Cherchant la lumière dans l'obscurité du 11 septembre, Springsteen est monté dans la chaire du rock'n'roll avec The Rising.
par Mark Binelli
par Mark Binelli
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Il y a un panneau sur la route menant à la maison de Bruce Springsteen qui dit: interdit de jeter des armes à feu. Springsteen vit dans une ferme de 160 hectares dans le comté de Monmouth, New Jersey, à environ une heure de Manhattan, avec sa femme, Patti Scialfa, choriste dans le E Street Band, et leurs trois enfants, Evan, 13 ans, Jessica, 11 ans et Sam, 8 ans. L'ancien propriétaire de cette ferme, un peintre, aimait beaucoup ce paysage luxuriant et a su repousser les promoteurs immobiliers. Puis, pendant un temps, il a été question d'en faire un terrain de golf avant que Springsteen ne l'achète, il y a huit ans. "Nous avons eu de la chance", dit-il, debout au milieu d'un champs et regardant ses terres. "Je ne peux pas imaginer aucun autre endroit où je voudrais être".
Springsteen marche en boitant légèrement - des années à sauter sur scène laissent des traces - mais il le porte bien, ou du moins son personnage le porte bien, cette façon de marcher tel un cow-boy rappelle un personnage d'un des westerns de John Ford qu'il aime tant. Sinon, à 52 ans, il est remarquablement en forme. Ses bras, en particulier, lui donnent une allure imposante. Aujourd'hui, il porte des vêtements presqu'à la mode - ou du moins à la mode pour quelqu'un qui normalement se fait photographier en jean et chemise en flanelle. Il porte un pantalon gris et un blouson, tous deux de marque G-Star, des bottes noires éraflées et un débardeur en mailles orange. Il porte une alliance en argent et de petits anneaux à chaque oreille - trois à l'oreille gauche - et une barbe de plusieurs jours, plus près de la moustache que de la barbe. Son visage est bronzé; ses cheveux sont clairsemés, mais seuls ses favoris sont grisonnants. Autour de son cou, il a une chaîne en argent au bout de laquelle pend une grande croix arborée de trois petits cœurs en argent. Springsteen n'est pas sûr de son débardeur, seulement parce qu'il doit se faire photographier plus tard dans l'après-midi. "On ne m'a jamais photographié portant du orange avant", dit-il. "Je suis si ennuyeux. Je ne veux pas tuer cet ennui vestimentaire que je cultive depuis des années".
C'est une belle journée et Springsteen est de très bonne humeur. Voudrions-nous entendre une blague ? Bien sûr. ("Pourquoi la plupart des hommes donnent-ils un nom à leurs parties intimes ? Parce qu'ils ne veulent pas qu'un inconnu prenne 90 % de leurs décisions") Son nouveau rapper préféré est Ludacris. Il aime regarder le guitariste du E Street Band, Steve Van Zandt, jouer le sage Silvio Dante dans Les Sopranos, même si Big Pussy (un personnage de la série, ndt) (qui, pour l'anecdote, a rejoint une fois Springsteen sur scène. Springsteen dit qu'il avait une bonne voix) lui manque.
On entend soudain un cri fort et désagréable non loin de là. "Nous avons des paons", dit Springsteen, montrant une cabane tout près. "Ce sont de très bons animaux de garde. Ils se mettent sur le toit de la maison, et dès que quelqu'un approche à 150 mètres, ils poussent des cris". Springsteen a aussi des chevaux; il se rappelle de l'un de ses premiers, qui désarçonnait Springsteen à chaque fois qu'un écureuil ou un lapin croisait son chemin.
Ces derniers mois, l'effort pastoral le plus prenant en temps pour Springsteen a été de convertir sa ferme au biologique. Comme il l'explique, c'est un processus de cinq ans pendant lequel des inspecteurs viennent tester régulièrement le sol pour détecter la présence de produits chimiques. Pour le moment, Springsteen ne fait pousser que des fleurs sauvages, qui seront par la suite re-mélangées à la terre dans le but de la purger.
Springsteen marche en boitant légèrement - des années à sauter sur scène laissent des traces - mais il le porte bien, ou du moins son personnage le porte bien, cette façon de marcher tel un cow-boy rappelle un personnage d'un des westerns de John Ford qu'il aime tant. Sinon, à 52 ans, il est remarquablement en forme. Ses bras, en particulier, lui donnent une allure imposante. Aujourd'hui, il porte des vêtements presqu'à la mode - ou du moins à la mode pour quelqu'un qui normalement se fait photographier en jean et chemise en flanelle. Il porte un pantalon gris et un blouson, tous deux de marque G-Star, des bottes noires éraflées et un débardeur en mailles orange. Il porte une alliance en argent et de petits anneaux à chaque oreille - trois à l'oreille gauche - et une barbe de plusieurs jours, plus près de la moustache que de la barbe. Son visage est bronzé; ses cheveux sont clairsemés, mais seuls ses favoris sont grisonnants. Autour de son cou, il a une chaîne en argent au bout de laquelle pend une grande croix arborée de trois petits cœurs en argent. Springsteen n'est pas sûr de son débardeur, seulement parce qu'il doit se faire photographier plus tard dans l'après-midi. "On ne m'a jamais photographié portant du orange avant", dit-il. "Je suis si ennuyeux. Je ne veux pas tuer cet ennui vestimentaire que je cultive depuis des années".
C'est une belle journée et Springsteen est de très bonne humeur. Voudrions-nous entendre une blague ? Bien sûr. ("Pourquoi la plupart des hommes donnent-ils un nom à leurs parties intimes ? Parce qu'ils ne veulent pas qu'un inconnu prenne 90 % de leurs décisions") Son nouveau rapper préféré est Ludacris. Il aime regarder le guitariste du E Street Band, Steve Van Zandt, jouer le sage Silvio Dante dans Les Sopranos, même si Big Pussy (un personnage de la série, ndt) (qui, pour l'anecdote, a rejoint une fois Springsteen sur scène. Springsteen dit qu'il avait une bonne voix) lui manque.
On entend soudain un cri fort et désagréable non loin de là. "Nous avons des paons", dit Springsteen, montrant une cabane tout près. "Ce sont de très bons animaux de garde. Ils se mettent sur le toit de la maison, et dès que quelqu'un approche à 150 mètres, ils poussent des cris". Springsteen a aussi des chevaux; il se rappelle de l'un de ses premiers, qui désarçonnait Springsteen à chaque fois qu'un écureuil ou un lapin croisait son chemin.
Ces derniers mois, l'effort pastoral le plus prenant en temps pour Springsteen a été de convertir sa ferme au biologique. Comme il l'explique, c'est un processus de cinq ans pendant lequel des inspecteurs viennent tester régulièrement le sol pour détecter la présence de produits chimiques. Pour le moment, Springsteen ne fait pousser que des fleurs sauvages, qui seront par la suite re-mélangées à la terre dans le but de la purger.
