The Aquarian Weekly, 11 octobre 1978

Le Retour de l’enfant du pays



par Mike Greenblatt

Nous sommes assis sur un banc faisant face à l'océan à côté du Casino d'Asbury Park. Notre rendez-vous prévu avec Bruce Springsteen a 45 minutes de retard et nous essayons d'allumer des allumettes dans le vent. Le retard est de 1 heure 30 à présent et nous nous demandons s'il va se montrer. Tant pis, c'est une magnifique journée d’automne ensoleillée, une de ses très rares journées de repos à ne pas parcourir le pays dans le tourbillon de cette tournée exténuante. Et puis il y a son anniversaire à célébrer. Peut-être qu’il viendra pas.

Mais nous sommes déterminés. Nous sommes prêts à attendre deux heures de plus. Ensuite, s'il n'est toujours pas là, nous dégagerons. Nous sommes déjà fatigués de scruter tous les visages à la recherche de quelque chose qui nous dira que c'est lui, déguisé. Nous oublions notre quête et retournons à nos allumettes.

"Salut", nous dit-il en marchant vers nous. "Désolé d’être en retard, je viens juste de me lever". Il est vêtu d'une chemise de travail dans les tons bleus et d'un jean. Il porte constamment des lunettes de soleil. Nous décidons de briser la glace autour d'un déjeuner.

Installés sur une banquette du Convential Hall Coffee Shop, je commande un BLT (sandwich bacon, laitue, tomate, ndt), Sorce, le photographe, un cheesburger, et Bruce un hamburger, des frites et un coca.

"Ouais, on a un véritable répertoire", commence à dire Bruce. "On pouvait attirer deux, peut-être trois mille personnes pour n'importe quel soir. On a joué nos propres concerts ici et dans le sud également. C'est bizarre. Personne ne voulait nous programmer parce que nous n'avons jamais joué de titre provenant du Top-40. Jamais. On ne jouait que des vieux trucs soul. Chuck Berry, que des choses qu’on aimait. C'est pour cette raison qu’on ne nous engageait pas. On en faisait assez pour manger, tout de même".

Les serveuses commencent à s'affairer autour de la table, Bruce remet alors ses lunettes noires et baisse le ton. "L'autre soir, c'était incroyable", murmure-t-il. "Je suis venu voir Animal House (de John Landis, 1978, ndt), et quand je suis sorti du cinéma, il y avait tout un groupe qui a commencé à me suivre jusqu’au parking. Je me suis retrouvé à signer des autographes pendant plus d'une heure".

"De toute façon, les effets commençaient à s'estomper et très souvent, on ne gagnait pas assez pour manger. C'est pour cette raison que j'ai signé avec Mike (Appel). N'importe quoi était mieux que ce qui se passait à cette époque-là".

Le rocker local était loin de s'imaginer que cette première signature avec Mike Appel conduirait ce dernier à réclamer les droits des premières compositions que Springsteen avait écrites. Le reste du feuilleton judiciaire est connu. Généreusement peut-être, Bruce n'avait rien de mauvais à dire sur son ancien manager.

"Il a fait beaucoup de bonnes choses pour moi à cette époque", dit-il, plongeant une frite particulièrement longue dans une montagne de ketchup. "Il m'a présenté à John Hammond (un ponte de CBS responsable de la signature de Dylan, d'Aretha Franklin, de Billie Holiday, de Bessie Smith et de beaucoup d'autres). Il m'a aidé sur ce premier album". Il s'arrête comme s'il était en train de réfléchir à quelque chose. "Je ne l'ai plus revu depuis ce jour".

"En fait, j'ai été assez protégé par toute cette histoire", continue-t-il. "Mike a rejeté la faute sur Jon (Landau), affirmant que c'était lui le coupable".

Je demande: Vous voulez dire qu'il a accusé Landau de vous avoir volé à lui ?

"Oui, en quelque sorte. Je n'étais jamais bon pour le côté business des choses".

Interrogé sur la fameuse citation que Landau a écrite pour sa critique parue dans le Real Paper ("J'ai vu l'avenir du rock & roll et son nom est Bruce Springsteen"), Bruce dit, "Cette citation n'est pas représentative de l'article dans son ensemble. C'est marrant. L'article ne ressemblait pas à cette citation. Elle a été sortie du contexte" - un autre mythe s'écroule.

