De son traumatisme d'enfance au futur du E Street Band, le rocker se confie sur sa vie, s'épanchant sur des révélations dans une autobiographie sincère, Born To Run.
par Brian Hiatt
par Brian Hiatt
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Bruce Springsteen entre, en sifflant. Il tient dans ses bras deux blousons de cuir pour une séance photos et a l'air un peu fatigué, probablement parce qu'il était sur la scène d'un stade, près de Boston, il y a 36 heures à peine, concluant le dernier d'une série de concerts de plus de quatre heures avec le E Street Band. Une semaine avant son 67ème anniversaire, Springsteen est de retour dans sa ferme, dans le comté de Monmouth, dans le New Jersey, en cet après-midi sans nuage de la mi-septembre, assez agréable pour jurer fidélité à son État de naissance, souvent décrié. Il porte une barbichette grisonnante, et il est habillé comme on s'y attend : tee-shirt noir, un peu tendu au niveau du cou; jean foncé; bottes.
De sa maison actuelle, il arrive à son home studio, logé dans un bâtiment, ressemblant à un garage, en bois blond immaculé. C'est, au final, un long chemin parcouru depuis ce magnétophone quatre-pistes qu'il a utilisé pour enregistrer l'album Nebraska.
Le salon principal est plein de souvenirs, la plupart consacrés à Elvis Presley ou à Springsteen lui-même (un coussin Greetings From Asbury Park est sur le canapé, et il y a, sur le mur, des images inédites de Bruce-et-Clarence tirées de la séance de photos prises pour l'album Born To Run). La pièce est remplie de livres, dont beaucoup sont consacrés à la musique, de l'autobiographie de Chuck Berry à Nowhere To Run, l'histoire de la soul écrite par Gerri Hirshey jusqu'à When We Were Good, une étude sur le revival folk des années 1960.
Springsteen vient juste d'écrire la parfaite addition à cette collection : Born To Run, son autobiographie lucide, terre-à-terre, pleine d'anecdotes. Avec ses petites histoires sur le rock'n'roll (pas de drogues, un peu de sexe, une seule guitare fracassée), elle offre une recette psychologique à la création d'une superstar qui aime à s'auto-flageller : une grand-mère excessivement dévote; un père tout en retenue qui s'avère avoir plus souffert de maladie mentale plutôt que d'avoir été un simple ouvrier intransigeant; une mère increvable qui croit fermement à la philosophie que "ce n'est pas un péché d'être heureux de vivre". (1)
Dans un salon ensoleillé où les fenêtres donnent sur la verte étendue de sa propriété, Springsteen parle de la genèse du livre, son combat contre la dépression, l'avenir de sa carrière et de bien d'autres choses, restant silencieux sur un seul sujet. Quand je mentionne mon horreur à la vue du gouverneur du New Jersey, Chris Christie, qui a apporté son soutien à Donald Trump, brandir son poing et chanter en chœur ces paroles, "le pauvre veut devenir riche, le riche veut devenir roi" (1) lors d'un récent concert à Brooklyn, Springsteen éclate de rire jusqu'à en devenir rouge. Quand il retrouve son souffle, il dit, "Je n'ai pas de commentaire à faire".
De sa maison actuelle, il arrive à son home studio, logé dans un bâtiment, ressemblant à un garage, en bois blond immaculé. C'est, au final, un long chemin parcouru depuis ce magnétophone quatre-pistes qu'il a utilisé pour enregistrer l'album Nebraska.
Le salon principal est plein de souvenirs, la plupart consacrés à Elvis Presley ou à Springsteen lui-même (un coussin Greetings From Asbury Park est sur le canapé, et il y a, sur le mur, des images inédites de Bruce-et-Clarence tirées de la séance de photos prises pour l'album Born To Run). La pièce est remplie de livres, dont beaucoup sont consacrés à la musique, de l'autobiographie de Chuck Berry à Nowhere To Run, l'histoire de la soul écrite par Gerri Hirshey jusqu'à When We Were Good, une étude sur le revival folk des années 1960.
Springsteen vient juste d'écrire la parfaite addition à cette collection : Born To Run, son autobiographie lucide, terre-à-terre, pleine d'anecdotes. Avec ses petites histoires sur le rock'n'roll (pas de drogues, un peu de sexe, une seule guitare fracassée), elle offre une recette psychologique à la création d'une superstar qui aime à s'auto-flageller : une grand-mère excessivement dévote; un père tout en retenue qui s'avère avoir plus souffert de maladie mentale plutôt que d'avoir été un simple ouvrier intransigeant; une mère increvable qui croit fermement à la philosophie que "ce n'est pas un péché d'être heureux de vivre". (1)
Dans un salon ensoleillé où les fenêtres donnent sur la verte étendue de sa propriété, Springsteen parle de la genèse du livre, son combat contre la dépression, l'avenir de sa carrière et de bien d'autres choses, restant silencieux sur un seul sujet. Quand je mentionne mon horreur à la vue du gouverneur du New Jersey, Chris Christie, qui a apporté son soutien à Donald Trump, brandir son poing et chanter en chœur ces paroles, "le pauvre veut devenir riche, le riche veut devenir roi" (1) lors d'un récent concert à Brooklyn, Springsteen éclate de rire jusqu'à en devenir rouge. Quand il retrouve son souffle, il dit, "Je n'ai pas de commentaire à faire".
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Alors, pourquoi une autobiographie ?
C'est arrivé un peu par accident. A l'origine, je ne l'ai pas pensé comme un livre. J'écrivais pour passer le temps, et je me disais que si jamais je n'en faisais rien, peut-être que mes enfants aimeraient le lire. J'ai pas mal écrit pendant environ deux ou trois semaines. Quand je suis revenu dessus et que je me suis relu, je me suis dit, "C'est pas mal". J'écrivais de longues tirades sur des blocs-notes, et puis je le mettais de côté pendant des mois. Je le dictais à Mary Mac, mon assistante, et puis je le réécrivais jusqu'à ce que le texte me semble agréable et concis. C'est devenu un projet sur lequel je travaillais. Lorsque nous étions en tournée, je le mettais complètement de côté, pendant un an et demi, jusqu'à la fin de la tournée. Quand j'ai terminé ce qui est devenu la première des trois sections, je me suis dit, "Et bien, il y a ici une histoire qui pourrait être intéressante pour le public".
Donc, vous l'avez écrite dans l'ordre chronologique ?
Oui. J'ai laissé la troisième section de côté pendant un bon moment. C'est la partie la plus difficile, car vous écrivez sur votre vie actuelle et sur les gens qui composent actuellement votre entourage. Il y a beaucoup de jugements différents à donner.
Vous n'avez pas hésité à raconter des évènements sur votre vie qui ternissent votre image. Vouliez-vous briser un peu votre aura de sainteté ?
Oui, cette image m'a toujours ennuyée. C'est beaucoup trop, vous savez. Donc, quelque soit l'entaille que je peux faire à cette image-là, je suis heureux de le faire. Ce n'était pas quelque chose que je voulais faire intentionnellement. Il s'agissait juste d'écrire sur une vie, et sur tous ses nombreux aspects. Mais j'ai aussi décidé que ce serait, en premier lieu, un livre sur ma musique, et puis sur ma vie, de façon secondaire. Si je ne voulais pas écrire sur un sujet précis, je ne le faisais pas. Je n'avais pas fixé de règles, mis à part que je voulais que ce qui se trouve dans le livre se rattache à ma musique. Donc, j'ai estimé que les révélations que j'ai faites sur ma famille ou sur mon fonctionnement intérieur étaient essentielles pour comprendre l'origine de ma musique. Je n'ai pas tout écrit sur moi. Beaucoup de choses n'ont pas été racontées.
En 1990, pendant un concert, un homme a crié, "Nous t'aimons !" Et vous avez répondu, "Mais vous ne me connaissez pas vraiment !" Est-ce que ce livre nous permet vraiment de vous connaitre ?
Je dirais que oui. Mais encore une fois, c'est une création. C'est une histoire que j'ai tirée de mon histoire. C'est une des histoires que j'ai tirées de mon histoire.
Vous utilisez le terme "misogynie" pour décrire votre attitude à l'égard des femmes lorsque vous étiez jeune. C'est une auto-évaluation saisissante.
Vous devez porter les chaussures qui sont à votre taille. J'étais un enragé à l'intérieur. J'ai donc été obligé de me remémorer certaines de mes attitudes de jeunesse, et c'est la seule façon dont je peux les décrire.
Que savez-vous sur les femmes aujourd'hui que vous n'aviez pas compris à l'époque ?
[Rires] Qu'est-ce que je sais sur les femmes que je ne comprenais pas lorsque j'étais jeune ? Oh, Jésus [rires, pause]. Quand Maman est heureuse, tout le monde est heureux. Quand Maman n'est pas heureuse, personne n'est heureux.
C'est arrivé un peu par accident. A l'origine, je ne l'ai pas pensé comme un livre. J'écrivais pour passer le temps, et je me disais que si jamais je n'en faisais rien, peut-être que mes enfants aimeraient le lire. J'ai pas mal écrit pendant environ deux ou trois semaines. Quand je suis revenu dessus et que je me suis relu, je me suis dit, "C'est pas mal". J'écrivais de longues tirades sur des blocs-notes, et puis je le mettais de côté pendant des mois. Je le dictais à Mary Mac, mon assistante, et puis je le réécrivais jusqu'à ce que le texte me semble agréable et concis. C'est devenu un projet sur lequel je travaillais. Lorsque nous étions en tournée, je le mettais complètement de côté, pendant un an et demi, jusqu'à la fin de la tournée. Quand j'ai terminé ce qui est devenu la première des trois sections, je me suis dit, "Et bien, il y a ici une histoire qui pourrait être intéressante pour le public".
Donc, vous l'avez écrite dans l'ordre chronologique ?
Oui. J'ai laissé la troisième section de côté pendant un bon moment. C'est la partie la plus difficile, car vous écrivez sur votre vie actuelle et sur les gens qui composent actuellement votre entourage. Il y a beaucoup de jugements différents à donner.
Vous n'avez pas hésité à raconter des évènements sur votre vie qui ternissent votre image. Vouliez-vous briser un peu votre aura de sainteté ?
Oui, cette image m'a toujours ennuyée. C'est beaucoup trop, vous savez. Donc, quelque soit l'entaille que je peux faire à cette image-là, je suis heureux de le faire. Ce n'était pas quelque chose que je voulais faire intentionnellement. Il s'agissait juste d'écrire sur une vie, et sur tous ses nombreux aspects. Mais j'ai aussi décidé que ce serait, en premier lieu, un livre sur ma musique, et puis sur ma vie, de façon secondaire. Si je ne voulais pas écrire sur un sujet précis, je ne le faisais pas. Je n'avais pas fixé de règles, mis à part que je voulais que ce qui se trouve dans le livre se rattache à ma musique. Donc, j'ai estimé que les révélations que j'ai faites sur ma famille ou sur mon fonctionnement intérieur étaient essentielles pour comprendre l'origine de ma musique. Je n'ai pas tout écrit sur moi. Beaucoup de choses n'ont pas été racontées.
En 1990, pendant un concert, un homme a crié, "Nous t'aimons !" Et vous avez répondu, "Mais vous ne me connaissez pas vraiment !" Est-ce que ce livre nous permet vraiment de vous connaitre ?
Je dirais que oui. Mais encore une fois, c'est une création. C'est une histoire que j'ai tirée de mon histoire. C'est une des histoires que j'ai tirées de mon histoire.
Vous utilisez le terme "misogynie" pour décrire votre attitude à l'égard des femmes lorsque vous étiez jeune. C'est une auto-évaluation saisissante.
Vous devez porter les chaussures qui sont à votre taille. J'étais un enragé à l'intérieur. J'ai donc été obligé de me remémorer certaines de mes attitudes de jeunesse, et c'est la seule façon dont je peux les décrire.
Que savez-vous sur les femmes aujourd'hui que vous n'aviez pas compris à l'époque ?
[Rires] Qu'est-ce que je sais sur les femmes que je ne comprenais pas lorsque j'étais jeune ? Oh, Jésus [rires, pause]. Quand Maman est heureuse, tout le monde est heureux. Quand Maman n'est pas heureuse, personne n'est heureux.
Avez-vous donné à quelqu'un dans votre vie un droit de véto sur la dernière section du livre ? Patti (Scialfa) (2), en particulier ?
Je devais révéler des morceaux de notre vie. C'est une artiste, elle comprend cette partie de notre travail. Mais c'était quelque chose de vraiment fort et de généreux de sa part, et dont je lui en suis profondément reconnaissant. Pour revenir à la question que vous avez posée - ce que je sais à propos des femmes, je l'ai appris de Patti. C'est la connaissance que je cherchais, et elle est entrée dans ma vie et m'a apporté une immense quantité de vision et d'amour et de sécurité que je n'avais jamais eu auparavant. C'est l'amour de ma vie.
Il y a eu d'autres livres écrits sur vous. Que pensez-vous de ces livres ?
Je ne les ai pas suivis d'aussi près. J'ai lu le livre de Dave Marsh [Born To Run] il y a longtemps, dans les années 1970. Et le livre de Peter Ames Carlin [Bruce] qui est sorti récemment. Ils sont tous bons, si vous vous intéressez aux différentes facettes de ma personnalité et aux différentes parties de mon histoire.
J'ai trouvé ça hilarant que vous citiez le livre de votre premier manager, Mike Appel, Down Thunder Road, qui est assez négatif.
En fait, si vous êtes intéressé, c'est aussi disponible. Je n'ai aucun problème avec les différents portraits qui sont faits de moi.
J'ai regardé ce livre de nouveau. Il y a un sous-titre, "Bruce en 1989. Trop vieux pour le rock".
[Rires] J'aime ça.
