Episode 3 - Amazing Grace : Musique Américaine

Renegades : Born In The U.S.A.



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POTUS BARACK OBAMA: J'ai souvent répété que ce qui confère à l'Amérique son caractère exceptionnel, ce n'est pas notre richesse ou notre taille ou nos gratte-ciels ou notre puissance militaire...

C'est le fait que l'Amérique soit la seule nation dans l'histoire de l'humanité constituée d'individus de toutes races, de toutes religions et de toutes cultures, venant des quatre coins de la planète. Et que nous ayons eu confiance en notre démocratie, nos principes communs, pour fusionner ce fatras d'humanité et en faire un seul peuple.

Rien ne symbolise mieux cette réalité que notre musique. C'est la manière dont des générations d'Américains ont assemblé ensemble toutes les traditions imaginables – des rythmes africains aux ballades irlandaises – pour créer quelque chose d’entièrement nouveau. Que ce soit le Jazz ou le Blues, la Country ou le Rock'n'Roll.

En même temps, notre musique a souvent été un miroir des lignes de fracture de la société américaine. Elle se voit dans ce qui s'écoute et devant la façon dont les bénéfices sont redistribués, et s'entend dans les chansons de ceux qui ont été relégués aux marges de la société, et dans celle de ceux qui insistent pour que leurs vérités soient enfin entendues. Notre musique a le pouvoir de re-façonner les attitudes sociales et d'établir des connexions entre les citoyens lorsque de simples mots – y compris dans de bons discours – ne suffisent pas.

[Le synthétiseur joue]

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[Bruce Springsteen joue Further On Up the Road d'Eric Clapton à la guitare]

POTUS BARACK OBAMA: [Il chante] Further on up the road... Dern nah dern nah... Someone's gonna hurt you like... [Il chante] Attends, on doit trouver la bonne note. Je dois... Je dois m'accorder à toi.

BRUCE SPRINGSTEEN: Laisse-moi entendre où tu en es.

POTUS BARACK OBAMA: [Il chante] Further on up the road... Further on up the road... [Il chante] Fur...

BRUCE SPRINGSTEEN: [Il chante] Further on up the road...

POTUS BARACK OBAMA:[Il chante] Further on up the road... You been laughing, pretty baby... Someday you’re gonna be cryin’... [Il chante]

[Bruce Springsteen continue de jouer Further on Up the Road d'Eric Clapton à la guitare]

[Il chante] Further on up the road... [rires] Tu... [rires] J'ai oublié ce dernier vers. Euhh... C'est le bon quand même.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Donc, la musique.

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu es prêt ?

POTUS BARACK OBAMA: Oui, je suis prêt, mec.

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BRUCE SPRINGSTEEN: Tu es donc à Hawaï, tu es adolescent... C'était quoi ? Les années 70 ?

POTUS BARACK OBAMA: Les années 70. Les années 70.

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu es adolescent dans les années 70. Quelle est la musique qui attire ton oreille quand tu commences à t'y intéresser. Aux alentours des 14 ans, je suppose ?

[Bruce gratte la guitare]

POTUS BARACK OBAMA: Le premier album que j'ai acheté avec mon propre argent – Talking Book, Stevie Wonder. Je m'asseyais devant un petit électrophone en plastique, vieux et amochée.

BRUCE SPRINGSTEEN: Évidemment, oui.

POTUS BARACK OBAMA: J'avais des écouteurs pour que mes grands-parents ne se plaignent pas.

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

POTUS BARACK OBAMA: Et je chantais chaque chanson en chœur avec Stevie Wonder pendant des heures.

[Stevie Wonder - You Are the Sunshine of My Life commence : « I feel like this is the beginning... though I’ve loved you for a million years...»]

POTUS BARACK OBAMA: Il y avait le Top 40 à Hawaï. Casey Kasem animait l'émission (1).

[Extrait d'archive radio du Top 40 Américain - Lou Reed – Walk On The Wild Side - « Chaque semaine à la même heure sur le Top 40 Américain. Mon nom est Casey Kasem, et le compte à rebours continue et ne s'arrêtera pas jusqu'au numéro un... »]

POTUS BARACK OBAMA: Je dois avoir... J'ai 10, 11 ans. J'écoute la radio, et il y a des chansons auxquelles je finis par vraiment m'attacher.

[Extrait d'archive radio - Marvin Gaye - Let’s Get it On : « Let’s get it on... Let's love baby… »]

Tu sais, tu as un garçon de 10 ans qui répète, [Il chante] Let’s get it on... [Il chante]

[Marvin Gaye - Let’s Get it On : « Let’s get it on… »]

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: [Il chante] Ahhhh baby !

[Marvin Gaye - Let’s Get it On : « Sugah… »]

BRUCE SPRINGSTEEN: [il chante] We're all sen...

ENSEMBLE: [ils chantent] ...sensitive people...

POTUS BARACK OBAMA: [il chante] ...with so much to give... Et tu sais que ta grand-mère écoute, et elle me dit, « Quoi, qu'est-ce que tu chantes ? »

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

[Extrait d'archive radio - Billy Paul - Me and Mrs. Jones : « Meeeeeee annnnd…]

POTUS BARACK OBAMA: Il y avait une autre chanson de Billy Paul.

[Billy Paul - Me and Mrs. Jones : Mrs…. Mr. Jones…]

POTUS BARACK OBAMA: Me and Mrs. Jones.

BRUCE SPRINGSTEEN: Enooooooorme. [Il chante] I don’t know how it went...

POTUS BARACK OBAMA: [Il chante] Mrs. Jones, Mrs. Jones, Mrs. Jones

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: [il chante] We both know that is wrong, but it's much too strong. [Il chante]

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: [rires] A 11 ans.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

[Joni Mitchell - Help Me commence]

POTUS BARACK OBAMA: Et Joni Mitchell arrive avec Court and Spark.

BRUCE SPRINGSTEEN: Grand disque.

POTUS BARACK OBAMA: Je devais avoir 11, 12 ans.

BRUCE SPRINGSTEEN: Magnifique album, oui.

[Joni Mitchell - Help Me : « Help me, I think I’m falling...]

