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Lors d'une soirée prometteuse de ce mois de février 2012, j'étais assis au Théatre Marigny à Paris avec quelques centaines de journalistes de toute la planète, tous rassemblés là dans un but sacré : écouter l'intégralité de Wrecking Ball, le nouvel album de Bruce Springsteen. J'imagine que Sony Records avait dû engager un important budget pour faire venir tous ces auteurs à Paris, mais c'est à un ensemble de circonstances qui remontent presque à quarante ans, que je devais le privilège d'être parmi eux ce soir-là. Alors que j'étais assis là à écouter cet album incroyable joué sur un système de diffusion digne d'un concert, je ne pouvais m'empêcher de me rappeler ma première rencontre avec Bruce Springsteen dans un petit club new-yorkais il y a quelques quarante ans, alors que nous étions tous deux de parfaits débutants (1) essayant de faire leurs preuves dans l’impitoyable ligue du business musical.
Wrecking Ball est un album inspiré, plein de grands hymnes de colère, de tristesse et de joie, et fut accueilli par les applaudissements de ce qui devait être le public le plus blasé de la planète - le noyau dur des journalistes rock. Puis, Bruce lui-même est apparu et a répondu aux questions pendant presque une heure. Il était confiant, drôle, et, je crois, il appréciait vraiment l'échange : riant de bon cœur, principalement de lui-même, et écoutant attentivement en essayant de répondre à toutes les questions qui lui étaient lancées. Pour une icône culturelle du XXIème siècle, Bruce Springsteen ne se prend pas trop au sérieux, mais il prend ses textes et sa musique très au sérieux et c'est la clé de son succès mérité. Plus tard, il se mêla au bar avec bon nombre de ces mêmes journalistes et sembla goûter cette expérience encore plus. Au cours de la soirée, il parla de la promesse qu'il avait faite à son public. Je pense personnellement qu'il a tenu cette promesse comme peu d'artistes de son envergure l'on fait, et je sais qu'il a aussi tenu une promesse tacite envers son vieil ami et rival d'un temps - moi.
Wrecking Ball est un album inspiré, plein de grands hymnes de colère, de tristesse et de joie, et fut accueilli par les applaudissements de ce qui devait être le public le plus blasé de la planète - le noyau dur des journalistes rock. Puis, Bruce lui-même est apparu et a répondu aux questions pendant presque une heure. Il était confiant, drôle, et, je crois, il appréciait vraiment l'échange : riant de bon cœur, principalement de lui-même, et écoutant attentivement en essayant de répondre à toutes les questions qui lui étaient lancées. Pour une icône culturelle du XXIème siècle, Bruce Springsteen ne se prend pas trop au sérieux, mais il prend ses textes et sa musique très au sérieux et c'est la clé de son succès mérité. Plus tard, il se mêla au bar avec bon nombre de ces mêmes journalistes et sembla goûter cette expérience encore plus. Au cours de la soirée, il parla de la promesse qu'il avait faite à son public. Je pense personnellement qu'il a tenu cette promesse comme peu d'artistes de son envergure l'on fait, et je sais qu'il a aussi tenu une promesse tacite envers son vieil ami et rival d'un temps - moi.
Trois ans plus tôt, par une belle nuit printanière, j'étais sur scène avec Bruce Springsteen et le E Street Band au Parc des Princes à Paris pour jouer Born To Run lors de leurs rappels. Il y avait quelque 60 000 fans extasiés reprenant la chanson en cœur mais je les remarquais à peine. Mes yeux étaient fixés sur mon fils de dix-huit ans Gaspard Murphy qui jouait la rythmique sur la Strat que lui avait prêtée Little Steven. Gaspard et Bruce étaient côte à côte sur scène et sur les nombreuses photos que les fans m'ont envoyées, où vous pouviez me voir sourire jusqu'aux oreilles avec toute la fierté d'un père. Après le concert, Bruce a mis son bras autour de Gaspard et a dit : "Hé, mister cool ! On aurait dit que tu fais ça tous les soirs". Je repensais à comment ma vie m'avait conduit à ce moment époustouflant, sur scène avec Bruce, mon fils et (ce qui semblait être) la moitié de Paris, ma ville d'adoption, devant moi. Et je me souvins de la première fois où j'avais entendu mentionner le nom de Bruce Springsteen; c'était il y a longtemps, en 1972...
