Par Dennis Lehane



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Quand j'ai eu 14 ans au cours de l'été 1979, j'ai été marqué par trois influences galvanisantes – lire le chef-d’œuvre urbain de Richard Price, The Wanderers, voir Mean Streets de Martin Scorsese et entendre Jungleland de Bruce Springsteen, tiré de son album de 1975, Born To Run.

J'ai grandi à Dorchester, un quartier ouvrier de Boston qui partageait beaucoup de choses en commun avec New York. Hull, Massachusetts, vers le sud sur la côte, était notre Asbury Park à nous, donc Jungleland avait du sens. C'est une grande épopée sur des vies minuscules et désespérées, et en tant qu'écrivain, j'ai ressenti une envie ardente de devenir lyrique au sujet de petites choses.

Cet été 1979, je vivais dans la salle de jeux que mes parents avaient aménagée dans le sous-sol de leur maison – un rite de passage pour mes trois autres frères et moi. J'étais le plus jeune, et, pour mon anniversaire, mon frère Tom m'a donné un bon d'achat pour un magasin de disques de Boston. Je l'ai utilisé pour acheter Born To Run, et la puissance cinématographique de Jungleland m'a envahie : "On a fêté les Rangers / Tard dans la nuit hier à Harlem / Et Magic Rat a conduit sa machine élégante au-delà des limites du New Jersey". Il y avait également "la fille aux pieds nus assise sur le capot d'une Dodge", que j'arrive encore à visualiser 35 ans après.

La musique démarre délicatement avec des violons et se construit sans interruption, couverte par des instruments qui se percutent au moment ou Bruce chante "au Pays de la Jungle". Un orgue se fait entendre, la chanson gagne en intensité et le ressenti est mythique. Au milieu de la chanson, le solo de saxophone de Clarence Clemons ralentit les choses, annonçant la disparition de Magic Rat "dans les tunnels des beaux quartiers". J'ai commencé à écrire avec sérieux à l'age de 15 ans, et Jungleland – une love story fluorescente entre deux âmes condamnées – a été une grande influence.

Au fil du temps, j'ai rencontré Bruce à deux reprises, dans les loges, après un concert. La première fois, il portait un épais gilet en cuir, avec de la sueur qui dégoulinait des coutures à l'arrière. Quand j'écris, je pense souvent à ces gouttes qui coulent des rebords du gilet en cuir et à leur message implicite : Si le travail vient trop facilement, c'est que quelque chose ne va pas.

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NOTES

Ce texte a été publié le 16 septembre 2014 dans le Wall Street Journal par Dennis Lehane (1965), écrivain américain, dont tous les romans ont sa ville natale de Boston pour cadre. Il est l'auteur, entres autres, de Mystic River, Gone Bay Gone ou Shutter Island.


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