POTUS BARACK OBAMA: [Il chante] Help me, I... [Il chante]

ENSEMBLE: [Ils chantent] I think I'm falling in love with you [Ils chantent]

[Joni Mitchell - Help Me : «... Are you gonna let me go there by myself ? That's such a lonely thing to dooooo... ]

POTUS BARACK OBAMA: Oui. C'est joli... Je ne sais pas à quoi correspond ce sentiment, mais il semble fascinant.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

[Joni Mitchell - Help Me s'estompe: « Both of us flirtin' around... Flirtin' and flirtin', hurtin' too. We love our lovin' (lovin')... ]

POTUS BARACK OBAMA: Ce qui était intéressant, c'est que nous avions le Top 40.

[Earth, Wind and Fire - Fantasy commence]

POTUS BARACK OBAMA: Et tu avais tous ces artistes qui mélangeaient les styles comme Earth, Wind & Fire.

POTUS BARACK OBAMA: Et puis, il y avait d'autres styles de musique, qui étaient beaucoup plus – je ne parlerais pas de ségrégation - mais plutôt identifiables comme franchement noir ou blanc.

[Earth, Wind and Fire - Fantasy s'estompe]

[Ohio Players - Love Rollercoaster commence : « Rollercoaster of love… Say what ? Rollercoaster… (oohh oohh oohh)]

POTUS BARACK OBAMA: Par exemple, j'aimais les Ohio Players ou Parliament. Ce n'était pas des disques que tu pouvais trouver chez certains de mes amis blancs. Certains d'entre eux écoutaient plutôt du Heavy Metal, et si je montais en voiture avec eux...

[Ozzy Osbourne - Crazy Train commence]

POTUS BARACK OBAMA: ...ils mettaient ce truc à fond pendant tout le trajet, et c'était un peu pénible pour moi.

[Ozzy Osbourne - Crazy Train]

POTUS BARACK OBAMA: Donc, bien que le Top 40 pratiquait la déségrégation, à Hawaï en tout cas, tu avais toujours ces distinctions entre les styles de musique qui étaient écoutés.

[Parliament - Give Up the Funk (Tear the Roof Off the Sucker) commence : « Oww, we want the funk, give up the funk! Oww, we need the funk, we gotta have the funk! La la la la la Doo doo doo doo doo doo doo oww...]

POTUS BARACK OBAMA: En seconde, au lycée, je m'éloigne de ce qui se passe à la radio et je me mets à prendre des tangentes. Je me mets au Rock et je commence à écouter Dylan, les Stones, et The Last Waltz de Martin Scorsese sort à cette période (2). Je regarde The Band et tous les artistes qu'on voit dans le film, qui montre les différentes branches du Folk, de la Soul, du R&B et de la Country, et comment ces diverses influences se combinent pour former le Rock'n'roll. Je commence à suivre tous ces courants, ruisseaux et rivières. C'est aussi à cette époque-là que je me mets à écouter du Jazz. Petit, mon père m'avait amené à un concert de Jazz, mais je n'avais pas accroché sur le coup. Donc au début, j'écoutais du pop-jazz - appelé smooth-jazz aujourd'hui. George Benson. Il a fait cette grande reprise, Oh Broadway.

BRUCE SPRINGSTEEN: Un disque énorme.

POTUS BARACK OBAMA: Il y avait cette chanson de Groover Washington Jr, Mister Magic. Et puis, à l'université, j'ai eu une grande période Bob Marley. C'est à ce moment-là que je commence vraiment à m'intéresser au Jazz. Kind Of Blue de Miles Davis, My Favorite Things de John Coltrane, Mingus. Aujourd'hui, j'écoute certainement plus de hip-hop, grâce à mes filles. C'est ce qui passe le plus souvent à la maison.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mes fils, c'était autre chose. Mon fils aîné aimait le Punk politique : Against Me!, Tom Morello, Rise Against. Mon plus jeune fils était plutôt Rock classique - Creedance Clearwater et les premiers disques acoustiques de Bob Dylan. Ma fille était branchée Top 40. Donc, tout ce qui était classé au Top 40 pendant la décennie où je l'ai conduite ici et là en voiture, j'y ai eu droit.

POTUS BARACK OBAMA: C'est une formidable aubaine d'avoir des enfants qui te maintiennent sur les rails. Parce que c'est dans les deux sens : c'est grâce à ça que mes filles vont avoir envie d'écouter un album de Marvin Gaye, par exemple. Il fait partie de leur souvenir d'enfance, quand elles écoutaient nos disques.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Quand tu as décidé que tu allais devenir une rockstar...

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: ...à l'âge de 15 ans...

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Ou dans ces eaux-là.

[Bruce gratte la guitare]

POTUS BARACK OBAMA: Il était logique de jouer de la guitare ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Les guitares n’étaient pas chères. C'était donc plus facile. Ma première guitare a coûté 18$.

POTUS BARACK OBAMA: Moins cher qu'un piano.

BRUCE SPRINGSTEEN: Beaucoup moins cher qu'un piano, beaucoup moins cher qu'une batterie.

POTUS BARACK OBAMA: C'est vrai ? La batterie coûtait plus chère.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui. Je pouvais travailler, donc c'est ce que j'ai fait. Je repeignais les maisons, goudronnais les toits, je tondais les pelouses, j'ai économisé 18$, et j'ai acheté une guitare bon marché chez Western Auto Store, à Freehold, NJ. Mon cousin Frankie avait... Il commençait un peu à jouer de la guitare et il m'a appris quelques accords et je suis rentré chez moi avec un livre de Folk, avec toutes les partitions. Donc, pendant un mois ou deux, je grattais ma guitare avec des classiques de la Folk. Tu sais, Greensleeves et If I Had A Hammer. Et quelques temps après, on m'a appris Honky Tonk.

[Bruce joue Honky Tonk à la guitare]

Honky Tonk, c'est ça.

[Bruce joue Honky Tonk à la guitare et Potus frappe ses mains sur ses genoux]

BRUCE SPRINGSTEEN: Puis, j'ai commencé à apprendre des morceaux des Beatles. J'ai appris Twist & Shout.

[Bruce joue Twist & Shout à la guitare]

Tu vois... [Il chante] Shake it on baby ! [Il chante]

Et tu sais, j'ai commencé à fermer la porte de ma chambre, à me mettre debout devant la glace.

POTUS BARACK OBAMA: Tu t’entraînais.

