Q, juillet 2009

Bruce Springsteen sur scène, hors scène & à bord de son avion privé



L'expérience live d'un incroyable E Street Band qui agite les âmes, fait trembler la terre, fait prendre du Viagra... est en route pour Glastonbury. Et à la veille de la première apparition de Bruce Springsteen à un festival anglais, Q traverse les États-Unis à bord de l'avion privé du bonhomme pour un aperçu unique sur le plus grand show sur terre.

Par Paul Rees

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En tant que symbole des malheurs économiques des États-Unis, Houston se porte bien. La 4ème plus grande ville du pays, avec une population de 2,2 millions d'habitants, est une conurbation qui couvre 965 km2 du Texas. En ce mercredi chaud et humide, ses rues du centre-ville et ses magasins sont tous désertés. Même la circulation est fluide, et puisque chaque véhicule a des vitres teintées, on a ce sentiment fou qu'il n'y a personne au volant.

Bruce Springsteen et le E Street Band sont en ville pour jouer la cinquième date de leur tournée américaine. Jusqu'à maintenant, ils contredisent le fait que les Américains n'ont plus d'argent pour autre chose qu'exister, leur quatre précédents concerts dans des grandes salles étaient tous complets - un sacré exploit dans un pays où 200 000 emplois sont perdus chaque mois, et en considérant qu'ils ont donné ici leur dernier concert il y a moins d'un an.

Telle a été l'histoire de Springsteen. Ayant réuni le E Street Band à la fin des années 90, après un hiatus de pratiquement dix ans, il n'a jamais été aussi productif, et ne s'est lui-même jamais trouvé autant en phase avec l'époque. Il aura 60 ans en septembre, mais exceptionnellement, les disques qu'il a faits ces dernières années - The Rising, Magic, et son dernier, Working On A Dream - sont comparables à ce qu'il a fait de mieux. Son influence a imprégné en chemin une nouvelle génération, des groupes tels que Arcade Fire, The Gaslight Anthem et The Hold Steady ont comme référence le son du E Street Band.

Et en exprimant toutes les angoisses de la nation après le 11-septembre sur The Rising et en mettant en avant sa rage contre la période Bush sur Magic, il a puisé dans le cœur battant de la vie américaine - ses espoirs, ses aspirations et sa conscience morale. A un tel point qu'il est tout simplement apparu à sa place légitime, dans la grande vision des choses, quand il s'est tenu aux côtés du Président Obama lors de son investiture au début de l'année.

Le concert de ce soir au Toyota Centre, domicile des équipes de basket-ball et de hockey sur glace de Houston, est également complet. Dans la chaleur de cette fin d'après-midi, cependant, seules quelques personnes trainent aux alentours. Deux gamins au teint frais, de la station de radio locale, sont assis à une table, posée sur tréteaux sur le trottoir, et débitent des chansons de Born In The U.S.A., l'album de 1984, qui s'est vendu à 30 millions d'exemplaires, et qui a marqué l'apogée commerciale de Springsteen.

La prétention à la gloire du Toyota Centre est due au fait qu'à 10 mètres en-dessous du niveau de la rue, sa surface de jeu est la plus basse des États-Unis. Un édifice de briques rouges immaculé, il ne possède pas grand chose de remarquable. En descendant de la rue vers ses entrailles, le même sinistre calme morbide domine: le seul signe de vie dans ce long couloir d'entrée est un convoi de camions garés le long d'un mur de béton.

Au bout de cette allée, le tohu-bohu se révèle. Des hommes costauds en short et t-shirts courent ici et là, poussant des caisses, portant des câbles électriques sur l'épaule, ou s'activant simplement pour avoir l'air occupé. Les détritus jonchent le sol. Des indications au mur vous dirigent vers le bureau de production, vers la cantine (au menu du jour: vivaneau et gnocchis) et vers un salon de massage. Il y a un air de village, un jour de marché.

Il y a trois loges: une pour le E Street Band et, côte à côte, une pour Patti Scialfa (Mme Bruce Springsteen) et une pour Springsteen lui-même. Des affiches sur les portes de ces dernières indiquent, "Veuillez frapper et attendre une réponse avant d'entrer". Une malle d'avion ouverte est posée contre le mur entre ces deux loges. Elle contient, comme l'indique l'étiquette collée dessus, un nécessaire de couture, des chewings-gums, une crème hydratante et des tampons. Un panda en peluche monte la garde devant la loge de Springsteen, il porte un t-shirt vert avec la lettre 'T' cousue dessus. C'est là que Terry Magovern, l'assistant de Springsteen pendant 20 ans, se tenait jusqu'à sa mort en 2007. Magovern n'est pas le seul absent sur cette tournée: Danny Federici, organiste du E Street Band pendant 40 ans, est décédé d'un mélanome l'an dernier, son poste est désormais tenu par Charles Giordano.

Et voici qu'arrive Jon Landau, figure paternelle qui s'occupe de la carrière de Springsteen depuis 1975. Ancien producteur de disques et journaliste, Landau est connu pour avoir écrit qu'il avait vu 'l'avenir du rock'n'roll' après avoir assisté à un concert de Springsteen pour la première fois. Il conserve, jusqu'à ce jour, le même enthousiasme pour celui dont il s'occupe - en conduisant Q dans la salle principale, il parle à cent à l'heure sur la façon dont joue si bien le groupe, sur la façon dont chante si bien Bruce... et puis, il dit: "Quand on parle du loup, il arrive".

