L'Obs, 28 septembre 2016

"Où va l'Amérique ?"



Plus que jamais fidèle à ses racines ouvrières, toujours engagé auprès des laissés-pour-compte, le rocker aux 130 millions d'albums vendus publie son autobiographie, Born To Run (Albin Michel). Une radiographie du rêve américain et la longue histoire de sa dépression. The Boss a accordé à l'Obs une entretien exclusif. Il parle d'Obama, de Trump et de Clinton, du capitalisme, du racisme et de ses combats.

Par François Armanet & Antoine de de Caunes

****

C'est le livre le plus attendu de la rentrée. Tout au moins par tous ceux pour qui Bruce Springsteen reste une énigme passionnante et irrésolue, comme par les curieux d’un destin artistique hors norme dans l’Amérique de ce dernier demi-siècle. Son autobiographie, rédigée au fil des sept dernières années, a pour nom Born to Run, reprise de la chanson titre de l’album qui avait fait en 1975 la une de Time et de Newsweek la même semaine (à une époque sans internet où régnaient les magazines). La couverture du livre montre le jeune rocker posant nonchalamment devant sa Corvette, et rappelle la photo de pochette de Born To Run où il s'appuyait sur l'épaule de son saxophoniste Clarence Clemons, la force tranquille d'un Porthos noir. La sortie mondiale du livre a été orchestrée de main de maître. En France, Albin Michel publie un premier tirage de 100.000 exemplaires.

Plus de quarante ans de carrière sans fausse note, 130 millions de disques vendus, dont une poignée qui brille au firmament du rock, de tournées plus légendaires les unes que les autres, de biographies aussi passionnées que convaincantes, ou de distinctions (Grammy Awards, Hall of Fame, Golden Globes, Oscar, etc.) : la vie de Bruce est un roman. L'histoire d'un jeune prolo du New Jersey qui n'a jamais trahi les siens, refusant à Reagan, à Bush ou à Chrysler le droit d'utiliser Born In The U.S.A., a offert à Obama son hymne de campagne, et s'est engagé aux côtés des militants antinucléaires, des immigrés clandestins, des vétérans du Vietnam et de ses frères noirs. La route d'un enfant des quartiers ouvriers ("On vivait quasiment sous le seuil de pauvreté") qui va devenir une icône mondiale, sans rien céder de son intégrité, remettant le titre en jeu chaque fois que la pression du succès se fait trop forte, tissant avec la communauté de ses fans une relation unique dans l'histoire du rock et, plus largement, dans l'histoire de la musique et du spectacle.

Depuis son premier album, Greetings from Asbury Park, en 1973, on sait que Bruce Springsteen n'est pas avare de mots. C'est un conteur qui conte sans compter. Tour à tour lyrique ou sobrement réaliste, il nous éclaire sur l'envers du décor, les illusions perdues, les laissés-pour-compte d'une économie brutale et sans pitié, ou les traumatismes de la psyché nationale - du Vietnam au 11-septembre, en passant par l'éternelle question raciale. En solo ou à la tête du E Street Band, roulant à tombeau ouvert sur les chemins du blues, du folk, du rock et de la soul, entre mystique du carburateur et contre-culture, poésie pure et transe brute, il n'a cessé de "cartographier ce territoire entre rêve américain et la réalité de l'Amérique", écrit-il. Par la seule puissance de son verbe, cet homme-là a déplacé des montagnes, se livrant corps et âme à un public qui l'a couronné, et lui a, à l'unanimité, décerné ce titre de Boss. Le temps est donc venu pour le patron - rêvons d'un monde où tous les patrons seraient taillés sur ce modèle - de se raconter, à la première personne. Le bataillon de ses fidèles ne va pas être déçu.