Je devais révéler des morceaux de notre vie. C'est une artiste, elle comprend cette partie de notre travail. Mais c'était quelque chose de vraiment fort et de généreux de sa part, et dont je lui en suis profondément reconnaissant. Pour revenir à la question que vous avez posée - ce que je sais à propos des femmes, je l'ai appris de Patti. C'est la connaissance que je cherchais, et elle est entrée dans ma vie et m'a apporté une immense quantité de vision et d'amour et de sécurité que je n'avais jamais eu auparavant. C'est l'amour de ma vie.
Il y a eu d'autres livres écrits sur vous. Que pensez-vous de ces livres ?
Je ne les ai pas suivis d'aussi près. J'ai lu le livre de Dave Marsh [Born To Run] il y a longtemps, dans les années 1970. Et le livre de Peter Ames Carlin [Bruce] qui est sorti récemment. Ils sont tous bons, si vous vous intéressez aux différentes facettes de ma personnalité et aux différentes parties de mon histoire.
J'ai trouvé ça hilarant que vous citiez le livre de votre premier manager, Mike Appel, Down Thunder Road, qui est assez négatif.
En fait, si vous êtes intéressé, c'est aussi disponible. Je n'ai aucun problème avec les différents portraits qui sont faits de moi.
J'ai regardé ce livre de nouveau. Il y a un sous-titre, "Bruce en 1989. Trop vieux pour le rock".
[Rires] J'aime ça.
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Vous avez dit, sur scène, que votre maman voulait que vous soyez écrivain. C'est vrai ?
Oui. Elle me l'a dit lorsque j'étais jeune.
Vos talents n'étaient pas reconnus à l'école, alors qu'a-t-elle vu en vous qui pouvait lui suggérer cette orientation ?
J'ai commencé à écrire des chansons quand j'étais très jeune. J'avais 15 ans et je griffonnais déjà de petites choses, et je suppose qu'à ses yeux, c'était une manière honorable d'être une sorte d'écrivain. Il s'est trouvé que j'étais doué pour l'écriture. Alors que je n'étais pas bon à grand chose d'autre à l'école, dans mon cours de création littéraire ou lorsque nous devions écrire en classe d'Anglais, j'avais tendance à être meilleur.
Vous vous êtes éduqué seul avec assez de sérieux et de rigueur. Comment avez-vous fait ?
C'est venu très naturellement. Je n'ai jamais cherché à étudier ou quoi que ce soit. J'ai toujours été curieux, mais à l'école, j'étais trop jeune pour en profiter, et les choses y étaient présentées de manière un peu sèche. Quand j'ai rencontré Jon [Landau] (3), il m'a ouvert aux films et aux livres, j'ai commencé à lire des choses qui ont touché mon âme. Beaucoup étaient des auteurs de roman noir - James M. Cain, Jim Thompson, Flannery O'Connor. Et puis j'ai commencé à lire les livres d'histoire. La grande histoire m'a rendu curieux. J'ai lu Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn, et le livre de Henry Steele Commager [A Pocket History of the United States]. Une chose en entrainant une autre, je suis devenu complètement autodidacte.
Ces derniers temps, je regrette davantage de ne pas avoir été à l'université. J'ai raté la chance de vivre dans le monde des idées lorsque j'aurais pu en profiter. Il y a quelques années, mon ami Robert Coles a donné un cours à Harvard à propos de Walker Percy, et j'y ai assisté. C'était amusant et je m'y suis senti dans mon élément. J'ai eu envie d'aller à l'université !
Quels écrivains ont façonné la voix que vous avez trouvé pour le livre ?
Tout ce que j'ai absorbé m'a conduit à trouver une voix avec laquelle j'étais à l'aise. J'aime tous les livres d'Elmore Leonard, par exemple. Mais si vous essayez de faire quelque chose d'original, vous ne pouvez pas le copier.
Oui. Elle me l'a dit lorsque j'étais jeune.
Vos talents n'étaient pas reconnus à l'école, alors qu'a-t-elle vu en vous qui pouvait lui suggérer cette orientation ?
J'ai commencé à écrire des chansons quand j'étais très jeune. J'avais 15 ans et je griffonnais déjà de petites choses, et je suppose qu'à ses yeux, c'était une manière honorable d'être une sorte d'écrivain. Il s'est trouvé que j'étais doué pour l'écriture. Alors que je n'étais pas bon à grand chose d'autre à l'école, dans mon cours de création littéraire ou lorsque nous devions écrire en classe d'Anglais, j'avais tendance à être meilleur.
Vous vous êtes éduqué seul avec assez de sérieux et de rigueur. Comment avez-vous fait ?
C'est venu très naturellement. Je n'ai jamais cherché à étudier ou quoi que ce soit. J'ai toujours été curieux, mais à l'école, j'étais trop jeune pour en profiter, et les choses y étaient présentées de manière un peu sèche. Quand j'ai rencontré Jon [Landau] (3), il m'a ouvert aux films et aux livres, j'ai commencé à lire des choses qui ont touché mon âme. Beaucoup étaient des auteurs de roman noir - James M. Cain, Jim Thompson, Flannery O'Connor. Et puis j'ai commencé à lire les livres d'histoire. La grande histoire m'a rendu curieux. J'ai lu Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn, et le livre de Henry Steele Commager [A Pocket History of the United States]. Une chose en entrainant une autre, je suis devenu complètement autodidacte.
Ces derniers temps, je regrette davantage de ne pas avoir été à l'université. J'ai raté la chance de vivre dans le monde des idées lorsque j'aurais pu en profiter. Il y a quelques années, mon ami Robert Coles a donné un cours à Harvard à propos de Walker Percy, et j'y ai assisté. C'était amusant et je m'y suis senti dans mon élément. J'ai eu envie d'aller à l'université !
Quels écrivains ont façonné la voix que vous avez trouvé pour le livre ?
Tout ce que j'ai absorbé m'a conduit à trouver une voix avec laquelle j'étais à l'aise. J'aime tous les livres d'Elmore Leonard, par exemple. Mais si vous essayez de faire quelque chose d'original, vous ne pouvez pas le copier.
Vos grands-parents paternels occupent une place importante dans votre histoire, mais vous n'avez écrit sur eux qu'une seule chanson, jamais rééditée - Randolph Street (Master of Electricity).
Oui, juste une. Je ne pense pas que la chanson était très bonne, probablement. Mais j'ai capturé un peu de l'intensité de mes sentiments à leur égard. Je n'ai pas sondé mon esprit pour écrire d'autres chansons sur mes grands-parents, et je travaille de manière inversée. Je ne choisis pas un sujet sur lequel je me décide à écrire. J'écris sur ce qui émane de moi.
Vous écrivez que l'amour dominateur de votre grand-mère vous a, à la fois, brisé et construit. A quel point les dysfonctionnements de votre enfance ont été véritablement nécessaire pour créer l'artiste que vous êtes devenu.
Je dis toujours que les artistes viennent tous du même endroit, là où quelqu'un vous dit que vous êtes le second avènement, et où quelqu'un vous dit que vous n'êtes que poussière. Vous croyez ces deux personnes et vous vous mettez à essayer de réconcilier ces deux facettes à travers une grande partie de votre vie professionnelle. Donc, d'un côté, vous vous dites, où sont mes apôtres ? Même si je n'en suis pas digne. Vous essayez donc toujours de réconcilier ces deux points de vue. Vous vieillissez et vous apprenez comment faire pour vivre avec ces deux choses et vous réalisez le ridicule de cette situation. Et vous le mettez de côté. Mais oui, c'était une motivation, très, très, très puissante.
Un des aspects les plus frappant concernant Greetings, c'était les paroles - ce que Lester Bangs a appelé "un verbiage monstre".
[Rires] C'était le cas ! Et ces paroles sont comme de nouvelles révélations pour moi et le groupe.
A cette époque-là, les gens étaient demandeurs de poètes de la Beat Generation (10), que j’imagine vous n'aviez pas encore lu.
J'ai cherché et j'ai vérifié, quand on m'a dit que ce que je faisais pouvait s'assimiler à cette veine.
Vous dites dans le livre, qu'à cette époque où vous avez signé pour Columbia Records, vous "vouliez entrer en collision avec les époques et créer une voix qui aurait un impact musical, social et culturel". Vous aviez tout ça en tête à ce moment-là ?
Oui, quand j'avais 23 ans. Mais j'avais déjà beaucoup d’expérience derrière moi. Du moment où j'ai signé mon contrat discographique, j'ai fait beaucoup de choix spécifiques. Signer seul a été un grand départ et j'avais une idée précise du musicien que je voulais devenir. J'étais très, très ambitieux très tôt. Et j'avais déjà beaucoup pensé à tous ces sujets-là.
Il y a certains moments dans votre carrière où les considérations commerciales vous ont permis, en fait, de faire une meilleure musique. Quand Clive Davis (11) a demandé pour l'album Greetings une autre chanson à sortir en single, par exemple.
Clive a fait de Greetings From Asbury Park un bien meilleur disque en nous faisant cette demande. Prenez Greetings sans Blinded By The Light et Spirit In The Night, c'est un album légèrement différent. Ces chansons préfiguraient déjà mon disque suivant. Et j'ai retrouvé Clarence, qui était porté disparu. Il joue sur ces deux chansons et il y a une guitare électrique sur Blinded By The Light, alors qu'il n'y en avait pas sur le reste du disque. Et j'ai écrit ce truc jazz, R&B, pour Spirit In The Night. Clive m'a donc rendu un fier service, à cette époque-là, en me redonnant le disque.
Et Jon Landau vous a rendu un fier service en vous suggérant d'écrire un autre single pour l'album Born In The U.S.A.
Oui. Énormément !
Vous avec pris la direction qui vous a mené à Greetings après avoir mis fin à votre groupe de blues rock Steel Mill. Dans votre livre, vous parlez de repenser votre musique après un voyage en Californie.
J'ai appris. J'ai exploré des endroits que je ne connaissais pas. Je suis allé sur des terres musicalement plus grandes et j'ai appris que nous étions très bons, mais pas aussi bons que ce que nous pensions être. Je devais penser à ce que je voulais faire avec cette idée-là.
Votre manager, Jon Landau, a très bien vu chez Cream certaines des imperfections que vous avez vu chez Steel Mill. Et Clapton a fini par faire le même saut que vous avez fait en cherchant à faire quelque chose de plus collégiale.
Évidemment, quand on regarde en arrière. Cream était un groupe assez bon [rires] Mais oui, je pense que les gens arrivent à ces moments de jugement où vous vous heurtez aux limites de ce pour quoi vous êtes structuré à ce moment précis, et vous faites d'autres choix.
Vous avez dit que l'album Nebraska vous a connecté à votre enfance d'une manière spirituelle et émotionnelle.
Je dirais que c'est le cas. Si vous recherchiez un album qui me connectait à mes grands-parents, c'est ce disque. Il décrit l'ambiance de l'époque dans notre foyer.
Oui, juste une. Je ne pense pas que la chanson était très bonne, probablement. Mais j'ai capturé un peu de l'intensité de mes sentiments à leur égard. Je n'ai pas sondé mon esprit pour écrire d'autres chansons sur mes grands-parents, et je travaille de manière inversée. Je ne choisis pas un sujet sur lequel je me décide à écrire. J'écris sur ce qui émane de moi.
Vous écrivez que l'amour dominateur de votre grand-mère vous a, à la fois, brisé et construit. A quel point les dysfonctionnements de votre enfance ont été véritablement nécessaire pour créer l'artiste que vous êtes devenu.
Je dis toujours que les artistes viennent tous du même endroit, là où quelqu'un vous dit que vous êtes le second avènement, et où quelqu'un vous dit que vous n'êtes que poussière. Vous croyez ces deux personnes et vous vous mettez à essayer de réconcilier ces deux facettes à travers une grande partie de votre vie professionnelle. Donc, d'un côté, vous vous dites, où sont mes apôtres ? Même si je n'en suis pas digne. Vous essayez donc toujours de réconcilier ces deux points de vue. Vous vieillissez et vous apprenez comment faire pour vivre avec ces deux choses et vous réalisez le ridicule de cette situation. Et vous le mettez de côté. Mais oui, c'était une motivation, très, très, très puissante.
Un des aspects les plus frappant concernant Greetings, c'était les paroles - ce que Lester Bangs a appelé "un verbiage monstre".
[Rires] C'était le cas ! Et ces paroles sont comme de nouvelles révélations pour moi et le groupe.
A cette époque-là, les gens étaient demandeurs de poètes de la Beat Generation (10), que j’imagine vous n'aviez pas encore lu.
J'ai cherché et j'ai vérifié, quand on m'a dit que ce que je faisais pouvait s'assimiler à cette veine.
Vous dites dans le livre, qu'à cette époque où vous avez signé pour Columbia Records, vous "vouliez entrer en collision avec les époques et créer une voix qui aurait un impact musical, social et culturel". Vous aviez tout ça en tête à ce moment-là ?
Oui, quand j'avais 23 ans. Mais j'avais déjà beaucoup d’expérience derrière moi. Du moment où j'ai signé mon contrat discographique, j'ai fait beaucoup de choix spécifiques. Signer seul a été un grand départ et j'avais une idée précise du musicien que je voulais devenir. J'étais très, très ambitieux très tôt. Et j'avais déjà beaucoup pensé à tous ces sujets-là.
Il y a certains moments dans votre carrière où les considérations commerciales vous ont permis, en fait, de faire une meilleure musique. Quand Clive Davis (11) a demandé pour l'album Greetings une autre chanson à sortir en single, par exemple.
Clive a fait de Greetings From Asbury Park un bien meilleur disque en nous faisant cette demande. Prenez Greetings sans Blinded By The Light et Spirit In The Night, c'est un album légèrement différent. Ces chansons préfiguraient déjà mon disque suivant. Et j'ai retrouvé Clarence, qui était porté disparu. Il joue sur ces deux chansons et il y a une guitare électrique sur Blinded By The Light, alors qu'il n'y en avait pas sur le reste du disque. Et j'ai écrit ce truc jazz, R&B, pour Spirit In The Night. Clive m'a donc rendu un fier service, à cette époque-là, en me redonnant le disque.