En ces temps très lointains, j'avais 22 ans et il me tardait de fuir ces banlieues blanches petit-bourgeois de Long Island dans lesquelles j'avais grandi. Par chance, ma sœur Michelle était hôtesse de l'air à la Pan Am; elle réussit à me trouver un billet bon marché et c'est ainsi que je me suis envolé pour l’Europe avec mes cheveux longs et une guitare Martin, comme des milliers d'autres soit-disant hippies. Je cherchais le grand frisson mais quelque chose est arrivé lors de ce voyage à travers toute l'Europe qui dura presque un an : quelque force créative a été libérée en moi et je me suis mis à écrire des chansons et à les jouer partout où je le pouvais, des cafés du vieux Lausanne au métro parisien. Un bref détour me conduisit à Rome où je trouvai une place au culot dans un film de Fellini, mais mon plan d'action était établi : j'allais ramener mes chansons à New York, signer un contrat d'enregistrement et devenir (quoi d'autre ?)... Une rock-star !
En ces temps très lointains, j'avais 22 ans et il me tardait de fuir ces banlieues blanches petit-bourgeois de Long Island dans lesquelles j'avais grandi. Par chance, ma sœur Michelle était hôtesse de l'air à la Pan Am; elle réussit à me trouver un billet bon marché et c'est ainsi que je me suis envolé pour l’Europe avec mes cheveux longs et une guitare Martin, comme des milliers d'autres soit-disant hippies. Je cherchais le grand frisson mais quelque chose est arrivé lors de ce voyage à travers toute l'Europe qui dura presque un an : quelque force créative a été libérée en moi et je me suis mis à écrire des chansons et à les jouer partout où je le pouvais, des cafés du vieux Lausanne au métro parisien. Un bref détour me conduisit à Rome où je trouvai une place au culot dans un film de Fellini, mais mon plan d'action était établi : j'allais ramener mes chansons à New York, signer un contrat d'enregistrement et devenir (quoi d'autre ?)... Une rock-star !
Bien sûr, le point de départ de l'escalade du Mont Olympe où les vieux Dylan, Jagger et Lennon vivaient était à Broadway, qui abritait la plupart des maisons de disques. Par un incroyable coup du sort, je me suis retrouvé dans le bureau de Paul Nelson, qui était directeur de A&R à Mercury Records, prêt à lui faire écouter ma démo qui comprenait Last Of The Rock Stars, How's The Family, White Middle Class Blues et quelques autres morceaux originaux déjà testés sur la route dans les rues d'Europe. Paul Nelson était une figure légendaire du monde de la musique avant même de devenir un découvreur de talents pour Mercury. Il a fait ses armes avec Dylan à Minneapolis et avait lancé un des premiers magazines folk, The Little Sandy Review, vers la fin des années 50 au tout début de l'explosion du genre. A l'époque où je l'ai rencontré, il était à fond dans la scène rock new-yorkaise des 70's et essayait désespérément de signer les New York Dolls sur Mercury.
Paul apprécia ma démo bien qu'avec les lunettes noires, la casquette en tweed et les cigares Sherman, il était difficile de savoir ce qu'il pensait. Immédiatement, il apparut que nous aimions la même musique, les mêmes films et les mêmes livres, et nous nous accordions à dire que le Loaded du Velvet Undergroung s'approchait du disque parfait. Quelques semaines plus tard, Paul me donna un acétate (un disque test à durée de vie limitée) d'un double album live à venir du Velvet Underground, intitulé Live 1969 et me demanda de rédiger les commentaires pour la pochette, ce que je fis. Ce jour-là, Paul Nelson me confia un autre album que je devrais écouter attentivement, selon lui : un exemplaire test de Greetings From Asbury Park par un nouvel auteur-compositeur du nom de Bruce Springsteen, qui apparaissait sur la pochette de l'album avec une barbe et une expression absorbée.