Bruce Springsteen s'avance vers Q, un bras enlaçant sa femme qui sourit à ses côtés. Il marche à la manière de quelqu'un qui aurait passé toute la journée sur un cheval - une démarche raide et chaloupée. Un bonnet de laine gris sur la tête, des lunettes d'aviateur cachent ses yeux et il porte une veste en cuir, un jean et des bottes de travail. Il a une présence indéniable et une poignée de mains ferme. Les présentations sont brèves, et puis il grimpe les marches vers la scène pour rejoindre les 11 membres de son groupe pour un soundcheck. Ils sont tous là debout, excepté le saxophoniste Clarence Clemons qui, à 67 ans et après une opération pour remplacer sa hanche, s'offre le luxe d'un trône doré pour s'asseoir.

Le E Street Band passe directement à l'action. Après avoir joué Badlands, l'hymne pour les mécontents qui ouvre chaque concert, et issu de Darkness On The Edge Of Town, l'album de 1978, Springsteen réclame la chanson au thème similaire, The Ghost Of Tom Joad, une lamentation acoustique troublante de son album éponyme de 1995, mais jouée maintenant de façon plus dure par le groupe au complet. Au milieu de la chanson, il lève une main et le groupe s'arrête. "Essayons quelque chose d'un peu différent" dit-il. En quelques minutes, le refrain final est reconstruit autour d'une harmonie spontanée chantée par le groupe. "Ok, nous l'avons" annonce Springsteen, après l'avoir répété trois fois.

Une heure plus tard, le Toyota Centre est rempli d'un public composé en majorité d'américains blancs de la classe moyenne, qui ont entre 30 et 40 ans. Juste après 20 heures, les lumières s'éteignent. Le bruit de milliers de personnes qui entonnent "Broooooce" gronde comme le tonnerre.

Pendant les 02 heures et demi suivantes, Springsteen et le groupe font ce qu'ils ont fait chaque soir où ils ont travaillé durant ces quatre dernières décennies: jouer avec la passion et la puissance de ceux qui ont encore tout à prouver. La facilité que Bruce a exhibée pendant le soundcheck s'en est allée, faisant place à une intensité évangélique. Quand il tape des pieds, fait des glissades et charge, c'est comme si, d'une certaine manière, il avait arrêté le temps.

Pendant la chanson très Roy Orbison, Working On A Dream, il présente son ordre du jour. "Ici ce soir, nous construisons une maison dédiée à la musique" hurle-t-il comme un aboyeur de foire. "Nous avons le bon bois et le mauvais bois, les bonnes nouvelles et les mauvaises nouvelles".

Pour les "mauvaises nouvelles", il y a un triptyque de ses chansons les plus austères - Seeds, Johnny 99 et celle déjà mentionné plus haut ...Tom Joad: des chansons qui se situent au cœur des terres arides américaines. Leurs personnages, les opprimés et les dépossédés. La nouvelle version de ...Tom Joad est rallongée par un solo de Nils Lofgren, le guitariste-nain qui saute d'un pied sur l'autre, extirpant des vagues de notes hurlantes.

Le "bon bois" est partout ailleurs pour la plupart, notamment dans la partie des requêtes du concert. A ce moment-là, Springsteen ramasse des poignées de bannières dans la foule, chacune avec le titre d'une chanson écrite dessus - généralement- ancienne, très peu jouée. Il y a un grand sens théâtral à le voir montrer sa sélection avec exubérance, puis à regarder comment lui et le groupe redécouvrent littéralement leur passé.

"Vous venez juste de voir l'incroyable E Street Band qui agite les âmes, fait trembler la terre, fait prendre du Viagra", dit Springsteen à Houston, à la fin d'un rappel de six chansons. Et puis il est parti, le boulot est fait.

"Le concert commence à prendre une sorte de sens émotionnel" dit Bruce Springsteen, les yeux fermés comme s'il s'exprimait de mémoire. Nous sommes devant sa loge depuis une demi-heure. Toujours dans ses vêtements de scène, il est trempé de sueur, mais toujours excité. Il boit à petites gorgées dans un gobelet en polystyrène la goutte de Bourbon qu'il s'autorise après un concert. "Les gens savent ce qui se passe dehors, et si notre groupe peut vous donner quelque chose, c'est une petite matrice sur la façon dont vous pouvez trouver votre chemin à travers l'époque dans laquelle vous vivez. C'est notre service".

Il parle encore et puis lève les yeux, sortant de la rêverie où il se trouvait. ''Ok, les gars, on se revoit à Denver'' dit-il, en offrant une autre poignée de mains, qui vous serre comme un étau.

Alors que nous, journaliste de Q, nous nous préparons à retourner à notre hôtel, nous sommes interceptés par Barbara Carr, l'associée compétente de Jon Landau pour le management. Si nous convenons que les conversations privées resteront hors enregistrement, nous pourrions prendre l'avion pour Denver avec Springsteen et le groupe dans leur avion privé. Nous acceptons de nous revoir dans deux jours.