Et Jon Landau vous a rendu un fier service en vous suggérant d'écrire un autre single pour l'album Born In The U.S.A.
Oui. Énormément !
Vous avec pris la direction qui vous a mené à Greetings après avoir mis fin à votre groupe de blues rock Steel Mill. Dans votre livre, vous parlez de repenser votre musique après un voyage en Californie.
J'ai appris. J'ai exploré des endroits que je ne connaissais pas. Je suis allé sur des terres musicalement plus grandes et j'ai appris que nous étions très bons, mais pas aussi bons que ce que nous pensions être. Je devais penser à ce que je voulais faire avec cette idée-là.
Votre manager, Jon Landau, a très bien vu chez Cream certaines des imperfections que vous avez vu chez Steel Mill. Et Clapton a fini par faire le même saut que vous avez fait en cherchant à faire quelque chose de plus collégiale.
Évidemment, quand on regarde en arrière. Cream était un groupe assez bon [rires] Mais oui, je pense que les gens arrivent à ces moments de jugement où vous vous heurtez aux limites de ce pour quoi vous êtes structuré à ce moment précis, et vous faites d'autres choix.
Vous avez dit que l'album Nebraska vous a connecté à votre enfance d'une manière spirituelle et émotionnelle.
Je dirais que c'est le cas. Si vous recherchiez un album qui me connectait à mes grands-parents, c'est ce disque. Il décrit l'ambiance de l'époque dans notre foyer.
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Est-que les émotions suscitées par Nebraska ont ouvert la porte à la dépression qui vous a frappé juste après l'enregistrement ?
Peut-être. J'avais 32 ans à l'époque. Je venais juste de terminer Nebraska, littéralement. Je crois même que l'album n'était pas encore sorti. Et il s'agissait d'un disque assez solitaire. Il m'a peut-être affecté. Mais ma propre horloge biologique me portait surement vers ce moment précis. Vous portez vos bagages, et si vous ne commencez pas à les déballer, vos bagages s'alourdissent de plus en plus à mesure que vous avancez. Donc à un certain moment, le poids devient impossible à porter et vous recherchez une manière de vider vos valises. Et le résultat peut être chaotique. C'est ce qui m'est arrivé.
Où voyez-vous le côté dépressif de votre nature dans vos chansons ?
Dans mes chansons ? Dans tous les autres disques, probablement [rires]. Et bien sûr, c'est présent dans The Ghost Of Tom Joad et Nebraska, et dans Tunnel Of Love, c'est flagrant. J'en parle dans l'album Tunnel Of Love, avec la chanson Two Faces. C'est un sujet que j'ai abordé à intervalles réguliers entre ce qui peut être considéré comme des albums de groupe et ce qui peut être considéré comme des albums solo. Si vous écoutez Darkness On The Edge Of Town, c'est un sujet largement abordé.
Nous parlions de la dépression dans vos chansons. Sur Something In The Night, sur l'album Darkness On The Edge Of Town, vous chantez "Tu es né sans rien et c'est mieux ainsi". Cet état d'esprit est sombre.
Il s'agissait de ma situation à cette époque-là.
D'un autre côté, la chanson suggère ce que vous vous êtes dit dans l'ascenseur qui vous amenait à l'audition devant John Hammond (12), qui est, "Je n'ai rien, je n'ai rien à perdre". D'une certain façon, c'était votre état d'esprit préféré.
Il s'agissait de mon état d'esprit favori, si j'arrivais à me convaincre.
Je pense que cet état d'esprit explique aussi le courage que vous avez montré étant jeune, les aventures vers lesquelles vous vous êtes embarquées.
Oui. C'était ainsi que je menais ma vie. Ce n'était pas un choix. Ce sont juste des choses qui me sont arrivaient sur la route que j'avais empruntée. Et vous savez, cette expérience inhabituelle de mes parents s'éloignant de moi ! Et j'avais 19 ans. C'était donc quelque peu étrange. Et à ce moment-là, il n'y avait aucun contact possible. Vous ne pouviez pas payer des factures astronomiques de téléphone, et à cette époque-là, je ne sais même pas si je connaissais quelqu'un qui avait déjà fait un long voyage en avion. Je ne pouvais pas prendre l'avion; ce n'était pas réaliste. Le seul moyen que j'avais pour voir mes parents, c'était de traverser le pays en voiture. C'est donc arrivé peu de fois. Nous avions rompu le contact. Nous vivions ici avec le minimum et j'étais très heureux de le faire. Mais c'était ce genre de vie que je menais.
D'un autre côté, le matériel sombre nous aide à croire au matériel lumineux.
C'était ce qui permettait de faire une bonne chanson. Vous devez avoir de la friction et de la tension, quelque chose qui résiste. Chaque auteur en a besoin. Je pense que c'est Tom Stoppard qui a dit un jour qu'il enviait Vaclav Havel.
Peut-être. J'avais 32 ans à l'époque. Je venais juste de terminer Nebraska, littéralement. Je crois même que l'album n'était pas encore sorti. Et il s'agissait d'un disque assez solitaire. Il m'a peut-être affecté. Mais ma propre horloge biologique me portait surement vers ce moment précis. Vous portez vos bagages, et si vous ne commencez pas à les déballer, vos bagages s'alourdissent de plus en plus à mesure que vous avancez. Donc à un certain moment, le poids devient impossible à porter et vous recherchez une manière de vider vos valises. Et le résultat peut être chaotique. C'est ce qui m'est arrivé.
Où voyez-vous le côté dépressif de votre nature dans vos chansons ?
Dans mes chansons ? Dans tous les autres disques, probablement [rires]. Et bien sûr, c'est présent dans The Ghost Of Tom Joad et Nebraska, et dans Tunnel Of Love, c'est flagrant. J'en parle dans l'album Tunnel Of Love, avec la chanson Two Faces. C'est un sujet que j'ai abordé à intervalles réguliers entre ce qui peut être considéré comme des albums de groupe et ce qui peut être considéré comme des albums solo. Si vous écoutez Darkness On The Edge Of Town, c'est un sujet largement abordé.
Nous parlions de la dépression dans vos chansons. Sur Something In The Night, sur l'album Darkness On The Edge Of Town, vous chantez "Tu es né sans rien et c'est mieux ainsi". Cet état d'esprit est sombre.
Il s'agissait de ma situation à cette époque-là.
D'un autre côté, la chanson suggère ce que vous vous êtes dit dans l'ascenseur qui vous amenait à l'audition devant John Hammond (12), qui est, "Je n'ai rien, je n'ai rien à perdre". D'une certain façon, c'était votre état d'esprit préféré.
Il s'agissait de mon état d'esprit favori, si j'arrivais à me convaincre.
Je pense que cet état d'esprit explique aussi le courage que vous avez montré étant jeune, les aventures vers lesquelles vous vous êtes embarquées.
Oui. C'était ainsi que je menais ma vie. Ce n'était pas un choix. Ce sont juste des choses qui me sont arrivaient sur la route que j'avais empruntée. Et vous savez, cette expérience inhabituelle de mes parents s'éloignant de moi ! Et j'avais 19 ans. C'était donc quelque peu étrange. Et à ce moment-là, il n'y avait aucun contact possible. Vous ne pouviez pas payer des factures astronomiques de téléphone, et à cette époque-là, je ne sais même pas si je connaissais quelqu'un qui avait déjà fait un long voyage en avion. Je ne pouvais pas prendre l'avion; ce n'était pas réaliste. Le seul moyen que j'avais pour voir mes parents, c'était de traverser le pays en voiture. C'est donc arrivé peu de fois. Nous avions rompu le contact. Nous vivions ici avec le minimum et j'étais très heureux de le faire. Mais c'était ce genre de vie que je menais.
D'un autre côté, le matériel sombre nous aide à croire au matériel lumineux.
C'était ce qui permettait de faire une bonne chanson. Vous devez avoir de la friction et de la tension, quelque chose qui résiste. Chaque auteur en a besoin. Je pense que c'est Tom Stoppard qui a dit un jour qu'il enviait Vaclav Havel.
Bien, parlons de quelque chose qui vous résiste.
Et bien, si la partie triomphante de la chanson devait sembler réelle et pas simplement bâclée, il me fallait quelque chose qui me résiste. Je viens juste de comprendre cet équilibre. Il vient de la musique gospel, qui est la musique de la transcendance. Je voulais que ma musique soit une musique de la transcendance.
Quand vous chantez, "Je crois en la foi qui peut me sauver (1)", peut-être que nous vous croyons parce que ces paroles viennent d'un homme qui ne croyait pas la veille encore.
Oui ! Ou qui peut-être croyait à peine en ce moment précis, qui sait ?
De façon intéressante, un des seuls concerts que vous décrivez en détail dans le livre, c'est celui de l'ultra-médiatisé à l'Hammersmith Odeon, qui a été si rude pour vous en 1975, votre premier voyage en Angleterre.
Quelque chose qui m'a résisté avec force. C'était un cauchemar qui m'a traumatisé, j'ai donc trainé ça en moi pendant longtemps. Aujourd'hui, je crois que je monte sur scène avec le plein de confiance, car j'ai beaucoup d'années d'expérience derrière moi. Et j'essaye de me mettre dans cette situation chaque soir, pour retrouver cet instant où, tout à coup, il n'y a juste que moi et le public; tout le reste disparait en quelque sorte, le temps, l'espace. Certains soirs, c'est plus facile que d'autres. Mais j'essaye de toujours retrouver, plus ou moins, cet instant-là. Vous vous retrouvez dans cet endroit agréable où vous communiquez vraiment. Mais c'est quelque chose que vous devez répéter chaque soir. Même après toutes ces années, vous devez encore y arriver.
Vous dites être capable de contrôler le temps sur scène. Comment ça fonctionne pour vous ?
Vous faites beaucoup de choses. Vous comprimez le temps dans votre musique. Vous comprimez les années en séquences, une énorme quantité d'expériences en quelques minutes seulement. Vous passez de la jeunesse à la maturité, le temps se déforme et se renverse souvent au cours de la soirée. Les gens reculent ou avancent dans leur vie. Le temps se suspend au sein de chaque création. Elle crée son propre espace et son propre temps.
Dans vos concerts, j'ai vu des humeurs différentes. Il y a des concerts qui sont beaucoup plus sérieux et puis qui explosent de joie, et puis il y en d'autres qui sont joyeux dès le début. Vous avez une inclinaison ?
Dernièrement, nous avons joué un tas de chansons tirées de Greetings et de The Wild, The Innocent. C'est une musique assez heureuse, de manière amusante. Ces albums ont une autre facette, également. Mais il y a une légèreté car il ne s'agissait pas de musique dure. Ce qui veut dire que c'était physiquement moins agressif, avec plus de swing, des influences soul, latines. Après, avec l'album Born To Run, le groupe est plutôt devenu un groupe de rock et nous avons joué ces chansons de manière beaucoup plus agressive. Donc, ces premiers disques, vous êtes sur scène et vous bougez et vous improvisez un peu. Les musiciens jouent des solos, vous savez. C'est un état d'esprit très différent.
En y repensant, j'aurais aimé sondé un peu plus cette direction-là. Si vous écoutez certains de nos inédits, vous pouvez trouver ce style de musique. Il n'y a vraiment aucune raison que cette musique ne soit pas sortie à l'époque - mais elle n'est pas sortie. Mais c'est une sensation que j'aime beaucoup et que j'ai aimé jouer, au cours de ces dix derniers concerts. Et peut-être que le côté plus sérieux, percutant, de ce que nous avons fait prend un peu plus qu'un strapontin dans certains de ces spectacles, bien qu'il soit toujours là.
Cette dépression sur laquelle vous écrivez et dont vous souffrez depuis le début de la soixantaine, comment a-t-elle affecté votre vie professionnelle ?
Elle ne l'a pas trop affectée. Je ne pourrais pas vous expliquer la raison. Mais je prenais un mauvais chemin et puis j'entrais en studio, et c'est comme si j'allais au travail. J'écrivais, j'enregistrais.
Vous avez souvent fait des tournées dans cet état ?
J'en ai souffert sur les tournées de temps en temps. Et généralement, cet état ne m'affecte pas sur scène ou dans les choix que je fais, mais il peut m'affecter lorsque je ne suis pas sur scène. Je peux me sentir confus ou déprimé à certains moments. C'est très rare, parce que faire des tournées est émotionnellement et physiquement cathartique. Si vous vous donnez physiquement jusqu'aux confins de l'épuisement, vous êtes trop fatigué pour être déprimé, et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles j'ai fait ça toute ma vie. Votre esprit n'est pas une machine - il n'a pas l'énergie pour s'occuper des détails. Au contraire, c'est une expérience qui libère l'esprit, une expérience qui recentre, et vous n'avez donc pas ce genre d'espace où se développe la dépression.
Il y avait un élément d'auto-punition dans ces longs concerts.
J'étais un bon garçon catholique. Il y avait donc un élément du rituel de purification.
Mais êtes-vous arrivés au point où aujourd'hui vous faites la même chose mais d'une façon plus saine ?
Même moi, je n'en suis pas tout à fait sûr [rires] Pourquoi un homme joue quatre heures par soir ? Je ne suis pas encore certain, vous savez. Et je dois dire que je prête encore l'oreille à ces impulsions originelles et au fait que j'ai besoin de me donner à fond, tout le temps.
Il y a un passage dans lequel vous décrivez vos diners avec votre famille maternelle en des termes qui rappellent vos concerts.
Il y avait souvent un niveau d'hystérie qui, peut-être, n'est pas rare dans les familles italiennes, et la mienne n'était certainement pas différente. Les gens criaient et hurlaient. Mais aussi, il y avait une immense joie et cette excitation inhabituelle pour la vie - pour rien, mis à part pour la vie elle-même.