Paul apprécia ma démo bien qu'avec les lunettes noires, la casquette en tweed et les cigares Sherman, il était difficile de savoir ce qu'il pensait. Immédiatement, il apparut que nous aimions la même musique, les mêmes films et les mêmes livres, et nous nous accordions à dire que le Loaded du Velvet Undergroung s'approchait du disque parfait. Quelques semaines plus tard, Paul me donna un acétate (un disque test à durée de vie limitée) d'un double album live à venir du Velvet Underground, intitulé Live 1969 et me demanda de rédiger les commentaires pour la pochette, ce que je fis. Ce jour-là, Paul Nelson me confia un autre album que je devrais écouter attentivement, selon lui : un exemplaire test de Greetings From Asbury Park par un nouvel auteur-compositeur du nom de Bruce Springsteen, qui apparaissait sur la pochette de l'album avec une barbe et une expression absorbée.
J'ai ramené l'album à Long Island et ce que j'entendis me fascina. Dans ses textes, Bruce avait réussi à planter un décor romantique pour ses histoires, plongées dans les banlieues du New Jersey, assez semblable à ce que je faisais avec le décor de Long Island, et ses jeux de mots étaient vraiment inventifs et évocateurs. Lui et moi venions d'horizons musicaux différents, mes racines se trouvaient dans le Velvet tardif, le Dylan électrique, avec occasionnellement une influence Stones, alors que Bruce tournait autour de riffs jazzy à la Van Morrison, avec un swing rythm'n'blues latent. Malgré tout, je savais que j'avais trouvé une âme sœur dans ses mots, sa vision de l'amour et de la rédemption, son romantisme doux-amer. Autant de bons présages si des albums comme le sien devaient être produits, pensais-je.
Quelques mois plus tard, début 1973, Paul Nelson m'emmena voir jouer Bruce au légendaire Max's Kansas City, le club où le Velvet Underground avait livré sa dernière bataille l'été précédent et où je commencerais moi-même à donner des concerts sur les cinq années suivantes. Je me souviens de l’énergie et du professionnalisme incroyable de Bruce sur cette petite scène. Maintenant, en plus d'être un auteur-compositeur stupéfiant, ce type s'avérait être une véritable bête de scène. Âme sœur ou non, Paul me conduisit auprès de Bruce, nous nous sommes serrés la main et nous sommes regardés dans les yeux, et je suis heureux de dire que nous sommes toujours restés amis depuis. Nous avons le même âge - promo de 1949 - et sommes tous deux issus des banlieues entourant Manhattan - lui des côtes du New Jersey et moi des plaines de Long Island - et les lumières aveuglantes de la grande ville (2) nous ont tous deux poussés à prendre position au cœur de la jungle (3).
Quelques mois plus tard, début 1973, Paul Nelson m'emmena voir jouer Bruce au légendaire Max's Kansas City, le club où le Velvet Underground avait livré sa dernière bataille l'été précédent et où je commencerais moi-même à donner des concerts sur les cinq années suivantes. Je me souviens de l’énergie et du professionnalisme incroyable de Bruce sur cette petite scène. Maintenant, en plus d'être un auteur-compositeur stupéfiant, ce type s'avérait être une véritable bête de scène. Âme sœur ou non, Paul me conduisit auprès de Bruce, nous nous sommes serrés la main et nous sommes regardés dans les yeux, et je suis heureux de dire que nous sommes toujours restés amis depuis. Nous avons le même âge - promo de 1949 - et sommes tous deux issus des banlieues entourant Manhattan - lui des côtes du New Jersey et moi des plaines de Long Island - et les lumières aveuglantes de la grande ville (2) nous ont tous deux poussés à prendre position au cœur de la jungle (3).
Paul Nelson ne fut pas en mesure de me signer moi en plus des New York Dolls - le lourd maquillage glam triompha des textes sur Gastby le Magnifique - mais je trouvai vite un meilleur contrat chez Polydor Records et enregistrais bientôt mon propre premier album, Aquashow, appuyé par des musiciens incroyables dont mon frère Matthew à la basse, l'ancien batteur des Byrds Gene Parsons et le vétéran d'Highway 61 Frank Owens aux claviers. Peter Siegel, qui connaissait Paul Nelson depuis les années folk de Greenwich Village, produisit l'album. Lorsque l'enregistrement fut enfin terminé, je crois qu'une des premières personnes à qui je l'ai fait écouter était Paul Nelson, qui esquissa le plus vague des sourires, ce qui voulait dire, bien sûr, qu'il adorait. J'étais, pour dire le moins, soulagé. Paul promit de faire son possible pour aider à faire parler d'Aquashow.