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Vendredi matin à Houston et l'équipe de Q est à bord d'un airbus loué à Air Canada, à un tarif horaire exorbitant. Les sièges sont de la taille de petits sofas. Le café et les pâtisseries sont servis par le personnel de bord, trois dames pas si mal. Un repas de bœuf rôti suivra après le décollage. L'enregistrement des bagages ou les contrôles de sécurité ont été insignifiants - un véhicule utilitaire nous a simplement emmenés rapidement de l'hôtel aux marches de l'avion.

"Vous vous y habituez" dit Steve Van Zandt, balayant l'avion d'un geste large. Van Zandt, consigliere de Springsteen depuis les tous premiers jours où ils jouaient de la musique dans les bars du New Jersey, est le plus sociable du E Street Band. Clarence Clemons, vêtu de noir de la tête aux pieds, passe pour dire "Bonjour, gentlemen de la presse", de sa voix de baryton, et chaque membre est aussi poli que le suivant, mais généralement ils gardent leur distance. Van Zandt, au contraire, a rapidement baptisé les trois hommes de chez Q, Larry, Curly et Mo, et maintient une présence par ses jacasseries. Il ressemble à Silvio Dante, le personnage qu'il a joué dans Les Sopranos, bien qu'il n'y ait pas le côté menaçant et qu'un bandana lui couvre la tête, plutôt que la perruque Pompadour qu'il porte pour ce rôle. Barbara Carr, qui est dans l'entourage de Springsteen depuis les années 70, dira plus tard qu'elle ne l'a jamais vu sans son bandana.

Springsteen et Scialfa sont les derniers à embarquer. Il porte la même tenue, veste-jeans-botte, que deux jours plus tôt. Nous sommes dans les airs depuis 10 minutes, lorsqu'il surgit à notre table. "Comment était Houston, les gars ?" demande-t-il. Étrange, franchement. "C'est une ville étrange", dit-il en riant. Il rit souvent, et en riant il émet des sifflements et des grognements qui font penser à l'enregistrement d'un aboiement de chiens dont la bande passerait à l'envers.

Le E Street Band, dit Springsteen, est venu à Houston pour la première fois en 1973. Ils ont voyagé en train depuis le New Jersey, ayant juré de ne pas prendre l'avion. Lors du voyage, Clemons a mis par terre, d'un seul coup de poing, un ivrogne qui hurlait constamment.

"Nous avons joué deux concerts dans un endroit qui s'appelait Liberty Hall" se souvient Springsteen. "Le truc que nous avions à l'époque, était de facturer le premier concert 1 $, et puis 5 $ pour le second. Le truc semblait fonctionner".

Voici d'autres choses glanées pendant la journée passée avec Bruce Springsteen: ses trois enfants lui ont récemment appris à télécharger sur iTunes, il aime bien aller dans un bar seul pour prendre une bière, quelque chose qu'il a hérité de son père, pour son 36ème anniversaire, il s'est rendu dans un club de strip-tease avec des potes, et a fait un tour appelé 'le drapeau' sur la barre des strip-teaseuses, et qui consistait à rester à l'horizontale pendant plusieurs secondes. "La femme aux cheveux roux s'assure que je ne fais plus ce genre de choses" dit-il en sifflant et grognant.

Pendant un moment, il collectionnait les clefs de chambres d'hôtel. "A l'époque où nous allions dans les petits Holyday Inn et qu'ils avaient des clefs de chambre en plastique. Je les avais accrochées sur un bout de cuir et de temps en temps, je les regardais pour voir où j'étais allé. Maintenant, il n'y a plus de clefs. C'est une honte - parce qu'elles permettaient de rendre toutes les choses tangibles".

Nous survolons les feux qui ont calciné plus de 40 hectares de terres arides du Texas et tué trois personnes, et les grandes plaines de l'Oklahoma et du Colorado, jusqu'à ce que les montagnes Rocheuses apparaissent à l'horizon. Au pied des Rocheuses se tient Denver. Cette ville est encadrée à l'ouest par les montagnes aux pics enneigés et à l'est par une vue aussi plate et monotone qu'une crêpe. Son ciel a la couleur du porridge.

Pendant les 40 minutes de trajet qui nous mènent en ville, Barbara Carr nous informe d'un nouveau changement dans nos plans - Springsteen a demandé à ce que nous fassions le vol retour avec lui jusque dans le New Jersey, où il va passer les fêtes de Pâques, et pour mener à bien une partie de l'interview, de peur que nous n'ayons pas suffisamment de temps avant le concert.

Le Pepsi Centre est une autre grande salle de sport en forme de cuvette. Ses rangées de sièges en pente raide lui donnent une importance impressionnante et les acclamations qui éclatent à l'extérieur, durant le soundcheck, suggèrent que le public y sera plus bruyant qu'à Houston. En coulisses, les choses sont exactement pareilles, sauf pour Nils Lofgren, un autre E Streeter qui s'est fait remplacer les hanches, et qui se promène à vélo.

Une heure avant le concert, Springsteen fait entrer Q dans son modeste vestiaire attitré. Deux cadres photos de Springsteen avec Terry Magovern sont posés sur une table basse. Il n'a pas fait grand chose d'autre pour personnaliser l'espace: un coup d'œil rapide se porte sur un réveil de voyage, un sac noir à bandoulière ouvert, qui révèle un tee-shirt froissé, un livre et un iPod. "Asseyez-vous, faites comme chez vous" dit-il.