Et bien, si la partie triomphante de la chanson devait sembler réelle et pas simplement bâclée, il me fallait quelque chose qui me résiste. Je viens juste de comprendre cet équilibre. Il vient de la musique gospel, qui est la musique de la transcendance. Je voulais que ma musique soit une musique de la transcendance.
Quand vous chantez, "Je crois en la foi qui peut me sauver (1)", peut-être que nous vous croyons parce que ces paroles viennent d'un homme qui ne croyait pas la veille encore.
Oui ! Ou qui peut-être croyait à peine en ce moment précis, qui sait ?
De façon intéressante, un des seuls concerts que vous décrivez en détail dans le livre, c'est celui de l'ultra-médiatisé à l'Hammersmith Odeon, qui a été si rude pour vous en 1975, votre premier voyage en Angleterre.
Quelque chose qui m'a résisté avec force. C'était un cauchemar qui m'a traumatisé, j'ai donc trainé ça en moi pendant longtemps. Aujourd'hui, je crois que je monte sur scène avec le plein de confiance, car j'ai beaucoup d'années d'expérience derrière moi. Et j'essaye de me mettre dans cette situation chaque soir, pour retrouver cet instant où, tout à coup, il n'y a juste que moi et le public; tout le reste disparait en quelque sorte, le temps, l'espace. Certains soirs, c'est plus facile que d'autres. Mais j'essaye de toujours retrouver, plus ou moins, cet instant-là. Vous vous retrouvez dans cet endroit agréable où vous communiquez vraiment. Mais c'est quelque chose que vous devez répéter chaque soir. Même après toutes ces années, vous devez encore y arriver.
Vous dites être capable de contrôler le temps sur scène. Comment ça fonctionne pour vous ?
Vous faites beaucoup de choses. Vous comprimez le temps dans votre musique. Vous comprimez les années en séquences, une énorme quantité d'expériences en quelques minutes seulement. Vous passez de la jeunesse à la maturité, le temps se déforme et se renverse souvent au cours de la soirée. Les gens reculent ou avancent dans leur vie. Le temps se suspend au sein de chaque création. Elle crée son propre espace et son propre temps.
Dans vos concerts, j'ai vu des humeurs différentes. Il y a des concerts qui sont beaucoup plus sérieux et puis qui explosent de joie, et puis il y en d'autres qui sont joyeux dès le début. Vous avez une inclinaison ?
Dernièrement, nous avons joué un tas de chansons tirées de Greetings et de The Wild, The Innocent. C'est une musique assez heureuse, de manière amusante. Ces albums ont une autre facette, également. Mais il y a une légèreté car il ne s'agissait pas de musique dure. Ce qui veut dire que c'était physiquement moins agressif, avec plus de swing, des influences soul, latines. Après, avec l'album Born To Run, le groupe est plutôt devenu un groupe de rock et nous avons joué ces chansons de manière beaucoup plus agressive. Donc, ces premiers disques, vous êtes sur scène et vous bougez et vous improvisez un peu. Les musiciens jouent des solos, vous savez. C'est un état d'esprit très différent.
En y repensant, j'aurais aimé sondé un peu plus cette direction-là. Si vous écoutez certains de nos inédits, vous pouvez trouver ce style de musique. Il n'y a vraiment aucune raison que cette musique ne soit pas sortie à l'époque - mais elle n'est pas sortie. Mais c'est une sensation que j'aime beaucoup et que j'ai aimé jouer, au cours de ces dix derniers concerts. Et peut-être que le côté plus sérieux, percutant, de ce que nous avons fait prend un peu plus qu'un strapontin dans certains de ces spectacles, bien qu'il soit toujours là.
Cette dépression sur laquelle vous écrivez et dont vous souffrez depuis le début de la soixantaine, comment a-t-elle affecté votre vie professionnelle ?
Elle ne l'a pas trop affectée. Je ne pourrais pas vous expliquer la raison. Mais je prenais un mauvais chemin et puis j'entrais en studio, et c'est comme si j'allais au travail. J'écrivais, j'enregistrais.
Vous avez souvent fait des tournées dans cet état ?
J'en ai souffert sur les tournées de temps en temps. Et généralement, cet état ne m'affecte pas sur scène ou dans les choix que je fais, mais il peut m'affecter lorsque je ne suis pas sur scène. Je peux me sentir confus ou déprimé à certains moments. C'est très rare, parce que faire des tournées est émotionnellement et physiquement cathartique. Si vous vous donnez physiquement jusqu'aux confins de l'épuisement, vous êtes trop fatigué pour être déprimé, et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles j'ai fait ça toute ma vie. Votre esprit n'est pas une machine - il n'a pas l'énergie pour s'occuper des détails. Au contraire, c'est une expérience qui libère l'esprit, une expérience qui recentre, et vous n'avez donc pas ce genre d'espace où se développe la dépression.
Il y avait un élément d'auto-punition dans ces longs concerts.
J'étais un bon garçon catholique. Il y avait donc un élément du rituel de purification.
Mais êtes-vous arrivés au point où aujourd'hui vous faites la même chose mais d'une façon plus saine ?
Même moi, je n'en suis pas tout à fait sûr [rires] Pourquoi un homme joue quatre heures par soir ? Je ne suis pas encore certain, vous savez. Et je dois dire que je prête encore l'oreille à ces impulsions originelles et au fait que j'ai besoin de me donner à fond, tout le temps.
Il y a un passage dans lequel vous décrivez vos diners avec votre famille maternelle en des termes qui rappellent vos concerts.
Il y avait souvent un niveau d'hystérie qui, peut-être, n'est pas rare dans les familles italiennes, et la mienne n'était certainement pas différente. Les gens criaient et hurlaient. Mais aussi, il y avait une immense joie et cette excitation inhabituelle pour la vie - pour rien, mis à part pour la vie elle-même.
****
Vous mentionnez un rêve où vous dites à votre père, "Ce gars sur scène, c'est la façon dont je te vois". Quelle en est la signification ?
On dit que vous essayez de faire aussi bien que ceux dont vous ne pouvez pas être proche. Donc, j'étais essentiellement un fainéant qui n'a jamais travaillé, mis à part gratter les cordes de sa guitare. Mais quand je suis allé travailler, j'ai mis les vêtements de mon père et je me suis glissé dans ses rôles, de bien des manières, afin d'être proche de lui, afin de le comprendre. Je n'ai compris ça que bien plus tard. Donc, ce rêve, c'était juste moi en train d'essayer d'expliquer à mon père, "Regarde, c'est à cet endroit-là que tout ça nous a conduit. C'est à cet endroit-là que tu m'as amené, et c'est ainsi que je te vois au plus profond de mon cœur".
Vous avez choisi de rendre universel l'histoire de votre père en quelque chose qui ne l'était pas. La réalité était-elle trop compliquée pour une chanson de rock'n'roll ?
Peut-être. Ou peut-être que j'ai été influencé par A l'est d'Eden (4) et ce genre d'archétypes, et je nous ai choisi pour ces rôles. C'est la raison pour laquelle, dans le livre, je dis que j'ai été un peu injuste envers lui, car nos vies étaient bien plus complexes.
Vous écrivez que vous avez été quelque peu traumatisé par ce qu'il se passait chez vous.
C'était suffisant pour me mettre à bout de nerfs et il ne s'agissait pas seulement de ce que mon père faisait, non plus. C'était la nature de ma relation avec mes grands-parents, qui était très intense, voire incroyablement anxiogène. Je n'avais pas de porte de sortie. Alors je me mordais les doigts jusqu'au sang, où je clignais les yeux de manière incontrôlable.
Vous vous décrivez autour de l'âge de huit ans comme un "trouillard" et un "tordu".
Complètement.
Comment avez-vous accompli ce chemin entre ce moment-là et les années 80, principalement, où vous êtes l'archétype masculin de la rock star ?
C'était une réaction évidente, je pense, à mon enfance - et je regarde en arrière et elle me semble unidimensionnelle. A mes yeux, mon père était un homme masculin très conventionnel. Il a travaillé physiquement. Il était grand et costaud. Et là encore, vous essayez de faire aussi bien. Je crois que c'est la façon dont j'en suis arrivé là. Mais il avait lui-même cette dichotomie. Il devait être comme moi lorsqu'il était jeune. Il était doux à l'intérieur. Et dans les années 1940 et 1950, vous ne pouviez pas survivre de cette façon-là. Comme enfant, on ne lui a pas donné la confiance pour lui permettre d'être lui-même, entièrement masculin, et je ne parle pas d'une manière unidimensionnelle ou conventionnelle. J'ai dû alors en tirer moi-même des enseignements, et qu'est-ce que j'ai utilisé pour le faire ? J'ai utilisé ma musique et fais du mieux que je pouvais.
Qu'avez-vous essayé d'enseigner à vos fils sur ce que ça signifie qu'être un homme ?
J'essaie de mettre l'accent sur mon côté le plus doux, et qu'il n'y a pas besoin d'en avoir honte ou de mal interpréter cette partie de vous-même. Tout comme vous devez vous sentir à l'aise avec l'autre facette, tout simplement.
Il y a eu beaucoup d'épisodes où vous avez souvent frôlé l'échec complet. Existe-t-il un univers où vous revenez dans le New Jersey pour y devenir le leader du plus grand groupe de bar qu'on ait jamais vu ?
Vous pouvez être très, très bon et échouer. Mais est-ce que je conçois personnellement un scénario où cette histoire aurait pu arriver ? Non [rires] Ou peut-être que je préfère ne pas le concevoir, tout simplement. J'étais un lion à la poursuite des choses dont j'avais besoin. Et en voyageant, je ne voyais pas beaucoup de personnes meilleures que moi. J'en ai vu certaines, vous savez. Mais évidemment, nous étions très isolés dans le New Jersey à cette époque-là. Parfois, une sorte de rock star de série B passait dans le coin et voyait notre groupe et se disait, "Oh mec", mais rien n'arrivait.
Et parfois ils couchaient avec votre petite amie, apparemment.
Malheureusement. Cette partie est vraie aussi [rires] Donc, je savais ce que c'était d'échouer.
La chanson Backstreets semble saisir ce moment de votre vie. D'où vient cette chanson ?
De la jeunesse, tout simplement, de la plage, de la nuit, de l'amitié, le sentiment d'être un exclu et de mener une vie éloignée des choses dans ce petit avant-poste du New Jersey. Elle évoque aussi un lieu qui est un refuge personnel. Il ne s'agissait pas d'une relation spécifique qui a donné vie à la chanson, ou de quelque chose de ce genre.
Vous avez parlé de l'élection sur scène, l'autre soir. Que pensez-vous du phénomène Trump ?
Vous savez, la république est assiégée par un crétin, tout simplement. Cette histoire est tragique. Sans exagérer, c'est une tragédie pour notre démocratie. Quand vous commencez à parler d'élections truquées, vous amenez les gens au-delà de la gouvernance démocratique. Et c'est une chose très, très dangereuse. Une fois que vous laissez ces génies sortir de leur boite, ils n'y retournent pas si facilement, si jamais ils y retournent. Les idées qu'il agite devant le grand public sont toutes très dangereuses - le nationalisme blanc et le mouvement de la droite alternative. Les choses scandaleuses qu'il a faites - ne pas désavouer immédiatement David Duke (5) ? Ce sont des choses qui auraient été évidemment inacceptables pour n'importe quel autre précédent candidat. Votre candidature coulerait à pic immédiatement.
Je crois qu'il y a un prix qui est payé pour ne pas avoir traité le véritable coût de la désindustrialisation et de la mondialisation aux États-Unis au cours des trente-cinq, quarante ans passés, et la façon dont ça a profondément affecté la vie des gens et durablement blessé ceux qui vivaient là où on voulait que quelqu'un apporte une solution. Et Trump apporte des réponses simples à des problèmes très complexes. Des réponses fallacieuses à des problèmes très complexes. Et c'est ce qui peut être très attrayant.
On dit que vous essayez de faire aussi bien que ceux dont vous ne pouvez pas être proche. Donc, j'étais essentiellement un fainéant qui n'a jamais travaillé, mis à part gratter les cordes de sa guitare. Mais quand je suis allé travailler, j'ai mis les vêtements de mon père et je me suis glissé dans ses rôles, de bien des manières, afin d'être proche de lui, afin de le comprendre. Je n'ai compris ça que bien plus tard. Donc, ce rêve, c'était juste moi en train d'essayer d'expliquer à mon père, "Regarde, c'est à cet endroit-là que tout ça nous a conduit. C'est à cet endroit-là que tu m'as amené, et c'est ainsi que je te vois au plus profond de mon cœur".
Vous avez choisi de rendre universel l'histoire de votre père en quelque chose qui ne l'était pas. La réalité était-elle trop compliquée pour une chanson de rock'n'roll ?
Peut-être. Ou peut-être que j'ai été influencé par A l'est d'Eden (4) et ce genre d'archétypes, et je nous ai choisi pour ces rôles. C'est la raison pour laquelle, dans le livre, je dis que j'ai été un peu injuste envers lui, car nos vies étaient bien plus complexes.
Vous écrivez que vous avez été quelque peu traumatisé par ce qu'il se passait chez vous.
C'était suffisant pour me mettre à bout de nerfs et il ne s'agissait pas seulement de ce que mon père faisait, non plus. C'était la nature de ma relation avec mes grands-parents, qui était très intense, voire incroyablement anxiogène. Je n'avais pas de porte de sortie. Alors je me mordais les doigts jusqu'au sang, où je clignais les yeux de manière incontrôlable.
Vous vous décrivez autour de l'âge de huit ans comme un "trouillard" et un "tordu".
Complètement.
Comment avez-vous accompli ce chemin entre ce moment-là et les années 80, principalement, où vous êtes l'archétype masculin de la rock star ?