BRUCE SPRINGSTEEN: Juste pour crier et gratter ma guitare devant le miroir.

POTUS BARACK OBAMA: Tes parents disaient quelque chose ? Ils disaient quoi ? Pourquoi tu cries ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Baisse le son ! Le truc habituel, tu vois.

POTUS BARACK OBAMA: Baisse le son... [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: Baisse le son, enfin ! Baisse le son ! Ma mère m'encourageait. Mon père, il était plutôt du genre, « Qu'est-ce qui se passe là encore ? Je ne sais pas ce que fait ce gosse, je ne comprends pas », tu vois ?

[Bruce pince une corde de guitare]

Et puis j'ai laissé pousser mes cheveux et là, il n'a vraiment pas compris et... Mais c'était la même chose pour des milliers, si ce n'est des millions d'autres gamins, exactement au même moment, exactement de la même façon. Le miracle, c'est donc qu'il y a des millions de gamins qui prennent la guitare.

[Des cordes de guitare sont pincées]

Un certain nombre de ces gamins apprennent à plaquer quelques accords. Un certain nombre de ces gamins apprennent à jouer, à jouer quelques chansons.

[Des accords sont joués à la guitare]

Peu d'entre eux joueront dans un petit groupe du coin.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen en ‘72 - Growin’ Up : « Voici la première chanson, que j'aimerais jouer »...]

Parmi ceux qui jouent dans un petit groupe du coin, peu feront une maquette.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen en ‘72 - Growin’ Up : « Une chanson qui parle de grandir »...]

Et parmi ceux qui jouent dans un petit groupe du coin, peu feront un album.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen en ‘72 - Growin’ Up : « Well I stood stone-like at midnight »...]

Et puis quelques-uns de ces gamins, qui jouent dans un groupe du coin, font un album qui se vend à quelques exemplaires.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen en ‘72 - Growin’ Up : « I combed my hair 'til it was just right. And commanded the night brigade »...]

Et puis parmi ceux qui font un disque, et jouent dans un groupe, peu feront une petite carrière. Et encore moins que ceux qui ont cette chance, et qui ont un groupe, peu gagneront régulièrement leur vie.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen en ‘06 - Growin’ Up : « Ooh, ooh, growin' up »...]

Et puis, un soir, je suis sur la scène du Rock N’ Roll Hall of Fame (3), et je chante Something, entre George Harrison et Mick Jagger. Et je me dis, « Ok ? Un de ces gamins [rires] se tient ce soir sur scène entre George Harrison et Mick Jagger » [rires]

ENSEMBLE: [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: Pour moi, choisir la musique, c'était à la fois simple et compliqué. Premièrement, il s'agissait de la seule et unique chose que je désirais faire. Deuxièmement, c'était un élément essentiel dans la construction de mon identité en tant qu'homme, en tant qu'Américain, en tant qu'être humain. Quand je tiens une guitare, je n'ai pas l'impression de tenir quoi que ce soit. C'est juste une partie de mon corps, tu comprends. C'est un autre membre. Quand je porte ma guitare en bandoulière, j'ai la sensation d'être dans mon élément naturel. Et j'ai aussi construit une philosophie de la scène : Je vais donner le meilleur de moi-même pour faire ressortir le meilleur de ce qu'il y a en toi. Et quand tu rentreras chez toi, je veux que tu puisses avoir le sentiment d'appartenir à une communauté, de disposer d'un ensemble de valeurs sur lesquelles tu pourras t'appuyer après le concert. Tu sais, je raconte toujours cette blague. « Je veux monter sur scène et changer ta vie ». Sauf que ce n'est pas une blague. C'est ma raison d'être un soir de concert.

POTUS BARACK OBAMA: C'est ton sacerdoce.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen en ‘00 - Light of Day : « Avec le pouvoir ! Et le gloire ! Avec le pouvoir ! Et le gloire ! Avec la promesse ! Avec la majesté ! Avec le mystère ! Avec le ministère du rock n’ roll! »...]

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui. Quand je monte sur scène, je suis persuadé de pouvoir t'inspirer par mon dur labeur, par le développement d'une philosophie, et par une certaine dimension spirituelle. Persuadé de pouvoir t'encourager à développer ces choses-là en toi. Et si je peux y apporter ma modeste contribution, j'aurai fait mon travail - en plus de te faire danser.

POTUS BARACK OBAMA: Tu veux aussi que le public passe un bon moment.

BRUCE SPRINGSTEEN: Je suis un amuseur. Je veux que tu rigoles. Je veux que tu t'amuses.

POTUS BARACK OBAMA: Pendant un moment, tu oublies tes ennuis...

BRUCE SPRINGSTEEN: Et si tu dois ne retenir que ça, c'est déjà beaucoup.

POTUS BARACK OBAMA: C'était ton objectif dès le départ ? Je veux dire, quand tu jouais avec ton groupe dans les petits bars et les clubs, tu te disais juste, « je veux que ça se passe bien sur scène, et que le public quitte la salle en se disant, "Hé, il assure ce groupe" »

BRUCE SPRINGSTEEN: Je veux que ça se passe bien sur scène. Je veux gagner mes cinq dollars. Je veux que le public se dise que nous sommes bons - mais au fur et à mesure, je veux qu'il se dise que nous sommes les meilleurs. Je veux transmettre une joie brute et une envie vorace de croquer la vie.

POTUS BARACK OBAMA: A quel moment tu te mets à raisonner en ces termes-là ? Au moment où le public devient plus nombreux et que tu sens une plus grande responsabilité vis-à-vis de lui ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Je commence bien avant d'y penser véritablement. Cette prise de conscience viendra beaucoup plus tard, lorsque je me mettrai à adopter un point de vue philosophique, ce qui est dans ma nature en tant qu'être humain. Je voulais avoir un code. Je pense que chacun a un code, en vertu duquel il mène sa vie. Et ce code nous guide, nous protège, nous délivre...

POTUS BARACK OBAMA: Et on culpabilise lorsqu'on ne le respecte pas.

BRUCE SPRINGSTEEN: C'est vrai. Tous mes héros, à commencer par ceux du Western, semblent avoir un code de vie. J'ai pris mon travail au sérieux. Je pense exercer une profession ridicule, mais noble. La musique a eu un impact sur moi, a changé ma vie, et a fait de moi ce que je suis devenu. Dieu m'a donné la possibilité de monter sur scène le soir et d'avoir ce même impact sur certains dans le public.