Il part directement en mode interview, pas de banalités. Il réfléchit à chaque question avant de répondre, soupèse et choisit ses mots avec attention. Ses réponses, quand elles arrivent, sont longues et réfléchies. Il ne fait pas de mots d'esprit, ni ne raconte d'anecdotes, ni ne vous lâche des yeux.

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Vous avez construit le set pour qu'il résonne avec l'époque - en ouvrant avec Badlands, en reprenant le vieux standard folk américain, Hard Times Come Again No More...

Bien sûr. Le nouvel album a été écrit juste après Magic, avant la crise, pendant la campagne et l'élection du Président Obama... Et donc, quand nous sommes repartis en tournée, j'ai dit, 'Hé, ce qui se passe maintenant ne figure pas sur le nouveau matériel - j'ai besoin de choses qui introduisent l'époque immédiate' et j'ai trouvé ça sur Nebraska et ...Tom Joad, des disques que j'ai écrit bien avant. A la fin des années 70, mon beau-frère travaillait dans la construction. L'économie s'est cassée la gueule. Il a perdu son boulot et il est devenu concierge dans un lycée. C'est à ce moment-là que j'ai écrit The River et la plupart de cette musique. Ce matériel, comme cette chanson de Stephen Forster (Hard Times... écrite en 1854) finissent toujours par revenir.

Working On A Dream sonne comme un soulagement après Magic. C'était votre disque le plus furieux, n'est-ce pas ?

Et bien, il y avait tant de choses qui ont permis de se mettre en colère. Quand la Cour Suprême a arrêté de compter les votes (en Floride pendant l'élection présidentielle de 2000), c'était un véritable coup judiciaire. Puis les événements qui en ont découlés, la grande tragédie provient de cette décision... Les milliers de vies perdues. Pour mes amis qui ont survécu et payé le prix du Vietnam, les personnes que je connais qui ont été des soldats activistes, c'était une énorme tragédie. C'était rageant à voir. Comment les bonnes choses pour lesquelles vous vivez peuvent disparaître en un clin d'œil. Ce que je retiens de Woody Guthrie est que, si vous êtes là, alors vous êtes un joueur dans l'histoire, et vous n'avez qu'un bref instant pour jouer votre rôle. Pour demander: est-ce que je peux avoir un impact ? Même s'il n'est que minime.

Vous voyez ça comme une partie de votre travail - tenir un miroir sur ce qui se passe dans le monde ?

Il y a toujours l'histoire du canari-dans-la-mine. Mais je ne surjoue pas le rôle de la musique rock dans les événements mondiaux et dans la politique, je ne pense pas forcément qu'elle puisse avoir un profond impact. Mais elle a une certaine valeur. Et les artistes que j'aime sont les gars qui étaient prêts à affronter leur moment. Et puis, il faudrait regarder Elvis et vous dire que c'était l'un des artistes les moins rhétoriques et les plus révolutionnaires de tous les temps. Il a fallu attendre le milieu des années 60 avec If I Can Dream dans son émission Comeback Special pour voir apparaître ce qui peut être considéré comme une pensée politique à adopter. Au même moment, parce qu'il s'est rendu compte de la supériorité d'une bonne partie de la culture noire, et qu'il était assez courageux pour l'inclure dans son travail, voici un mec qui était un précurseur du mouvement des droits civiques, et qui a naturellement traversé les frontières raciales et sexuelles. Alors le contenu politique peut être des plus puissants, quand il n'est pas trop littéral. Je ne monte pas sur scène chaque soir avec un programme politique, au sens propre du terme. Nous avons un programme émotionnel avec lequel nous entrons en contact avec le public, et à travers lui, vous exprimez vos idées politiques de manière à ce qu'elles s'intègrent, et de façon naturelle, dans la vie des gens qui viennent vous voir.

Vous semblez être un homme dans l'urgence. Cette décennie, vous avez fait cinq albums, et vous avez tourné à chaque fois.

Un train qui avance focalise l'esprit. Chez certaines personnes, des pièces s'usent. Certaines peuvent être remplacées, d'autres non. Nous avons perdu des gars ces deux dernières années... Alors vous comprenez que le E Street Band est une chose limitée. Je veux dire, nous avons prévu de continuer jusqu'à ce que la terre s'ouvre sous nos pieds et, qu'en avançant, nous tombions dans ce trou. Selon moi, nous entrons dans un deuxième âge d'or de notre groupe. Nous faisons vraiment de bons albums, nous donnons de grands concerts. Si vous avez 15 ans, et que vous venez nous voir avec votre père ou votre grand frère, vous verrez un groupe aussi enflammé et convaincant que celui qu'ils ont vu en 1985. Ce sera différent, mais cette essence sera au centre du brasier de ce que nous faisons chaque soir. Et aussi longtemps que cette chose existera...

Ces personnes que vous avez perdues - Terry Magovern et Danny Federici. Comment leur disparition a-t-elle changé la dynamique du groupe ?