Et ainsi va la vie de Bruce Springsteen, après cinq décennies. Il surveille son domaine. Emmène ses enfants à la plage sur les côtes du New Jersey. Va faire des ballades dans sa Corvette bleue vintage. Est écœuré quand il lit le journal - plus récemment à cause des histoires de malversations de certaines entreprises et l'attitude de laisser-aller du gouvernement actuel. Plus important, Springsteen se remet à faire de la musique rock - et il n'en avait plus fait depuis un bail. Son dernier album studio, The Ghost Of Tom Joad en 1995, a reçu un Grammy dans la catégorie meilleur album folk contemporain. Sur le nouvel album, The Rising, Springsteen n'est pas un troubadour solitaire, mais Springsteen reforme, finalement et complètement, le E Street Band. Le groupe s'était reformé avant Tom Joad afin d'enregistrer trois nouvelles chansons pour l'album Greatest Hits de 1995, et il s'était embarqué dans une tournée triomphale pour célébrer leur retour quatre ans plus tard, mais The Rising est le premier album avec le groupe au complet depuis Born In The U.S.A. en 1984.
Élément également important, The Rising est le tout premier album de Springsteen a être produit par un outsider. Le camp de Springsteen au fil des ans a été l'un des plus étroitement soudés dans le monde du rock. Commençant avec son premier album, Greetings From Asbury Park, NJ de 1973, Springsteen a toujours participé à la production de chacun de ses albums. Ses seuls collaborateurs en matière de production ont été des gens très proches de lui, tels que son manager, Jon Landau, Van Zandt et Chuck Plotkin. Ce sont des perfectionnistes notoires. Le temps qu'il leur faut pour faire un album peut devenir épique, jusqu'à trois ans; aussi épiques que les conversations entre Springsteen et Landau sur les nuances d'une simple prise. Mais pour The Rising, Springsteen a passé la main au producteur d'Atlanta Brendan O'Brien, qui a produit des albums pour Pearl Jam et Rage Against The Machine. Le nouvel album a été bouclé en sept semaines et demie.
The Rising est en grande partie la réaction de Springsteen au drame du 11 septembre. Et même s'il possède ses moments sombres - la chanson la plus dévastatrice de l'album est, en fait, le titre solo de Springsteen, Paradise - The Rising est aussi expansif et réjouissant que les meilleures œuvres de Springsteen avec le E Street Band, mettant notamment l'accent sur les racines gospel du groupe. Au lieu de murmurer par-dessus une guitare acoustique, Springsteen nous amène à la rivière et se demande si quelqu'un peut dire amen. Le titre qui a donné son nom à l'album, et le premier single, résume l'atmosphère de beaucoup des quatorze autres titres. L'histoire est apparemment racontée du point de vue d'un pompier de New York entrant dans l'une des tours en feu. Cependant, comme sur beaucoup de chansons de The Rising, Springsteen prend un virage inattendu, en paroles et musique, passant d'un premier vers sombre - "Je ne vois rien devant moi / Je ne vois rien arriver derrière moi" - à un refrain sacré, invitant à frapper dans les mains, tandis que l'image littérale d'un homme montant les escaliers enfumés fusionne avec une image religieuse de l'Ascension.
Tout comme l'album dans son entier, la chanson utilise les événements du 11 septembre comme un tremplin métaphorique. Des images d'ascension - la montée de la fumée, la montée des esprits, la montée des eaux, même (oui) une montée d'ordre sexuel - apparaissent dans plusieurs chansons, servant de formidable contrepoint à cette autre image, gravée dans notre conscience collective, montrée sans fin sur toutes les chaînes de télévision, celle de la chute, de l'effondrement.
Springsteen reconnaît l'élément gospel de l'album, et pour mieux l'illustrer, évoque Into the Fire, qui est en fait la première chanson qu'il a écrite après le 11-septembre - il a commencé à y travailler quelques jours après l'attentat. Elle parle de choses similaires au titre principal de l'album, et possède aussi un refrain qui fait office de prière: "Que ta force nous donne de la force / Que ton espoir nous donne de l'espoir...".
"Quand nous avons enregistré cette chanson", dit Springsteen, "tout s'est mis en place immédiatement, parce que ce que vous avez sur cette chanson, le premier couplet, c'est du blues". Il se met à chanter. Sa voix est douce et rauque, avec ce même ton nasillard qu'il a sur la version enregistrée: "Le ciel tombait et était strié de sang / Je t'ai entendu m'appeler". Il explique, "C'est du country-blues. Je double ma voix autour d'une guitare douze cordes, donc quand vous entendez le début, vous entendez un esprit surgit du passé. Des mandolines. Des violons des Appalaches". Il se remet à chanter: "Puis tu as disparu dans la poussière, en haut des escaliers... puis", continue Springsteen, "quand le refrain arrive, c'est du gospel. L'orgue entre. C'est à cet endroit que le truc se soulève et donne du sens au premier vers et, j'espère, essaye de donner du sens à l'expérience elle-même. Et mes meilleures chansons sont composées de ces deux éléments, le blues et le gospel. C'est ce que mon groupe, et mon écriture pour le groupe, ont toujours été. Sur un album comme Nebraska, vous pouvez entendre ce truc de blues, mais avec le groupe, c'est comme l'église du dimanche. Nous allons vous crier cette chose, en pleine figure, et essayer de vous faire quitter votre siège. Et il y avait les éléments essentiels de ce que je fais avec le groupe, dès les premières trente secondes de l'enregistrement de cet album. Quand la batterie entre en scène sur Into The Fire, le rythme redescend, et l'ensemble s'immobilise au sol, dans la terre, et commence à lutter, vous comprenez ? Le gospel et le blues". Springsteen éclate de rire. "C'est à cet endroit que la lutte commence. Et c'est tout ce que nous faisons, en tant que groupe. C'est la seule chose pour laquelle nous sommes faits. C'est le service que nous offrons".
Élément également important, The Rising est le tout premier album de Springsteen a être produit par un outsider. Le camp de Springsteen au fil des ans a été l'un des plus étroitement soudés dans le monde du rock. Commençant avec son premier album, Greetings From Asbury Park, NJ de 1973, Springsteen a toujours participé à la production de chacun de ses albums. Ses seuls collaborateurs en matière de production ont été des gens très proches de lui, tels que son manager, Jon Landau, Van Zandt et Chuck Plotkin. Ce sont des perfectionnistes notoires. Le temps qu'il leur faut pour faire un album peut devenir épique, jusqu'à trois ans; aussi épiques que les conversations entre Springsteen et Landau sur les nuances d'une simple prise. Mais pour The Rising, Springsteen a passé la main au producteur d'Atlanta Brendan O'Brien, qui a produit des albums pour Pearl Jam et Rage Against The Machine. Le nouvel album a été bouclé en sept semaines et demie.
