par A. O. Scott
Asbury Park, NJ
Asbury Park, NJ
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C'était le dernier jour de l'été, mais ici sur la promenade, la journée ressemblait plus à un parfait matin de début juillet: l'Océan Atlantique scintillait sous un ciel sans nuage, une douce brise salée calmait l'air humide. J'ai regardé la plage déserte, je suis passé devant les magasins de souvenirs et les snack-bars avec leur peinture fraîche et leurs nouveaux stores verts, en direction du ponton victorien de l'ancien casino, et j'ai eu l'impression d'entrer dans une vieille chanson de Springsteen (oh, je ne sais pas. Peut-être Fourth Of July, Asbury Park. Ou est-ce si évident ?).
Ce sentiment volontairement provoqué, mais pas moins puissant pour autant, logeait en moi depuis ce matin. Très tôt, moi et ma copine - c'est à dire ma femme depuis près de 20 ans - avions claqué la porte d'entrée, déposé nos enfants à l'école et pris la route en direction du Garden State (le New Jersey), dans notre break Volvo. Nous avions, avant sa sortie, une copie du nouvel album de M. Springsteen, Magic, dans notre lecteur CD, et la plupart de son catalogue en réserve dans l'iPod. Et maintenant, nous descendions vers Kingsley. Une dernière chance de le rendre réel. Tramps like us, baby !
Notre but n'était pas de fantasmer mais plutôt d'observer le E Street Band en répétition et puis d'écouter ce que notre homme avait à dire sur le nouvel album, la tournée à venir, et les autres choses qui le préoccupaient. Magic est, musicalement parlant, l'un des albums les plus enjoués et accessibles qu'il ait faits, même si ses thèmes et ses histoires en font l'un des plus politiques. Une fois de plus, il part en tournée alors que l'élection présidentielle approche.
"J'aime sortir à ces moments-là" me dira-t-il plus tard, une fois assis pour discuter dans une loge backstage, après les répétitions. "Quelle que soit la chose, même minime, que nous puissions faire, c'est un bon moment pour le faire".
A un âge où la plupart des rockers, s'ils sont toujours en vie, sont devenus soit des hommages, soit des parodies de ce qu'ils étaient avant, M. Springsteen semble s'épanouir dans une situation fort enviable, explorant de nouvelles formes musicales tout en ayant un ensemble de chansons à son répertoire qui ne semblent jamais vieillir, avec beaucoup de choses à dire et un public qui s'accroche à chacun de ses mots.
Un public - si cela n'était pas déjà évident - dont je fais partie. J'écoute Bruce Springsteen depuis très longtemps mais je ne peux affirmer qu'il a représenté la bande-son de ma jeunesse. J'ai passé mon adolescence sous l'emprise du punk-rock et de ses héritiers et j'ai découvert Springsteen sur le tard, après un stade de la vie où ses grands hymnes de romance, de rébellion et de fuite auraient pu avoir leur impact le plus direct. Par conséquent, j'associe son œuvre avec les chagrins et les satisfactions qu'apporte une vie d'adulte. C'est une musique avec laquelle on mûrit, pas une musique dont on se lasse.
Les meilleures chansons de M. Springsteen, à mon avis, parlent de compromis et de stoïcisme, de déception et de foi, de travail, de patience et de résignation. Elles parlent aussi souvent, même celles écrites dans sa jeunesse, de nostalgie, elles parlent du désir de recapturer ces moments éphémères d'intensité et de possibilité que nous associons au fait d'être jeune.
Des moments qui ont tendance, et non par pure coïncidence, à se cristalliser dans un certain genre de chansons populaires. Une chanson, disons, comme Girls In Their Summer Clothes, au beau milieu de Magic et que le E Street Band était en train de jouer quand ma femme et moi sommes entrés sur la pointe des pieds dans le Convention Hall d'Asbury Park. C'était peu après 10 heures. Le groupe répétait depuis environ une heure, se préparant pour une tournée en Amérique du Nord et en Europe, qui commence mardi à Hartford.