[Le synthétiseur joue]

Si je peux le faire, être sur terre en vaut la peine. Tu sais, c'est quelque chose qui vaut la peine d'être vécu.

[Le synthétiseur joue]

[PAUSE]

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[Une basse funky joue]

[Frankie Lyman and the Teenagers - Why Do Fools Fall in Love? : « Oh wah, oh wah, oh wah, oh wah, oh wah, oh wah... Why do fools fall in love ? Why do birds sing so gay ?...]

BRUCE SPRINGSTEEN: J'ai été façonné par le Top 40. La première musique que j'ai entendue, c'est le Doo-Wop et le Rhythm & Blues que ma mère écoutait à la radio le matin, j'étais un enfant, j'avais huit ou neuf ans.

[The Monotones - The Book of Love : « I wonder, wonder who, who-oo-ooh. Who wrote the Book Of Love ? Tell me, Tell me, Tell me...]

Et puis, tu avais les autres succès de l'époque, les chansons des Beatles et des Rolling Stone et...

POTUS BARACK OBAMA: Et où se situe Dylan dans l'influence qu'il a eu sur toi ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Bob était drôle par contre...

POTUS BARACK OBAMA: Parce qu'il vient...

BRUCE SPRINGSTEEN: Il avait des succès.

POTUS BARACK OBAMA: Il avait des succès, mais il vient de directions différentes. Il vient de Woody Guthrie et il vient...

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui, mais je ne le savais pas. Je ne le savais pas et je l'ai appris après la trentaine. Je n'avais jamais écouté les premiers albums acoustiques de Bob.

POTUS BARACK OBAMA: C'est intéressant.

BRUCE SPRINGSTEEN: J'avais seulement écouté Highway 61, Subterranean Homesick Blues. J'avais joué ses morceaux électriques et ce n'est pas avant le début de la trentaine que je suis revenu à sa musique acoustique. Et puis, je suis remonté jusqu'à Woody Guthrie. Je suis donc venu tard à ce style.

POTUS BARACK OBAMA: Assez tard.

BRUCE SPRINGSTEEN: La musique Country est arrivée plus tard pour moi, à la fin de la vingtaine et au début de la trentaine. Je cherchais d'autres solutions que celles que le Rock pouvait apporter. La musique Rock était grandiose, il y avait une colère de classe dans laquelle je me retrouvais. Et puis, il y avait un romantisme magnifique et des mélodies, beaucoup d'énergie. Mais les années passaient et le Rock n'abordait pas les préoccupations d'adulte.

POTUS BARACK OBAMA: Oui.

BRUCE SPRINGSTEEN: Je suis donc allé vers la Country. La Country était grandiose, une musique et des chanteurs incroyables, mais il y avait un certain fatalisme dans les paroles.

POTUS BARACK OBAMA: Hmm.

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu vois ? Je me suis donc dit, « Qui essaye de jouer... Où est la musique de l'espoir ? » Woody Guthrie et Bob Dylan racontaient le monde difficile dans lequel tu vivais, mais, quelque part, ils apportaient aussi une sorte de transcendance et des solutions concrètes aux problèmes sociétaux et à tes propres difficultés personnelles. Tu pouvais agir.

C'est ce qui a attiré mon regard, car j'étais alors devenu une rockstar avec un succès relativement important. Je tenais à maintenir des liens avec ma communauté. Je tenais à donner ma voix à la communauté. Je voulais aussi, dans une certaine mesure, avoir une action concrète, prendre un peu de ce que je gagnais, pour le réinjecter dans la communauté. On était en 1980 et...

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen ‘85 - This Land is Your Land]

J'ai commencé à jouer This land Is Your Land. Cette chanson, avec Born In The U.S.A., c'est là que nous avons su ce que nous allions faire, à la fois en tant que groupe, en tant qu'entité sociale à petite échelle, et en tant qu'entité de divertissement. Nous avons compris la façon dont nous allions assembler ensemble toutes ces choses.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen ‘85 - This Land is Your Land : « Once I rode that ribbon highway... I saw above me the endless sky... I saw below me, a golden valley... Well this land was made for you and meeeee... I roamed and I rambled »...]

Et c'est là que j'y ai trouvé une pleine satisfaction, et c'est de cette façon que j'ai rassemblé toutes les pièces du puzzle.

[Extrait d'archive de concert de Bruce Springsteen ‘85 - This Land is Your Land : « Through the sparking sands of the diamond desert... And all around me, a voice was soundin’. It cried, “This land was made for you and meeeee... Well a sun came shinin’... »]

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POTUS BARACK OBAMA: Bruce, j'aime la façon dont tu parles d'assembler ensemble tous ces éléments. De rassembler les pièces du puzzle. Car c'est l'essence même de tous les grands musiciens américains. Et c'est une des raisons pour lesquelles Michelle et moi avons estimé qu'il était si important, au cours de notre présidence - à un moment où le pays semblait si divisé – de vraiment mettre l'accent sur cette série de soirées musicales, tel que nous l'avons fait.

[Extrait d'archive de concert de Queen Latifah à la Maison Blanche 2013 - I Can’t Stand the Rain : « When we were together ...Everything was so grand »]

POTUS BARACK OBAMA: Tu sais, nous avons eu une soirée Motown. Mais aussi une soirée Country.

[Extrait d'archive de concert de Laura Alaina à la Maison Blanche 2014 - Coal Miner’s Daughter : « Well I was born a coal miner’s daughter »]

POTUS BARACK OBAMA: Ou une Fiesta Latina. Ou une soirée Broadway. Ou une soirée Gospel.

[Extrait d'archive de concert de Cyndi Lauper à la Maison Blanche 2013 - Try a Little Tendernes s: « Young girls they do get weary... Wearin the same ol’ shaggy dress. »]

POTUS BARACK OBAMA: Nous faisions venir des musiciens de traditions différentes pour qu'ils concoctent quelque chose qui n'était pas nécessairement leur répertoire habituel. Tu avais des chanteurs de Country dans un concert de Gospel. Ou un chanteur de R&B chantant du Rock pour accentuer et souligner comment toutes ces traditions se mélangent ensemble, une fois que tu commences à abattre les silos et les catégories que nous avons en tête.