Terry, nos fans le connaissaient bien. Il a été là avec nous pendant 24 ans. Il était la dernière grande figure des bars de la côte du New Jersey, d'où nous venons tous. Il faisait partie des Navy Seals (nageurs de combats de la Marine américaine, ndt), il sortait les astronautes de l'eau. Et nous avons développé une longue amitié, très silencieuse mais très intense. Danny... je ne sais pas, 40 années à travailler ensemble, c'est long. Vous avez grandi avec ces mecs. Vous avez été témoin de leurs accidents, leurs ruines, leurs divorces, la naissance de leurs enfants... Mais nous étions plus chanceux que beaucoup d'autres. C'est une grande source de fierté - jusqu'à la fin de la dernière tournée, notre groupe était en vie et sur scène. Je ne sais pas combien de groupes de notre génération ou celle d'avant pourraient le dire. Nous avions des gars qui ont grandi et qui sont morts de choses dont les adultes meurent, les choses que la vie vous apporte à un certain moment. Ils me manquent terriblement, mais j'en suis très content - c'est la manière dont les choses doivent se passer.

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Nous parlons un peu de Glastonbury, où il va faire sa toute première apparition dans un festival du Royaume-Uni. Il y a été sensibilisé en lisant un article sur Joe Strummer qui y campait tous les ans. "J'ai rencontré Joe brièvement au bar de l'hôtel Sunset Marquis (à Los Angeles) au début des années 90" ajoute-t-il. "Il n'y avait que nous deux, chacun assis dans son coin, dans ce petit bar. J'ai été surpris qu'il connaisse la moindre de mes chansons. J'étais un si grand fan des Clash... Nous avons parlé pendant 20 minutes, et je ne l'ai jamais revu. J'ai aussi parlé à Chris Martin il y a un mois et il m'en a aussi beaucoup parlé. J'attends cet événement avec impatience".

Le réveil sur la table indique 19 heures 30. Je lui suggère qu'il veut peut-être s'arrêter pour se préparer pour le concert. "Je devrais probablement" dit-il en se relevant. "Nous causerons plus dans l'avion".

A Denver, acclamé par une foule de fanatiques, Springsteen et son groupe prennent feu. Ils s'enflamment sur Badlands, The Ties That Bind et Outlaw Pete (la nouvelle chanson la mieux intégrée dans un set qui change chaque soir) et ils ne relâchent pas la pression pendant près de trois heures. Tout à la fois, le chanteur contestataire, le prêcheur de l'enfer-et-de-la-damnation et l'âme du dur labeur, Springsteen les emporte d'un sommet à un autre. Arrive, pour finir, Glory Days, sous l'impulsion du moment, il demande au groupe "16 mesures de Louie, Louie" et ils entament le vieux standard comme si c'est la dernière fois qu'ils le jouaient. A ce moment précis, si quelqu'un vous disait que vous n'aviez jamais assisté à un meilleur spectacle de rock'n'roll, vous le prendriez au mot.

En coulisses, avec un grand sentiment de plénitude, le E Street Band se prépare à prendre des chemins différents pour les vacances. Van Zandt passe devant nous, encore en train de jacasser. Une voiture de golf passe bruyamment, à l'arrière de laquelle est assis un Clarence Clemons resplendissant, une canne dans la main, l'autre faisant un mouvement royal, ses deux jeunes assistantes marchant derrière lui. Il a le sourire d'un homme très heureux.

Q est rassemblé par une blonde provocante avec une voix qui pourrait ébranler des fondations. C'est la femme de Nils Lofgren, Amy. Très vite, elle tourne ses attentions vers un petit gentleman qui essaye de sortir furtivement. C'est le coiffeur du groupe. "As-tu coiffé Bruce, chéri ?" lui crie-t-elle. "Il est beau. Les cheveux de Nils, je dois avouer, pas si beau...".

Minuit et Springsteen, Scialfa et le manager de tournée, George Travis sont dans un des deux véhicules utilitaires qui prennent la route vers l'aéroport. Q et le responsable des relations publiques de Springsteen sont dans l'autre. Une escorte de police nous ouvre la route. Il n'y a que nous sept pour ce vol de quatre heures en direction du New Jersey.

De retour dans l'avion, Q prend place à l'arrière. Springsteen et Scialfa sont assis devant, recroquevillés l'un contre l'autre. Il est une heure du matin lorsque nous sommes dans les airs, et en moins de deux minutes, Springsteen est à côté de moi: "Nous devrions choisir un coin plus calme ?" demande-t-il, me dirigeant dans l'avion.

Nous sommes assis l'un à côté de l'autre dans des sièges profonds. Vu de près, de profil, il a un nez gentillement crochu, un menton fort et une légère sous-occlusion dentaire. Il y a de légères pattes d'oies autour de ses yeux, des touches de gris dans ses cheveux, mais à part ça, il est remarquablement bien conservé. Il s'enthousiasme sur le public de ce soir: "Aussi malin, aussi rusé, aussi connaisseur, et aussi inspirant que notre groupe puisse l'être durant... durant chaque soir, vous pouvez seulement aller jusqu'où le public est prêt à vous accompagner" dit-il.

Nous sommes interrompus par Scialfa, proposant de nous préparer une assiette de mets italiens, commandés chez un traiteur à Denver. "Plus tard, ma chérie" dit Springsteen, souriant. "D'abord, nous devons parler".

Un peu plus tôt, vous avez mentionné Elvis Presley et la façon dont il a absorbé la culture noire. Vous-même, vous faites le showman style-James Brown, plutôt bien ?