The Rising est en grande partie la réaction de Springsteen au drame du 11 septembre. Et même s'il possède ses moments sombres - la chanson la plus dévastatrice de l'album est, en fait, le titre solo de Springsteen, Paradise - The Rising est aussi expansif et réjouissant que les meilleures œuvres de Springsteen avec le E Street Band, mettant notamment l'accent sur les racines gospel du groupe. Au lieu de murmurer par-dessus une guitare acoustique, Springsteen nous amène à la rivière et se demande si quelqu'un peut dire amen. Le titre qui a donné son nom à l'album, et le premier single, résume l'atmosphère de beaucoup des quatorze autres titres. L'histoire est apparemment racontée du point de vue d'un pompier de New York entrant dans l'une des tours en feu. Cependant, comme sur beaucoup de chansons de The Rising, Springsteen prend un virage inattendu, en paroles et musique, passant d'un premier vers sombre - "Je ne vois rien devant moi / Je ne vois rien arriver derrière moi" - à un refrain sacré, invitant à frapper dans les mains, tandis que l'image littérale d'un homme montant les escaliers enfumés fusionne avec une image religieuse de l'Ascension.
Tout comme l'album dans son entier, la chanson utilise les événements du 11 septembre comme un tremplin métaphorique. Des images d'ascension - la montée de la fumée, la montée des esprits, la montée des eaux, même (oui) une montée d'ordre sexuel - apparaissent dans plusieurs chansons, servant de formidable contrepoint à cette autre image, gravée dans notre conscience collective, montrée sans fin sur toutes les chaînes de télévision, celle de la chute, de l'effondrement.
Springsteen reconnaît l'élément gospel de l'album, et pour mieux l'illustrer, évoque Into the Fire, qui est en fait la première chanson qu'il a écrite après le 11-septembre - il a commencé à y travailler quelques jours après l'attentat. Elle parle de choses similaires au titre principal de l'album, et possède aussi un refrain qui fait office de prière: "Que ta force nous donne de la force / Que ton espoir nous donne de l'espoir...".
"Quand nous avons enregistré cette chanson", dit Springsteen, "tout s'est mis en place immédiatement, parce que ce que vous avez sur cette chanson, le premier couplet, c'est du blues". Il se met à chanter. Sa voix est douce et rauque, avec ce même ton nasillard qu'il a sur la version enregistrée: "Le ciel tombait et était strié de sang / Je t'ai entendu m'appeler". Il explique, "C'est du country-blues. Je double ma voix autour d'une guitare douze cordes, donc quand vous entendez le début, vous entendez un esprit surgit du passé. Des mandolines. Des violons des Appalaches". Il se remet à chanter: "Puis tu as disparu dans la poussière, en haut des escaliers... puis", continue Springsteen, "quand le refrain arrive, c'est du gospel. L'orgue entre. C'est à cet endroit que le truc se soulève et donne du sens au premier vers et, j'espère, essaye de donner du sens à l'expérience elle-même. Et mes meilleures chansons sont composées de ces deux éléments, le blues et le gospel. C'est ce que mon groupe, et mon écriture pour le groupe, ont toujours été. Sur un album comme Nebraska, vous pouvez entendre ce truc de blues, mais avec le groupe, c'est comme l'église du dimanche. Nous allons vous crier cette chose, en pleine figure, et essayer de vous faire quitter votre siège. Et il y avait les éléments essentiels de ce que je fais avec le groupe, dès les premières trente secondes de l'enregistrement de cet album. Quand la batterie entre en scène sur Into The Fire, le rythme redescend, et l'ensemble s'immobilise au sol, dans la terre, et commence à lutter, vous comprenez ? Le gospel et le blues". Springsteen éclate de rire. "C'est à cet endroit que la lutte commence. Et c'est tout ce que nous faisons, en tant que groupe. C'est la seule chose pour laquelle nous sommes faits. C'est le service que nous offrons".
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En 1982, dans une maison située à environ dix minutes de sa ferme, Springsteen a enregistré Nebraska, une collection acoustique de murder ballads et de fantômes conjurés qui, jusqu'à ce jour, semble hanté et intemporel - un album entier équivalent à la version d'Elvis de Blue Moon ou au I'll Never Get Out Of This World Alive de Hank Wiliams. Springsteen, bien sûr, a enchaîné Nebraska avec Born In The U.S.A. en 1984, qui a tout changé. A l'opposé de son prédécesseur qui avait été sinistre et insulaire, l'album était un hymne destiné à remplir les salles. Il s'est vendu à plus de 10 millions d'exemplaires, a produit 7 tubes et a propulsé Springsteen tout en haut du panthéon des pop stars des années 80, en faisant un représentant des cols bleus fans de rock, à côté de stars telles que Michael Jackson et Madonna. "J'ai toujours été insatisfait de cet album", dit Springsteen aujourd'hui. "C'est celui sur lequel j'ai vraiment galéré et je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir eu tout juste. Mais votre propre combat dans ce domaine ne ressemble vraiment pas à la façon dont une chose est reçue, ou à la façon dont vos fans l'entendent".
En dépit, ou peut-être à cause, du poids-lourd qu'est Born In The U.S.A., Springsteen semblait être devenu de moins en moins pertinent dans cette culture de masse. Avec la popularité croissante du rock alternatif et du hip-hop, il y avait quelque chose chez Springsteen qui l'ancrait dans l'ère Reagan. Et lui-même a commencé à se soustraire aux feux de la rampe. Il s'est séparé du E Street Band en 1990. Les albums rock qui ont suivi (Lucky Town et Human Touch, sortis en 1992) n'ont pas recueilli le succès, ni critique, ni commercial, de ses efforts précédents. En 1995, Springsteen s'est fait pousser une moustache et a sorti Tom Joad, un album solo dans le style Nebraska, qui traitait de la situation critique des travailleurs immigrés et d'autres personnages marginalisés. C'était comme si, pour atténuer le fait d'avoir fourni par accident la bande-son de la révolution Reagan, Springsteen avait tourné le dos au rock FM pour réapparaître en une sorte de Dylan à l'envers: débranchant sa guitare et se transformant en un chanteur-folk-activiste.
C'était autour de cette période, admet Springsteen, qu'il se demandait s'il n'avait pas perdu ce qu'il appelle sa "voix rock".
Nous sommes assis dans le salon d'une maison, aux nombreux recoins, de style colonial, où il écrit et enregistre parfois. (Certaines personnes ont une salle de travail, mais si vous êtes Bruce Springsteen, vous avez une maison entière pour travailler. La maison familiale est située dans une autre partie du domaine). Sur la table basse entre nous, il y a une pile de livres (Ireland de Dorothea Lange, un livre de photos rock de Danny Clinch), un vase avec des tournesols fraîchement cueillis et un cowboy souriant en porcelaine. Sinon, la pièce est décorée d'antiquités traditionnelles américaines de bon goût. Springsteen est assis sur une chaise en bois qui ne paraît pas très confortable - les jambes étendues, les talons resserrés, les bras sur les accoudoirs. Il rit fort et souvent, même si quand il parle, il ne vous regarde que très rarement, contemplant plutôt l'espace autour de lui pendant qu'il forme ses mots.