En réalité, il fit bien plus lorsqu'il le chroniqua lui-même aux côtés du deuxième album de Bruce Springsteen, The Wild, The Innoncent & The E Street Shuffle, dans une double critique pour la bible du rock - le magazine Rolling Stone - sous le titre: "Les meilleurs nouveaux Dylan depuis 1968". Lorsque la chronique parut, une frénésie médiatique incroyable fleurit autour de Bruce et moi, et c'est de là que provient le surnom de "Nouveau Dylan". Bob Dylan touchait lui-même un peu le fond à l'époque où tout le monde cherchait un successeur, quelqu'un pour reprendre la couronne et s'autoproclamer "Empereur de la 4e Rue (4)", ou une ineptie du même ordre. Bien sûr, j'étais ravi qu'Acquashow soit comparé à Blonde On Blonde ou Highway 61, mais je n'avais ni l'intention ni le désir de remplacer Dylan en quoi que ce soit. J'étais son plus grand fan et tout ce que je voulais était qu'il continue à sortir des classiques et qu'il ne soit remplacé par personne, pas même moi. Et c'est ce qu'il fit bientôt avec Blood On The Track et Desire. Je ne sais pas comment Bruce prit la comparaison mais peut-être pourrions-nous tous les deux secrètement nous enorgueillir d'avoir remis Bob Dylan en selle après qu'il eut senti ces deux jeunes loups affamés lui grignotant les basques. Du moins, j'aime à penser que c'est le cas.
En réalité, il fit bien plus lorsqu'il le chroniqua lui-même aux côtés du deuxième album de Bruce Springsteen, The Wild, The Innoncent & The E Street Shuffle, dans une double critique pour la bible du rock - le magazine Rolling Stone - sous le titre: "Les meilleurs nouveaux Dylan depuis 1968". Lorsque la chronique parut, une frénésie médiatique incroyable fleurit autour de Bruce et moi, et c'est de là que provient le surnom de "Nouveau Dylan". Bob Dylan touchait lui-même un peu le fond à l'époque où tout le monde cherchait un successeur, quelqu'un pour reprendre la couronne et s'autoproclamer "Empereur de la 4e Rue (4)", ou une ineptie du même ordre. Bien sûr, j'étais ravi qu'Acquashow soit comparé à Blonde On Blonde ou Highway 61, mais je n'avais ni l'intention ni le désir de remplacer Dylan en quoi que ce soit. J'étais son plus grand fan et tout ce que je voulais était qu'il continue à sortir des classiques et qu'il ne soit remplacé par personne, pas même moi. Et c'est ce qu'il fit bientôt avec Blood On The Track et Desire. Je ne sais pas comment Bruce prit la comparaison mais peut-être pourrions-nous tous les deux secrètement nous enorgueillir d'avoir remis Bob Dylan en selle après qu'il eut senti ces deux jeunes loups affamés lui grignotant les basques. Du moins, j'aime à penser que c'est le cas.
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Bruce n'était pas aussi tourmenté par la malédiction du Nouveau Dylan que je ne l'étais, probablement parce qu'il ne jouait pas comme moi d'harmonica et que son chant aux accents scat devait plus à Van Morrison que mes propres plaintes nasales Dylanesques. Alors que ma carrière stagnait momentanément dans le triangle des Bermudes du Nouveau Dylan - Nouveau Lou Reed - F. Scott Fitzgerald du rock, Bruce taillait la route et s'établissait comme un infatigable guerrier des tournées rock. Nous ne nous sommes pas beaucoup vus pendant des années alors que je changeais rapidement de maison de disques, passant de Polydor à RCA, où j'enregistrai Lost Generation et Night Lights, puis enfin chez Columbia, le même label que Bruce, pour la sortie de mon quatrième album, Just a Story From America. Bruce avait des déboires judiciaires avec son ancien manager qui mirent sa carrière de studio en suspens pendant environ un an. Il avait trouvé le manager et producteur idéal en la personne de Jon Landau, ancien critique rock et proche ami de Paul Nelson qui écrivit la célèbre phrase "J'ai vu l'avenir du rock'n'roll et son nom est Bruce Springsteen" dans une chronique. Je ne sais pas si Columbia m'avait signé pour couvrir sa mise au cas où Bruce resterait coincé dans les tribunaux pendant des années, mais j'ai entendu des rumeurs de cet ordre.