[Extrait d'archive de concert de Cyndi Lauper à la Maison Blanche 2013 - Try a Little Tenderness : « While she’s there waitin’... You got to try a little tenderness...That’s all you got to do. It's not sentimental... No no no... »]

POTUS BARACK OBAMA: J'ai toujours été frappé par la générosité des musiciens entre eux. Habituellement, les musiciens arrivaient la veille, ou l'avant-veille pour répéter. Souvent, ils répétaient la nuit. Je travaillais souvent dans la salle des Traités, qui se trouve juste au-dessus. Et j'entendais la basse faire son entrée et je venais parfois pointer le bout de mon nez pour assister aux répétitions. Je m'asseyais dans le fond pour ne pas me faire remarquer. Je me souviens, une fois, je regardais Mick Jagger et Gary Clark Jr qui travaillaient sur un Blues. Et Jagger a l'âge d'être le grand-père de Gary, hein ! Même s'il se déplaçait sur scène comme s'il avait 25 ans. Et Gary Clark Jr, en fin de compte, perpétue la tradition dans laquelle les Stones ont puisé. La vieille icône grisonnante et le jeune artiste qui monte, ce sont juste deux musiciens, ils se respectent, ils s'écoutent l'un l'autre.

BRUCE SPRINGSTEEN: Elle est belle la vie des musiciens entre eux.

POTUS BARACK OBAMA: En découvrant cette solidarité, je me suis dit, « Ce serait bien qu'il se passe la même chose en politique : on essayerait juste de faire une bonne chanson »

BRUCE SPRINGSTEEN: C'est une énorme part du Rock'n'roll. Et une des raisons pour lesquelles les groupes ne restent pas ensemble.

POTUS BARACK OBAMA: Parce qu'il est difficile de conserver cet esprit. Après Bruce, comme toi et Patti pourront en témoigner, de la musique de qualité a été jouée à la Maison Blanche, hors caméras, au cours de nos soirées. C'était très sympa.

BRUCE SPRINGSTEEN: Et bien, nous sommes venus à plusieurs de ces soirées, et tout ce que je peux dire, c'est que c'était des soirées toutes historiques.

POTUS BARACK OBAMA: [rires]

BRUCE SPRINGSTEEN: Et ce n'est pas demain la veille qu'ils reverront une soirée comme celles-là à la Maison Blanche, avant trèèèèès longtemps.

ENSEMBLE: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Non. Nous avons passé des moments incroyables. Des concerts tard le soir.... Plantons le décor ici.

Je suis dans les derniers mois de ma présidence. Je souhaitais faire quelque chose spécifiquement pour mon équipe, qui a été avec moi pendant l'essentiel du voyage. Et qui avait vécu des expériences épuisantes mais vraiment remarquables. Nous avons donc eu cette idée.

Peut-être que nous pouvons juste organiser quelque chose de petit et de calme et de privé – 100 personnes. Et peut-être que Bruce voudra venir donner un petit concert.

Et tu es venu et nous avions dix guitares juste là dans un rack.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Et tu avais le piano. Et Patti m'a dit, « Je ne sais pas du tout ce qu'il va faire... ». Parce que tu ne lui avais pas fait écouter avant...

BRUCE SPRINGSTEEN: Je n'avais jamais fait ça avant.

POTUS BARACK OBAMA: Devant elle non plus ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Je ne l'avais jamais fait écouter à personne. Je l'ai répété uniquement dans cette pièce où nous sommes assis aujourd'hui, pendant quelques heures.

POTUS BARACK OBAMA: Oui, donc...

BRUCE SPRINGSTEEN: Avant de venir te voir.

POTUS BARACK OBAMA: Donc, ta femme vient avec toi et elle dit...

BRUCE SPRINGSTEEN: Elle ne savait pas [rires]

POTUS BARACK OBAMA: « Je ne sais pas du tout ce que c'est, mais il se passe un truc ici »

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu sais, j'ai reçu l'invitation et je me suis dit, « Je ne vais pas réunir le groupe et faire du bruit ». Alors je me suis dit, « Je vais y aller pour jouer quelques chansons en acoustique ». Donc, je me suis demandé, « Que pourrais-je faire pour que ce soit légèrement différent ? Et bien, je vais lire des passages de mon livre et je vais jouer quelques chansons ».

Je suis donc venu et j'ai commencé à lire le livre et à jouer des chansons. Et j'ai réalisé en lisant le livre, que c'était un peu guindé, car la façon dont tu écris n'est pas la façon dont tu parles.

POTUS BARACK OBAMA: Oui. L'écrit est différent.

BRUCE SPRINGSTEEN: Alors, j'ai commencé à paraphraser ce que j'avais écrit dans le livre, comme si je racontais simplement une histoire, et j'ai passé quelques heures dans ce studio pendant deux jours et je suis venu jouer.

[Springsteen on Broadway - Thunder Road commence]

POTUS BARACK OBAMA: Et tu as fini par faire... Qu'est-ce que tu dirais ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Un concert de 90 minutes.

POTUS BARACK OBAMA: Peut-être 90 minutes de...

ENSEMBLE: Ce qui est devenu le spectacle de Broadway.

[Springsteen on Broadway - Thunder Road : « Chance to make it good somehow...And what else can we do now? Expect roll down the window and let the wind blow back your hair...Well the night’s busting open...These two lanes will take us anywhere...We got one last change to make it real...To trade in these wings on some wheels... ]

POTUS BARACK OBAMA: Je suis monté sur la scène juste après et je t'ai dit, « Mec, tu dois... tu dois jouer ça devant d'autres personnes que nous.

BRUCE SPRINGSTEEN: Je...

POTUS BARACK OBAMA: Je ne peux pas être aussi avare en étant le seul à avoir entendu ça ? »

BRUCE SPRINGSTEEN: Je dois te donner ce crédit, parce que vous étiez assis tous les deux juste en face de moi, et j'étais enchanté d'être là, honoré de jouer pour toi. Je peux honnêtement dire que je ne m'étais jamais senti aussi bien après un concert que cette fois-là, parce que c'était différent.