"Je me souviens que je jouais dans un club où une première critique que Jon avait écrite était placardée partout sur le mur extérieur. J'étais adossé au mur, fumant une cigarette, quand Jon m'est pratiquement rentré dedans. Je ne l'avais jamais rencontré. On s'est bien entendus immédiatement".

Quand on lui demande s'il n'avait jamais abdiqué pendant ces longs mois d'inactivité, Bruce reste radieux, complètement dépourvu d'amertume. "Je savais que ce n'était qu'une question de temps. Nous avons continué à jouer pendant quasiment toute la durée de ce feuilleton, même si nous n'étions pas supposés le faire. Je veux dire, quel est ce type de loi écrite spécifiquement pour empêcher un homme d’exercer son activité pour gagner de l’argent ?".

"La seule chose véritablement frustrante, qui m'a causé de la peine, était que mes chansons ne m'appartenaient pas. Je ne possédais pas mes propres chansons. Ça m’a fait mal".

Mais maintenant, ça rend les choses encore plus satisfaisantes. Au Nassau Coliseum, des milliers de gosses s'époumonant pour lui avant même qu'il ait joué la moindre chanson. Ils n'ont pas arrêté jusqu'à ce qu'il finisse, trempé et exténué. Au Capitol Theatre, deux soirs plus tôt, il a été surpris sur scène par un gâteau géant duquel une fille légèrement vêtue a sauté. Il jure qu'il n'en savait rien ("J'ai même dit à John Scher aucun gâteau"). Au Madison Square Garden, 18,000 fans suspendus à chaque note comme si c'était la dernière qu'ils entendaient. Une soirée de gala a été organisée pour lui à l'intérieur du somptueux Penn Plaza Club, situé dans les entrailles du Garden. La sécurité était la plus stricte que j’avais jamais vue.

Nous avons payé la nourriture et sommes partis vers la plage. La conversation a continué au milieu de la mer, du vent et de la présence écrasante du Casino.

"Moi aussi, je fais un peu de photo" dit Bruce, alors que Sorce ajuste son photomètre. "J'ai pris quelques clichés de Lynnie (Lynn Goldsmith, photographe) qui ont été publiées quelque part".

Quand on lui demande ses autres centres d'intérêts, Bruce parle de softball. "Oui, on y jouait beaucoup. Mais nous avons du arrêter lorsque Clarence et moi devenions trop souvent amochés. On montait sur scène complètement fracassés et ça faisait mal. Au bout d'un moment, ce jeu est devenu trop présent et beaucoup de personnes y jouaient. Il n'y a plus de softball sur cette tournée. Qu'est-ce que j'aime d'autre ? Hmmmm, je vais vous dire... pas grand chose à part la musique. En ce moment, il n'y a que la musique. Je ne m’intéresse à rien d’autre".

Nous revenons sur les groupes de reprises et à la différence entre réussir avec ses propres compositions et réussir en faisant beaucoup d'argent avec des reprises. Je raconte à Bruce que je devais jouer Shake Your Booty pour être programmé quelque part.

"Shake Your Booty ?" rigole Bruce, en tombant dans le sable. "C'est une grande chanson. KC, mec, il est formidable ! Il sort toujours ces trucs répétitifs. Encore et encore et encore, ce genre de truc est formidable ! C'est un peu comme le Louie, Louie d'aujourd'hui".

Plus tard, en parlant de ce qu'on écrit sur lui, il dit, "Glen (Glen Brunman, publiciste chez CBS) m'envoie tout ce qui est écrit sur moi. Des centaines de trucs, mec. Je les lis tous d'un coup. Ainsi j'arrive à avoir une assez bonne perspective de ce que la presse pense de moi, plutôt que de lire une chose après l'autre".

