le film de Darren Aronofsky, The Wrestler, et il semble que vous allez être également nominé pour les Oscars. Comment en êtes-vous arrivé à contribuer à ce film ?

Je connais Mickey Rourke depuis longtemps, depuis le début des années 80, je crois. Il est venu à certains de mes concerts, nous nous sommes rencontrés et avons pas mal traîné ensemble quand je me suis installé pour la première fois à Los Angeles. J'ai toujours été admirateur de son jeu d'acteur. C'est un type qui porte tout simplement en lui ce côté unique, une grande authenticité. J'ai toujours pensé que c'était quelqu'un de beau.

Alors, il m'a appelé et m'a dit "Nous sommes en train de faire ce film". Il a dit "C'est un petit film indépendant et nous recherchons de la musique". Je lui ai dit "Qu'est-ce que tu recherches ?" - je n'avais pas le temps d'écrire toute la bande-son d'un film et je n'ai jamais fait ça - "mais si je peux parvenir à écrire une chanson". Il m'a donc envoyé le scénario et je l'ai lu et j'ai écrit cette chanson, probablement en une après-midi. Tout comme tout ce que j'écris, sauf que pour cette chanson, peut-être que je pense à lui, que je pense au film, que je pense à moi. Pour que la chanson soit bonne, il faut penser à toutes ces choses.

C'était le même processus pour que Streets Of Philadelphia et des chansons de ce genre, quand vous vous mettez à penser au personnage ?

Oui ! Jonathan Demme m'a appelé et je crois qu'il m'a envoyé un extrait du début du film. Il m'a dit qu'il avait déjà Neil Young pour le générique de fin. Il m'a dit "Je veux quelque chose pour le début, une grande chanson rock". J'ai alors essayé de l'écrire comme une chanson rock et ce n'était vraiment pas bon. J'ai alors commencé à jouer sur un petit rythme en boucle. En gros, j'ai regardé le début du film. Si j'écris quelque chose de bien, la chanson sonnera bien par-dessus les images, vous savez. La musique est amusante de cette façon. Si elle est bonne, la séquence sera bonne. La musique imprègne l'image, elle peut aider à imprégner l'image grâce a son âme, évidemment.

Comment avez-vous trouvé le chemin qui vous mène aux thèmes de The Wrestler, qui est un film qui parle d'échec et de personnes sur le déclin professionnellement, des thèmes qui ne vous sont pas familiers, je pense ?

C'est toujours le même travail qui consiste à se mettre à la place de quelqu'un d'autre, tout en ayant une partie de vous qui reste à sa place. Et c'est ainsi que ça marche. J'ai ancré cette chanson dans quelque chose que j'ai moi-même vécu, sur lequel je crois pouvoir écrire.

Tout le monde comprend cette notion de blessure. Tout le monde la comprend. Si je peux écrire dessus, je peux alors vous écrire votre chanson. Tout le monde comprend cette notion de blessure dès l'âge de 12 ans. La plupart des choses que vous écrivez vient de cette période-là, et celle d'avant. La narration de votre vie, la géographie intérieure à travers laquelle vous allez devoir trouver votre chemin est fermement établie assez tôt dans votre vie. Les blessures, sur ce qu'elles font à quelqu'un incapable d'entrer dans la vie normale, incapable de supporter les choses qui vous aident. Ces choses vous donneront une vie si vous pouvez les supporter, si vous pouvez supporter qu'elles soient à vos côtés. Parce que nous passons une grande partie de notre vie à courir. Nous courons, nous fuyons, fuyons, fuyons... une de mes spécialités.

Vous pouvez trouver votre identité dans les blessures qu'on vous a fait subir. Très, très dangereux. Vous pouvez trouver votre identité dans vos plaies, dans vos cicatrices, dans les endroits où vous avez été battu et que vous transformez en une médaille. Nous portons tous en nous les choses auxquelles nous avons survécu avec honneur, mais le véritable honneur consiste également à les transcender et à les dépasser.