Alors qu'il était plongé dans ces affres judiciaires, Bruce donna une série de concerts à Red Hook, dans le New Jersey - ce devait être en 1976 - qui généraient un buzz énorme. Mon manager me conduisit un soir dans le New Jersey en limousine pour assister à un des concerts de Bruce, et c'était tout ce qu'on en disait et même plus. L'éclairage scénique était tout simplement incroyable, comme un décor sorti de West Side Story, et quand Bruce monta sur les planches, c'était comme si Brando, Pacino, Dylan et Dean avaient fusionné. Son chant couvrait tout l'éventail du spectre, du lyrique au murmure intime, et le E Street Band était devenu un des groupes les plus carrés et les plus solides sur scène. Le show tout entier était époustouflant et j'étais transporté. Après les derniers rappels, je descendis dans les loges et Bruce lui-même vint bientôt dire bonjour. Malgré un tel triomphe, il était toujours ce type humble et pondéré que j'avais rencontré quelques années plus tôt. Nous bûmes une bière ensemble et promîmes de rester plus en contact.
Au cours des quelques années qui suivirent notre double chronique dans Rolling Stone, il y eu, je suppose, une sorte de rivalité tacite entre nous - qui serait la nouvelle sensation ? - et, bien qu'aucun de nous deux ne prenait ceci vraiment au sérieux, il y avait des journalistes qui essayaient de nous opposer et qui se divisaient en deux camps belliqueux. Mais ce soir-là, sur le chemin du retour vers New York, ce pouvait bien être moi assis à l'arrière de cette longue limousine noire, mais je savais au fond de mon cœur qui allait prendre la couronne du rock'n'roll et ce n'était pas moi. Cette nuit à Red Hook avait été comme un master-class de performance rock, un cours sur la manière de jouer devant votre public et de respecter vos fans. Il me fallut des années pour digérer bon nombre de ces leçons et le fait que je continue aujourd'hui à donner une centaine de concerts par an doit beaucoup à ce que j'ai appris des concerts de Bruce et de son amitié.
Alors qu'il était plongé dans ces affres judiciaires, Bruce donna une série de concerts à Red Hook, dans le New Jersey - ce devait être en 1976 - qui généraient un buzz énorme. Mon manager me conduisit un soir dans le New Jersey en limousine pour assister à un des concerts de Bruce, et c'était tout ce qu'on en disait et même plus. L'éclairage scénique était tout simplement incroyable, comme un décor sorti de West Side Story, et quand Bruce monta sur les planches, c'était comme si Brando, Pacino, Dylan et Dean avaient fusionné. Son chant couvrait tout l'éventail du spectre, du lyrique au murmure intime, et le E Street Band était devenu un des groupes les plus carrés et les plus solides sur scène. Le show tout entier était époustouflant et j'étais transporté. Après les derniers rappels, je descendis dans les loges et Bruce lui-même vint bientôt dire bonjour. Malgré un tel triomphe, il était toujours ce type humble et pondéré que j'avais rencontré quelques années plus tôt. Nous bûmes une bière ensemble et promîmes de rester plus en contact.
Au cours des quelques années qui suivirent notre double chronique dans Rolling Stone, il y eu, je suppose, une sorte de rivalité tacite entre nous - qui serait la nouvelle sensation ? - et, bien qu'aucun de nous deux ne prenait ceci vraiment au sérieux, il y avait des journalistes qui essayaient de nous opposer et qui se divisaient en deux camps belliqueux. Mais ce soir-là, sur le chemin du retour vers New York, ce pouvait bien être moi assis à l'arrière de cette longue limousine noire, mais je savais au fond de mon cœur qui allait prendre la couronne du rock'n'roll et ce n'était pas moi. Cette nuit à Red Hook avait été comme un master-class de performance rock, un cours sur la manière de jouer devant votre public et de respecter vos fans. Il me fallut des années pour digérer bon nombre de ces leçons et le fait que je continue aujourd'hui à donner une centaine de concerts par an doit beaucoup à ce que j'ai appris des concerts de Bruce et de son amitié.