Oui, le groupe est une entreprise de divertissement (rires). Nous faisons partie du show-business, nous donnons un spectacle, vous savez. Si culturellement vous veniez du même endroit que moi, pour survivre vous auriez du jouer du doo-wop (onomatopée servant à désigner un genre musical, variante du rhythm & blues, et fortement influencé par le gospel, ndt) , pour que les "greasers" ne vous tuent pas, de la musique soul pour que vous puissiez jouer dans votre lycée devant une large population noire, et le son de la Motown parce que tout le monde écoutait ça - ça créait une atmosphère détendue sur la piste de danse. Tout ce que j'ai vu quand j'étais gosse, c'était des showmen. Les gars du doo-wop, Sam & Dave - ces personnes pensaient que le spectacle était un outil de communication. C'était une joie et l'amusement consistait, en partie, à être habillé en costume, à sortir et à aller faire le clown, prêcher, muscler le groupe et frapper ces chansons l'une après l'autre, à un rythme si dingue que le public ne pouvait pas reprendre sa respiration. Vous les laissiez épuisés et euphoriques. Avec mon groupe, j'ai voulu incorporer ces valeurs dès le début. Nous étions un groupe de rock'n'soul, nous faisons en sorte d'en rester un. Nous essayons d'assembler quelque chose qui fait que quand vous sortez à la fin du show, vous faites 'Wow'.

Vous avez toujours joué des sets épiques. Qui vous a donné cette éthique de travail ?

Ma mère. Dans des circonstances désastreuses, peu importe ce que la journée apportait, elle était cohérente. Et cette cohérence était tout ce que nous avions pour maintenir la stabilité, la vie de notre famille. Mec, nous avons vécu beaucoup de choses. Ma sœur était enceinte à 17 ans, mon père avait des problèmes - toujours endetté auprès des compagnies financières, empruntant d'une saison sur l'autre. A travers tout ça, ma mère a gardé une incroyable détermination à trouver... je suppose que vous seriez obligé de dire, la joie de vivre.

Vous avez trois enfants maintenant...

Mon fils ainé, Evan, est une grande source qui me permet de découvrir de nouveaux groupes rock. Il m'a branché sur Against Me !, Bad Religion, The Gaslight Anthem - qui viennent littéralement de notre ville, Red Bank. Il m'emmène à des concerts de punk-rock. Je le jette dans la fosse et m'en vais trouver le bar. J'étais contrarié, à cause de mon travail, de penser que mes enfants pourraient s'éloigner naturellement de la musique. J'étais très content de voir, qu'en lieu et place, ils soient sortis pour trouver leurs propres héros. Et que finalement, ils se sentaient suffisamment bien pour dire 'Hey, emmenons le vieux'. Ma fille est en plein dans le Top 40, Kanye West, Lady Gaga... Mon plus jeune fils aurait tendance à écouter un rock plus classique, ce qui est très intéressant. Un soir, je suis allé dans sa chambre et il s'endormait sur Chimes Of Freedom de Dylan. Il a 14 ans, il a levé la tête et a dit: 'Papa, c'est épique !'. J'ai fermé la porte et pensé, 'Bien, j'ai pas fais un si mauvais boulot !'.

L'album Tunnel Of Love de 1987 qui faisait suite au divorce de Springsteen avec sa première femme, Julianne Phillips était rempli d'un dégoût de soi-même. Reconnaissez-vous toujours ce type ?

Oui, bien sûr. Il n'y a personne que je ne reconnaisse pas en cet instant. Je les reconnais trop bien. Aucune partie de vous ne s'évanouit jamais. Ni le type qui a écrit Tunnel Of Love, ni le gamin de 10 ans, ni l'homme de 60 ans qui était sur scène ce soir. C'est comme si vous conduisez une voiture: personne ne descend et il y a toujours une dispute pour prendre le volant. Le type sur scène ce soir ? C'est le meilleur de moi-même, la promesse que je me suis faites. Vous voulez que ce gars soit au volant aussi souvent que possible...

Qu'avez-vous encore à accomplir ?

Ce n'est pas une question d'accomplissement, tout ne réside que dans les faits. Je suis un musicien et je fais de la musique. Concernant une quelconque noble intention ? J'aimerais honorer mon groupe. Je voudrais que cette chose reste vitale et actuelle et véritable dans la vie des gens. Je suppose que c'est une aspiration qui ne s'arrête jamais. C'est cette quête constante pour savoir comment vous pouvez servir votre public, votre famille, vos amis, avec autant de puissance que vous êtes capable de rassembler. Il n'y a pas nécessairement grand chose d'autre à la vie. Je parlais à quelqu'un il y a un bout de temps et j'ai dit, 'Vous regardez ma maison - Bruce Springsteen vit ici'. Un jour, ce sera 'Bruce Springsteen habitait ici'. Et un jour, plus personne ne se rappellera qui habitait ici. Ils passeront juste devant pour rejoindre l'autoroute. C'est ainsi que ça marche. Je me sens bien avec cette idée. La quête de l'immortalité ? Je vais la poursuivre aussi durement et aussi vite que le prochain mec, mais je ne vais pas mentir sur ce que j'ai encore en réserve. C'est une vie fantastique et j'ai eu la chance de pouvoir la vivre pleinement, et j'apprécie cette partie-là aussi.