Springsteen a senti qu'il a commencé à retrouver sa voix rock pendant les répétitions avec son groupe à Asbury Park, quand il a écrit une nouvelle chanson, Land Of Hope And Dreams. "C'étaient nos tous derniers jours ici", se rappelle Springsteen, "et je me suis simplement senti bien d'avoir le groupe autour de moi. Je pense différemment quand je suis avec eux, j'écris différemment. Nous sommes une unité sociale qui a fonctionné, vous savez ? Imaginez sept, huit, neuf personnes avec qui vous êtes allé au lycée; imaginez que vous avez 52 ans et que vous travaillez avec exactement le même groupe de personnes. C'est très, très rare. Je n'aurais jamais écrit une chanson comme Land Of Hope And Dreams pour le disque Tom Joad. Je n'aurais jamais utilisé ce titre. J'aurais pensé que c'était trop large, que c'était un cliché. Mais avec le groupe - c'est un grand titre, mais ce que nous allons en faire, je pense que nous pouvons remplir cette chanson, avec ce groupe de personnes, dans ces circonstances".
Land Of Hope And Dreams et une autre chanson, American Skin (41 Shots) - cette dernière inspirée par la mort d'un immigré africain, Amadou Diallo, abattu par des officiers de police new-yorkais alors qu'il n'était pas armé - ont fait leur apparition pendant la tournée et sur l'album live qui a suivi. A ce stade-là, Springsteen savait qu'il voulait enregistrer un album avec le groupe. Mais le contexte a de nouveau changé après le 11 septembre. Dans les heures et jours qui ont suivi l'attentat, Springsteen, comme beaucoup d'américains, est resté collé à son écran de télévision. Le tout premier jour, il est allé en voiture sur un pont à côté de chez lui, un pont duquel on avait une vue parfaite sur les tours jumelles. Ses enfants voulaient savoir si un avion pouvait s'écraser sur leur école. Il a emmené sa famille à l'église, ce qu'il fait rarement d'habitude. "Nous étions là avec tous ceux qui voulaient y aller, l'église était bondée", dit-il. "Mais j'ai trouvé que cette expérience avait une grand valeur. Les gens voulaient simplement être avec d'autres personnes qui abordaient les questions de foi, et d'espoir, et d'amour".
Springsteen ne se rappelle pas avoir écouté beaucoup de musique dans les jours qui ont suivi - même si, comme c'est souvent le cas dans sa vie, il a trouvé refuge dans la sienne. "Oui, j'ai pris une guitare", dit-il. "C'est ma bouée de sauvetage. Quand j'entre dans une chambre d'hôtel inconnue, jusqu'à ce jour, la première chose que je fais est de sortir la guitare de l'étui et je joue pendant cinq ou dix minutes. Puis j'ai l'impression que l'endroit est à moi. Donc, oui. Directement à la guitare".
Le travail à faire s'est précisé quand on a demandé à Springsteen de jouer en premier à un téléthon qui a eu lieu dix jours plus tard afin de collecter de l'argent pour le September 11th Fund. Il a rapidement écrit deux chansons, Into The Fire et You're Missing, mais aucune n'était assez finie pour être jouée - donc à la place, Jon Landau, le manager de longue date de Springsteen et l'un de ses meilleurs amis, lui suggéra de jouer My City Of Ruins, une chanson qu'il avait composée et jouée à un concert de Noël un an auparavant.
Springsteen l'appelle "une sorte de prière" pour Asbury Park, sa ville natale adoptive, qui a traversé une longue période de difficultés économiques. Les premiers vers commencent ainsi: "Il y a un cercle rouge sang sur le sol froid et sombre / Et la pluie tombe / La porte de l'église est grande ouverte, j'entends l'orgue jouer / Mais les fidèles sont partis".
"Après cette performance", dit Springsteen, "quand je m'asseyais pour écrire une chanson, tout ce que j'écrivais restait dans ce contexte émotionnel. La musique doit être physique, et on doit trouver en elle pas mal de lumière. Et je dois trouver cette lumière d'une façon sincère. En passant par l'obscurité, vous comprenez ?".
En dépit, ou peut-être à cause, du poids-lourd qu'est Born In The U.S.A., Springsteen semblait être devenu de moins en moins pertinent dans cette culture de masse. Avec la popularité croissante du rock alternatif et du hip-hop, il y avait quelque chose chez Springsteen qui l'ancrait dans l'ère Reagan. Et lui-même a commencé à se soustraire aux feux de la rampe. Il s'est séparé du E Street Band en 1990. Les albums rock qui ont suivi (Lucky Town et Human Touch, sortis en 1992) n'ont pas recueilli le succès, ni critique, ni commercial, de ses efforts précédents. En 1995, Springsteen s'est fait pousser une moustache et a sorti Tom Joad, un album solo dans le style Nebraska, qui traitait de la situation critique des travailleurs immigrés et d'autres personnages marginalisés. C'était comme si, pour atténuer le fait d'avoir fourni par accident la bande-son de la révolution Reagan, Springsteen avait tourné le dos au rock FM pour réapparaître en une sorte de Dylan à l'envers: débranchant sa guitare et se transformant en un chanteur-folk-activiste.
C'était autour de cette période, admet Springsteen, qu'il se demandait s'il n'avait pas perdu ce qu'il appelle sa "voix rock".
Nous sommes assis dans le salon d'une maison, aux nombreux recoins, de style colonial, où il écrit et enregistre parfois. (Certaines personnes ont une salle de travail, mais si vous êtes Bruce Springsteen, vous avez une maison entière pour travailler. La maison familiale est située dans une autre partie du domaine). Sur la table basse entre nous, il y a une pile de livres (Ireland de Dorothea Lange, un livre de photos rock de Danny Clinch), un vase avec des tournesols fraîchement cueillis et un cowboy souriant en porcelaine. Sinon, la pièce est décorée d'antiquités traditionnelles américaines de bon goût. Springsteen est assis sur une chaise en bois qui ne paraît pas très confortable - les jambes étendues, les talons resserrés, les bras sur les accoudoirs. Il rit fort et souvent, même si quand il parle, il ne vous regarde que très rarement, contemplant plutôt l'espace autour de lui pendant qu'il forme ses mots.
Springsteen a senti qu'il a commencé à retrouver sa voix rock pendant les répétitions avec son groupe à Asbury Park, quand il a écrit une nouvelle chanson, Land Of Hope And Dreams. "C'étaient nos tous derniers jours ici", se rappelle Springsteen, "et je me suis simplement senti bien d'avoir le groupe autour de moi. Je pense différemment quand je suis avec eux, j'écris différemment. Nous sommes une unité sociale qui a fonctionné, vous savez ? Imaginez sept, huit, neuf personnes avec qui vous êtes allé au lycée; imaginez que vous avez 52 ans et que vous travaillez avec exactement le même groupe de personnes. C'est très, très rare. Je n'aurais jamais écrit une chanson comme Land Of Hope And Dreams pour le disque Tom Joad. Je n'aurais jamais utilisé ce titre. J'aurais pensé que c'était trop large, que c'était un cliché. Mais avec le groupe - c'est un grand titre, mais ce que nous allons en faire, je pense que nous pouvons remplir cette chanson, avec ce groupe de personnes, dans ces circonstances".