Au début des années 80, alors que le terme d'auteur-compositeur était un vilain mot et que la radio semblait déborder de punk, de new wave et de disco, j'ai joué dans un petit club du nom de The Alley à Asbury Park, la ville d'origine mythique de Bruce, qui se montra au concert. Plus tard, cette nuit-là, nous nous sommes rendus dans sa ferme de location et avons parlé musique jusqu'au petit matin. C'était avant qu'il ne se marie et qu'il fonde une famille et Bruce vivait vraiment seul avec sa musique - sans autre bagage. En fait, il me dit que quand il quittait ces maisons de location et reprenait la route, il laissait tous les meubles qu'il avait achetés derrière lui, afin de ne pas s’encombrer. Il ajouta qu'avec les droits de The River, il s'était offert deux objets chéris : un piano à queue et une Corvette décapotable. Ses priorités étaient celles de l'homme parfait ! Lorsqu'il me fit visiter la spacieuse demeure, je fus stupéfait de trouver la salle de répétition du groupe dans le séjour - la pièce la plus agréable de la maison; c'était là que tout le matériel était installé, du saxophone de Clarence à la Telecaster de Bruce, en passant par la batterie de Max, la basse de Garry, les amplis de Steve, l'accordéon de Danny et les claviers de Roy.
Plus tard, nous avons mangé des sandwichs steak-fromage Philly (ne me demandez pas ce que c'est !) et Bruce me passa un peu de la musique qu'il écoutait. Il était à fond dans les Sex Pistols à l'époque et me fit également écouter un morceau de sa propre composition Roulette, qui transpirait la même passion et la même énergie que le punk. Je ne fus pas surpris quand Bruce inclut Johnny Rotten parmi ses dix chanteurs rock préférés de tous les temps dans un étude récente de Rolling Stone. Souvent, quand je demande à Bruce ce qui l'occupe, il me dit qu'il écoute beaucoup de musique et je crois que c'est ce qu'il fait et qu'il a toujours fait. Mentionnez un groupe ou un chanteur à Bruce et neuf fois sur dix il est capable de chanter le refrain d'au moins une de leurs chansons - sans exagérer.
Plus tard, nous avons mangé des sandwichs steak-fromage Philly (ne me demandez pas ce que c'est !) et Bruce me passa un peu de la musique qu'il écoutait. Il était à fond dans les Sex Pistols à l'époque et me fit également écouter un morceau de sa propre composition Roulette, qui transpirait la même passion et la même énergie que le punk. Je ne fus pas surpris quand Bruce inclut Johnny Rotten parmi ses dix chanteurs rock préférés de tous les temps dans un étude récente de Rolling Stone. Souvent, quand je demande à Bruce ce qui l'occupe, il me dit qu'il écoute beaucoup de musique et je crois que c'est ce qu'il fait et qu'il a toujours fait. Mentionnez un groupe ou un chanteur à Bruce et neuf fois sur dix il est capable de chanter le refrain d'au moins une de leurs chansons - sans exagérer.
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Bruce et moi avons concrètement chanté ensemble pour la première fois en 1992 lorsqu'il m'invita sur la scène de Bercy à Paris, presque vingt ans après notre première rencontre. Il suggéra que nous jouions ma chanson Rock Ballad de l'album Just a Story From America. C'était un moment extraordinaire pour moi et je dois admette que j'étais nerveux à mort. Lorsque je suis monté sur scène avec l'assistant ô combien regretté de Bruce, le fantastique Terry Magovern, je crois que je tremblais ostensiblement et Terry a posé sa grosse main sur mon épaule et dit: "Elliott, c'est comme dans le temps, y'a seulement plus de gens". Ceci me détendit immédiatement et Bruce et moi avons attaqué la chanson devant 18 000 fans, comme si nous étions de retour au Max's Kansas City. Entendre nos voix ensemble tenait de l'épiphanie - le mélange était meilleur que ce que j'aurais pu imaginer. Ainsi, lorsqu'il fut temps pour moi d'enregistrer un nouvel album, j'écrivis une chanson, Everything I Do (Leads Me Back To You), pour que nous la chantions ensemble et espérai que Bruce accepterait mon idée de duo. Je vivais à Paris depuis quelques années et lors de mon retour suivant aux États-Unis, je me rendis dans le New Jersey pour jouer en personne à Bruce la démo de ma chanson. Il était amusant que nous nous retrouvions dans sa voiture à écouter la cassette - c'était un instant tiré de Rock Dreams, les deux "Nouveaux Dylan" assis dans une Jeep sous la pluie, au fin fond du New Jersey, les balais d'essuie-glaces battant la mesure. Bruce écouta ma chanson en entier et dit : "Ouais, je pourrais chanter quelque chose là-dessus".