C'était une réaction évidente, je pense, à mon enfance - et je regarde en arrière et elle me semble unidimensionnelle. A mes yeux, mon père était un homme masculin très conventionnel. Il a travaillé physiquement. Il était grand et costaud. Et là encore, vous essayez de faire aussi bien. Je crois que c'est la façon dont j'en suis arrivé là. Mais il avait lui-même cette dichotomie. Il devait être comme moi lorsqu'il était jeune. Il était doux à l'intérieur. Et dans les années 1940 et 1950, vous ne pouviez pas survivre de cette façon-là. Comme enfant, on ne lui a pas donné la confiance pour lui permettre d'être lui-même, entièrement masculin, et je ne parle pas d'une manière unidimensionnelle ou conventionnelle. J'ai dû alors en tirer moi-même des enseignements, et qu'est-ce que j'ai utilisé pour le faire ? J'ai utilisé ma musique et fais du mieux que je pouvais.
Qu'avez-vous essayé d'enseigner à vos fils sur ce que ça signifie qu'être un homme ?
J'essaie de mettre l'accent sur mon côté le plus doux, et qu'il n'y a pas besoin d'en avoir honte ou de mal interpréter cette partie de vous-même. Tout comme vous devez vous sentir à l'aise avec l'autre facette, tout simplement.
Il y a eu beaucoup d'épisodes où vous avez souvent frôlé l'échec complet. Existe-t-il un univers où vous revenez dans le New Jersey pour y devenir le leader du plus grand groupe de bar qu'on ait jamais vu ?
Vous pouvez être très, très bon et échouer. Mais est-ce que je conçois personnellement un scénario où cette histoire aurait pu arriver ? Non [rires] Ou peut-être que je préfère ne pas le concevoir, tout simplement. J'étais un lion à la poursuite des choses dont j'avais besoin. Et en voyageant, je ne voyais pas beaucoup de personnes meilleures que moi. J'en ai vu certaines, vous savez. Mais évidemment, nous étions très isolés dans le New Jersey à cette époque-là. Parfois, une sorte de rock star de série B passait dans le coin et voyait notre groupe et se disait, "Oh mec", mais rien n'arrivait.
Et parfois ils couchaient avec votre petite amie, apparemment.
Malheureusement. Cette partie est vraie aussi [rires] Donc, je savais ce que c'était d'échouer.
La chanson Backstreets semble saisir ce moment de votre vie. D'où vient cette chanson ?
De la jeunesse, tout simplement, de la plage, de la nuit, de l'amitié, le sentiment d'être un exclu et de mener une vie éloignée des choses dans ce petit avant-poste du New Jersey. Elle évoque aussi un lieu qui est un refuge personnel. Il ne s'agissait pas d'une relation spécifique qui a donné vie à la chanson, ou de quelque chose de ce genre.
Vous avez parlé de l'élection sur scène, l'autre soir. Que pensez-vous du phénomène Trump ?
Vous savez, la république est assiégée par un crétin, tout simplement. Cette histoire est tragique. Sans exagérer, c'est une tragédie pour notre démocratie. Quand vous commencez à parler d'élections truquées, vous amenez les gens au-delà de la gouvernance démocratique. Et c'est une chose très, très dangereuse. Une fois que vous laissez ces génies sortir de leur boite, ils n'y retournent pas si facilement, si jamais ils y retournent. Les idées qu'il agite devant le grand public sont toutes très dangereuses - le nationalisme blanc et le mouvement de la droite alternative. Les choses scandaleuses qu'il a faites - ne pas désavouer immédiatement David Duke (5) ? Ce sont des choses qui auraient été évidemment inacceptables pour n'importe quel autre précédent candidat. Votre candidature coulerait à pic immédiatement.
Je crois qu'il y a un prix qui est payé pour ne pas avoir traité le véritable coût de la désindustrialisation et de la mondialisation aux États-Unis au cours des trente-cinq, quarante ans passés, et la façon dont ça a profondément affecté la vie des gens et durablement blessé ceux qui vivaient là où on voulait que quelqu'un apporte une solution. Et Trump apporte des réponses simples à des problèmes très complexes. Des réponses fallacieuses à des problèmes très complexes. Et c'est ce qui peut être très attrayant.
Le New Work Times a retrouvé la personne qui était le sujet de votre chanson Youngstown, et c'est un partisan de Trump. Qu'en pensez-vous ? Êtes-vous surpris ?
Pas vraiment. Pas si vous connaissez l'histoire de Youngstown et ce qui est arrivé.
Si les gens ici sont poussés à la limite, et arrivent à saisir un pistolet métaphorique représenté par Trump, c'est la même colère que celle sur laquelle vous écrivez.
Oui. J'ai commencé à écrire sur ce sujet il y a trente ans ou environ.
Que pensez-vous de Black Lives Matter (6) ?
Et bien, on récolte ce que l'on sème. Ce sont des sujets qui ont été ignorés ou cachés, et grâce à la technologie moderne et à la disponibilité constante des portables et des caméras vidéo, ces choses montent à la surface. Black Live Matters est une conséquence naturelle et une réponse à des injustices qui ont cours aux États-Unis depuis très longtemps.
Pourquoi est-ce si difficile pour tant de Blancs de s'y confronter ? Pourquoi ce rejet ?
Personne n'aime s'entendre dire qu'il a tort.
Que pensez-vous de la protestation de Colin Kaepernick (7) et la réaction qui a suivi ?
La sport est un endroit compliqué pour faire des déclarations politiques. Il y a eu les Jeux Olympiques dans les années 1960, et bien sûr Mohamed Ali. Mais le sport est un domaine d'évasion si grand. Je pense que lorsqu'on y injecte de la politique ou une expression personnelle, les gens en sont irrités bien plus que dans d'autres domaines. Mais nous sommes dans une période où il n'existe pas de lieux d'où ces questions peuvent être exclues. J'admire Kaepernick, mais c'est une discipline où il est très difficile d'être franc.
Pareil pour la musique, peut-être, parfois. Dans les années 1980, vous avez essayé de vous dissocier de Reagan (8). Mais vous n'êtes pas allé aussi loin que ce que vous a été plus tard. Pourquoi ?
Je devais peut-être manquer de confiance.
Vous avez choisi de ne rien faire pour la campagne présidentielle de cette année. Avez-vous perdu la foi dans le pouvoir que vous pourriez avoir d'influencer ces choses ?
Je ne sais pas. Je pense que vous avez un impact limité en tant qu'artiste, comédien ou musicien. Je crois que ce que j'ai fait était certainement utile. Et je l'ai fait à l'époque car je sentais que le pays était en crise, ce qui est le cas aujourd'hui. Je ne sais pas si nous avons été approchés, pour le moment, pour faire quelque chose. Si c'était le cas, je le prendrais en compte et verrais où ça mène.
Non, je n'ai pas vraiment perdu la foi dans ce que je considère être le petit impact qu'un musicien de rock pourrait avoir éventuellement. Je ne pense pas que le public va voir un musicien pour ses opinions politiques. Un point de vue politique vient des circonstances, et de la façon dont vous avez été nourri et élevé. Mais ça vaut la peine d'essayer lorsque c'est la seule chose que vous avez.
Est-ce qu'il y a un manque d'enthousiasme pour Hillary Clinton de votre part ?
Non. J'aime Hillary. Je pense qu'elle serait une très, très bonne présidente.
Pas vraiment. Pas si vous connaissez l'histoire de Youngstown et ce qui est arrivé.
Si les gens ici sont poussés à la limite, et arrivent à saisir un pistolet métaphorique représenté par Trump, c'est la même colère que celle sur laquelle vous écrivez.
Oui. J'ai commencé à écrire sur ce sujet il y a trente ans ou environ.
Que pensez-vous de Black Lives Matter (6) ?
Et bien, on récolte ce que l'on sème. Ce sont des sujets qui ont été ignorés ou cachés, et grâce à la technologie moderne et à la disponibilité constante des portables et des caméras vidéo, ces choses montent à la surface. Black Live Matters est une conséquence naturelle et une réponse à des injustices qui ont cours aux États-Unis depuis très longtemps.
Pourquoi est-ce si difficile pour tant de Blancs de s'y confronter ? Pourquoi ce rejet ?
Personne n'aime s'entendre dire qu'il a tort.
Que pensez-vous de la protestation de Colin Kaepernick (7) et la réaction qui a suivi ?
La sport est un endroit compliqué pour faire des déclarations politiques. Il y a eu les Jeux Olympiques dans les années 1960, et bien sûr Mohamed Ali. Mais le sport est un domaine d'évasion si grand. Je pense que lorsqu'on y injecte de la politique ou une expression personnelle, les gens en sont irrités bien plus que dans d'autres domaines. Mais nous sommes dans une période où il n'existe pas de lieux d'où ces questions peuvent être exclues. J'admire Kaepernick, mais c'est une discipline où il est très difficile d'être franc.
Pareil pour la musique, peut-être, parfois. Dans les années 1980, vous avez essayé de vous dissocier de Reagan (8). Mais vous n'êtes pas allé aussi loin que ce que vous a été plus tard. Pourquoi ?
Je devais peut-être manquer de confiance.
Vous avez choisi de ne rien faire pour la campagne présidentielle de cette année. Avez-vous perdu la foi dans le pouvoir que vous pourriez avoir d'influencer ces choses ?
Je ne sais pas. Je pense que vous avez un impact limité en tant qu'artiste, comédien ou musicien. Je crois que ce que j'ai fait était certainement utile. Et je l'ai fait à l'époque car je sentais que le pays était en crise, ce qui est le cas aujourd'hui. Je ne sais pas si nous avons été approchés, pour le moment, pour faire quelque chose. Si c'était le cas, je le prendrais en compte et verrais où ça mène.
Non, je n'ai pas vraiment perdu la foi dans ce que je considère être le petit impact qu'un musicien de rock pourrait avoir éventuellement. Je ne pense pas que le public va voir un musicien pour ses opinions politiques. Un point de vue politique vient des circonstances, et de la façon dont vous avez été nourri et élevé. Mais ça vaut la peine d'essayer lorsque c'est la seule chose que vous avez.
Est-ce qu'il y a un manque d'enthousiasme pour Hillary Clinton de votre part ?
Non. J'aime Hillary. Je pense qu'elle serait une très, très bonne présidente.
****
Où situez-vous vos limites sur scène ? Nous avons Paul McCartney, qui lui, a quoi, 76 ans ?
Soixante-quatorze.
Soixante-quatorze. Vous restez informé ! Il joue des concerts de trois heures. Comment voyez-vous l'avenir ?
A mon âge, on vit au jour le jour. Selon votre santé, vous pouvez être à différents stades de votre vie à l'âge que j'ai. C'est la façon dont vous vous sentez et la forme que vous avez, et la façon dont vous vous sentez émotionnellement et spirituellement, et ce que vous avez envie de faire et quel genre d'effort et d'engagement vous voulez encore apporter à ce que vous accomplissez. Je suis toujours en pleine forme. Je suis absolument dévoué comme quand j'avais 16 ou 21 ans. Je peux encore le faire aujourd'hui sans problème. Quand vous prenez de l'âge, la vie, c'est, "Quelle belle journée aujourd'hui ! Et laissez-moi réfléchir, qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais faire dans les six prochains mois ou l'année prochaine ?" Mais il n'y a pas de véritable réponse à cette question-là, parce que c'est juste là où vous êtes à ce moment précis. Vous comprenez qu'il existe une fin. Donc ça modifie votre perception du concert. Vous pouvez regarder devant vous et dire, "Ok, j'ai 67 ans. Dans dix ans, j'en aurai 77. Peut-être que j'ai encore le temps de faire quatre ou cinq tournées". Vous pouvez dire ça et faire, "Wow". Vous pouvez spéculer, mais c'est tout.
Vous avez dit sur scène que plus vous prenez de l'âge, plus ces tournées sont importantes. C'est cette notion de fin ?
C'est cette notion de fin. L'intensité que le public apporte au concert, maintenant - ils se rendent compte aussi de cette notion de fin. Vous pouvez l'apprécier un peu plus. Et cette expérience gagne alors en intensité.
Les prochaines années et au-delà : est-ce que l'idée est de vous déplacer entre les différents modes que vous avez adopté - E Street Band, solo, rééditions ?
Oui. Tout ce que vous avez dit, vous savez. A ce stade, mon idée est de faire tout ce que je fais et à intervalles réguliers. J'aimerais de nouveau faire une tournée solo. J'attends avec impatience de rejouer avec le groupe, également. Nous allons jouer en Australie cet hiver. Et tout ce qui vient à moi, quels que soient les projets qui viennent à ma rencontre. Je n'ai pas de plan à cinq ou six ans, en dehors de celui de jouer la musique que je joue maintenant et de sortir et de poursuivre ma vie professionnelle, tout simplement.
Vous avez dit avoir terminé un album qui est influencé par les collaborations de Glen Campbell et de Jimmy Webb.
Je ne veux pas trop donner de l'importance aux influences, parce que les gens peuvent écouter et se dire, "Quel est le rapport avec ces noms?" Mais il s'agit d'un endroit où j'y ai puisé un peu d'inspiration.
Est-ce un album différent de celui que vous aviez presque terminé avec Wrecking Ball ?
C'est le disque que j'ai composé avant Wrecking Ball mais que je n'ai pas réussi à terminer, et en cherchant à le terminer, j'ai écrit Wrecking Ball. Par conséquent, les racines de l'album remontent à assez loin. Parfois, vous devez attendre que les pièces du puzzle se mettent en place d'elles-mêmes, et le processus peut prendre des années. J'ai un album sur lequel je travaille depuis vingt ans. C'est la façon dont je travaille à l'heure actuelle.
A quel rythme écrivez-vous vos chansons aujourd'hui, par rapport aux années 2000, où vous étiez extrêmement prolifique ?
Wrecking Ball est venu, je dirais, facilement. Les albums et les chansons ont mis un bon moment à se révéler. Mais je n'ai pas écrit depuis un bon moment maintenant, en dehors de l'album qui est déjà prêt.