Et puis tu t'es levé après le spectacle et tu es venu... Tu as été la première personne à me rejoindre sur la scène, tu es venu et tu t'es penché vers moi pour me dire à l'oreille, « Hey, écoute... Je sais que tu as fait ça uniquement pour nous, mais cette soirée devrait être un spectacle quelque part ou quelque chose dans le genre, tu vois ».

POTUS BARACK OBAMA: Tu dois, tu dois partager ce moment.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires] En rentrant à la maison ce soir-là, nous n'avons pas arrêté de parler sur tout le trajet. Patti et Jon (Landau) me disaient, « Tu devrais en faire quelque chose ». Et puis une chose en a amené une autre. On s'est dit, « Et bien, j'ai besoin d'une toute petite salle parce qu'il me faut du silence pour que ça marche, comme nous en avions eu dans la East Room ». Et nous sommes allés voir et nous avons trouvé une petite... ce minuscule théâtre de 900 places à Broadway et...

POTUS BARACK OBAMA: Tu finis par avoir un véritable job.

BRUCE SPRINGSTEEN: J'ai fini par être sur scène cinq soirs par semaine avec un spectacle de 2 heures et 20 minutes - 2 heures et 20 minutes chaque soir. Un des meilleurs moments de ma vie.

[Springsteen on Broadway - Dancing in the Dark : « This gun’s for hire. Even if we’re just dancing in the dark...Sittin’ around getting older... ah there’s a joke here somewhere... [rires] ... All I know is that it's on me... Shake this world off my shoulders... Come on baby have a laugh on me... ]

[Le synthétiseur joue]

[PAUSE]

****

[Une basse funky joue]

BRUCE SPRINGSTEEN: Est-ce que tu chantes sous la douche ?

POTUS BARACK OBAMA: Absolument.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Je chante sous la douche. Je chante en dehors de la douche.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Chanter ne m’embarrasse pas. Parfois, mes filles et ma femme lèvent les yeux au ciel.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Il est arrivé que je sois réprimandé par mon staff.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Pour avoir fait du air guitare dans le Air Force One.

BRUCE SPRINGSTEEN: J'aurais aimé, j'aurais aimé voir ça [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Et ils s'inquiétaient que les journalistes puissent voir.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Joe est probablement celui qui m'a déconseillé de le faire.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires] Si je te pose la question, c'est parce que tu as chanté une assez belle version de Let's Stay Together de Al Green – C'est juste ? C'était bien celle-là ?

POTUS BARACK OBAMA: Écoute, voici l'histoire... Nous sommes à l'Apollo, la légendaire salle de l'Apollo Theatre à Harlem.

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

POTUS BARACK OBAMA: C'est une soirée de levée de fonds pour moi.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Au cours de laquelle Al Green chante. Mais – comme c'est toujours le cas – je n'ai pas pu voir la performance parce qu'il fallait que je sois ailleurs. Et j'arrive bien plus tard, après son passage.

BRUCE SPRINGSTEEN: D'accord.

POTUS BARACK OBAMA: Je suis donc assis en coulisses avec Valérie Jarrett. Et je me dis, « Mince. J'ai manqué Al Green ! » Et donc, je commence à me mettre à chanter dans les loges.

[Il chante] I....So in love with you. [Il chante]

Deux techniciens du son, deux petits malins, me disent, « M. Le président, pourquoi vous ne chanteriez pas ça sur scène ? »

BRUCE SPRINGSTEEN: Yeah, baby. [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Et je leur dis, « Vous pensez que je n'en suis pas capable ? »

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Et Valérie me dit, « Euh, évite ! ».

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Parce qu'elle assume le rôle de Michelle dans ces circonstances-là.

BRUCE SPRINGSTEEN: Tu t'es fait avoir.

POTUS BARACK OBAMA: Et je pense que je ne l'aurais probablement pas fait si ce n'était pas le 5ème événement de la journée, il me semble.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmmm.

POTUS BARACK OBAMA: Et je commençais à saturer un peu.

BRUCE SPRINGSTEEN: Bien pour toi.

POTUS BARACK OBAMA: J'étais un peu fatigué.

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires] Oui.

POTUS BARACK OBAMA: Et Al Green était encore là. Il était assis au premier rang.

BRUCE SPRINGSTEEN: Oh mec.

POTUS BARACK OBAMA: Donc, je monte sur la scène et je dis, « Ah, Al était là. Je suis désolé de l'avoir manqué ».

BRUCE SPRINGSTEEN: [rires]

POTUS BARACK OBAMA: Et puis, j'ai regardé pour voir si les techniciens me regardaient. Et je me suis lancé d'un coup.

[Extrait d'archive du Président Obama - Let’s Stay Together : « I... soooo in love with you... (la foule applaudit)... You ah... Ces types ne pensaient pas que je le ferais ! »]

[Le synthétiseur joue]

BRUCE SPRINGSTEEN: Ce sur quoi j'ai vraiment envie de t'interroger, évidemment, c'est Amazing Grace (4), car le pays tout entier a été secoué. Et comment ce jour-là, tu en es venu à décider de chanter cette chanson ?

POTUS BARACK OBAMA: C'est une histoire intéressante... Tout d'abord, c'était une journée magique, qui a débuté dans le chagrin. Disons que nous avions anticipé qu'elle commencerait dans le chagrin. Mais il s'est avéré que c'était aussi le jour où la Cour Suprême a rendu le jugement décrétant qu'il était anticonstitutionnel de ne pas laisser les lesbiennes et homosexuels et LGBT...

BRUCE SPRINGSTEEN: Exact.

POTUS BARACK OBAMA: ...de ne pas laisser les partenaires se marier. Le moment était donc joyeux. Mais nous sommes en route vers Charleston juste après que ce jeune... ce jeune homme blanc, plein de haine...

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: ...a ouvert le feu dans un lieu de culte qui l'avait accueilli (5).

BRUCE SPRINGSTEEN: Mon Dieu.

POTUS BARACK OBAMA: Et, en fait, j'avais déjà rencontré le Révérend Pinckney, lors de mes précédentes visites en Caroline du Sud. Il avait deux petites filles qui étaient un peu plus jeunes que Malia et Sasha. Et ça nous poursuivait, on avait l'impression que tous les trois mois il y avait une fusillade.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Et après chaque tuerie de masse, je me rendais sur place – et parfois Michelle venait avec moi, même si à un certain moment, il devenait difficile pour elle de venir. Et je passais quelques heures avec une famille...