"Vers la fin de Darkness, je n'accordais pas d'interviews", continue Bruce. "Puis, j'en ai fait jusqu'à ce que je remarque que je disais les mêmes choses à des gens différents. Il n'y a qu'une réponse à chaque question; vous ne voulez pas mentir à ces personnes. Je m'embrouillais véritablement. Et chaque interview était une interview multiple avec deux ou trois personnes en même temps. Je crois que le problème était que j'en faisais trop". En quittant la plage, nous parlons des spectacles du Garden et de son numéro de la civière, pendant lequel il chante à en devenir fou jusqu'à ce qu'il soit emmené hors de la scène dans une civière, pour se libérer et saisir à nouveau le micro, jusqu'à ce qu'il soit contraint de quitter la scène.

C'est un numéro formidable. D'où avez-vous sorti ça ? je lui demande. Je sais que le catch professionnel a ce numéro de la civière où le gentil se fait frapper si fort qu'on doit le porter hors du ring, et le méchant continue de lui donner des coups de pieds quand il lui passe à côté. C'est classique.

"Non", répond Bruce, "Je ne le savais même pas. Nous l'avons pris à James Brown. Il avait l'habitude de tellement s’épuiser que le bassiste l'emmenait hors de scène drapé dans une cape. Il enlevait la cape de ses épaules et revenait en courant vers le micro, deux ou trois fois de suite. Ce numéro les rendait fous. Donc, c'est là que nous avons eu cette idée pour le numéro de la civière".

Glissant sur le siège avant d'une Camaro de 78 jaune ocre empruntée, Bruce au volant, nous faisons route en direction du quartier dans lequel il a grandi à Freehold. Enfonçant une cassette dans son logement, il dit, "Un fan me l'a donnée à la sortie d'un concert un soir. C’est vraiment une bonne cassette".

Il monte le son, fait ronfler le moteur et passe la seconde. Nous décollons. Il monte un peu plus le volume et commence à chercher Hello Mary Lou de Ricky Nelson. "Cette chanson a une des meilleurs parties de guitare".

Il n'arrive pas à trouver le morceau et se contente de vieux morceaux comme If You Wanna Be Happy For the Rest of Your Life (Never Make a Pretty Woman your Wife) et Blue Suede Shoes. Il passe la troisième.

Pour la première fois maintenant, nous ne parlons pas. La musique est forte et carrément entrainante. Les vitres sont baissées et le vent s'engouffre furieusement dans la voiture. Il passe la quatrième et décolle.

Nous roulons à présent. Nous nous installons inconfortablement derrière un conducteur lent. Il vérifie son rétroviseur et dépasse ce conducteur dans un vrombissement. En voyant un autre mou du volant droit devant, il reste sur la voie opposée et dépasse deux véhicules en un seul coup avant de revenir s'établir confortablement sur la droite. A l'arrière, Scorce laisse échapper un doux "Whaou !".

C'est un moment formidable. Chuck Berry gémit avec Maybelline. Bruce va plus vite. C’est une sacrée belle journée. Le vent s'engouffre dans l'habitacle et Bruce se sent bien, claquant des doigts, frappant des mains et laissant échapper une voix rauque sur le dernier vers de chaque couplet. Finalement arrive Hello Mary Lou et soudain, tout se cristallise dans cet instant, unique et magique – la vitesse, la musique, le soleil, le vent, la compagnie. Mon Dieu ! Putain, nous roulons sur cette route, avec Bruce Springsteen au volant ! Et il conduit comme vous penseriez que Bruce Springsteen conduit.

Plus tard, à un feu rouge, Bruce attend impatiemment avant de dire, "Voici ce qu’on appelait le 'quaterback sneak' "[la percée furtive du quaterback, ndt], et avec ça, il brûle discrètement le feu rouge.

Nous sommes dans son vieux quartier à présent. Bruce conduit lentement le long de Institute Street jusqu'à atteindre le bon numéro. Il est aujourd’hui recouvert de peinture. "J'ai habité là pendant toute l'école primaire. Il y a une usine Nestlé pas très loin. Mec, quand il pleuvait, nous sentions ce truc toute la journée".

Springsteen, le père, partait travailler le matin, rentrait à la maison, allait se coucher et se réveillait et retournait travailler à l'usine. "Je suppose qu’il avait envie d’autre chose" réfléchit Bruce.