Land Of Hope And Dreams et une autre chanson, American Skin (41 Shots) - cette dernière inspirée par la mort d'un immigré africain, Amadou Diallo, abattu par des officiers de police new-yorkais alors qu'il n'était pas armé - ont fait leur apparition pendant la tournée et sur l'album live qui a suivi. A ce stade-là, Springsteen savait qu'il voulait enregistrer un album avec le groupe. Mais le contexte a de nouveau changé après le 11 septembre. Dans les heures et jours qui ont suivi l'attentat, Springsteen, comme beaucoup d'américains, est resté collé à son écran de télévision. Le tout premier jour, il est allé en voiture sur un pont à côté de chez lui, un pont duquel on avait une vue parfaite sur les tours jumelles. Ses enfants voulaient savoir si un avion pouvait s'écraser sur leur école. Il a emmené sa famille à l'église, ce qu'il fait rarement d'habitude. "Nous étions là avec tous ceux qui voulaient y aller, l'église était bondée", dit-il. "Mais j'ai trouvé que cette expérience avait une grand valeur. Les gens voulaient simplement être avec d'autres personnes qui abordaient les questions de foi, et d'espoir, et d'amour".
Springsteen ne se rappelle pas avoir écouté beaucoup de musique dans les jours qui ont suivi - même si, comme c'est souvent le cas dans sa vie, il a trouvé refuge dans la sienne. "Oui, j'ai pris une guitare", dit-il. "C'est ma bouée de sauvetage. Quand j'entre dans une chambre d'hôtel inconnue, jusqu'à ce jour, la première chose que je fais est de sortir la guitare de l'étui et je joue pendant cinq ou dix minutes. Puis j'ai l'impression que l'endroit est à moi. Donc, oui. Directement à la guitare".
Le travail à faire s'est précisé quand on a demandé à Springsteen de jouer en premier à un téléthon qui a eu lieu dix jours plus tard afin de collecter de l'argent pour le September 11th Fund. Il a rapidement écrit deux chansons, Into The Fire et You're Missing, mais aucune n'était assez finie pour être jouée - donc à la place, Jon Landau, le manager de longue date de Springsteen et l'un de ses meilleurs amis, lui suggéra de jouer My City Of Ruins, une chanson qu'il avait composée et jouée à un concert de Noël un an auparavant.
Springsteen l'appelle "une sorte de prière" pour Asbury Park, sa ville natale adoptive, qui a traversé une longue période de difficultés économiques. Les premiers vers commencent ainsi: "Il y a un cercle rouge sang sur le sol froid et sombre / Et la pluie tombe / La porte de l'église est grande ouverte, j'entends l'orgue jouer / Mais les fidèles sont partis".
"Après cette performance", dit Springsteen, "quand je m'asseyais pour écrire une chanson, tout ce que j'écrivais restait dans ce contexte émotionnel. La musique doit être physique, et on doit trouver en elle pas mal de lumière. Et je dois trouver cette lumière d'une façon sincère. En passant par l'obscurité, vous comprenez ?".
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C'est arrivé comme une surprise, donc, que l'un des guides de Springsteen à travers cette obscurité se soit révélé être un outsider, Brendan O'Brien. Quelques années auparavant, il avait exprimé un intérêt à travailler avec Springsteen. Au moment d'enregistrer The Rising, Springsteen se sentait impatient et savait qu'il avait besoin d'un changement. "Les sons des disques changent plus ou moins tous les cinq ans" dit-il, "la technologie, les amplis utilisés. Et ma capacité en terme de production n'était pas assez actualisée".
O'Brien est venu dans le New Jersey, où Springsteen lui a joué une douzaine de nouvelles chansons. Ils ont passé le reste de l'après-midi à travailler une démo de You're Missing, une ballade construite autour d'une mélodie que Springsteen a concoctée un soir pendant qu'il faisait l'imbécile au piano avec Patti et ses gosses.
"A un moment", se souvient Springsteen, "Brendan a dit, "Bien, je pense que nous devrions trouver un autre accord pour cette partie". J'ai dit "Trouver un autre accord ?! Attends une minute là ! Attends, attends !" dit-il en riant. "Ce sont les accords ! Mais ensuite, j'ai pensé que mon boulot, à présent, en tant que musicien qui est produit, était de dire oui. Donc j'ai dit ok, nous avons changé l'accord, et le résultat rendait bien. Une fois que j'ai été à l'aise avec cette idée, c'était du style, "Vas-y, mec, vas-y". A la fin de la journée, nous avions une démo vraiment bonne".
"La plus grande différence en réalisant ce disque", confirme Steven Van Zandt, "est que c'est la première fois que Bruce écrit plusieurs chansons, que nous allons en studio et que nous les enregistrons, et il les a sorties".
"Normalement", dit Van Zandt, "il écrivait un groupe de chansons, on les enregistrait, puis, vous savez, on attendait un peu, il écrivait un autre groupe de chansons, on les enregistrait. Ce qui se passait c'est que, on faisait deux ou trois ou quatre albums avant de finalement en sortir un. J'ai produit environ quinze chansons pour Born In The U.S.A. durant les trois premières semaines. Puis je suis parti et ils ont continué à bosser dessus pendant deux ans ! Puis ils ont fini par utiliser seulement douze chansons sur les quinze d'origine, je crois. Donc, je ne me souviens pas d'une situation où tout a été fait si vite, et je pense que c'est pourquoi ce disque, au niveau du concept et de la thématique, est si cohérent".
"Je me souviens, quand nous sommes allés pour la première fois en Géorgie pour enregistrer, la première chanson que nous avons faite était Into The Fire", dit Springsteen. "Nous l'avons répétée peut-être trois fois, et puis Brendan a dit, "OK, allez, on y va, enregistrons-la". Et quand il nous a fait écouter l'enregistrement de cette chanson, j'ai entendu quelque chose que je n'avais jamais entendu auparavant: j'ai entendu notre son actuel. Aujourd'hui. Et j'ai dit "Et bien, c'est ce que nous devons faire". Si quelqu'un possède tous nos autres albums, je veux être sûr qu'il n'ait pas déjà celui-là. Vous ne pouvez pas remplacer celui-là par un autre. Et je pense que pour des mecs qui font des disques depuis longtemps, c'est important".