Il a les yeux rougis et dans l'avion, il jette des regards mélancoliques vers sa femme. "Je pontifie, à l'infini" dit-il en s'excusant. J'éteins le magnéto, lui serre la main et le laisse partir. Les lueurs phosphorescentes des lumières de Chicago défilent au-dessous de nous, et tandis que les moteurs vrombissent, je commence à sommeiller. On donne un coup dans le siège à côté de moi.

"Je me suis battu comme un beau diable avec cette chose" dit Bruce Springsteen, posant son iPod sur la table. "Vous êtes libres de le parcourir...".

Une fouille à travers l'iPod de Bruce Springsteen révèle que tout est simplement étiqueté par genre - punk, folk, nouvelle country, ancienne country, etc... Il donne un rapide commentaire lorsqu'on s'arrête sur les morceaux les plus contemporains. "Fleet Foxes, Calexico, The National - grand groupe, grand chanteur. Anthony & The Johnsons - il est bon. Sigur Ros, Magnetic Fields - ce mec est un des plus grands auteurs au monde...".

Il parle des phases qu'il traverse: regarder des films pendant deux mois entiers, puis ne rien faire d'autre que lire. En ce moment, dit-il, il dévore la musique. Il me parle du magasin de disques de son quartier, "Jack's Records, Red Bank, qui emploie encore des gens qui sont dans la musique et qui savent ce que vous allez aimer". Il me demande de noter les titres des deux albums que j'ai mentionné plus tôt.

Pendant 20 minutes, il parle. Et puis, Patti, les yeux hagards de sommeil vient le récupérer. Il se lève et tend cette main ferme encore une fois. "Merci, mon gars" dit-il.

L'aube se lève sur le New Jersey quand nous atterrissons à l'aéroport de Newark. Nous montons encore une fois dans deux véhicules différents et suivons Bruce Springsteen en dehors de l'aéroport, sur le New Jersey Turnpike. Après trois kilomètres, sa voiture sort au panneau 'Nord du New Jersey'. La dernière chose que nous voyons du fils préféré de cet état, il roule vers l'horizon, ondulant sur la route.

Thanks Marianne

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NdT :La suite de cette interview n'a pas été publiée dans le magazine papier, mais seulement sur le site internet de Q.

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Vous avez trois enfants. Quand, pour la dernière fois, leur avez-vous dit "Baissez le volume, ce truc est nul" ?

Voyons voir... Je n'entends pas tout ce qu'ils écoutent. Mon plus jeune fils a été accro au véritable hard-gothique. J'écoutais parfois, Grrr !... Mais à cause de la façon dont j'ai grandi, où une grande partie de ce que je faisais était rejetée, si, au début, je ne l'entends pas, j'essaye de m'approcher un peu et de voir ce qui se passe. Mais ce n'est pas quelque chose que j'écoute dans ma voiture, vous savez. Ma fille aime la musique rap. Si un rapper passe à la radio, elle et ses copines montent à l'arrière de la voiture et elles chantent tout le truc; elles ont mémorisé la chanson en entier, y compris les "bips".

Quelle a été la première musique à vous inspirer en tant que musicien ?

Nos racines étaient pré-psychédéliques. L'approche bohémienne des Stones - un groupe que j'aime tant, et dont je suis un grand fan - n'avait pas beaucoup de sens dans la vie des gamins devant qui nous avons commencé à jouer. Ce qui avait du sens, c'était le soul man qui travaillait dur - les aspirations de la Motown, qui fait que si vous trouviez une façon de trouver votre place, vous pourriez être capable d'avancer un peu. C'étaient ces choses qui vous aidaient à tenir toute une nuit.

Plus tard, au milieu des années 60, il y a eu une influence psychédélique, et j'ai beaucoup joué du blues psychédélique, mais tout ce que j'ai vu quand j'étais gosse, c'étaient des showmen, les types qui faisaient du doo-wop. Pour moi, c'était un grand cadeau que j'ai eu la possibilité de voir et de recevoir en tant que jeune musicien. Avec mon groupe, j'ai voulu, dès le début, intégrer ces valeurs.

L'idée du show a perdu sa valeur légitime à cause de cette notion de bohème, considérée comme une trahison, et que j'ai toujours trouvé quelque peu éronnée. Car une fois que vous êtes sur scène, vous êtes au cœur du spectacle, mon ami, quoi que vous fassiez. Il y a certaines sortes de personnes que je voudrais ne pas voir faire mon spectacle, parce que celui-ci ne correspond pas à ce qu'elles sont. Mais l'idée - et elle reste bonne, et reste un pont vers votre public - était de présenter un spectacle avec l'intention d'avoir un niveau plus profond de communication et d'atteindre une vérité plus profonde.

Les groupes que j'ai aimés... l'incroyable rythmique de musiciens étroitement liés, l'aspect communautaire qui a permis à Sam & Dave, qu'ils se détestaient ou non, de chanter si bien ensemble. Dave chantait bas, Sam chantait haut et ils se rencontraient quelque part au milieu. Et c'est le ballet de l'existence et de la communion humaines. Et j'aime orchestrer ça chaque soir, avec les gars.

Je me souviens avoir vu Sam & Dave au Fast Lane à Asbury Park en 1973 ou '74, durant les dernières années où ils étaient ensemble, et ils étaient toujours aussi bons, vraiment bons. L'endroit était peut-être à moitié vide. Je suis resté là, à voir un miracle. En fait, j'ai pleuré, à cause de la beauté de ce qu'ils faisaient.