Nous retournons à la voiture et nous dirigeons vers l'usine. "Mon grand-père et mon père travaillaient tous les deux ici. C'était une usine de tapis à l'époque, mais pour différentes raisons, elle a dû fermer assez rapidement. J'étais très jeune à cette époque-là".

Quand je lui parle du lycée, Bruce se referme sur lui-même. "Ce n'était pas exactement la meilleure période de ma vie car je n'ai pas eu mon bac, contrairement aux autres. C'était une période difficile". J'ai vu qu'il ne voulait vraiment pas continuer sur ce chemin trop longtemps, alors j'ai laissé tomber. Mais je me demande quel mystère se cache derrière ce mur de secret.

Nous retournons à la voiture et nous nous tirons de là. De manière assez ironique, la cassette que Bruce pousse dans le lecteur cette fois-ci est une vieille cassette des Animals. La première chanson pourrait être le précurseur de quasiment tout ce que Bruce écrit. Alors que les premiers vers sortent des hauts-parleurs, l'usine poussiéreuse disparaît de notre vue... "In this dirty old part of the city / Where the sun refuses to shine / People say that there ain't no use in trying / My little girl you're so young and pretty / And one thing I know is true / You'll be dead before your time is due, yes you will / See my daddy in bed ad night / See his hair a' turnin' grey / He's been working and slaving his life away, yes he has ("Dans ce vieux quartier sale de la ville / Où le soleil refuse de briller / Les gens disent qu'il est inutile d'essayer / Ma chérie, tu es si jeune et jolie / Et il y a une chose que je sais / Tu seras morte avant que ton heure sonne, oui, tu seras morte / Regarde mon père au lit tous les soirs / Regarde ses cheveux deviennent gris / Il travaille et trime comme un esclave toute sa vie, oui il trime"). La chanson est, bien entendu, We Gotta Get Out Of This Place, et c'était un parfait présage alors que nous partons.

Alors que nous roulons, Bruce commence à évoquer ses souvenirs. "Oui, j'ai habité dans pratiquement toutes les villes autour d'ici, d'Atlantic Highlands à Bradley Beach. On déménageait très souvent".

"C'est là que j'ai donné mon premier concert", il rit alors que nous passons devant un ensemble de mobile-homes. En regardant par la fenêtre, les 10 ou 20 mobiles-homes devant nous semblent usés et vieux. "Le concert n'était pas trop mal... pour notre premier job".

Hey Bruce, allez-vous encore vous montrer au Capitol, comme vous l'avez fait l'année dernière pour le Jour de l'An ? Je lui demande. On a annoncé, plus tôt dans la semaine, que Southside Johnny & The Asbury Jukes animeraient à nouveau la fête pour le passage de la nouvelle année en grande pompe. Bruce tourne et répond, "Je ne sais pas où je serai pour le Jour de l'An".

"Allez, je vais vous montrer où mes copains de surf habitaient", me dit-il, changeant de sujet. Nous empruntons brusquement une sortie. "Ici, c'était une usine de planches de surf", dit-il. Nous descendons de la voiture près d'un petit bâtiment blanc.

"Oui, moi et un gars prénommé Tinker avons vécu ici pendant un an et demi, dans une seule pièce. Le reste de ce lieu n'était rien que des dunes de sables". Il montre une immense étendue de magasins, de maison et de constructions. "Rien de tout ceci était là".

"Ils fabriquaient les planches de surf au rez-de-chaussée. Tinker et moi, on rigolait comme des fous. Rien qu'une pièce ! Deux lits, un frigo et une télévision – le reste de la pièce était rempli de planches de surf".

"Comme je venais de Freehold, on me considérait comme un terrien. Tous ces types surfaient tous les jours. J'étais ami avec eux mais je n’y allais jamais. Finalement, ils m’ont convaincu. Une après-midi, ils ont été impitoyables. Ils n'ont pas arrêtés de se moquer et de me charrier sur le fait que je ne surfais pas que j'en ai été quelque peu énervé. J'ai attrapé une planche et nous sommes tous partis en direction de la plage".

"J'ai du faire ça en touriste la première fois, mais je vais vous dire quelque chose – j'ai pigé le truc assez rapidement. Merde, ce n'est pas plus dur qu'autre chose. C'est comme faire du vélo. Je n'ai plus surfé pendant un moment. Aujourd'hui, c'est quelque chose que j'aimerais faire. En fait, je pense que je vais en refaire".