Il est des romans-fleuves. Cette autobiographie est un torrent furieux, débordant de vérité, de bravoure, d'humilité, d'amour et d'humour. Un page-turner, comme on dit, à la narration tendue, aux digressions surprenantes, à des années-lumière des habituels Mémoires de rock star (exception faite pour les Chroniques de Dylan, le Just Kids de Patti Smith et le Life de Keith Richards), où la révélation de sa longue dépression - "la psychose maniaco-dépressive, dans ma famille, c'est le cadeau dans ma boite de céréales" - voisine avec des petits bonheurs comme lorsqu'il décrit, à un feu rouge dans l'air vif de l'automne, l'odeur de caoutchouc brûlé et le ruban de fumée bleue s'élevant du talon de sa botte posée sur le pot d'échappement de sa motocyclette.

Et si Springsteen, au prétexte de se raconter, venait d'écrire un grand roman américain ?

****

Pourquoi avoir intitulé votre livre Born To Run ? Ces mots résument-ils l'histoire de votre vie ?

Oui, c'est ça. J'ai écrit cette chanson quand j'avais 24 ans, et à l'époque, elle ne me semblait pas exprimer grand-chose de particulièrement profond sur ma propre vie. C'était juste un bon titre, des images de courses de voiture et de crise adolescente très cinématographiques. Puis, au fur et à mesure que les années ont passé, je me suis rendu comte qu'elle en disait long sur la manière dont j'ai tracé ma route et les personnes que j'ai été au fil du temps. Du coup, le titre de la chanson est devenu celui du livre, l'idée étant que les gens qui le lisent comprennent mieux ce que ces mots veulent dire pour moi.

La photo qui figue en couverture du livre date de la période Born To Run. Est-ce le Bruce dont vous voulez que les gens se souviennent ?

Avec l'argent que m'avait rapporté le disque, je m'étais acheté une voiture et j'étais plutôt content. La photo a été prise par un ami à moi avec qui j'ai sillonné le New Jersey : je trouve qu'elle colle bien au titre du livre et qu'elle en exprime bien le contenu.

Dans Rosalita, vous chantiez "Un jour, nous regarderons en arrière, et tout ça nous semblera drôle". Avec le recul, ça reste vrai ?

Beaucoup de moments ont été drôles. D'autres beaucoup moins. La drôlerie devient plus apparente quand on vieillit. Toutes les avanies que j'ai connues quand j'ai commencé à faire des disques, le fait d'essayer d'exercer davantage de contrôle sur la direction artistique que je voulais prendre, la panique et l'hystérie que nous avons parfois connues : beaucoup de choses que nous avons vécues me semblent comiques aujourd'hui, alors qu'à l'époque, je les prenais très au sérieux.

Né pour courir ? En dehors de votre jogging quotidien, y a-t-il encore quelque chose que vous essayez de fuir en courant ?

Oh oui, toujours... Il y a toujours quelque chose derrière vous, que vous n'avez pas envie de regarder par-dessus votre épaule.

On pourrait remplir une bibliothèque avec les livres écrits sur vous. Vous pensiez qu'il était temps de raconter votre histoire avec vos propres mots ?

Non, pas vraiment. En fait, j'ai commencé comme ça, sans réelle intention, sauf peut-être celle de montrer ce que j'avais écrit à mes enfants, si jamais ça les intéressait. A force d'écrire, j'ai commencé à trouver ça amusant, à trouver du plaisir, et regarder en arrière faisait aussi revenir tous les bons moments.

La première phrase de votre livre est très surprenante, lorsque vous dites que vous venez d'une petite ville au bord de la mer, où presque tout respire l'imposture, y compris vous. L'écriture vous a-t-elle libéré de cette impression d'être un imposteur ?

Non. C'est même pour ça qu'on devient artiste. Avoir une place de choix parmi les imposteurs pour servir la vérité ! Tous les artistes ont ça en eux, comme beaucoup d'être humains.

Musicalement, vous êtes l'héritier d'Elvis, des Beatles, de Dylan et de James Brown. D'un point de vue littéraire, de qui êtes-vous le fils spirituel ?