Ce sentiment volontairement provoqué, mais pas moins puissant pour autant, logeait en moi depuis ce matin. Très tôt, moi et ma copine - c'est à dire ma femme depuis près de 20 ans - avions claqué la porte d'entrée, déposé nos enfants à l'école et pris la route en direction du Garden State (le New Jersey), dans notre break Volvo. Nous avions, avant sa sortie, une copie du nouvel album de M. Springsteen, Magic, dans notre lecteur CD, et la plupart de son catalogue en réserve dans l'iPod. Et maintenant, nous descendions vers Kingsley. Une dernière chance de le rendre réel. Tramps like us, baby !
Notre but n'était pas de fantasmer mais plutôt d'observer le E Street Band en répétition et puis d'écouter ce que notre homme avait à dire sur le nouvel album, la tournée à venir, et les autres choses qui le préoccupaient. Magic est, musicalement parlant, l'un des albums les plus enjoués et accessibles qu'il ait faits, même si ses thèmes et ses histoires en font l'un des plus politiques. Une fois de plus, il part en tournée alors que l'élection présidentielle approche.
"J'aime sortir à ces moments-là" me dira-t-il plus tard, une fois assis pour discuter dans une loge backstage, après les répétitions. "Quelle que soit la chose, même minime, que nous puissions faire, c'est un bon moment pour le faire".
A un âge où la plupart des rockers, s'ils sont toujours en vie, sont devenus soit des hommages, soit des parodies de ce qu'ils étaient avant, M. Springsteen semble s'épanouir dans une situation fort enviable, explorant de nouvelles formes musicales tout en ayant un ensemble de chansons à son répertoire qui ne semblent jamais vieillir, avec beaucoup de choses à dire et un public qui s'accroche à chacun de ses mots.
Un public - si cela n'était pas déjà évident - dont je fais partie. J'écoute Bruce Springsteen depuis très longtemps mais je ne peux affirmer qu'il a représenté la bande-son de ma jeunesse. J'ai passé mon adolescence sous l'emprise du punk-rock et de ses héritiers et j'ai découvert Springsteen sur le tard, après un stade de la vie où ses grands hymnes de romance, de rébellion et de fuite auraient pu avoir leur impact le plus direct. Par conséquent, j'associe son œuvre avec les chagrins et les satisfactions qu'apporte une vie d'adulte. C'est une musique avec laquelle on mûrit, pas une musique dont on se lasse.
Les meilleures chansons de M. Springsteen, à mon avis, parlent de compromis et de stoïcisme, de déception et de foi, de travail, de patience et de résignation. Elles parlent aussi souvent, même celles écrites dans sa jeunesse, de nostalgie, elles parlent du désir de recapturer ces moments éphémères d'intensité et de possibilité que nous associons au fait d'être jeune.
Des moments qui ont tendance, et non par pure coïncidence, à se cristalliser dans un certain genre de chansons populaires. Une chanson, disons, comme Girls In Their Summer Clothes, au beau milieu de Magic et que le E Street Band était en train de jouer quand ma femme et moi sommes entrés sur la pointe des pieds dans le Convention Hall d'Asbury Park. C'était peu après 10 heures. Le groupe répétait depuis environ une heure, se préparant pour une tournée en Amérique du Nord et en Europe, qui commence mardi à Hartford.
Le Convention Hall est une petite salle de concert vétuste où, quand il était ado, M. Springsteen a vu des groupes tels que les Who et les Doors. Ce matin-là, il y régnait un son d'été scintillant, comme si nous avions remonté le temps, jusqu'au paysage sonore de Phil Spector, de Brian Wilson et des Byrds, au milieu des années 60. Steve Van Zandt grattait une guitare 12-cordes et les harmonies vocales, le son des claviers, le saxophone de Clarence Clemons et le violon de Soozie Tyrell, l'ensemble offrait un riche coussin orchestral à la voix de M. Springsteen, qui s'évanouissait dans des paroles aussi romantiques que le titre de la chanson.