Qu'auriez-vous dit à Elvis (Presley, ndt) lorsque vous avez sauté la clôture de Graceland dans les années 1970, s'il avait été là ?
J'avais une chanson que j'aurais probablement essayé de lui vendre, Fire. En dehors de ça, je n'en ai vraiment aucune idée. Je ne suis pas sûr de ce que je cherchais.
Est-ce que le Elvis gros vous a hanté - peut-être comme une inspiration physique et comme un exemple de ce que que vous ne vouliez pas devenir ?
Je ne sais pas. J'ai vu Elvis peu avant sa mort et je me souviens avoir énormément apprécié le spectacle. Tout le monde est maître de son destin, et les gens regarderont ce que j'ai écrit et il y aura des choses qu'ils voudront suivre et d'autres qu'ils ne voudront pas suivre. Elvis a été une telle inspiration pour moi, et j'admire profondément cette voix si juste qu'il a conservée jusqu'à la fin. Et chacun a ses problèmes.
En même temps, votre genre de philosophie, c'est "reste solide, reste affamé, reste en vie" (09).
Il y a beaucoup de distractions le long du chemin et beaucoup d'endroits où vous pouvez vous perdre. J'en étais très conscient, grâce aux gens que j'ai rencontrés. Et j'ai travaillé très dur pour éviter certains de ces pièges, et je continue de le faire.
Vous écrivez que le E Street Band a atteint son apogée en studio avec l'album The River. Mais après un album de plus avec eux, vous avez attendu dix-huit ans pour le suivant. Dans l'absolu, n'est-ce pas étrange ?
C'est juste la façon dont c'est arrivé. Je pense que nous avons enfin compris comment enregistrer avec The River, même si c'était chaotique. Mais nous avons crée le son que nous voulions, et ça s'est poursuivi avec Born In The U.S.A. Mais Born In The U.S.A. a été un évènement si significatif qu'après je ne savais pas vraiment où aller avec le groupe. Alors, j'ai pris un autre chemin. J'ai voulu, aussi, immédiatement, réduire la voile, parce que je ne voulais pas jouer le jeu du, "il faut faire encore mieux et battre ces records de ventes". Je ne voulais être pas ce type d'artiste.
Soixante-quatorze.
Soixante-quatorze. Vous restez informé ! Il joue des concerts de trois heures. Comment voyez-vous l'avenir ?
A mon âge, on vit au jour le jour. Selon votre santé, vous pouvez être à différents stades de votre vie à l'âge que j'ai. C'est la façon dont vous vous sentez et la forme que vous avez, et la façon dont vous vous sentez émotionnellement et spirituellement, et ce que vous avez envie de faire et quel genre d'effort et d'engagement vous voulez encore apporter à ce que vous accomplissez. Je suis toujours en pleine forme. Je suis absolument dévoué comme quand j'avais 16 ou 21 ans. Je peux encore le faire aujourd'hui sans problème. Quand vous prenez de l'âge, la vie, c'est, "Quelle belle journée aujourd'hui ! Et laissez-moi réfléchir, qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais faire dans les six prochains mois ou l'année prochaine ?" Mais il n'y a pas de véritable réponse à cette question-là, parce que c'est juste là où vous êtes à ce moment précis. Vous comprenez qu'il existe une fin. Donc ça modifie votre perception du concert. Vous pouvez regarder devant vous et dire, "Ok, j'ai 67 ans. Dans dix ans, j'en aurai 77. Peut-être que j'ai encore le temps de faire quatre ou cinq tournées". Vous pouvez dire ça et faire, "Wow". Vous pouvez spéculer, mais c'est tout.
Vous avez dit sur scène que plus vous prenez de l'âge, plus ces tournées sont importantes. C'est cette notion de fin ?
C'est cette notion de fin. L'intensité que le public apporte au concert, maintenant - ils se rendent compte aussi de cette notion de fin. Vous pouvez l'apprécier un peu plus. Et cette expérience gagne alors en intensité.
Les prochaines années et au-delà : est-ce que l'idée est de vous déplacer entre les différents modes que vous avez adopté - E Street Band, solo, rééditions ?
Oui. Tout ce que vous avez dit, vous savez. A ce stade, mon idée est de faire tout ce que je fais et à intervalles réguliers. J'aimerais de nouveau faire une tournée solo. J'attends avec impatience de rejouer avec le groupe, également. Nous allons jouer en Australie cet hiver. Et tout ce qui vient à moi, quels que soient les projets qui viennent à ma rencontre. Je n'ai pas de plan à cinq ou six ans, en dehors de celui de jouer la musique que je joue maintenant et de sortir et de poursuivre ma vie professionnelle, tout simplement.
Vous avez dit avoir terminé un album qui est influencé par les collaborations de Glen Campbell et de Jimmy Webb.
Je ne veux pas trop donner de l'importance aux influences, parce que les gens peuvent écouter et se dire, "Quel est le rapport avec ces noms?" Mais il s'agit d'un endroit où j'y ai puisé un peu d'inspiration.
Est-ce un album différent de celui que vous aviez presque terminé avec Wrecking Ball ?
C'est le disque que j'ai composé avant Wrecking Ball mais que je n'ai pas réussi à terminer, et en cherchant à le terminer, j'ai écrit Wrecking Ball. Par conséquent, les racines de l'album remontent à assez loin. Parfois, vous devez attendre que les pièces du puzzle se mettent en place d'elles-mêmes, et le processus peut prendre des années. J'ai un album sur lequel je travaille depuis vingt ans. C'est la façon dont je travaille à l'heure actuelle.
A quel rythme écrivez-vous vos chansons aujourd'hui, par rapport aux années 2000, où vous étiez extrêmement prolifique ?
Wrecking Ball est venu, je dirais, facilement. Les albums et les chansons ont mis un bon moment à se révéler. Mais je n'ai pas écrit depuis un bon moment maintenant, en dehors de l'album qui est déjà prêt.
Qu'auriez-vous dit à Elvis (Presley, ndt) lorsque vous avez sauté la clôture de Graceland dans les années 1970, s'il avait été là ?
J'avais une chanson que j'aurais probablement essayé de lui vendre, Fire. En dehors de ça, je n'en ai vraiment aucune idée. Je ne suis pas sûr de ce que je cherchais.
Est-ce que le Elvis gros vous a hanté - peut-être comme une inspiration physique et comme un exemple de ce que que vous ne vouliez pas devenir ?
Je ne sais pas. J'ai vu Elvis peu avant sa mort et je me souviens avoir énormément apprécié le spectacle. Tout le monde est maître de son destin, et les gens regarderont ce que j'ai écrit et il y aura des choses qu'ils voudront suivre et d'autres qu'ils ne voudront pas suivre. Elvis a été une telle inspiration pour moi, et j'admire profondément cette voix si juste qu'il a conservée jusqu'à la fin. Et chacun a ses problèmes.
En même temps, votre genre de philosophie, c'est "reste solide, reste affamé, reste en vie" (09).
Il y a beaucoup de distractions le long du chemin et beaucoup d'endroits où vous pouvez vous perdre. J'en étais très conscient, grâce aux gens que j'ai rencontrés. Et j'ai travaillé très dur pour éviter certains de ces pièges, et je continue de le faire.
Vous écrivez que le E Street Band a atteint son apogée en studio avec l'album The River. Mais après un album de plus avec eux, vous avez attendu dix-huit ans pour le suivant. Dans l'absolu, n'est-ce pas étrange ?
C'est juste la façon dont c'est arrivé. Je pense que nous avons enfin compris comment enregistrer avec The River, même si c'était chaotique. Mais nous avons crée le son que nous voulions, et ça s'est poursuivi avec Born In The U.S.A. Mais Born In The U.S.A. a été un évènement si significatif qu'après je ne savais pas vraiment où aller avec le groupe. Alors, j'ai pris un autre chemin. J'ai voulu, aussi, immédiatement, réduire la voile, parce que je ne voulais pas jouer le jeu du, "il faut faire encore mieux et battre ces records de ventes". Je ne voulais être pas ce type d'artiste.
Ceci dit, comment avez-vous vécu la contre-performance commerciale des albums Human Touch et Lucky Town en 1992 - à une époque où le grunge arrivait à son apogée ?
Je crois que Nirvana a explosé au moment où ces albums sont sortis. Je me souviens que Jon (Landau), à l'époque, était tendu que ces disques n'aient pas eu le succès qu'il ou que nous avions espéré. Nous avons eu une conversation : "Jon, ce n'est pas notre moment. Nous aurons d'autres occasions". Et si vous avez une longue vie et une longue carrière, vous passez par ces moments-là. Parfois, ce n'est tout simplement pas votre tour. C'était celui de quelqu'un d'autre.
Comment voyez-vous Human Touch et Lucky Town aujourd'hui ?
J'aime ces albums, moi. Il y a de grandes chansons sur ces disques. Évidemment, le commentaire de Steve à cette époque-là a été de me dire qu'il fallait les ré-enregistrer avec le E Street Band. Vous comprenez ? Je venais juste de finir le disque ! La première chose qu'il m'a dit, c'est "Tu devrais le refaire". Ce qui résume notre relation en un mot, en ayant ce genre d'interaction immédiate. Et puis quand je lui ai joué l'album Lucky Town, il m'a dit, "Voilà qui est mieux". Il y avait quelque chose de juste dans ce qu'il me disait, de bien des manières. Je crois que même si j'ai aimé cette expérience de jouer avec les musiciens présents sur ce disque et j'ai beaucoup appris en jouant à leurs côtés, c'est peut-être ce qui aurait pu faire obstacle au public qui a écouté ces deux disques. Et il y encore plein de chansons sur ces albums que nous jouons. Nous avons joué Better Days et nous avons joué Living Proof. J'aime Living Proof.
Moi aussi.
Et Lucky Town. Ce sont des chansons que nous devrions jouer plus souvent.
Il semble que le rock épuré de Living Proof et de Lucky Town est encore une direction que vous pourriez explorer à un moment.
Peut-être.
Au moins pour une chanson, Real World, vous avez admis que la production n'était pas bonne ou que l'approche n'était pas bonne. Un certain clinquant s'est glissé dedans.
Vous savez, en y repensant, j'aurais du enregistrer ces chansons quelque peu différemment et avec un son différent. C'est la raison pour laquelle après avoir terminé l'album Human Touch, j'ai immédiatement écrit et enregistré un autre album, en entier, avant même que Human Touch puisse même sortir ! Je crois que je cherchais une sorte d'antidote ou une sorte d'équilibre auquel je pensais, concernant la production de cet album peut-être sommes-nous allés trop loin dans cette direction. Votre argument est juste.
Vous écrivez à propos de l'album The Ghost Of Tom Joad de 1995, qu'il est comme un pivot qui vous amène à écrire sur le monde - comment expliquez-vous avoir éviter de traiter l'actualité dans vos chansons pendant tant d'années ?
Vous êtes toujours dans une boite, et vous êtes un roi de l'évasion si vous faites ce que je fais - où si vous êtes une personne créative, en fait. Vous construisez votre boite et puis vous vous en échappez. Vous en construisez une autre et vous vous en échappez. C'est perpétuel. Et, à un moment donné, vous pouvez peut-être vous échapper d'assez de boites pour vous retrouver dans la première, une nouvelle fois. Et vous dire, "Oh, je ne pensais pas avoir encore des choses à dire sur ces thèmes-là. Attendez une minute, oui, je peux. J'ai encore beaucoup à dire sur ces choses-là !"
Ce qui est marrant avec The Ghost Of Tom Joad, c'est qu'il s'agit du seul disque que les audiophiles adorent – ils l'utilisent pour les démonstrations de stéréos haut de gamme.
C'est très marrant. Ce disque n'a jamais vraiment été masterisé, et nous avons utilisé les mixages bruts faits le jour des enregistrements. C'était un album dont le son était simple. Mais c'est la raison pour laquelle les histoires sonnent vraies. Je ne voulais pas du tout les habiller, tout comme Nebraska, vous voyez. Il s'agissait d'albums qui ont été fait au moment même où la musique était créée.
Il y a des moments sur ce disque où on a l'impression que vous allez au-delà du format musical d'une chanson, là où il n'y a quasiment plus de musique.
Presque comme des récitations, oui.
A l'époque, je me suis demandé si vous alliez commencer à écrire de histoires courtes.
Non. Je suis très heureux en tant qu'auteur-compositeur, et une nouvelle fois, c'est un talent différent. Mais j'ai été très proche de ce style d'écriture narrative avec ce disque. Sur Devils & Dust, également. C'est un style d'écriture qui m'a donné une grande, grande source de plaisir.
C'est très dur d'accorder ce style à une chanson rock.
Oui. La musique rock. Premièrement, elle est beaucoup plus forte et bruyante. Donc, quand j'ai essayé une écriture narrative au sein d'une forme musicale rock, le mélange ne s'est pas très bien fait. Vous savez, vous voulez ce couplet, ce refrain, vous voulez que ce refrain émerge et vous emmène quelque part. Même si, avec la musique moderne, ça a changé. La musique moderne trouve, en grande partie, son accroche dans beaucoup d'endroits si différents. Dans la basse, dans le rythme. Aujourd'hui, il y a plein de manières différentes de créer du contenu et de la narration, ce que vous entendez à la radio.
Dans le sillage de Tom Joad, vous sembliez réfléchir à une semi-retraite loin du monde des grands disques et des grandes tournées.