Bonne question, merci. Il y a de nombreux écrivains que j'admire, mais je ne sais pas s'ils ont eu beaucoup d'influence sur ce livre. Les auteurs de roman noir ont énormément compté pour moi : James M. Cain, Jim Thompson. Les grands Américains : Melville, Steinbeck, Flannery O'Connor, Cormac McCarthy, John Cheever, Philip Roth, Saul Bellow, Richard Ford. J'ai aussi beaucoup appris des romanciers russes : Tosltoï, Dostoïevski, Tchekhov. Je ne crois pas que vous les retrouverez dans mon livre, mais j'aime profondément ce qu'ils écrivent. J'aime les œuvres psychologiques, mais ce n'est pas pour ça que l'on pourrait établir un parallèle entre ces romans et mon propre livre.

Dans vos albums, jusqu'à The River, vous avez surtout écrit sur des individus qui essayaient de comprendre et de trouver leur voix intérieure. Était-ce plus difficile décrire sur vous-même ?

J'imagine que oui, parce que vous vous retrouvez à regarder en arrière, et que vous devenez le témoin de votre propre acte de création. Vous vous observez en train de vous construire morceau par morceau, année après année, pour devenir l'artiste et la personne que vous êtes aujourd'hui. Admettre que c'est une construction, comme le sont jusqu'à un certain point toutes les personnalités, toutes les identités, ce n'est pas facile. Mais je voulais entendre mon histoire, et la comprendre le mieux possible.

****

Diriez-vous que l'écriture vous a permis de découvrir des choses que vous ignoriez sur vous-même, des sentiments que vous aviez refoulés ?

Un peu, oui, mais j'ai passé des années en psychanalyse, il y a donc beaucoup de choses dont j'étais déjà conscient. Disons que l'écriture permet de formuler différemment, dès lors que vous vous asseyez à une table pour coucher tout ça sur le papier.

Votre livre contient une révélation de taille sur la dépression qui vous poursuit et sur la fragilité d'un homme que tout le monde croit solide comme un roc(k). Avez--vous hésité à partager cette partie si intime de vous-même ?

La dépression a occupé une place grandissante dans ma vie et elle a beaucoup influencé la musique que je faisais. Les choix musicaux et créatifs que j'ai pu faire s'y enracinent. Sans la dépression, Nebraska et The Ghost Of Tom Joad n'auraient probablement jamais vu le jour. Les premiers symptômes se sont manifestés à la trentaine : si ça s'était arrêté là, elle aurait sans doute joué un rôle plus mineur dans ma vie. Mais j'ai rechuté assez durement à la soixantaine, et c'est une force puissante avec laquelle je dois composer. Elle m'affecte au quotidien et je dois la gérer d'une manière ou d'une autre. La moindre des honnêtetés m'obligeait à en parler dans mon livre.

Vous évoquez aussi la marée noire de la dépression à la manière d'un écrivain, un peu comme l'a fait William Styron.


Je n'ai pas lu Face aux ténèbres, mais je sais que c'est un très grand livre. Est-ce que j'ai traité ma dépression de manière littéraire ? Oui, sans doute. J'ai écrit une histoire tirée de ma propre histoire. Ce n'est pas l'alpha et l'oméga de mon existence, il m'est arrivé d'autres choses, et j'aurais pu écrire une autobiographie totalement différente. Mais j'ai choisi délibérément de révéler ma dépression, je suis très conscient des choix que j'ai faits, et je me suis servi de tous les outils à ma disposition pour la décrire. Tant pour travailler dur à me délivrer des forces noires et des fantômes que pour avancer avec elle.

Votre livre vous a-t-il permis d'être en paix avec vous-même ?