"Je voulais une chose sur cet album, l'univers parfait de la pop" a dit M. Springsteen, une fois le groupe parti et son déjeuner avalé (granola, avec fruit frais et lait de soja). C'était deux jours avant son 58ème anniversaire et il paraissait plus élégant et bronzé que la dernière fois où je l'ai vu, sur l'écran vidéo JumboTron du Giants Stadium, il y a quelques années. "Vous savez, ce jour où tout va bien. C'est un monde qui n'existe seulement que dans les chansons pop, et que de temps en temps, vous arrivez à atteindre".
Bien que dans Girls In Their Summer Clothes il y ait une touche de mélancolie. Son narrateur, après tout, est là et regarde les filles de la chanson "passer". "C'est le désir, le désir pour un monde parfait", continue M. Springsteen. "La musique pop est drôle. Elle allume. Elle allume beaucoup, mais ne reste qu'à ce stade, et c'est ce qui la rend belle et drôle".
Et la plupart des chansons de Magic, après une première écoute, semblent dévoiler un esprit similaire. Il y a l'éclat du son, une légèreté du toucher qui sont sensiblement différents de ce que M. Springsteen a produit récemment. Ces cinq dernières années, il a sorti quatre albums de matériel original, une route zigzaguant à travers des choses nouvelles et d'autres plus traditionnelles. The Rising (2002) a réuni en studio le E Street Band après un long hiatus (leur son étant remis au goût du jour par Brendan O'Brien) et a été une réponse au traumatisme du 11-septembre, avec le rugissement provocant et rédempteur d'une solide musique rock. Avec Devils & Dust (2005), M. Springsteen a repris les thèmes d'histoires de Western et de ballades acoustiques qui remontaient à des projets sans le E Street Band, tels que The Ghost Of Tom Joad et Nebraska (y compris des thèmes de The River). The Seeger Sessions, sorti l'année dernière, était une sorte de théâtre folk ambulant, traditionnel, aux idées contestataires, avec un grand orchestre indiscipliné jouant des spirituals, des chansons de l'Union, et des ballades du Dust Bowl.
Tous ces disques étaient fortement teintés par le populisme fondamental de M. Springsteen, mais aucun n'était ce que j'appellerais un disque pop. Pop est le mot que lui et ses musiciens utilisent sans cesse pour décrire Magic. M. Van Zandt, qui joue et parle musique avec M. Springsteen depuis 40 ans (les érudits citent le 03 novembre 1967, la date de leur première rencontre) a remarqué que par le passé les compositions les plus légères et les plus mélodiques de Springsteen avaient tendance à ne pas se retrouver sur l'album final.
"C'était une bonne chose que pour celui-là, nous ayons été plus ouverts" a-t-il dit dans une interview par téléphone quelques jours après ma visite à Asbury Park, "avec quelque chose d'un peu plus pop, sans compromettre l'intégrité ou aucune des qualités. Une bonne surprise, un bon changement de rythme que d'inclure ces choses et de les intégrer à l'album, au lieu d'avoir beaucoup de plaisir à les enregistrer pour les mettre à la poubelle plus tard".
Pour sa part, M. Springsteen a dit qu'en écrivant les chansons de Magic, il était retombé amoureux "de la musique pop". "Je suis retourné vers des formes que je n'avais pas utilisées auparavant ou que je n'avais pas beaucoup utilisé, qui étaient de véritables productions pop", dit-il. "J'ai écrit beaucoup de musique qui accroche. C'est simplement la façon dont les chansons se sont écrites d'elles-mêmes. Je pense que parce que je me sentais assez libre, je n'ai pas eu peur de la pop music. Dans le passé, je voulais être sûr que ma musique soit assez dure pour illustrer les histoires que j'allais raconter".
"Je voulais une chose sur cet album, l'univers parfait de la pop" a dit M. Springsteen, une fois le groupe parti et son déjeuner avalé (granola, avec fruit frais et lait de soja). C'était deux jours avant son 58ème anniversaire et il paraissait plus élégant et bronzé que la dernière fois où je l'ai vu, sur l'écran vidéo JumboTron du Giants Stadium, il y a quelques années. "Vous savez, ce jour où tout va bien. C'est un monde qui n'existe seulement que dans les chansons pop, et que de temps en temps, vous arrivez à atteindre".