C'est ce que j'ai fait pendant un moment, parce que j'ai aimé, avec passion, l'expérience Tom Joad. Je me suis dit que je pourrais continuer ainsi, à faire ce genre d'albums, ce que j'ai fait juste après avec l'album Devils & Dust. Mais quand je l'ai enregistré, je me suis dit, "Deux à la suite de ce style ? Je ne sais pas. Peut-être que ce n'est pas pour moi, vous voyez". En gros, nous nous sommes tournés vers le groupe à nouveau. Donc, vous savez, vous suivez vos instincts et votre élan et quand j'ai fini cet album et que j'étais sur le point d'en faire un autre, je me suis dit, "Et bien, pour le faire, je devrais ignorer en grande partie mes autres compétences". Et j'ai pris trop de plaisir et j'ai eu trop de joie avec la réalité physique de cette autre musique que je joue, avec les talents que j'ai rassemblé pour jouer cette musique, pour juste me limiter à un seul genre en particulier, tout simplement.
Comment conciliez-vous la magie qui opère avec le E Street Band avec les réalités de la vie quotidienne d'être le patron de ce groupe ?
Vous devez accepter le fait que, avec le temps, ça devient un business - si vous ne l'acceptez pas, tout partira en vrille, très fortement. Donc vous rendez un fier service à tout le monde en reconnaissant que c'est un aspect de votre relation et que dans cette relation, vous tracez votre route en tant qu'amis et en tant qu'adultes.
Vous écrivez que, au début, vous aviez besoin de disciples plutôt que d'employés. Est-ce qu'il s'agissait d'un dévouement total ?
Oui, tout à fait. J'ai fait des demandes déraisonnables et puis, peut-être qu'on a exigé de moi en retour des choses déraisonnables aussi [rires] Mais c'est ce que nous étions à l'époque. J'étais un jeune homme peu assuré. Donc, mon besoin d'avoir le dévouement total de la part de ceux avec qui je travaillais était très fort. Ces choses-là ont été atténuées au fil du temps. Il y a encore énormément de dévouement, mais nous avons de saines limites aujourd'hui que nous n'avions pas lorsque nous étions plus jeunes.
En studio, vous avez délibérément monté Steve Van Zandt contre Jon. D'où vient cet instinct de faire quelque chose d'aussi...
D'aussi sournois ? [rires]
J'allais dire de façon plus sophistiquée, machiavélique, mais disons sournois.
C'est venu très naturellement de cette partie de moi qui est impitoyable quand je cherche des chansons. Et ils se sont joints à une équipe, ils sont montés dans le train pour toute la durée du trajet, et nous sommes tous de grands garçons.
Je crois que Nirvana a explosé au moment où ces albums sont sortis. Je me souviens que Jon (Landau), à l'époque, était tendu que ces disques n'aient pas eu le succès qu'il ou que nous avions espéré. Nous avons eu une conversation : "Jon, ce n'est pas notre moment. Nous aurons d'autres occasions". Et si vous avez une longue vie et une longue carrière, vous passez par ces moments-là. Parfois, ce n'est tout simplement pas votre tour. C'était celui de quelqu'un d'autre.
Comment voyez-vous Human Touch et Lucky Town aujourd'hui ?
J'aime ces albums, moi. Il y a de grandes chansons sur ces disques. Évidemment, le commentaire de Steve à cette époque-là a été de me dire qu'il fallait les ré-enregistrer avec le E Street Band. Vous comprenez ? Je venais juste de finir le disque ! La première chose qu'il m'a dit, c'est "Tu devrais le refaire". Ce qui résume notre relation en un mot, en ayant ce genre d'interaction immédiate. Et puis quand je lui ai joué l'album Lucky Town, il m'a dit, "Voilà qui est mieux". Il y avait quelque chose de juste dans ce qu'il me disait, de bien des manières. Je crois que même si j'ai aimé cette expérience de jouer avec les musiciens présents sur ce disque et j'ai beaucoup appris en jouant à leurs côtés, c'est peut-être ce qui aurait pu faire obstacle au public qui a écouté ces deux disques. Et il y encore plein de chansons sur ces albums que nous jouons. Nous avons joué Better Days et nous avons joué Living Proof. J'aime Living Proof.
Moi aussi.
Et Lucky Town. Ce sont des chansons que nous devrions jouer plus souvent.
Il semble que le rock épuré de Living Proof et de Lucky Town est encore une direction que vous pourriez explorer à un moment.
Peut-être.
Au moins pour une chanson, Real World, vous avez admis que la production n'était pas bonne ou que l'approche n'était pas bonne. Un certain clinquant s'est glissé dedans.
Vous savez, en y repensant, j'aurais du enregistrer ces chansons quelque peu différemment et avec un son différent. C'est la raison pour laquelle après avoir terminé l'album Human Touch, j'ai immédiatement écrit et enregistré un autre album, en entier, avant même que Human Touch puisse même sortir ! Je crois que je cherchais une sorte d'antidote ou une sorte d'équilibre auquel je pensais, concernant la production de cet album peut-être sommes-nous allés trop loin dans cette direction. Votre argument est juste.
Vous écrivez à propos de l'album The Ghost Of Tom Joad de 1995, qu'il est comme un pivot qui vous amène à écrire sur le monde - comment expliquez-vous avoir éviter de traiter l'actualité dans vos chansons pendant tant d'années ?
Vous êtes toujours dans une boite, et vous êtes un roi de l'évasion si vous faites ce que je fais - où si vous êtes une personne créative, en fait. Vous construisez votre boite et puis vous vous en échappez. Vous en construisez une autre et vous vous en échappez. C'est perpétuel. Et, à un moment donné, vous pouvez peut-être vous échapper d'assez de boites pour vous retrouver dans la première, une nouvelle fois. Et vous dire, "Oh, je ne pensais pas avoir encore des choses à dire sur ces thèmes-là. Attendez une minute, oui, je peux. J'ai encore beaucoup à dire sur ces choses-là !"
Ce qui est marrant avec The Ghost Of Tom Joad, c'est qu'il s'agit du seul disque que les audiophiles adorent – ils l'utilisent pour les démonstrations de stéréos haut de gamme.
C'est très marrant. Ce disque n'a jamais vraiment été masterisé, et nous avons utilisé les mixages bruts faits le jour des enregistrements. C'était un album dont le son était simple. Mais c'est la raison pour laquelle les histoires sonnent vraies. Je ne voulais pas du tout les habiller, tout comme Nebraska, vous voyez. Il s'agissait d'albums qui ont été fait au moment même où la musique était créée.
Il y a des moments sur ce disque où on a l'impression que vous allez au-delà du format musical d'une chanson, là où il n'y a quasiment plus de musique.
Presque comme des récitations, oui.
A l'époque, je me suis demandé si vous alliez commencer à écrire de histoires courtes.
Non. Je suis très heureux en tant qu'auteur-compositeur, et une nouvelle fois, c'est un talent différent. Mais j'ai été très proche de ce style d'écriture narrative avec ce disque. Sur Devils & Dust, également. C'est un style d'écriture qui m'a donné une grande, grande source de plaisir.
C'est très dur d'accorder ce style à une chanson rock.
Oui. La musique rock. Premièrement, elle est beaucoup plus forte et bruyante. Donc, quand j'ai essayé une écriture narrative au sein d'une forme musicale rock, le mélange ne s'est pas très bien fait. Vous savez, vous voulez ce couplet, ce refrain, vous voulez que ce refrain émerge et vous emmène quelque part. Même si, avec la musique moderne, ça a changé. La musique moderne trouve, en grande partie, son accroche dans beaucoup d'endroits si différents. Dans la basse, dans le rythme. Aujourd'hui, il y a plein de manières différentes de créer du contenu et de la narration, ce que vous entendez à la radio.
Dans le sillage de Tom Joad, vous sembliez réfléchir à une semi-retraite loin du monde des grands disques et des grandes tournées.
C'est ce que j'ai fait pendant un moment, parce que j'ai aimé, avec passion, l'expérience Tom Joad. Je me suis dit que je pourrais continuer ainsi, à faire ce genre d'albums, ce que j'ai fait juste après avec l'album Devils & Dust. Mais quand je l'ai enregistré, je me suis dit, "Deux à la suite de ce style ? Je ne sais pas. Peut-être que ce n'est pas pour moi, vous voyez". En gros, nous nous sommes tournés vers le groupe à nouveau. Donc, vous savez, vous suivez vos instincts et votre élan et quand j'ai fini cet album et que j'étais sur le point d'en faire un autre, je me suis dit, "Et bien, pour le faire, je devrais ignorer en grande partie mes autres compétences". Et j'ai pris trop de plaisir et j'ai eu trop de joie avec la réalité physique de cette autre musique que je joue, avec les talents que j'ai rassemblé pour jouer cette musique, pour juste me limiter à un seul genre en particulier, tout simplement.
Comment conciliez-vous la magie qui opère avec le E Street Band avec les réalités de la vie quotidienne d'être le patron de ce groupe ?
Vous devez accepter le fait que, avec le temps, ça devient un business - si vous ne l'acceptez pas, tout partira en vrille, très fortement. Donc vous rendez un fier service à tout le monde en reconnaissant que c'est un aspect de votre relation et que dans cette relation, vous tracez votre route en tant qu'amis et en tant qu'adultes.
Vous écrivez que, au début, vous aviez besoin de disciples plutôt que d'employés. Est-ce qu'il s'agissait d'un dévouement total ?
Oui, tout à fait. J'ai fait des demandes déraisonnables et puis, peut-être qu'on a exigé de moi en retour des choses déraisonnables aussi [rires] Mais c'est ce que nous étions à l'époque. J'étais un jeune homme peu assuré. Donc, mon besoin d'avoir le dévouement total de la part de ceux avec qui je travaillais était très fort. Ces choses-là ont été atténuées au fil du temps. Il y a encore énormément de dévouement, mais nous avons de saines limites aujourd'hui que nous n'avions pas lorsque nous étions plus jeunes.
En studio, vous avez délibérément monté Steve Van Zandt contre Jon. D'où vient cet instinct de faire quelque chose d'aussi...
D'aussi sournois ? [rires]
J'allais dire de façon plus sophistiquée, machiavélique, mais disons sournois.
C'est venu très naturellement de cette partie de moi qui est impitoyable quand je cherche des chansons. Et ils se sont joints à une équipe, ils sont montés dans le train pour toute la durée du trajet, et nous sommes tous de grands garçons.
Vous écrivez que vous et Clarence ne pouviez pas trainer ensemble parce que ça aurait détruit votre vie.
Clarence profitait de la vie à fond, et c'était fabuleux. Mais n'allez pas croire que vous pouvez faire n'importe quoi chez moi, les enfants. Il avait une grande âme.
Vous avez donc des amitiés profondes avec des personnes que vous ne voyez pas souvent ?
Bien sûr. J'en ai beaucoup. Quand vous prenez de l'âge, vous vous consacrez à votre famille. C'est une grande joie d'être avec, disons, Steve. Nous ne nous voyons pas beaucoup. C'est donc une immense joie quand je suis avec lui. C'était aussi une grande joie d'être avec Clarence. Il était hilarant. L'un des gars les plus drôles sur la planète, et quelqu'un qui vous éclairait quand vous étiez à ses côtés. Et puis ce que nous faisions ensemble était si profond. C'est pourquoi vous ne remettez jamais en cause votre amitié ou votre fidélité à l'autre. Ce qui ne signifie pas qu'on doive diner ensemble chaque jour.
Vous écrivez que l'avis de Steve pouvait être déstabilisant pour le groupe. De quelle façon ?
C'est un homme puissant, son opinion compte grandement. Il est aussi plus protéiforme que moi. Si vous êtes à la tête d'une organisation à laquelle vous essayez de donner une continuité et un pouvoir collectif, une forte personnalité peut devenir un élément perturbateur. Mais c'est une partie de notre relation depuis toujours. Je crois que j'ai joué le même rôle dans sa vie, et j'ai besoin de quelqu'un qui le joue pour moi.
Clarence profitait de la vie à fond, et c'était fabuleux. Mais n'allez pas croire que vous pouvez faire n'importe quoi chez moi, les enfants. Il avait une grande âme.
Vous avez donc des amitiés profondes avec des personnes que vous ne voyez pas souvent ?
Bien sûr. J'en ai beaucoup. Quand vous prenez de l'âge, vous vous consacrez à votre famille. C'est une grande joie d'être avec, disons, Steve. Nous ne nous voyons pas beaucoup. C'est donc une immense joie quand je suis avec lui. C'était aussi une grande joie d'être avec Clarence. Il était hilarant. L'un des gars les plus drôles sur la planète, et quelqu'un qui vous éclairait quand vous étiez à ses côtés. Et puis ce que nous faisions ensemble était si profond. C'est pourquoi vous ne remettez jamais en cause votre amitié ou votre fidélité à l'autre. Ce qui ne signifie pas qu'on doive diner ensemble chaque jour.
Vous écrivez que l'avis de Steve pouvait être déstabilisant pour le groupe. De quelle façon ?
C'est un homme puissant, son opinion compte grandement. Il est aussi plus protéiforme que moi. Si vous êtes à la tête d'une organisation à laquelle vous essayez de donner une continuité et un pouvoir collectif, une forte personnalité peut devenir un élément perturbateur. Mais c'est une partie de notre relation depuis toujours. Je crois que j'ai joué le même rôle dans sa vie, et j'ai besoin de quelqu'un qui le joue pour moi.
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Vous attendiez que Wrecking Ball rencontre un plus grand succès, et vous en avez conclu que le public n'attend plus du rock qu'il affiche ses opinions ?
Le rock, à l'heure actuelle, n'est pas le premier vecteur pour communiquer ces idées-là. Il y a une sorte de mélange de pop et de hip-hop qui est le courant dominant et qui véhicule les messages culturels actuels.
Qu'en pensez-vous ?
C'est juste une réalité. La pop est toujours mouvante et se transforme. Il y a énormément de bonne musique en ce moment. Kanye West fait des disques formidables. Kendrick Lamar est incroyable. Vous ne voudriez pas que les choses restent statiques ou qu'il y ait une hégémonie tenace sur des positions culturelles. Mais, en ce moment même, il y a quelqu'un dans un garage avec une guitare qui, probablement, trouve une manière différente de tout réinventer, une autre place à prendre. C'est toujours comme ça.
