New York, 19 juin 2018



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Je n'ai jamais pensé que le public venait à mes spectacles, ou à mes concerts, pour qu'on lui raconte quoi que ce soit.

Mais je pense vraiment que le public vient pour qu'on lui rappelle certaines choses. Pour qu'on lui rappelle qui il est, dans ce qu'il a de plus joyeux, de plus profond, lorsque la vie semble comblée. C'est un endroit idéal pour se connecter à son cœur et à son esprit, pour se trouver au milieu de la foule. Il vient pour qu'on lui rappelle qui nous sommes et qui nous pouvons être collectivement. Parfois, la musique fait assez bien les choses, particulièrement ces derniers jours, quand on nous rappelle que ce que nous sommes, et ce que nous pouvons être, ne serait pas une si mauvaise chose.

Au cours de ce week-end de la Marche pour nos vies (1), nous avons vu ces jeunes gens à Washington, et des citoyens tout autour du monde, nous rappeler à quoi peut ressembler la foi aux États-Unis, et la foi réelle dans la démocratie américaine. C'était encourageant de voir toutes ces personnes, dehors dans la rue, et toute cette passion justifiée au service de quelque chose de bon. Et de voir que cette passion était vivante, et juste, et encore présente au sein du cœur battant de notre pays.

C'était une bonne journée, et une journée nécessaire car, en ce moment, nous voyons des choses se passer à la frontière américaine, d'une inhumanité si choquante et si scandaleuse, et si contraire à l'Amérique, que c'en est tout simplement révoltant. Et nous avons entendu des hommes politiques haut placés dans le gouvernement américain blasphémer, au nom de Dieu et du pays, que c'est une chose morale de violenter des enfants qui se trouvent parmi nous. Que Dieu puisse sauver nos âmes.

Il y a une magnifique citation du Dr. [Martin Luther] King qui dit que l'arc de l'univers moral est long, mais il penche vers la justice. Ces derniers jours, il y a eu beaucoup, beaucoup d'exemples où il était permis d'en douter. Mais j'ai vécu assez longtemps pour voir cet arc en action, et pour y voir de la foi. Mais j'ai également assez vécu pour savoir que cet arc ne se penche pas tout seul. Il a besoin que chacun de nous l'aide à plier, à le pousser dans la bonne direction, jour après jour. Vous devez continuer, continuer à le faire pencher.

Je pense qu'il est important de croire en ces mots, et de les porter en soi, et d'agir en conséquence. C'est l'unique façon pour nous de garder la foi et garder notre bon sens.

J'ai joué ce spectacle 146 fois avec plus ou moins la même setlist, mais cette soirée requiert quelque chose de différent...

Bruce Springsteen

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(1) La Marche pour nos vies est le nom des manifestations étudiantes, qui ont eu lieu à Washington, et dans plusieurs grandes villes américaines le 24 mars 2018, en réaction à la fusillade de Parkland, afin de demander un contrôle accru des armes à feu aux États-Unis.

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S'éloignant pour un soir du spectacle prévu, Bruce Springsteen a publiquement dénoncé ce soir-là la politique d’immigration du gouvernement de Donald Trump, consistant à séparer des milliers d’enfants de leurs parents, arrivés illégalement aux États-Unis, par la frontière mexicaine. Avant d'entonner The Ghost Of Tom Joad, une parabole sur la discrimination contre les travailleurs migrants en Californie, pendant la Grande Dépression.


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