Bien que dans Girls In Their Summer Clothes il y ait une touche de mélancolie. Son narrateur, après tout, est là et regarde les filles de la chanson "passer". "C'est le désir, le désir pour un monde parfait", continue M. Springsteen. "La musique pop est drôle. Elle allume. Elle allume beaucoup, mais ne reste qu'à ce stade, et c'est ce qui la rend belle et drôle".
Et la plupart des chansons de Magic, après une première écoute, semblent dévoiler un esprit similaire. Il y a l'éclat du son, une légèreté du toucher qui sont sensiblement différents de ce que M. Springsteen a produit récemment. Ces cinq dernières années, il a sorti quatre albums de matériel original, une route zigzaguant à travers des choses nouvelles et d'autres plus traditionnelles. The Rising (2002) a réuni en studio le E Street Band après un long hiatus (leur son étant remis au goût du jour par Brendan O'Brien) et a été une réponse au traumatisme du 11-septembre, avec le rugissement provocant et rédempteur d'une solide musique rock. Avec Devils & Dust (2005), M. Springsteen a repris les thèmes d'histoires de Western et de ballades acoustiques qui remontaient à des projets sans le E Street Band, tels que The Ghost Of Tom Joad et Nebraska (y compris des thèmes de The River). The Seeger Sessions, sorti l'année dernière, était une sorte de théâtre folk ambulant, traditionnel, aux idées contestataires, avec un grand orchestre indiscipliné jouant des spirituals, des chansons de l'Union, et des ballades du Dust Bowl.
Tous ces disques étaient fortement teintés par le populisme fondamental de M. Springsteen, mais aucun n'était ce que j'appellerais un disque pop. Pop est le mot que lui et ses musiciens utilisent sans cesse pour décrire Magic. M. Van Zandt, qui joue et parle musique avec M. Springsteen depuis 40 ans (les érudits citent le 03 novembre 1967, la date de leur première rencontre) a remarqué que par le passé les compositions les plus légères et les plus mélodiques de Springsteen avaient tendance à ne pas se retrouver sur l'album final.
"C'était une bonne chose que pour celui-là, nous ayons été plus ouverts" a-t-il dit dans une interview par téléphone quelques jours après ma visite à Asbury Park, "avec quelque chose d'un peu plus pop, sans compromettre l'intégrité ou aucune des qualités. Une bonne surprise, un bon changement de rythme que d'inclure ces choses et de les intégrer à l'album, au lieu d'avoir beaucoup de plaisir à les enregistrer pour les mettre à la poubelle plus tard".
Pour sa part, M. Springsteen a dit qu'en écrivant les chansons de Magic, il était retombé amoureux "de la musique pop". "Je suis retourné vers des formes que je n'avais pas utilisées auparavant ou que je n'avais pas beaucoup utilisé, qui étaient de véritables productions pop", dit-il. "J'ai écrit beaucoup de musique qui accroche. C'est simplement la façon dont les chansons se sont écrites d'elles-mêmes. Je pense que parce que je me sentais assez libre, je n'ai pas eu peur de la pop music. Dans le passé, je voulais être sûr que ma musique soit assez dure pour illustrer les histoires que j'allais raconter".
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Le paradoxe de Magic est peut-être que certaines de ses histoires sont parmi les plus dures qu'il n'ait jamais racontées. L'album est parfois une taquinerie mais rarement une plaisanterie. La chanson qui a donné son titre à l'album, par exemple, apparaît comme un boniment de carnaval séducteur, quelque chose que nous aurions pu entendre sur la promenade d'Asbury Park au bon vieux temps. Un magicien murmurant d'une voix pénétrante en accord mineur, vous leurre avec des descriptions de ses tours de magie, qui deviennent de plus en plus sinistres au fil des couplets ("J'ai une lame de scie rutilante / Tout ce dont j'ai besoin c'est d'un volontaire") "Ne faîtes pas confiance à ce que vous entendez / Et encore moins à ce que vous voyez", nous conseille-t-il fortement. Le refrain - "Voilà ce qui arrivera" - devient de plus en plus terrifiant une fois que vous avez assimilé toutes les nuances et les ombres du reste de l'album.