Dans le livre, vous avez mentionné que deux des chansons de Wrecking Ball venaient d'un projet de film gospel. Qu'est-ce que c'était ?
Je ne souhaite pas en parler. Il s'agissait de quelque chose qui n'a pas été mené à son terme et le reste du projet est toujours en attente.
Rocky Ground m'a toujours semblé cinématographique. Elle ressemble à une chanson de film.
Oui. Elle a été écrite, à l'origine, pour un film.
Je pense qu'il s'agit d'une de vos meilleures chansons et elle n'a probablement pas eu l'attention qu'elle mérite.
Oui. Et il y a eu un remix de cette chanson qui est meilleur que la version originale qui se trouve sur l'album. Je suis très fier de cette chanson. C'était un petit titre plein de beauté.
Vous leur avez évidemment rendu hommage sur scène, mais les morts de David Bowie et de Prince, cette année, vous ont-elles grandement affectées ?
C'était terriblement dommage. C'était une grande perte et une tragédie. Je me suis toujours senti des affinités avec Prince. C'était un type, à chaque fois que j'allais le voir, je me disais, "Oh, mec, de retour aux sources". Il y avait un film sur lui, diffusé au cours du Arsenio Hall Show, où il joue une série de chansons d'un trait. C'est juste un des plus grands showmans que j'ai jamais vu. Et il connaissait tout. Il connaissait tout, et pouvait donc mettre en œuvre ce qu'il savait. Depuis les années 60 et 70 et Sam & Dave et James Brown, il a été un des plus grands showmans à émerger. J'ai beaucoup étudié ce qu'il a fait et j'ai essayé de reproduire le maximum de ce que je pouvais avec mes talents. Mais il a amené l'art de la scène à un niveau inégalé.
Mais quand ces types s'en vont, est-ce que ça vous donne un petit coup de pied au cul ou un rappel que tout a une fin ?
Je pense qu'on s'est tous assis pour se dire, "Quoi ?" Je n'arrivais pas à y croire quand j'ai appris la nouvelle. Chaque mort vous apporte une vision renouvelée. C'est un des messages que les morts nous transmettent. Une occasion de regarder nos vies et de regarder à nouveau le monde. C'est juste une puissante expérience, tout simplement.
Vous n'avez joué dans aucun film, ni dirigé un film, vous n'avez jamais fait d’exposition de vos peintures. Vous ne faites pas ces choses supplémentaires que beaucoup de rock stars font. Ce livre est ce qui vous a amené le plus loin. Les autres choses ne vous intéressent pas ?
Il faut avoir une intime conviction sur la raison pour laquelle vous voulez faire autre chose et sachant que vous n'avez peut-être pas ces talents escomptés. Si j'avais eu l'intime conviction, j'aurais réalisé un film, j'aurais essayé. Mais je ne l'ai jamais eu. Si vous écoutez The Ghost Of Tom Joad ou Devils & Dust, ce sont mes petits films. Et je n'ai absolument aucun talent de peinture ou de dessin ou quoi que ce soit. Ce n'est donc pas une tentation d'aucune manière, sous quelque forme que ce soit. J'ai trouvé que les formes sur lesquelles je travaillais ont été un grand exécutoire pour les choses que je voulais exprimer. Quand j'étais très jeune et qu'on m'a offert des rôles dans différents films, j'étais soucieux de diluer mon travail comme musicien et dans l'identité que je me construisais à cette époque-là. Et donc, je me suis dit, "Je vais me focaliser sur tout ce que j'ai, en faisait ce que je fais ici et maintenant".
Avec le recul, pourquoi le rock'n'roll a-t-il été une force de transformation si puissante dans votre vie - et dans le monde en général ?
En premier lieu, il y a eu une explosion qui avait été réprimée, tout d'abord, de manière extrêmement brutale. Donc, lorsque sont arrivés Little Richard et Chuck Berry et Elvis et Jerry Lee Lewis, il y a eu cette chose qui couvait et qui a soudainement déferlé sur le monde, vous permettant enfin de vivre avec une partie de votre esprit et de votre corps qui étaient auparavant brimés, de beaucoup de manières. Le rock est également apparu à un moment où les gens s'interrogeaient sur la religion. Il y a donc eu un coté laïque-profane, basé sur la félicité et la joie et sur une transcendance personnelle liées aux circonstances. Il s'est retrouvé pris dans l'épicentre du rêve américain, le rêve de réussite et d'accomplissement. C'était juste une force puissante, explosive, qui est arrivée à une époque où l'histoire l'exigeait presque.
Et quand vous en avez eu besoin, également.
Je suis né au bon moment.
Finalement, étant donné les années émotionnellement dures que vous avez passées, comment allez-vous aujourd'hui ?
Je vais bien ! Je vais bien aujourd'hui [il touche du bois]
Le rock, à l'heure actuelle, n'est pas le premier vecteur pour communiquer ces idées-là. Il y a une sorte de mélange de pop et de hip-hop qui est le courant dominant et qui véhicule les messages culturels actuels.
Qu'en pensez-vous ?
C'est juste une réalité. La pop est toujours mouvante et se transforme. Il y a énormément de bonne musique en ce moment. Kanye West fait des disques formidables. Kendrick Lamar est incroyable. Vous ne voudriez pas que les choses restent statiques ou qu'il y ait une hégémonie tenace sur des positions culturelles. Mais, en ce moment même, il y a quelqu'un dans un garage avec une guitare qui, probablement, trouve une manière différente de tout réinventer, une autre place à prendre. C'est toujours comme ça.
Dans le livre, vous avez mentionné que deux des chansons de Wrecking Ball venaient d'un projet de film gospel. Qu'est-ce que c'était ?
Je ne souhaite pas en parler. Il s'agissait de quelque chose qui n'a pas été mené à son terme et le reste du projet est toujours en attente.
Rocky Ground m'a toujours semblé cinématographique. Elle ressemble à une chanson de film.
Oui. Elle a été écrite, à l'origine, pour un film.
Je pense qu'il s'agit d'une de vos meilleures chansons et elle n'a probablement pas eu l'attention qu'elle mérite.
Oui. Et il y a eu un remix de cette chanson qui est meilleur que la version originale qui se trouve sur l'album. Je suis très fier de cette chanson. C'était un petit titre plein de beauté.
Vous leur avez évidemment rendu hommage sur scène, mais les morts de David Bowie et de Prince, cette année, vous ont-elles grandement affectées ?
C'était terriblement dommage. C'était une grande perte et une tragédie. Je me suis toujours senti des affinités avec Prince. C'était un type, à chaque fois que j'allais le voir, je me disais, "Oh, mec, de retour aux sources". Il y avait un film sur lui, diffusé au cours du Arsenio Hall Show, où il joue une série de chansons d'un trait. C'est juste un des plus grands showmans que j'ai jamais vu. Et il connaissait tout. Il connaissait tout, et pouvait donc mettre en œuvre ce qu'il savait. Depuis les années 60 et 70 et Sam & Dave et James Brown, il a été un des plus grands showmans à émerger. J'ai beaucoup étudié ce qu'il a fait et j'ai essayé de reproduire le maximum de ce que je pouvais avec mes talents. Mais il a amené l'art de la scène à un niveau inégalé.
Mais quand ces types s'en vont, est-ce que ça vous donne un petit coup de pied au cul ou un rappel que tout a une fin ?
Je pense qu'on s'est tous assis pour se dire, "Quoi ?" Je n'arrivais pas à y croire quand j'ai appris la nouvelle. Chaque mort vous apporte une vision renouvelée. C'est un des messages que les morts nous transmettent. Une occasion de regarder nos vies et de regarder à nouveau le monde. C'est juste une puissante expérience, tout simplement.
Vous n'avez joué dans aucun film, ni dirigé un film, vous n'avez jamais fait d’exposition de vos peintures. Vous ne faites pas ces choses supplémentaires que beaucoup de rock stars font. Ce livre est ce qui vous a amené le plus loin. Les autres choses ne vous intéressent pas ?
Il faut avoir une intime conviction sur la raison pour laquelle vous voulez faire autre chose et sachant que vous n'avez peut-être pas ces talents escomptés. Si j'avais eu l'intime conviction, j'aurais réalisé un film, j'aurais essayé. Mais je ne l'ai jamais eu. Si vous écoutez The Ghost Of Tom Joad ou Devils & Dust, ce sont mes petits films. Et je n'ai absolument aucun talent de peinture ou de dessin ou quoi que ce soit. Ce n'est donc pas une tentation d'aucune manière, sous quelque forme que ce soit. J'ai trouvé que les formes sur lesquelles je travaillais ont été un grand exécutoire pour les choses que je voulais exprimer. Quand j'étais très jeune et qu'on m'a offert des rôles dans différents films, j'étais soucieux de diluer mon travail comme musicien et dans l'identité que je me construisais à cette époque-là. Et donc, je me suis dit, "Je vais me focaliser sur tout ce que j'ai, en faisait ce que je fais ici et maintenant".
Avec le recul, pourquoi le rock'n'roll a-t-il été une force de transformation si puissante dans votre vie - et dans le monde en général ?
En premier lieu, il y a eu une explosion qui avait été réprimée, tout d'abord, de manière extrêmement brutale. Donc, lorsque sont arrivés Little Richard et Chuck Berry et Elvis et Jerry Lee Lewis, il y a eu cette chose qui couvait et qui a soudainement déferlé sur le monde, vous permettant enfin de vivre avec une partie de votre esprit et de votre corps qui étaient auparavant brimés, de beaucoup de manières. Le rock est également apparu à un moment où les gens s'interrogeaient sur la religion. Il y a donc eu un coté laïque-profane, basé sur la félicité et la joie et sur une transcendance personnelle liées aux circonstances. Il s'est retrouvé pris dans l'épicentre du rêve américain, le rêve de réussite et d'accomplissement. C'était juste une force puissante, explosive, qui est arrivée à une époque où l'histoire l'exigeait presque.
Et quand vous en avez eu besoin, également.
Je suis né au bon moment.
Finalement, étant donné les années émotionnellement dures que vous avez passées, comment allez-vous aujourd'hui ?
Je vais bien ! Je vais bien aujourd'hui [il touche du bois]
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NOTES
(1) Ce vers est tiré de la chanson Badlands.
(2) Patti Scialfa, chanteuse et auteur-compositrice américaine, et membre du E Street Band depuis 1984, est la femme de Bruce Springsteen.
(3) Jon Landau, critique musicale, est devenu le producteur et le manager de Bruce Springsteen.
(4) A l'est d'Eden est un roman de John Steinbeck, publié en 1952. C'est une fresque sur le bien et le mal sur plusieurs générations.
(5) David Duke est un homme politique américain, promoteur de théories racistes, et militant de la suprématie blanche et d'un nationalisme blanc.
(6) Black Live Matters est un mouvement militant américain, né dans la communauté afro-américaine, et dénonçant le racisme, et la violence policière. Il a été fondé en 2013, suite à l’acquittement de l'agent de sécurité qui tua, en février 2012, en Floride, le jeune Trayvon Martin, 17 ans.
(7) Colin Kaepernick est un joueur de football américain de l'équipe des 49ers de San Francisco. En 2016, avant un match, il pose un genou à terre au moment de l'hymne américain pour protester contre l'oppression des gens de couleur aux États-Unis, réclamant, par son geste, plus d’égalité pour la communauté noire.
(8) En 1984, en pleine campagne pour sa réelection, le président républicain Ronald Reagan avait tenté de s'approprier, dans un discours, le soutien du chanteur, sans son consentement. Bruce Springsteen s'en est désolidarisé.
(9) Ce vers est tiré de la chanson This Hard Land
(10) La Beat Generation est un mouvement littéraire et artistique, né dans les années 1950, aux États-Unis, dans le sillage de Jack Kerouac.
(11) Clive Davis a été le président de la maison de disques Columbia Records de 1967 à 1973.
(12) John Hammond (1910-1987) était un producteur de musique américain, découvreur de talents comme Bob Dylan, Leonard Cohen, Aretha Franklin, et Bruce Springsteen.
(2) Patti Scialfa, chanteuse et auteur-compositrice américaine, et membre du E Street Band depuis 1984, est la femme de Bruce Springsteen.
(3) Jon Landau, critique musicale, est devenu le producteur et le manager de Bruce Springsteen.
(4) A l'est d'Eden est un roman de John Steinbeck, publié en 1952. C'est une fresque sur le bien et le mal sur plusieurs générations.
(5) David Duke est un homme politique américain, promoteur de théories racistes, et militant de la suprématie blanche et d'un nationalisme blanc.
(6) Black Live Matters est un mouvement militant américain, né dans la communauté afro-américaine, et dénonçant le racisme, et la violence policière. Il a été fondé en 2013, suite à l’acquittement de l'agent de sécurité qui tua, en février 2012, en Floride, le jeune Trayvon Martin, 17 ans.
(7) Colin Kaepernick est un joueur de football américain de l'équipe des 49ers de San Francisco. En 2016, avant un match, il pose un genou à terre au moment de l'hymne américain pour protester contre l'oppression des gens de couleur aux États-Unis, réclamant, par son geste, plus d’égalité pour la communauté noire.
(8) En 1984, en pleine campagne pour sa réelection, le président républicain Ronald Reagan avait tenté de s'approprier, dans un discours, le soutien du chanteur, sans son consentement. Bruce Springsteen s'en est désolidarisé.
(9) Ce vers est tiré de la chanson This Hard Land
(10) La Beat Generation est un mouvement littéraire et artistique, né dans les années 1950, aux États-Unis, dans le sillage de Jack Kerouac.
(11) Clive Davis a été le président de la maison de disques Columbia Records de 1967 à 1973.
(12) John Hammond (1910-1987) était un producteur de musique américain, découvreur de talents comme Bob Dylan, Leonard Cohen, Aretha Franklin, et Bruce Springsteen.