BRUCE SPRINGSTEEN: Hmm.

POTUS BARACK OBAMA: ...qui venait juste d'avoir un enfant ou un père ou un frère, ou un fils assassiné impitoyablement, sans aucune raison. Et j'ai pensé... Je me suis dit, après Newtown (6), où 20 enfants de 6 et 7 ans ans avaient été assassinés par un dérangé – qui détenait chez lui tout un arsenal - je me suis dit, « D'accord. Cette fois, le Congrès va prendre des mesures ». Et je n'ai jamais été aussi proche du désespoir, avec ce pays, lorsque mes efforts en faveur de lois modestes pour davantage de sécurité en matière d'armes à feu, n'ont pas abouti. Elles n'ont même pas été examinées au Sénat. Après le massacre de 20 enfants de cette façon-là.

La seule fois où j'ai vu un agent du Secret Service pleurer pendant que je parlais, c'était à Newtown. Alors, quand l'histoire se répète, je me dis dès le début... Je dis, « J'irais aux funérailles, mais je ne veux pas prendre la parole. Je n'ai plus rien à dire. J'ai l'impression d'être à court de mots ».

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmmm.

POTUS BARACK OBAMA: Je n'étais pas en mesure de dire quoi que ce soit, j'ai usé d'arguments réalistes, rationnels, des arguments d'ordre émotionnels. Je me suis exprimé sur ce sujet avec colère, j'ai montré de la tristesse, et rien ne semble avoir le moindre impact. Je suis donc à court de mots. Et évidemment, on me demande de m'exprimer, et j'étais d'accord, c'était mon rôle... Je ne peux pas me payer le luxe de refuser, mais j'étais bloqué. Je n'avais rien à dire.

Il se trouve qu'à cette époque-là, je correspondais avec une amie, Marilynne Robinson (7), qui est une auteure merveilleuse, qui a écrit Gilead.

BRUCE SPRINGSTEEN: Uh huh.

POTUS BARACK OBAMA: Et un des thèmes sur lequel elle écrit est la grâce. Et nous avons correspondu sur la grâce et venions juste de parler de la notion de... La notion de grâce, comme façon d'admettre que nous sommes fondamentalement imparfaits et faibles et désorientés. Nous ne méritons pas la grâce, mais elle nous touche parfois.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmmm.

POTUS BARACK OBAMA: Et, alors même que nous correspondions sur ce sujet tous les deux, les familles du massacre de Charleston, au cours de la lecture de l'acte d'accusation du tireur...

BRUCE SPRINGSTEEN: Oui.

POTUS BARACK OBAMA: ...les familles ont dit, « Nous te pardonnons ».

BRUCE SPRINGSTEEN: Ok.

POTUS BARACK OBAMA: Et dans mon esprit, le déclic n'a pas été immédiat. Je pensais encore, « Je ne sais pas quoi dire ». Cody Keenan, le responsable de mes discours, je lui dis, « Mon pote, tu sais, je ne sais pas ce qui peut fonctionner là, cette fois-ci ». Il me propose un texte qui n'est pas, qui n'est pas adapté au moment.

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Ce n'était pas sa faute. C'est juste qu'il est dans le même état d'esprit que moi. Nous avions fait ça trop de fois. Nous étions...

BRUCE SPRINGSTEEN: Mhmm.

POTUS BARACK OBAMA: Nous étions sans... Je suis donc assis là, aux alentours de 22 heures. Et je suis bloqué, tout simplement, et je ne sais pas ce que je vais dire le lendemain. La cérémonie devait avoir lieu le lendemain. Les lettres de Marylinne sont posées sur un bureau et je... Je vois le mot "grâce" quelque part, sans y prêter attention, et je commence à chanter pour moi-même.

[Il chante] Amazing Grace... Tu vois ?

BRUCE SPRINGSTEEN: Hmm.

POTUS BARACK OBAMA: Et j'ai pensé aux familles qui avaient dit, « Nous te pardonnons ». Et je me suis dit, « Et bien, je peux peut-être travailler là dessus ». Et d'un trait, j'ai écrit l'oraison funèbre en 10 minutes, peut-être 20. L'oraison funèbre dans son intégralité, qui a juste jailli de moi. Nous montons à bord de l'Air Force One et je confie à Valérie et Michelle - encore une fois ce sont les deux plus enclines à exprimer des réserves, « Écoutez, je veux que vous sachiez toutes les deux - et ce n'est pas sûr, mais ce n'est pas exclu - qu'il est possible que je chante ». Leur réaction n'a pas tardé, « Attends, qu'est-ce que tu veux dire ? ». « Je ne sais pas, on verra si le cœur y est. »

Nous arrivons là-bas. C'est un lieu immense évidemment. Le Révérend Pinckney était un pasteur de l’Église épiscopale méthodiste africaine Emanuel, donc tout le clergé était derrière moi. Je me lève et je prononce l'éloge funèbre. J'en arrive au moment où je parle de "grâce splendide", et c'est comme si j'avais eu le sentiment qu'il était important que je me lance. J'ai eu le sentiment que c'était important justement parce que je n'étais pas certain d'y arriver. J'ai besoin de montrer que je vais me livrer, que je vais tenter de me lancer. Je dois juste faire ressentir ce que je ressens.

[Extrait d'archive du Président Obama aux funérailles du Reverend Clementa Pinckney: “Tout est possible... Si nous puisons dans cette grâce... Tout peut changer... (la foule applaudit)... Une grâce extraordinaire... Une grâce extraordinaire...”]

POTUS BARACK OBAMA: Et tu peux me voir faire une longue pause pendant un instant. Avant de commencer à chanter. Une petite voix en moi se concentre afin de pouvoir aller de l'avant et me souffle, « Je ne sais pas ce que ça va donner ». A ce stade, je suis déjà ému et inquiet à l'idée de fondre en larmes en me mettant à chanter. Donc, il a fallu que je m'apaise un peu. Nous étions dans une église, donc la tâche m'a été facilitée. C'était un stade, mais c'était une église. C'est l’Église noire, et c'est chez nous. Je savais que tout ce que j'avais à faire, c'était d'atteindre la première mesure. Ensuite, l'orgue arriverait, et j'étais certain que le clergé derrière moi se lèverait. Même si mon chant est atroce, ils nous soutiendront.