Même si Springsteen a vécu à Los Angeles pendant plusieurs années à la fin des années 80 et au début des années 90, il a toujours semblé plus à l'aise sur sa terre natale. En plus de s'occuper de sa propriété, son projet local permanent a été la reprise économique d'Asbury Park, la ville côtière où il a vécu au début des années 70. Il a joué certains de ses premiers concerts au désormais légendaire Stone Pony, et il a participé à la lente reprise de la ville, faisant des concerts de charité et gardant une présence active sur place. "C'est le premier supporter d'Asbury Park" dit Domenic Santana, qui a ressuscité le Stone Pony. Springsteen, jusqu'à ce jour, fait des shows impromptus au club: Santana dit que Bruce possède la combinaison du cadenas du portail arrière et une invitation permanente pour entrer et monter sur la scène quand l'envie lui prend. "Il a toujours été la compagnie d'assurance de cette ville" dit Santana. "C'est comme ça que j'ai réussi à convaincre mes parents et grands-parents à investir 401.000 $ d'économie, quand les banques refusaient d'investir à Asbury Park. Je n'oublierai jamais, mon père m'a dit "Putain, qu'est-ce que tu fumes ??", quand je l'ai amené à Beyrouth-sur-Mer. Je lui ai dit, "Tu ne comprends pas, il y a tellement de souvenirs liés au rock ici". Pendant que nous parlions, un car de touristes japonais est arrivé et ils ont commencé à prendre des photos du Stone Pony. Ce bâtiment abandonné. Mon père s'est tourné vers moi et a dit "Combien est-ce que tu les as payés ?".
O'Brien est venu dans le New Jersey, où Springsteen lui a joué une douzaine de nouvelles chansons. Ils ont passé le reste de l'après-midi à travailler une démo de You're Missing, une ballade construite autour d'une mélodie que Springsteen a concoctée un soir pendant qu'il faisait l'imbécile au piano avec Patti et ses gosses.
"A un moment", se souvient Springsteen, "Brendan a dit, "Bien, je pense que nous devrions trouver un autre accord pour cette partie". J'ai dit "Trouver un autre accord ?! Attends une minute là ! Attends, attends !" dit-il en riant. "Ce sont les accords ! Mais ensuite, j'ai pensé que mon boulot, à présent, en tant que musicien qui est produit, était de dire oui. Donc j'ai dit ok, nous avons changé l'accord, et le résultat rendait bien. Une fois que j'ai été à l'aise avec cette idée, c'était du style, "Vas-y, mec, vas-y". A la fin de la journée, nous avions une démo vraiment bonne".
"La plus grande différence en réalisant ce disque", confirme Steven Van Zandt, "est que c'est la première fois que Bruce écrit plusieurs chansons, que nous allons en studio et que nous les enregistrons, et il les a sorties".
"Normalement", dit Van Zandt, "il écrivait un groupe de chansons, on les enregistrait, puis, vous savez, on attendait un peu, il écrivait un autre groupe de chansons, on les enregistrait. Ce qui se passait c'est que, on faisait deux ou trois ou quatre albums avant de finalement en sortir un. J'ai produit environ quinze chansons pour Born In The U.S.A. durant les trois premières semaines. Puis je suis parti et ils ont continué à bosser dessus pendant deux ans ! Puis ils ont fini par utiliser seulement douze chansons sur les quinze d'origine, je crois. Donc, je ne me souviens pas d'une situation où tout a été fait si vite, et je pense que c'est pourquoi ce disque, au niveau du concept et de la thématique, est si cohérent".
"Je me souviens, quand nous sommes allés pour la première fois en Géorgie pour enregistrer, la première chanson que nous avons faite était Into The Fire", dit Springsteen. "Nous l'avons répétée peut-être trois fois, et puis Brendan a dit, "OK, allez, on y va, enregistrons-la". Et quand il nous a fait écouter l'enregistrement de cette chanson, j'ai entendu quelque chose que je n'avais jamais entendu auparavant: j'ai entendu notre son actuel. Aujourd'hui. Et j'ai dit "Et bien, c'est ce que nous devons faire". Si quelqu'un possède tous nos autres albums, je veux être sûr qu'il n'ait pas déjà celui-là. Vous ne pouvez pas remplacer celui-là par un autre. Et je pense que pour des mecs qui font des disques depuis longtemps, c'est important".
Même si Springsteen a vécu à Los Angeles pendant plusieurs années à la fin des années 80 et au début des années 90, il a toujours semblé plus à l'aise sur sa terre natale. En plus de s'occuper de sa propriété, son projet local permanent a été la reprise économique d'Asbury Park, la ville côtière où il a vécu au début des années 70. Il a joué certains de ses premiers concerts au désormais légendaire Stone Pony, et il a participé à la lente reprise de la ville, faisant des concerts de charité et gardant une présence active sur place. "C'est le premier supporter d'Asbury Park" dit Domenic Santana, qui a ressuscité le Stone Pony. Springsteen, jusqu'à ce jour, fait des shows impromptus au club: Santana dit que Bruce possède la combinaison du cadenas du portail arrière et une invitation permanente pour entrer et monter sur la scène quand l'envie lui prend. "Il a toujours été la compagnie d'assurance de cette ville" dit Santana. "C'est comme ça que j'ai réussi à convaincre mes parents et grands-parents à investir 401.000 $ d'économie, quand les banques refusaient d'investir à Asbury Park. Je n'oublierai jamais, mon père m'a dit "Putain, qu'est-ce que tu fumes ??", quand je l'ai amené à Beyrouth-sur-Mer. Je lui ai dit, "Tu ne comprends pas, il y a tellement de souvenirs liés au rock ici". Pendant que nous parlions, un car de touristes japonais est arrivé et ils ont commencé à prendre des photos du Stone Pony. Ce bâtiment abandonné. Mon père s'est tourné vers moi et a dit "Combien est-ce que tu les as payés ?".
Convention Hall, Asbury Park
Pourtant, lors d'un récent mardi après-midi, il est évident qu'Asbury Park a besoin d'une attention considérable. Une rangée de cabines de plage sur mille mètres - et en voyant large - une trentaine de personnes qui prennent le soleil. Près de moi, une femme sans-abri, remplit sans réfléchir son short de sable. Le long de la rue principale, une lignée de motels aux volets baissés, ainsi qu'un club aux volets aussi baissés, appelé Moving Violations, et il y a un grand panneau publicitaire à la périphérie de la ville qui proclame que la lumière de l'amour de Dieu continue de détruire l'obscurité. En dessous, il y a une petite phrase en italique qui dit "Même à Asbury Park !".
Et cependant, cet endroit a une sorte d'atmosphère magique, peut-être grâce à la quantité incroyable d'histoire abandonnée. Le boardwalk - en bois gris délavée par le temps - est couronnée à chaque extrémité par de grands et anciens palaces de style art déco. Au sud, le long et vide casino se dresse là tel un vieux nid d'abeilles desséché, avec sa façade aux vitres brisées et son intérieur entièrement démantelé. A l'opposé, le superbe Asbury Park Convential Hall est délabré mais reste pratique. Une de ses fonctions, ces dernières années, a été de servir de salle de répétition pour Springsteen et le E Street Band. Cet après-midi, le parking abrite la flotte du E Street Band: une demi-douzaine de voitures de sport, deux BMW et la Corvette de Springsteen.