Tout le monde a fait l'expérience de ces choses, mais si vous en faites votre vie, c'est une vie très dangereuse que vous créez, et cette vie sera très dure et sera insatisfaite. Et c'est un choix quotidien. Dans ma propre vie, j'ai beaucoup construit, mais... je ne me fais pas d'illusions. Il y a certaines parties en moi qui... il y a toujours une partie en vous qui veut vous prendre ce que vous avez construit. Cette chanson parle donc de ça. Où trouver l'honneur dans votre vie ? Reconnaître la raison pour laquelle cette chanson a une quelconque signification, pourquoi elle vous fait du bien, c'est parce qu'en reconnaissant tout ça, vous vous élevez légèrement, sinon...

Vous sentez-vous toujours comme ce gosse de 12 ans ?

Bien sûr. Il n'existe aucune de vos facettes que vous pouvez laisser de côté; c'est impossible. Vous ne pouvez enlever aucune de vos facettes, vous pouvez seulement en gérer les différentes parties. Il y a une voiture, elle est pleine de personnes. Le gosse de 12 ans est à l'arrière. Avec celui de 22 ans. Ainsi que celui de 40 ans. Ainsi que celui de 50 ans qui a assez bien réussi, et celui de 40 ans qui aime tout faire foirer. Ainsi que celui de 30 ans qui veut prendre le volant et appuyer à fond sur l'accélérateur et s'écraser contre un arbre.

Cette situation ne changera jamais. Personne ne descend. Personne ne se fait jeter sur le bord du chemin. Les portières sont fermées, fermées à clé et scellées, jusqu'au jour où vous mettez les pieds dans votre cercueil. Mais selon celui qui conduit, il y a une grande différence sur la direction que prendra la voiture. Et si c'est le mauvais mec qui est au volant, c'est le crash. La clé, c'est que vous avancez dans la vie, vous ne laissez jamais ces personnes derrière, toutes ces facettes de vous. Vous essayez de devenir bon pour pouvoir toutes les gérer. Et je sais que parfois les gens font face à quelque chose qu'ils veulent changer: "Mais si je me mets à boire, je ne serai plus capable d'écrire, car cette personne sera partie", "Si je vais chercher à en savoir plus, je ne saurai plus qui je suis et cette personne partira". Personne ne s'en va jamais nulle part. Ils sont tous avec vous dans la voiture et c'est un voyage de toute une vie, mais qui se trouve au volant ? Vous voulez derrière le volant le tout dernier modèle de vous-même, la partie de vous qui a pris conscience de certaines de ces choses et qui peut vous conduire vers un endroit où vous voulez aller.

Vous avez sorti votre premier album il y a presque 40 ans mais vous avez toujours un large public, vous avez toujours beaucoup de succès. Selon vous, qu'est-ce qui fait réagir les gens à vos chansons ?

Les artistes auxquels les gens s'intéressent sont des gens qui ont quelque chose qui les dévore. Ce sont les personnes auxquelles on s'intéresse. Elvis. Qu'est-ce qui dévorait ce type ? Pourquoi se devait-il de chanter et de bouger ainsi ? Il y avait quelque chose. Jerry Lee Lewis, qu'est-ce qui le dévorait, qu'est-ce qui dévorait Hank Williams ? Johnny Lydon.

Alors l'idée, c'est: comment arrivez-vous à gérer cette chose qui vous dévore, sans la laisser vous avaler ? Car c'est ce qu'elle veut faire. Cette chose qui vous dévore veut vous avaler. Et donc votre vie est... comment l'empêchez-vous d'y arriver ? C'est aussi une histoire assez intéressante et c'est ce dont parlent la plupart de mes disques, peut-être tous mes disques. Alors maintenant, vous savez - mes disques et la musique et tout le reste, c'est moi qui essaie de ne pas me faire dévorer". Il éclate de rire. "Du mieux que je peux". OMM

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NOTES

Cette interview publiée le 18 janvier 2009 par The Observer Music Monthly a été complétée et réarrangée sur la base de l'interview originale diffusée le 24 janvier 2009 sur Radio 2, dans le cadre de l'émission 'Bruce Springsteen On Songwriting'.

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Photographies Ben Watts

Lien The Observer


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