Il semble déterminé.

Il continue: "Ce type, Jesse, m'a enseigné les subtilités du surf. On restait constamment sur North End Beach, à Long Branch. Un type possédait la plage, et on l’a donc utilisée pendant quasiment deux années entières. On était là tous les jours. On restait sur la plage, on allait dans l'eau. C'était formidable.

"Cet endroit est vraiment incroyable. Il existe des quartiers vraiment pauvres et puis, il existe des quartiers vraiment beaux, dans un rayon de huit kilomètres.

"J'allais souvent sur New York à cette époque-là. J'ai beaucoup joué au Cafe Wha ? en 68. J'y ai joué avec Circus Maximus, le vieux groupe de Jerry Walker. Voyons voir, j'ai joué au Night Owl (tous ces lieux étaient situés dans le West Village). Ils avaient beaucoup de bons groupes à cette époque-là – les Raves, Robin & the Hoods. Voyons voir, les Mothers of Invention ont joué régulièrement dans ce lieu, ainsi que les Fugs.

"Je n'assistais pas à beaucoup de concerts à l'époque. Je préférais plutôt jouer et improviser avec ces gens-là. Il y avait toute une autre scène à East Village et dont je ne faisais pas partie – le Fillmore, l'Electric Circus. Je crois que la première fois que j'ai vu une rock star, c’était au Steve Paul’s Scene où j’ai vu Johnny Winter. C'était vraiment quelque chose. Je me souviens qu'entre les sets, il descendait de scène et venait s'assoir juste à côté de ma table et celle de mes amis".

Revenons à Asbury, je suggère.

Demandant à Bruce s'il m'emmènerait sur le site du vieil Upstage où il monopolisait l'attention presque chaque soir, il accepte gentiment et nous descendons à nouveau de la voiture dans ce qui pourrait être nommé centre-ville d'Asbury.

"Faut que je reste sympa" rigole Bruce. "Je suis parti d'ici sans payer le loyer".

Nous nous dirigeons vers l’endroit, qui se trouve au-dessus d'un magasin de chaussures.

"J'ai vécu ici pendant que Greetings From Asbury Park était enregistré. Je dormais dans mon sac de couchage, à même le sol de chez mon pote, pendant une bonne partie de l'album".

Bruce pose pour des photos alors que des gens passent à droite et à gauche. Assez surprenant, personne ne le reconnaît (ou si c'est le cas, ils continuent de marcher).

"J’ai de la chance à ce niveau-là. Ce qui s'est passé au cinéma l'autre soir est assez rare. Normalement, on ne me reconnaît pas. Je n'ai pas ce trait caractéristique reconnaissable que beaucoup de gens ont".

Oui, comme les cheveux de Frampton, je réponds.

"Mes parents avaient déjà déménagé en Californie" se souvient Bruce, "et j'avais quitté le lycée quand je suis arrivé à Asbury.

"Pour nous, Asbury était un endroit fantastique pour jouer. Nous avons joué là un nombre de fois incalculable".

En réponse à des questions sur son avenir immédiat, Bruce dit, "J'ai encore une journée de repos avant de terminer cette tournée. Puis, j'ai un mois complet de repos avant qu’on recommence à nouveau. En février, nous retournons en studio pour travailler sur le nouvel album. J’espère qu'il sortira avant l'été prochain".

Juste pour information, la tournée s'achève officiellement à Atlanta le 1er octobre. Elle a commencé à Buffalo le 23 mai. La nouvelle tournée débute (peut-être dans le New Jersey) le 1er novembre et se termine le 20 décembre. Si le temps qu'il a fallu pour enregistrer Darkness est un indicateur, alors on aura de la chance si l’opus numéro cinq arrive dans les rayons l’été prochain.

La tournée qui vient de se terminer a traversé 70 villes et a représenté 86 spectacles en 4 mois et 8 jours. C'est la raison pour laquelle Bruce doit être étiqueté comme un "type formidable" pour venir bloquer une après-midi sur une de ses rares journées de repos. Une autre chose véritablement impressionnante est qu'il a passé la journée entière sans le berceau protecteur de la présence d'un agent. Rarement ai-je fait une interview sans être accompagné de l’agent de l’artiste.

