Rolling Stone, 22 décembre 2009

La décennie épique de Springsteen : Bruce de "The Rising" à "Working On A Dream"



"Le groupe est parti en tournée au cours de cette décennie comme le meilleur des E Street Band au monde"

par Brian Hiatt

Les rédacteurs en chef de Rolling Stone ont choisi 8 stars, de Bruce et Beyoncé à Radiohead et U2 - qui non seulement ont fait la meilleure musique mais nous ont aussi inspirés pour l’article “Les Artistes de la Décennie” dans notre nouveau numéro. Voici le complément de notre conversation avec Bruce Springsteen quand nous l’avons interviewé dans sa loge à Buffalo lors du dernier concert qui a clôturé sa tournée de 2 ans avec le E Street Band.

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Sur The Rising

Ma grande question, quand j’ai à nouveau réuni le groupe était, est-ce qu'il nous restait du vrai travail à faire. Repartir simplement en tournée pour refaire ce que nous avions fait ne m'intéressait pas. Ce qui m’intéressait, c’était le renouveau du groupe - et ça signifiait qu’il fallait que j’écrive certaines chansons qui auraient leur place à côté de nos meilleurs disques, et qui seraient en harmonie avec les objectifs que le groupe a toujours honorés depuis sa création. Pendant le Reunion Tour, j’ai écrit une chanson intitulée Land Of Hope And Dreams, et je me suis dit 'C’est une aussi bonne chanson que toutes les autres que j’ai écrites'. Elle aurait pu être la dernière chanson sur Darkness On The Edge Of Town. Elle aurait pu figurer sur The River. Elle avait cette puissance-là. Durant cette tournée, on a terminé tous les concerts avec cette chanson. Vers la fin de la tournée, j’ai écrit American Skin (41 Shots). Ces deux chansons mises ensemble sont tout simplement aussi bonnes que deux autres chansons prises dans mon répertoire et traitant de véritables sujets. Ça m’a donné la confiance pour pouvoir continuer à écrire pour le groupe. Le groupe avait du travail à faire pour élargir son influence, son pouvoir d’influencer, comme il est possible de le faire avec la musique rock, un tant soit peu avec la culture. Alors j’ai exploité cette idée-là.

Nous avons galéré pour enregistrer quelques chansons après le Reunion Tour. Nous sommes entrés en studio avec notre équipe habituelle, et nous n’arrivions pas à obtenir quelque chose avec un son assez nouveau. Puis Donny Jenner (ancien PDG de Sony Music) m’a mis en relation avec Brendan O’Brien, qui avait travaillé avec Pearl Jam et Rage Against The Machine. On s’est rencontrés et je crois que nous avons travaillé sur Into The Fire, et il m’a dit 'Rentre chez toi et écris plus de trucs comme ça' . Et c’est plus ou moins ce que j’ai fait.

The Rising a découlé, bien évidemment, directement du 11 septembre. Mais il n’était pas non plus purement lié à cet événement-là, si vous allez réécouter la façon dont les chansons ont été écrites. Elles avaient un sens assez large pour être à la fois politiques, personnelles et d’actualité. Nous avons fait ce disque en 3 ou 4 semaines, avec des pauses, et ce fut une réelle affirmation du renouveau du groupe et de son objectif. C’était un élargissement du service que nous avons fourni pendant les années 70 et 80. Une fois arrivés à ce stade, la musique a commencé à venir.

Sur Magic et Working On A Dream

Magic était évidemment une réponse au gouvernement Bush et aux 8 années terribles dans l’histoire de l’Amérique qui nous ont laissés dans l’état dans lequel nous sommes aujourd’hui. C’était un disque de la colère sur la manière dont votre pays peut disparaître devant vos yeux, sans aucun bruit durant la nuit.