"J'ai vu mon premier grand concert ici", remarque Springsteen, qui arrive pour la répétition vêtu d'un jean et d'un tee-shirt noir. Un sac à dos plein de partitions sur son épaule. "C'étaient les Who, Herman's Hermits et The Blues Magoos. The Blues Magoos ont fait la première partie, puis il y a eu les Who, et puis Herman's Hermits en tête d'affiche ! C'était avant que les gens d'ici ne sachent vraiment ce qu'étaient les Who. Personne ne savait qu'ils allaient fracasser leurs instruments. Je devais avoir quinze ans. J'ai vu Janis Joplin ici, et les Doors, aussi, leur toute première fois dans le coin. Je me suis assis exactement là". Il montre de la tête une rangée de sièges vides à gauche, avant de rejoindre le groupe sur scène. Pendant qu'il bavarde avec Van Zandt, Patti Scialfa monte le long de la rampe et le chatouille derrière le cou, puis prend sa guitare.
Et puis l'un des groupes les plus unis, les plus infatigables des 25 dernières années commence à répéter son set. Ils commencent avec The Rising. En live, le son des nouvelles chansons est énorme et libéré. Vous remarquez immédiatement le niveau de contrôle sur le disque, et aussi, au fur et à mesure que les chansons s'accumulent, le nombre d'images récurrentes. Il y a, bien sûr, la fumée, le feu, l'obscurité, toutes possédant certaines qualités mythologiques. Mais d'autres mots reviennent aussi. Le toucher. La peau. Les étreintes. Les baisers. Il ne manque aux meilleures chansons gospel qu'un ou deux mots pour qu'elles deviennent de grandes chansons d'amour - souvent des chansons d'amour assez grivoises - tout ce que vous devez faire, c'est remplacer le mot Dieu par my baby. De la même façon, les chansons de Springsteen sur The Rising sont suggestives. Le premier titre, Lonesome Day, fonctionne parfaitement bien, par exemple, comme chanson sur une rupture amoureuse.
Le cadre ne pourrait pas être plus simple: les lumières de la salle au plafond, avec les échelles de corde et le dessous de la scène bien visibles. La salle en elle-même est vide à l'exception de quelques techniciens, une équipe de tournage et le Dalmatien de quelqu'un, qui se promène dans la salle. Pourtant, le groupe enchaîne les chansons à toute allure en s'abandonnant avec un grand enthousiasme. Durant la partie de Waitin' On A Sunny Day où la public est censé participer, Springsteen s'arrête de chanter et tend le micro vers la salle vide, pendant que le saxophoniste Clarence Clemons invite des membres d'un public invisible à se lever. "Comment allez-vous par ici ?" demande Springsteen avec un sourire ironique, puis tend à nouveau son micro vers la salle. Plus tard, durant Tenth Avenue Freeze-Out, un classique ayant pour thème une envie démesurée de réussir, il fait un grand sourire et fait quelques pas de danse à travers la scène.
Et cependant, cet endroit a une sorte d'atmosphère magique, peut-être grâce à la quantité incroyable d'histoire abandonnée. Le boardwalk - en bois gris délavée par le temps - est couronnée à chaque extrémité par de grands et anciens palaces de style art déco. Au sud, le long et vide casino se dresse là tel un vieux nid d'abeilles desséché, avec sa façade aux vitres brisées et son intérieur entièrement démantelé. A l'opposé, le superbe Asbury Park Convential Hall est délabré mais reste pratique. Une de ses fonctions, ces dernières années, a été de servir de salle de répétition pour Springsteen et le E Street Band. Cet après-midi, le parking abrite la flotte du E Street Band: une demi-douzaine de voitures de sport, deux BMW et la Corvette de Springsteen.
"J'ai vu mon premier grand concert ici", remarque Springsteen, qui arrive pour la répétition vêtu d'un jean et d'un tee-shirt noir. Un sac à dos plein de partitions sur son épaule. "C'étaient les Who, Herman's Hermits et The Blues Magoos. The Blues Magoos ont fait la première partie, puis il y a eu les Who, et puis Herman's Hermits en tête d'affiche ! C'était avant que les gens d'ici ne sachent vraiment ce qu'étaient les Who. Personne ne savait qu'ils allaient fracasser leurs instruments. Je devais avoir quinze ans. J'ai vu Janis Joplin ici, et les Doors, aussi, leur toute première fois dans le coin. Je me suis assis exactement là". Il montre de la tête une rangée de sièges vides à gauche, avant de rejoindre le groupe sur scène. Pendant qu'il bavarde avec Van Zandt, Patti Scialfa monte le long de la rampe et le chatouille derrière le cou, puis prend sa guitare.
Et puis l'un des groupes les plus unis, les plus infatigables des 25 dernières années commence à répéter son set. Ils commencent avec The Rising. En live, le son des nouvelles chansons est énorme et libéré. Vous remarquez immédiatement le niveau de contrôle sur le disque, et aussi, au fur et à mesure que les chansons s'accumulent, le nombre d'images récurrentes. Il y a, bien sûr, la fumée, le feu, l'obscurité, toutes possédant certaines qualités mythologiques. Mais d'autres mots reviennent aussi. Le toucher. La peau. Les étreintes. Les baisers. Il ne manque aux meilleures chansons gospel qu'un ou deux mots pour qu'elles deviennent de grandes chansons d'amour - souvent des chansons d'amour assez grivoises - tout ce que vous devez faire, c'est remplacer le mot Dieu par my baby. De la même façon, les chansons de Springsteen sur The Rising sont suggestives. Le premier titre, Lonesome Day, fonctionne parfaitement bien, par exemple, comme chanson sur une rupture amoureuse.
Le cadre ne pourrait pas être plus simple: les lumières de la salle au plafond, avec les échelles de corde et le dessous de la scène bien visibles. La salle en elle-même est vide à l'exception de quelques techniciens, une équipe de tournage et le Dalmatien de quelqu'un, qui se promène dans la salle. Pourtant, le groupe enchaîne les chansons à toute allure en s'abandonnant avec un grand enthousiasme. Durant la partie de Waitin' On A Sunny Day où la public est censé participer, Springsteen s'arrête de chanter et tend le micro vers la salle vide, pendant que le saxophoniste Clarence Clemons invite des membres d'un public invisible à se lever. "Comment allez-vous par ici ?" demande Springsteen avec un sourire ironique, puis tend à nouveau son micro vers la salle. Plus tard, durant Tenth Avenue Freeze-Out, un classique ayant pour thème une envie démesurée de réussir, il fait un grand sourire et fait quelques pas de danse à travers la scène.