Vous pouvez toujours faire confiance à ce que vous entendez sur un disque de Bruce Springsteen (l'ironie, fait-il remarquer, n'est pas une chose pour laquelle il est connu), mais dans ce cas, cela vaut la peine d'écouter de près, de remarquer l'obscurité qui plane à la périphérie de ces mélodies et harmonies qui brillent. "J'ai pris ces formes et ce langage classique de la pop et j'y ai injecté du malaise", dit M. Springsteen.
Et alors que toutes les chansons de Magic évitent, de façon caractéristique, des références explicites aux événements actuels, il n'y a pas de doute sur la source de ce malaise, largement politique. La chanson Magic, explique M. Springsteen, parle de l'industrie de l'illusion, de l'engagement explicite du gouvernement Bush à créer sa propre réalité.
"C'est un disque sur l'auto-subversion" me dit-il, sur la façon dont ce pays a saboté et corrompu ses idéaux et ses traditions. Et à sa façon, l'album lui-même est délibérément auto-subversif, troublant ses surfaces lisses et agréables avec l'aveu brutal de faits durs et déplaisants.
Magic démarre là où The Rising s'est arrêté et fait l'inventaire de ce qui s'est passé dans le pays depuis le 11-septembre. À cette époque, l'expérience collective de la douleur et de la terreur étaient évoquées de façon explicite. Maintenant, ces émotions se cachent juste en-dessous de la surface, ce qui signifie qu'une catharsis par la biais du rock'n'roll est plus dure à atteindre. Les mots-clés dans The Rising étaient l'espoir, l'amour, la force, la foi, dans un contexte d'expérience collective de deuil. Il n'y a plus de solitude dans Magic et en dépit d'une atmosphère pop détendue, beaucoup moins d'optimisme.
Les histoires racontées dans Gypsy's Biker et dans Devil's Arcade sont des représentations de pertes vécues par les femmes et amis de soldats dont les vies ont été détruites ou perdues en Irak. "Le disque est un bilan du coût de la vie et de la perte" dit M. Springsteen. "C'est le fardeau d'une vie d'adulte. Point barre. Mais c'est le fardeau d'une vie d'adulte en ce moment, sans aucun doute".
Quand on lui parle, M. Springsteen a beaucoup à dire sur ce qui ce passe dans le pays depuis ces six dernières années: "Désespérant et à vous briser le cœur. Pour ne pas dire rageant". Voilà comment il résume la situation. Mais ces commentaires les plus directs et les plus puissants ont lieu, comme on peut le penser, sur scène. Ce n'est pas ce qu'il dit ou ce qu'il chante, mais plutôt un morceau de tragédie musicale, la façon apparemment simple et technique qu'il a de passer d'une chanson à une autre.
Vous pouvez toujours faire confiance à ce que vous entendez sur un disque de Bruce Springsteen (l'ironie, fait-il remarquer, n'est pas une chose pour laquelle il est connu), mais dans ce cas, cela vaut la peine d'écouter de près, de remarquer l'obscurité qui plane à la périphérie de ces mélodies et harmonies qui brillent. "J'ai pris ces formes et ce langage classique de la pop et j'y ai injecté du malaise", dit M. Springsteen.
Et alors que toutes les chansons de Magic évitent, de façon caractéristique, des références explicites aux événements actuels, il n'y a pas de doute sur la source de ce malaise, largement politique. La chanson Magic, explique M. Springsteen, parle de l'industrie de l'illusion, de l'engagement explicite du gouvernement Bush à créer sa propre réalité.
"C'est un disque sur l'auto-subversion" me dit-il, sur la façon dont ce pays a saboté et corrompu ses idéaux et ses traditions. Et à sa façon, l'album lui-même est délibérément auto-subversif, troublant ses surfaces lisses et agréables avec l'aveu brutal de faits durs et déplaisants.