Je ne pense pas qu'il me permettra d'en arriver là complètement. Être en paix avec soi-même, c'est un job à temps plein qui se fait au jour le jour et, je ne m'en suis pas trop mal sorti jusqu'ici. J'ai tiré de dures leçons des démons dont souffrait mon père, mais je lutte toujours avec certaines choses, et je m'interroge sur ma vie.

Vous expliquez que l’automédication la plus efficace pour vous, c'est le réel des concerts. Ne nourririez-vous pas le fantasme de mourir sur scène plutôt que sur un lit d’hôpital ?

Ah, ah le blues du naufragé ! Même si j'ai parfois plus ma place sur un lit d’hôpital, j'arrive quand même encore à monter sur scène ! Et je jouerai tant que je pourrai.

Dans deux heures, vous entrez sur scène à Pittsburgh. Aujourd’hui nous sommes le 11 septembre 2016, quinze ans après les attentats d’Al-Qaïda. Comptez-vous évoquer cet anniversaire ce soir ?

Nous jouerons davantage de chansons de The Rising que d'habitude. Mais je n'ai pas prévu de dire quoi que ce soit à ce sujet, je n'ai rien préparé. Je pense que ce sera mieux si nous communions à travers ma musique.

Il y a une forme de communication mystique dans vos concerts. Au lendemain du 11 septembre 2001, vous aviez écrit The Rising avec les images obsédantes "des services d'urgence qui montaient les marches des tours, alors que tous les autres les descendaient pour se mettre à l'abri".

Je pense toujours à cette symbolique de l’ascension, d'un chemin de croix profane, à l'ampleur du sacrifice, mais quand j'ai écrit ces chansons, je voulais aussi qu'elles puissent exister de manière autonome par rapport à l'actualité du 11-septembre. Je ne souhaitais pas qu'elles soient simplement des manchettes de journaux, elles avaient besoin d'avoir leur propre vie. Je voulais que quelqu'un qui ne sache pas ce qui s'est passé ce jour-là puisse les comprendre malgré tout. Elles fonctionnement à beaucoup de niveaux, pour essayer de traduire l'impensable, et chaque soir, elles prennent une signification légèrement différente à mes yeux.

****

Il y a trente-deux ans, en 1984, c'est à Pittsburgh que vous avez dénoncé la récupération politique que faisait Ronald Reagan de votre chanson Born In The U.S.A. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur la politique américaine ?

C'est difficile d'être optimiste dans le contexte de l'élection présidentielle américaine. Tout ce qui se passe autour de Trump depuis qu'il est devenu le candidat officiel des Républicains est déprimant. La campagne est particulièrement sale et il n'arrête pas de lancer de la boue - il ferait bien de parler à son ange gardien. Nous vivons une période difficile pour la démocratie, mais nous n'avons pas vraiment le choix : il faut essayer d'avancer de la manière la plus positive possible. J'ajoute mon grain de sel quand je pense que c'est constructif et que ça peut aider, et c'est tout ce que je peux faire en ce moment. Il faut s'efforcer de se projeter vers l'avenir et croire comme Martin Luther King que l'arc-en-ciel de la justice finira par triompher. Ça prendra du temps, mais les luttes finissent toujours par construire un monde nouveau.

Diriez-vous que ce fossé entre les riches et les pauvres explique l’ascension de Donald Trump ?

Depuis trente ans, la désindustrialisation des États-Unis a causé beaucoup de souffrances et fait perdre leur travail à beaucoup de gens. Cela remonte aux années Reagan, et quand je suis venu jouer ici à l'époque, les aciéries commençaient déjà à fermer. Le traumatisme du chômage, des délocalisations et la disparition de la classe ouvrière durent depuis plusieurs générations, et nous payons le prix de nos erreurs. La capitalisme est devenu fou aux dépens de ceux qui ont bâti l'Amérique de leurs mains. Les écarts de richesse grandissants n'ont fait qu'aggraver la situation. C'est l'un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les États-Unis aujourd'hui.