Une de vos chansons les plus émouvantes est la chanson bonus sur l'album Magic - Terry's Song, dédiée à votre assistant personnel pendant 24 ans, Terry Magovern, mort en 2007. Quel est votre premier souvenir de lui ?

La première chose que j'ai sue sur Terry Magovern, c'était qu'il m'avait viré d'un endroit qui s'appelait The Captain's Garter. C'était le manager. C'était un maitre-nageur légendaire de la côte du New Jersey et il a fini, comme la plupart de ces maîtres-nageurs, à faire le videur dans les bars, le soir, et a diriger cet endroit. Steve (Van Zandt) et moi y avons joué un soir. C'était plein à craquer et le public nous a adorés. On a pensé, 'Nous sommes fauchés et finalement nous avons ce concert - nous y sommes !'. Nous y sommes retournés et avons attendu à ce que ce type nous dise, 'Je vous veux ici tous les vendredi soirs'. Il a dit, 'Je ne peux pas vous avoir ici'. Quoi ? ! Il nous a dit, 'C'est un bar, espèces d'idiots - les gens sont censés boire, pas écouter de la musique'. Des années plus tard, il a commencé à travailler pour Clarence. Ces deux personnages, côte à côte, c'était vraiment quelque chose à voir - il y avait le plus grand homme blanc que vous ayez jamais vu à côté du plus grand homme noir jamais vu. Quand il s'est arrêté de travailler pour Clarence, il est venu travailler pour moi, pendant de longues années.

Vous avez dissout le E Street Band au début des années 90. Qu'est-ce qui vous a motivé à le reformer à la fin de cette décennie-là ?

Je trouvais que le groupe était quelque chose de très inachevé, et que nous avions encore beaucoup de choses à faire et à dire. Tout a commencé un soir, alors que je sortais d'une pizzéria et que deux gosses sont venus vers moi, ils avaient environ 20 ans, et ils m'ont dit, 'Nous sommes de grands fans et nous n'avons jamais vu le E Street Band'. Je me souviens avoir pensé, quelle était la raison (pour laquelle j'ai mis fin au groupe) ? Une des raisons était que je ne trouvais pas la direction que nous devions prendre pour la suite.

Mais nous nous sommes réunis pour jouer et j'ai écrit une chanson, Land Of Hope And Dreams et une autre, American Skin (41 Shots)... Ok, ces deux chansons auraient pu figurer sur ce que les gens considèrent comme n'importe quel grand album du E Street Band; je sais toujours écrire pour le E Street Band. Ces deux chansons parlent au pays en ce moment... Il y a toujours du travail à faire.

Depuis que le groupe s'est à nouveau réuni, une des choses les plus surprenantes que j'ai découvertes, concerne l'écriture de chansons, durant cette dernière décennie, elle me vient plus facilement qu'à n'importe quelle période de ma vie. J'ai été très productif. Ça ne m'a pas demandé d'effort. Il y a simplement, aujourd'hui, une merveilleuse liberté à écrire.

A votre avis, qu'est-ce qui rend un concert fantastique ?

Une public enthousiaste est un public enthousiasmant. Le public est un facteur décisif dans nos concerts. C'est un lieu de communion, c'est l'idée essentielle. Vous êtes en concert, vraiment, avec le public - il est l'autre instrument dont vous jouez.

C'est quelque chose que j'ai appris et étudié dès mon plus jeune âge, quand j'étais dans mon tout premier groupe, The Castiles. C'est un mécanisme de survie. Nous avons joué devant toutes sortes de publics - des inaugurations de supermarchés, des drive-ins, devant des publics 100% noirs, d'autres 100 % rock... Et nous savions comment survivre dans chaque situation en lisant ce public et, tout en restant dans le domaine de ce que nous désirions faire, comment l'atteindre. Donc, quand j'arrive le soir, je sais tout ce que je dois savoir sur les instruments que j'ai sur scène. Je monte sur scène chaque soir ne sachant absolument rien sur l'instrument le plus important - le public. Ça rend les choses intéressantes.

A Denver, vous avez demandé au groupe de vous jouer 16 mesures de Louie, Louie sous l'impulsion du moment et ils n'ont fait aucune fausse note...

C'est notre professionnalisme, ce dont je suis très fier - je ne pense pas que ce soit un gros mot. Les compétences de notre groupe. Leur habileté. Quand ces choses sont bien utilisées, elles apportent la puissance, l'énergie, la concentration, l'intention, le but, la communication pour signifier quelque chose à notre public. Je sais que je peux toujours me tourner vers eux et leur demander un truc comme ça, et le groupe le jouera du mieux possible. Nous laissons toujours ces portes grandes ouvertes.

Et pour la suite ?

Le réalisateur John Sayles, un de mes amis et un compatriote du New Jersey, a dit, 'Je ne me fais pas de souci sur la manière dont mes films seront perçus dans 10 ans - ils sont là pour offrir un service aujourd'hui'. Ce soir, nous étions là pour offrir un service, au Colorado. Et dans quelques jours, j'essayerai de faire la même chose dans une autre ville. Je ne sais pas où tout ça nous mène. J'ai ma fierté et mon égo, bien sûr, mais je veux tout simplement monter sur scène et faire mon travail, être avec les hommes et les femmes qui sont à mes côtés et servir ce public.

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Photographies John Wright

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