Magic démarre là où The Rising s'est arrêté et fait l'inventaire de ce qui s'est passé dans le pays depuis le 11-septembre. À cette époque, l'expérience collective de la douleur et de la terreur étaient évoquées de façon explicite. Maintenant, ces émotions se cachent juste en-dessous de la surface, ce qui signifie qu'une catharsis par la biais du rock'n'roll est plus dure à atteindre. Les mots-clés dans The Rising étaient l'espoir, l'amour, la force, la foi, dans un contexte d'expérience collective de deuil. Il n'y a plus de solitude dans Magic et en dépit d'une atmosphère pop détendue, beaucoup moins d'optimisme.
Les histoires racontées dans Gypsy's Biker et dans Devil's Arcade sont des représentations de pertes vécues par les femmes et amis de soldats dont les vies ont été détruites ou perdues en Irak. "Le disque est un bilan du coût de la vie et de la perte" dit M. Springsteen. "C'est le fardeau d'une vie d'adulte. Point barre. Mais c'est le fardeau d'une vie d'adulte en ce moment, sans aucun doute".
Quand on lui parle, M. Springsteen a beaucoup à dire sur ce qui ce passe dans le pays depuis ces six dernières années: "Désespérant et à vous briser le cœur. Pour ne pas dire rageant". Voilà comment il résume la situation. Mais ces commentaires les plus directs et les plus puissants ont lieu, comme on peut le penser, sur scène. Ce n'est pas ce qu'il dit ou ce qu'il chante, mais plutôt un morceau de tragédie musicale, la façon apparemment simple et technique qu'il a de passer d'une chanson à une autre.
Sur la scène du Convention Hall, le groupe a manié les nouvelles chansons comme des experts - après 35 années passées ensemble, la communication passe sans aucune difficulté - faisant des pauses pour retravailler les rares fausses notes ou pour ajuster le son. Mais ils ont dû répéter la transition entre The Rising et leur morceau suivant au moins une demi-douzaine de fois.
"Vous devez faire durer cette note. Tout le monde !" dit Springsteen, en les encourageant. "Elle ne peut mourir ainsi".
Les guitaristes avaient le défi supplémentaire de garder le son tout en changeant d'instrument, une série de courses-relais avec passage de témoin pour les assistants, dont le boulot était d'aider à la transition, jusqu'à ce que le son dissonant d'un orgue retentisse, donnant le signal d'un changement de clé et du début tonnant de Last To Die. Il n'est pas trop fort de dire que la façon dont Springsteen a abordé l'histoire des États-Unis post-11 septembre peut être mesurée dans l'espace se trouvant entre les refrains de ces deux chansons. Le public passe d'une exhortation passionnée ("Come on up for the rising") à la sombre et familière question "Qui sera le dernier à mourir pour une erreur ?".
"C'est pourquoi nous devions le jouer de façon très juste aujourd'hui" dit-il plus tard. "Vous nous avez vu bosser là-dessus. Cette chose doit arriver comme si le monde vous tombait dessus, ce premier accord. Il doit hurler à la fin de The Rising et puis craquer, gronder sourdement. Le concert va changer de direction sur cette transition. C'est là où nous en sommes en ce moment, ces 30 secondes".
Mais la nuit ne s'arrête pas là. Sur scène, Last To Die est suivi, comme sur l'album par une chanson intitulée Long Walk Home. Dans le premier couplet, le narrateur retourne dans sa ville natale, dans des endroits connus, et ressent une aliénation, rendue particulièrement pesante par les mots utilisés pour la décrire: "J'ai longuement regardé leurs visages, ils étaient tous devenus étrangers pour moi". Cette expression curieuse et démodée - rank strangers - rappelle une chanson du même nom enregistrée par les Stanley Brothers, lamentation mystérieuse d'un vieux mountain soul.
"Dans cette chanson, un mec revient dans sa ville natale et ne reconnaît rien et n'est reconnu par rien" dit M. Springsteen. "Le chanteur dans Long Walk Home, c'est son expérience. Son monde a changé. Les choses qu'il pensait connaître, les gens qu'il pensait connaître, avec qui il partageait certains idéaux, sont comme des inconnus. Le monde qu'il connaissait lui paraît complètement étranger. Je pense que c'est ce qui s'est passé dans ce pays durant les six dernières années".