Je m'attendais à ce qu'il ne fasse que des chœurs sur le refrain mais, lorsqu'il me retourna les cassettes, il avait non seulement chanté sur les refrains, mais il avait de surcroit ajouté un couplet tout seul, parlant de comment vous continuiez à rouler même quand les pneus étaient à plat. Je crois qu'il ne pouvait résister à la métaphore automobile. Et une nouvelle fois, il tint sa promesse, prouvant superbement son amitié et sa générosité à mon égard. Et l'avoir sur mon album Selling The Gold introduisit ma musique dans le monde de ses fans. Un mois durant, Everything I Do (Leads Me Back To You) fut la chanson la plus téléchargée sur Internet, dans ses premiers temps des téléchargements numériques.
Nous sommes en 2012 et, alors que j'écris ceci, je ne suis qu'à quelques jours d'une tournée espagnole - huit concerts d'affilée - suivie par des dates en Belgique, aux Pays-Bas, en France et en Suisse. Je dois admettre que je suis quelque peu nerveux car je dois donner quinze concerts en un mois et que j’approche d'un âge où beaucoup de ceux de ma génération pensent à raccrocher. Mais ce n'est pas au programme pour moi, car j'imagine que si Bruce peut continuer à monter sur scène, alors Elliott le peut aussi. Je ne sais pas si nos chemins se croiseront pendant qu'il est en tournée avec le E Street Band cet été et que je poursuis mon interminable périple de troubadour, ni si j'aurai le plaisir d'être invité sur un de ses concerts mais si c'est le cas, vous pouvez être sûr que je me souviendrai des mots rassurants de Magovern : "C'est comme dans le temps...".
Je m'attendais à ce qu'il ne fasse que des chœurs sur le refrain mais, lorsqu'il me retourna les cassettes, il avait non seulement chanté sur les refrains, mais il avait de surcroit ajouté un couplet tout seul, parlant de comment vous continuiez à rouler même quand les pneus étaient à plat. Je crois qu'il ne pouvait résister à la métaphore automobile. Et une nouvelle fois, il tint sa promesse, prouvant superbement son amitié et sa générosité à mon égard. Et l'avoir sur mon album Selling The Gold introduisit ma musique dans le monde de ses fans. Un mois durant, Everything I Do (Leads Me Back To You) fut la chanson la plus téléchargée sur Internet, dans ses premiers temps des téléchargements numériques.
Nous sommes en 2012 et, alors que j'écris ceci, je ne suis qu'à quelques jours d'une tournée espagnole - huit concerts d'affilée - suivie par des dates en Belgique, aux Pays-Bas, en France et en Suisse. Je dois admettre que je suis quelque peu nerveux car je dois donner quinze concerts en un mois et que j’approche d'un âge où beaucoup de ceux de ma génération pensent à raccrocher. Mais ce n'est pas au programme pour moi, car j'imagine que si Bruce peut continuer à monter sur scène, alors Elliott le peut aussi. Je ne sais pas si nos chemins se croiseront pendant qu'il est en tournée avec le E Street Band cet été et que je poursuis mon interminable périple de troubadour, ni si j'aurai le plaisir d'être invité sur un de ses concerts mais si c'est le cas, vous pouvez être sûr que je me souviendrai des mots rassurants de Magovern : "C'est comme dans le temps...".
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NOTES
(1) Référence au film Absolute Beginners de Julien Temple.
(2) Référence au roman de Jay McInerney, Bright Light, Big City (Journal d'un oiseau de nuit).
(3) Référence au morceau Jungeland de Bruce Springsteen, sur l'album Born To Run.
(4) Référence au morceau Positively 4th Street, de Bob Dylan, enregistré en 1965.
(2) Référence au roman de Jay McInerney, Bright Light, Big City (Journal d'un oiseau de nuit).
(3) Référence au morceau Jungeland de Bruce Springsteen, sur l'album Born To Run.
(4) Référence au morceau Positively 4th Street, de Bob Dylan, enregistré en 1965.
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