Avec Working On A Dream, je me suis dit 'Ok, j’ai fait le sale boulot sur Magic' et je voulais faire un disque sur la mortalité et l’amour. Dans le passé, j’avais très souvent voulu m’assurer que ma musique ait une certaine dureté. Mais j’ai eu le sentiment que je pouvais m’éloigner de cette dureté apparente, et puiser dans tous les grands disques que j’ai aimés, d’une façon que je ne m’étais pas autorisé à faire par le passé. J’ai senti que j’avais la liberté d’écrire une ballade entraînante et mélodique qui utilisait le cosmos et les étoiles comme une métaphore sur la vie, le temps qui passe et l’amour. Dans l’ensemble, c’était un disque d'amour, en quelque sorte: Surprise, Surprise, Kingdom Of Days, What Love Can Do. Outlaw Pete, c’était moi renvoyant tout ça au Wild & The Innocent; et produisant une petite opérette, qui est une vue d’ensemble de la vie entière de quelqu’un – cette personne lutte pour établir des contacts et au final n’y parvient pas tout à fait. C’est une histoire que je me suis engagé à raconter depuis longtemps.

Sur les tournées

Le groupe est parti en tournée au cours de cette décennie, à mon avis, comme le meilleur E Street Band jamais vu: il joue le meilleur, il sait tout. Nous avons perdu Danny. Ce fut pour nous une grande tragédie. Une des choses dont j’étais le plus fier c’était que nous étions un des rares groupes de cette génération à avoir tous ses membres intacts et en vie et en bonne santé et heureux d’être sur scène les uns à côté des autres.

Nous jouons devant un public qui nous survivra. Littéralement, de jeunes enfants, des ados - un partie importante de notre public n’avait jamais vu le groupe à part ici ce soir, n’a jamais vu le groupe sous son incarnation précédente. Je pense que l’idée que nous transportons l’héritage du groupe jusqu’au présent a été un facteur très très motivant .

Sur les leçons à tirer de cette décennie

Je pense que tout le monde dans le groupe a reconnu que, 'Ok, ce mec qui est à mes côtés est plus important que je ne le pense parfois'. Les groupes se séparent quand ils perdent cette perspective. Et c’est facile à faire, donc vous vous rendez compte que 'Ok, nous formons un bloc'. Quand les gens viennent pour voir Clarence sur scène. Pour me voir à ses côtés. Pour voir Steve, Nils, Patti. Ce sont des totems puissants, des symboles très puissants d’un engagement à vie. Cela suggère que un “nous” est possible, un “nous“ qu’on peut tenir et maintenir ensemble à travers les moments difficiles. C’est une chose évoquée par la simple présence du groupe sur scène. Donc, je pense que vous apprenez la grande importance de travailler en équipe.

J’ai appris combien mon travail était important à mes yeux, mais ce n’est pas une grande surprise. Et j’ai appris à intégrer ma vie de famille à ma musique. C’est difficile à faire et Patti est une grande force, nous ayant permis tout simplement d’être en tournée durant ces 10 dernières années.

Sur la décennie à venir

J’ai tous les outils dont j’ai besoin. Je pourrais jouer seul, je pourrais jouer avec le Sessions Band, ce que j’aimerais refaire; et le E Street Band est en pleine puissance, et je veux absolument que nous continuions à tourner. En ce qui concerne l’écriture de chansons, je ne m’en inquiète plus. Pour une raison ou une autre, quand j’ai atteint 50 ans, une grande partie de mes insécurités s'est envolée. Je n’ai plus besoin de travailler aussi dur pour sculpter mon identité initiale. Maintenant, elle est établie. Je peux donc m’aventurer à gauche, et à droite, et revenir au centre avec le groupe, si je le veux. Je pense que je vais pouvoir continuer à écrire sur l’actualité et, espérons-le, avec autant de force sur ce qui se passe en moi et sur ce qui passe dans la vie des autres. L’écriture est devenue un plaisir et une joie et ne présente pas de difficulté particulière - et l’enregistrement d’un disque maintenant prend un mois.

Alors aujourd'hui, nous voulons aller aussi loin que possible, que les membres restent heureux, en bonne santé. Nous jouons trois heures chaque soir et hier soir, nous avons joué trois heures et demie. Sur scène, je ne me sens pas différent sur le plan physique que quand j’avais 30 ou 40 ans, ce qui est une bonne chose. J’ai déjà des choses en cours. Je suis en train d’écrire des chansons et beaucoup de choses différentes. Le repos est toujours quelque chose de difficile pour moi. Je ne sais pas rester tranquille, il faut que je m’y entraîne. Mais nous sommes en repos en ce moment et nous pouvons reprendre le cours de notre vie.

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