Comment expliquez-vous la haine que voue une partie de la classe ouvrière blanche à Obama ?

Obama est le symbole d'un grand changement, et ça dérange beaucoup de gens. Le succès de Trump repose sur sa capacité à offrir des réponses très simples à des problèmes extrêmement compliqués. Vous vous inquiétez du fait que l'Amérique est de moins en moins blanche ? Il déclarera la guerre. Vous avez peur pour l'emploi ? Il déclarera la guerre. Il présente les choses de manière à faire croire qu'il existe une solution simple pour n'importe quel problème. Et il existe aussi un racisme profondément ancré dans la société américaine : il continue à se faire sentir, et il s'est même solidement implanté. Plus nous faisons de progrès dans la lutte contre le racisme, plus nous constatons qu'il reste très profond. Avec la mouvement Black Lives Matter, la question des méthodes policières et du comportement de la police a pris une ampleur inédite. Et au fond, la réponse à votre question est simple : beaucoup de gens n'ont pas envie d'avoir un président noir.

Vous avez soutenu Obama avec enthousiasme en 2008 et en 2012. Comment jugez-vous ses deux mandats ?

Je pense que c'est un grand président. Il n'y a qu'à voir comment sa réforme du système de santé a changé, à elle seule, la vie de millions de gens. Le pouvoir de Wall Street a aussi été limité. Est-ce que j'aimerais qu'on aille plus loin ? Oui, bien sûr, mais ça a été déjà assez difficile comme ça de gouverner dans l'atmosphère de clivage partisan féroce qui existe actuellement à Washington. Alors, je reste un fan d'Obama.

Et aimeriez-vous qu'une femme puisse devenir présidente des États-Unis ?

Tout dépend de la femme, mais c'est une idée qui me plaît ! Je crois qu'Hillary Clinton a prouvé qu'elle était qualifiée pour être présidente. Toutes ces années, elle a démontré qu'elle avait une volonté de fer, et même si elle a ses défauts, je suis convaincu qu'elle est capable de diriger le pays.

Au printemps dernier, vous avez annulé votre concert en Caroline du Nord, en signe de protestation contre la loi (Bathroom Bill) qui interdit aux personnes transgenres d'utiliser des toilettes publiques qui ne correspondent pas à leur certificat de naissance. Avez-vous eu à subir un retour de bâton ?

Oui, de temps en temps, on reçoit quelques lettres pleines de haine. Javais aussi vu ça au moment de la mort d'Amadou Diallo (cet immigrant guinéen froidement abattu par la police à Harlem en 1999, NDLR) quand j'avais écrit American Skin. Mais les gens connaissent mes positions en matière de justice sociale, et ce qui me tient à cœur. Je ne sais pas si ça a fait avancer la cause, nous ne sommes qu'un petit morceau du grand puzzle : la NBA a annulé des matchs dans le Sud, beaucoup de gens se sont retirés ou ont annulé des concerts. C'est un mouvement de protestation qui suit toujours son cours.

Vous écrivez que votre famille ne s'intéressait pas à la politique. Mais lorsque vous avez demandé un jour à votre mère pour quel parti vous étiez, elle a répondu : "On est Démocrates, c'est le parti des travailleurs". Est-ce profondément enraciné en vous ?

Ça m'a frappé quand elle a dit ça parce que c'était littéralement la seule fois de ma vie où j'ai entendu parler de politique à la maison. Tout le reste, j'y suis venu naturellement par moi-même en grandissant. Je ne sais pas jusqu'à quel point cette phrase de ma mère m'a influencé, mais il est clair que l'atmosphère de ma jeunesse et l'ambiance qui régnait à la maison, mes racines, les proches, le fait d'avoir vécu dans les quartiers prolo, ont bâti l'homme que je suis, et m'ont conduit à écrire sur ces sujets-là.