Après deux heures, le groupe se retire dans une arrière salle pour dîner. Le batteur Max Weinberg, libéré temporairement de son autre travail où il dirige le groupe du Conan O'Brien Show, est assis au bout d'une longue table recouverte d'une nappe à carreaux rouges et blancs, parle d'un oreiller qui soulage du stress qu'il vient juste de commander sur le catalogue de Sharper Image. Springsteen entre tranquillement avec un saladier et du poisson grillé et secoue la tête quand il entend la fin de la phrase. "Voilà les sujets de conversation backstage maintenant", dit-il en soupirant. "Les oreillers suédois". "Des oreillers formidables", insiste Weinberg. "Je vais t'y convertir".
Scialfa, une femme élancée aux cheveux roux qui, aujourd'hui, porte un débardeur et un pantalon noirs et qui s'attaque à un bol de moules, mentionne que, elle aussi, a vu les Doors dans ce bâtiment, au même concert que son mari, même s'ils ne se connaissaient pas à l'époque. "Je voulais simplement être Jim Morrison", dit-elle.
"J'ai vu Jefferson Airplane ici", dit Weinberg. "Procol Harum". "J'ai vu ce concert !" s'exclame Springsteen en riant.
"J'étais là aussi" dit Scialfa. "Je me souviens du concert du Hullabaloo Club ici" dit Springsteen.
"C'était la première lumière noire que j'ai jamais vue. Je suis entré et je ne comprenais pas ce qui était arrivé à ma chemise !". Quelques minutes plus tard, il continue, sans grande logique, "Vous savez, mes gosses se mettaient à pleurer chaque fois qu'ils voyaient Steve Van Zandt".
Scialfa éclate de rire. "Tu ne pouvais pas t'empêcher de le mentionner !" dit-elle. "Ils étaient bébés". Elle hausse les épaules. "Et il ressemblait à un pirate".
Springsteen et Scialfa ne sont jamais partis en tournée sans leurs enfants. "Pour cette tournée", dit-elle, "ils nous ont suppliés, ont pleuré, "S'il vous plaît, ne nous obligez pas à y aller !". On se sent trop isolés. Et puis qui veut voir ses parents sur scène ?".
Il est bientôt temps de retourner sur la scène. Le moment le plus puissant a lieu après quelques chansons, quand Springsteen s'assoit au piano pour jouer My City Of Ruins, pendant que le reste du groupe le regarde en silence. Il chante "Maintenant, il y a des larmes sur l'oreiller, à l'endroit où nous dormions. Sans ton doux baiser mon âme est perdue, mon amie. Dis-moi comment puis-je repartir à zéro ?".
Springsteen se souvient encore du moment où il s'est rendu compte qu'il avait besoin de faire cet album. C'était quelques jours après le 11 septembre, et il partait à la plage. Un homme est passé en voiture, a baissé sa vitre et a crié, "Nous avons besoin de toi !". Puis il a remonté sa vitre et a continué son chemin. "Et j'ai pensé, je dois probablement faire partie de la vie de ce mec depuis un moment, et les gens veulent voir d'autres personnes qu'ils connaissent, ils veulent s'entourer de choses qui leur sont familières. Il a ainsi peut-être besoin de me voir à ce moment précis. J'ai ressenti cette impression, du style, "Oh, j'ai un boulot à accomplir". Notre groupe, j'espère, nous avons été faits pour être là pendant ces moments cruciaux. C'était une partie de l'idée du groupe, d'apporter un soutien. La chose la plus fondamentale que j'entends constamment des fans, c'est "Tu m'as aidé à surmonter - peu importe ce que c'est. Mon divorce. Mon bac. Mes années au lycée. Cette partie de ma vie, celle-là". Bruce Springsteen rigole une fois de plus. "Et habituellement je veux leur répondre, "Et bien, vous savez, vous autres, vous m'avez vous-mêmes aidé à surmonter pas mal de choses !". Puis il rit à nouveau, cette fois beaucoup plus fort.
Scialfa, une femme élancée aux cheveux roux qui, aujourd'hui, porte un débardeur et un pantalon noirs et qui s'attaque à un bol de moules, mentionne que, elle aussi, a vu les Doors dans ce bâtiment, au même concert que son mari, même s'ils ne se connaissaient pas à l'époque. "Je voulais simplement être Jim Morrison", dit-elle.
"J'ai vu Jefferson Airplane ici", dit Weinberg. "Procol Harum". "J'ai vu ce concert !" s'exclame Springsteen en riant.
"J'étais là aussi" dit Scialfa. "Je me souviens du concert du Hullabaloo Club ici" dit Springsteen.
"C'était la première lumière noire que j'ai jamais vue. Je suis entré et je ne comprenais pas ce qui était arrivé à ma chemise !". Quelques minutes plus tard, il continue, sans grande logique, "Vous savez, mes gosses se mettaient à pleurer chaque fois qu'ils voyaient Steve Van Zandt".
Scialfa éclate de rire. "Tu ne pouvais pas t'empêcher de le mentionner !" dit-elle. "Ils étaient bébés". Elle hausse les épaules. "Et il ressemblait à un pirate".
Springsteen et Scialfa ne sont jamais partis en tournée sans leurs enfants. "Pour cette tournée", dit-elle, "ils nous ont suppliés, ont pleuré, "S'il vous plaît, ne nous obligez pas à y aller !". On se sent trop isolés. Et puis qui veut voir ses parents sur scène ?".
Il est bientôt temps de retourner sur la scène. Le moment le plus puissant a lieu après quelques chansons, quand Springsteen s'assoit au piano pour jouer My City Of Ruins, pendant que le reste du groupe le regarde en silence. Il chante "Maintenant, il y a des larmes sur l'oreiller, à l'endroit où nous dormions. Sans ton doux baiser mon âme est perdue, mon amie. Dis-moi comment puis-je repartir à zéro ?".
Springsteen se souvient encore du moment où il s'est rendu compte qu'il avait besoin de faire cet album. C'était quelques jours après le 11 septembre, et il partait à la plage. Un homme est passé en voiture, a baissé sa vitre et a crié, "Nous avons besoin de toi !". Puis il a remonté sa vitre et a continué son chemin. "Et j'ai pensé, je dois probablement faire partie de la vie de ce mec depuis un moment, et les gens veulent voir d'autres personnes qu'ils connaissent, ils veulent s'entourer de choses qui leur sont familières. Il a ainsi peut-être besoin de me voir à ce moment précis. J'ai ressenti cette impression, du style, "Oh, j'ai un boulot à accomplir". Notre groupe, j'espère, nous avons été faits pour être là pendant ces moments cruciaux. C'était une partie de l'idée du groupe, d'apporter un soutien. La chose la plus fondamentale que j'entends constamment des fans, c'est "Tu m'as aidé à surmonter - peu importe ce que c'est. Mon divorce. Mon bac. Mes années au lycée. Cette partie de ma vie, celle-là". Bruce Springsteen rigole une fois de plus. "Et habituellement je veux leur répondre, "Et bien, vous savez, vous autres, vous m'avez vous-mêmes aidé à surmonter pas mal de choses !". Puis il rit à nouveau, cette fois beaucoup plus fort.