Et donc les images de la chanson sur la vie dans une petite ville en train de mourir ("Le restaurant, avec ses volets baissés, était barricadé / Avec juste un panneau qui disait 'parti'") deviennent des métaphores, la dernière nous est livrée avec toute la clarté et la force qui ont caractérisé les meilleurs textes de Springsteen:
Mon père me disait "mon fils, nous avons de la chance dans cette ville
C'est un bel endroit où naître
Elle pose simplement ses bras autour de toi
Personne ne vient t'envahir, personne ne reste seul
Tu sais que ce drapeau qui flotte sur le palais de justice
Signifie que certaines choses sont gravées dans le marbre
Ce que nous sommes, ce que nous ferons
Et ce que nous ne ferons pas"
Le chemin du retour sera long
"C'est la fin de l'histoire que nous racontons chaque soir" dit M. Springsteen. "Parce que c'est ainsi que cela devrait être. Et que ce n'est pas le cas en ce moment".
"Vous devez faire durer cette note. Tout le monde !" dit Springsteen, en les encourageant. "Elle ne peut mourir ainsi".
Les guitaristes avaient le défi supplémentaire de garder le son tout en changeant d'instrument, une série de courses-relais avec passage de témoin pour les assistants, dont le boulot était d'aider à la transition, jusqu'à ce que le son dissonant d'un orgue retentisse, donnant le signal d'un changement de clé et du début tonnant de Last To Die. Il n'est pas trop fort de dire que la façon dont Springsteen a abordé l'histoire des États-Unis post-11 septembre peut être mesurée dans l'espace se trouvant entre les refrains de ces deux chansons. Le public passe d'une exhortation passionnée ("Come on up for the rising") à la sombre et familière question "Qui sera le dernier à mourir pour une erreur ?".
"C'est pourquoi nous devions le jouer de façon très juste aujourd'hui" dit-il plus tard. "Vous nous avez vu bosser là-dessus. Cette chose doit arriver comme si le monde vous tombait dessus, ce premier accord. Il doit hurler à la fin de The Rising et puis craquer, gronder sourdement. Le concert va changer de direction sur cette transition. C'est là où nous en sommes en ce moment, ces 30 secondes".
Mais la nuit ne s'arrête pas là. Sur scène, Last To Die est suivi, comme sur l'album par une chanson intitulée Long Walk Home. Dans le premier couplet, le narrateur retourne dans sa ville natale, dans des endroits connus, et ressent une aliénation, rendue particulièrement pesante par les mots utilisés pour la décrire: "J'ai longuement regardé leurs visages, ils étaient tous devenus étrangers pour moi". Cette expression curieuse et démodée - rank strangers - rappelle une chanson du même nom enregistrée par les Stanley Brothers, lamentation mystérieuse d'un vieux mountain soul.
"Dans cette chanson, un mec revient dans sa ville natale et ne reconnaît rien et n'est reconnu par rien" dit M. Springsteen. "Le chanteur dans Long Walk Home, c'est son expérience. Son monde a changé. Les choses qu'il pensait connaître, les gens qu'il pensait connaître, avec qui il partageait certains idéaux, sont comme des inconnus. Le monde qu'il connaissait lui paraît complètement étranger. Je pense que c'est ce qui s'est passé dans ce pays durant les six dernières années".
Et donc les images de la chanson sur la vie dans une petite ville en train de mourir ("Le restaurant, avec ses volets baissés, était barricadé / Avec juste un panneau qui disait 'parti'") deviennent des métaphores, la dernière nous est livrée avec toute la clarté et la force qui ont caractérisé les meilleurs textes de Springsteen:
Mon père me disait "mon fils, nous avons de la chance dans cette ville
C'est un bel endroit où naître
Elle pose simplement ses bras autour de toi
Personne ne vient t'envahir, personne ne reste seul
Tu sais que ce drapeau qui flotte sur le palais de justice
Signifie que certaines choses sont gravées dans le marbre
Ce que nous sommes, ce que nous ferons
Et ce que nous ne ferons pas"
Le chemin du retour sera long
"C'est la fin de l'histoire que nous racontons chaque soir" dit M. Springsteen. "Parce que c'est ainsi que cela devrait être. Et que ce n'est pas le cas en ce moment".