En parlant du disque actuel, Bruce dit, "Le gars qui a pris le cliché de la pochette de cet album est un de mes amis du sud du New Jersey, qui travaille toute la journée dans un marché de viandes. Les photographies ont été prises chez lui. C'est un grand photographe".

L'unique commentaire de Bruce sur le syndrome de l'auto-destruction (dope-argent-pouvoir) affectant tant de rock stars est que "ils laissent toutes les autres choses devenir plus importantes que la musique. Jouer, c'est ce qui compte. Une fois que vous oubliez ça, vous êtes fichus".

Bruce, manifestement, n'a pas oublié ce précepte. Depuis le début il prend du plaisir avec la musique. Bruce Springsteen est le parfait amalgame entre de nombreux styles - Chuck Berry / Stones / Elvis / Buddy Holly / Dylan / Little Richard / Animals. Son image sur scène est également un amalgame de nombreuses images - Elvis / le jeune Brando / James Dean. En quelque sorte, il combine toutes ces influences en un tableau cohérent pour ses propres compositions, remarquablement originales. L'homme représente tout ce qu'il a musicalement dévoré depuis le début où il a commencé à écouter de la musique, et tout ça transpire de ses pores à chaque fois qu'il monte sur scène. "Cet Elvis, mec" dit Bruce, "il est tout. Il n'y a rien d'autre. Tout commence et se termine avec lui. Il a écrit le livre. Il est tout ce qu’il faut faire et ne pas faire dans ce métier".

Si Elvis est le modèle de Bruce, alors Bruce lui-même, est l’objet de beaucoup d'envie et de spéculation. Nous avons tous le rêve – Bruce y compris – de réussir et de vivre comme des stars. Et bien, Bruce, au moment présent, vit la réalisation ultime de ce rêve. Il l'a réalisé à travers cette connerie inhérente à une telle proposition. Il le vit. Et il le fait avec la manière.

Cependant si vous lui parlez, il est assez humble. Demandez-lui quelle part il a pris dans l'écriture de Because The Night et il vous dira qu'il a juste écrit le titre (bien qu'il admet qu'il mettra probablement la chanson sur son prochain disque).

En le regardant de si près et en l'écoutant parler, on réalise que, bien que non formulée, il y a une certaine aura qui l'entoure. Intangible. Son charisme est le personnage bien endossé du travailleur. Son beau visage pourrait même faire la transition vers l'écran noir en tant que prophète du prolétariat. Ses traits du visage sont durs, même si il y a une certaine sévérité. Vous jureriez qu'il est italien avant qu'on vous parle de ses origines hollandaises.

Son enthousiasme est réel. L'instant où Gary U.S. Bonds est arrivé dans les haut-parleurs de la voiture avec Quarter To Three – c'est à l'instant où Bruce a vraiment commencé à bouger sur la musique. La chanson figure au menu de ses rappels de la plupart de ses spectacles. Il continue d'aimer l'original et continue de chanter dessus quand il se présente.

L'essence du rock & roll peut être condensée dans la performance qu'un type du nom de Bobby Lewis a accomplie sur American Bandstand il y a de nombreuses années. Lewis a joué Tossin' And Turnin' pendant l'émission, a chanté en play-back et a rendu fou le petit studio de télévision avec ses glissades. Le présentateur Dick Clark a fait une chose jamais vue – lui, dans la folie de l'instant, a crié à Lewis de jouer à nouveau la même chanson. L'ingénieur du son recala la bande et Lewis revint sur le plateau et s'arracha complètement cette fois-ci, se tortillant, tournant, donnant tout ce qu'il avait. A ce moment-là, le mouvement de ses lèvres était complètement désynchronisé par rapport au disque qui était joué, mais peu importe. C'était un bout du paradis du rock & roll. Et un morceau, j'en suis sûr, que Bruce Springsteen aurait adoré.

*****

Photographies Lynn Goldsmith

Lien The Aquarian Weekly


Lu 2436 fois