Pourtant, quand il s'agit de faire tourner la boutique, vous vous définissez vous-même comme - en vous citant - un "dictateur bienveillant". Cela veut-il dire que The Boss est un patron social, soucieux de l'équité et des acquis sociaux de ses employés ?

Ça dépend à qui vous posez la question ! Certains vous diront que oui, d'autres probablement pas. Mais j'essaie d'être équitable.

Vous aimeriez que l'on écrive Soul Man sur votre tombe en guise d’épitaphe. Pourquoi pas plutôt celle qu'avait choisie Grouch Marx : "Je vous l'avais bien dit, que j'étais malade !"

Elle est très bonne celle-là !

****


****

LA BANDE-SON IDÉALE

Springsteen a écrit plus de 300 chansons. Alors que Columbia sort la compilation Chapter & Verse, nous avons sélectionné 15 titres emblématiques, hymnes ou ballades, qui reflètent ses thèmes de prédilection.

BORN TO RUN (1975) "Cause tramps like us, baby we were born to run", une phrase de cinéma et de virée en caisse. Une longue maturation pour un premier grand succès.

THUNDER ROAD (1975) Les lendemains incertains, la jeunesse qui s'enfuit, un standard springsteenien écrit au sortir de la guerre du Vietnam, et qui résonne toujours avec la même puissance.

BADLANDS (1977) Un riff des Animals, une chanson féroce pour rivaliser avec le punk. Sombre comme un thriller et romantique comme un film de Malick.

THE RIVER (1980) Inspirée par sa sœur Virginia tombée enceinte à 17 ans, et par son beau-frère Mickey, ouvrier du bâtiment, prolos irlandais plongés dans la récession.

HUNGRY HEART (1980) Taillée pour la scène. Les crocs de l'E Street. Des paroles chocs, un rock brulant, un hit du Top Five.

MY FATHER'S HOUSE (1982) Retour à l'enfance nue. Gospel blanc de Nebraska, folk des Appalaches et blues familial. Le chant du père.

JOHNNY 99 (1982) Le talent de conteur de Springsteen dans toute sa splendeur. Deux frères que la vie sépare. La force du destin, l'économie de mots. Le visage ténébreux de Bruce.

BORN IN THE U.S.A. (1984) Titre d'un scénario de Paul Shrader (scénariste de Taxi Driver et réalisateur de Blue Collar). Un blues de Viet Vet. Une protest song martiale et un malentendu phénoménal.

DANCING IN THE DARK (1984) Ado, Bruce imitait James Brown devant sa glace. En pleine ascension de MTV, il se déhanche avec Courteney Cox dans le clip réalisé par Brian de Palma. Un titre devenu un rituel de concert : qui sera l'heureux(se) élu(e) qui montera danser sur scène avec Bruce ?

IF I SHOULD FALL BEHIND (1993) Ballade amoureuse, déclaration solennelle à la femme de sa vie et mère de ses enfants, Patti, c'est aussi une de ses chansons les plus poignantes.

STREETS OF PHILADELPHIA (1994) Le réalisateur Jonathan Demme lui demande d'écrire une chanson sur l'histoire d'un homosexuel atteint du sida qui se bat pour conserver son travail. Un Oscar.

THE GHOST OF TOM JOAD (1995) Dans la lignée de Steinbeck. Musique austère, raisons de la colère. Chronique de la crise à fendre l'âme.

AMERICAN SKIN (41 SHOTS) (2001) Sur la mort d'Amadou Diallo, immigrant guinéen abattu par la police. En concert, les "Hands up, don't shoot" du mouvement Black Lives Matter.

THE RISING (2002) Au lendemain du 11-septembre, le courage, l'espoir, la résilience et la ferveur d'un hymne. "Le rock est une force religieuse et mystique".

WE TAKE CARE OF OUR OWN (2012) Révolté par le krach et la cupidité de Wall Street, la rage intacte, la force de frappe au rendez-vous. La cause du peuple.


Lu 2758 fois