[Extrait d'archive du Président Obama aux funérailles du Reverend Clementa Pinckney : [il commence à chanter] “Amazing grace... (la foule applaudit et pousse des cris) – how sweet the sound, that saved a wretch like me; I once was lost, but now I’m found; was blind but now I see (applaudissements)...]

BRUCE SPRINGSTEEN: C'était un moment splendide de ta présidence.

POTUS BARACK OBAMA: Nous donnons le meilleur de nous-même quand nous comprenons que nous ne sommes qu'un instrument pour tous les autres, pour ceux qui comptent pour toi, et que nous ne sommes pas le sujet principal, que ce n'est pas une question d'égo, d'ambition, de talent et d'adresse. J'ai donné le meilleur de moi-même quand tout s'est consumé, quand j'ai juste essayé de trouver un moyen d'offrir une tribune, de faire entendre une voix, de servir. L'objectif que nous nous sommes fixés nécessite parfois de s'écarter du chemin tracé ou de faire des choses qui nous poussent hors de notre zone de confort. Marcher un peu sur la corde raide, faire un acte de foi. J'imagine que lorsque tu donnes le meilleur de toi-même sur scène, tu éprouves ces mêmes sentiments. Tu répètes, tu répètes, tu répètes. Tu atteins une certaine adresse. Tu le fais, mais il faut savoir lâcher prise.

BRUCE SPRINGSTEEN: Je pense que les enjeux affectifs sont extrêmement importants. J'ai toujours considéré, en tant que groupe, que nous étions meilleurs lorsque les enjeux étaient importants.

POTUS BARACK OBAMA: C'est intéressant, parce que pour moi, c'était un moment où tu te dis juste, « Les mots suffiront-ils ? ». Et ils auraient suffit, mais j'ai pensé que la musique, la chanson, l'acte de foi l'exigeaient... Parce que je savais que je n'étais pas un chanteur professionnel. Ce serait juste la voix de n'importe qui dans le chœur. Pour que d'une certaine manière, ce soit la note de grâce. Pour que ce soit ce que les gens retiennent.

[Extrait d'archive du Président Obama aux funérailles du Reverend Clementa Pickney : “Clementa Pinckney a trouvé cette grâce. (Applaudissement) Cynthia Hurd a trouvé cette grâce. (Applaudissement) Susie Jacksona trouvé cette grâce. (Applaudissement) Ethel Lance a trouvé cette grâce. (Applaudissement) DePayne Middleton-Doctor a trouvé cette grâce. (Applaudissement) Tywanza Sanders a trouvé cette grâce. (Applaudissement)Daniel L. Simmons, Sr. a trouvé cette grâce. (Applaudissement) Sharonda Coleman-Singleton a trouvé cette grâce. (Applaudissement) Myra Thompson a trouvé cette grâce. (Applaudissement)

A travers l'exemple de leurs vies, ils nous l'ont laissé en héritage. Puissions être méritants pour ce cadeau extraordinaire et précieux, tant que nos vies perdurent. Puisse la grâce les raccompagner aujourd'hui jusqu'à chez eux. Puisse Dieu continuer à propager Sa grâce sur les États-Unis d'Amérique (Applaudissement)...
]

[La guitare sonne]

POTUS BARACK OBAMA: Et je pense que la raison pour laquelle ce moment a été en phase avec l'instant, ce n'est pas seulement parce que c'est une magnifique chanson. Mais il a aussi capturé cette dimension unificatrice de l'Amérique, qu'on retrouve dans sa musique. C'est un hymne ancien, qui a été utilisé par tout le monde. Dans chaque église, partout dans ce pays. Les églises blanches, les églises noires, la tradition du Gospel noir l'a transformée. Et aujourd'hui, cet hymne nous rappelle que, même lors d'une tragédie telle que celle-là, il existe quelque chose qui est là pour nous tous. Quelque chose que nous partageons.

[La guitare s'estompe]

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NOTES

(1) Casey Kasem (1932-2014) était un disc-jockey et producteur américain, qui a animé l'émission radiophonique American Top 40 de 1970 à 1988 et de 1998 à 2014.

(2) The Last Waltz est le nom donné au concert d'adieu du groupe de rock canadien The Band, le 25 novembre 1976, au Winterland Ballroom de San Francisco, accompagné par de nombreux invités (Paul Butterfield, Eric Clapton, Neil Diamond, Bob Dylan, Ronnie Hawkins, Dr. John, Joni Mitchell, Van Morrison, Ringo Starr, Muddy Waters, Ron Wood, Neil Young). Le concert fut filmé par le réalisateur Martin Scorsese, qui en tira un documentaire, sorti en 1978.

(3) Le Rock'n'Roll Hall Of Fame est une institution qui récompense les plus grands artistes de rock, qu'ils soient chanteurs, musiciens, producteurs, ou toute autre personne ayant eu une influence de façon notable sur l'industrie du rock. Bruce Springsteen a été récompensé en 1999.

(4) Amazing Grace est l'un des cantiques chrétiens les plus célèbres dans le monde anglophone. La première publication des paroles écrites par John Newton date de 1779.

(5) La fusillade de l'église à Charleston est une tuerie de masse survenue dans la nuit du 17 au 18 juin 2015 dans le temple de l'Église épiscopale méthodiste africaine Emanuel, un temple méthodiste noir à Charleston aux États-Unis, quand un jeune homme armé, Dylann Roof, a ouvert le feu dans l'église, faisant neuf morts, parmi lesquels Clementa Pinckney, membre du Sénat de Caroline du Sud.

(6) La tuerie de l'école primaire Sandy Hook, survenue le 14 décembre 2012, a causé la mort de 28 personnes, dont 20 enfants, dans une école primaire du village de Sandy Hook, aux abords de Newtown, dans l'État du Connecticut, aux États-Unis. Adam Lanza, le meurtrier, âgé de 20 ans, peu de temps après avoir tué sa mère, s'est donné la mort juste après la tuerie.

(7) Marilynne Robinson est une femme de lettres américaine, qui a écrit de nombreux articles, critiques et essais dans des magazines. Avec son roman Gilead (2005), elle obtient le Prix Pulitzer.

Cet épisode a été diffusé pour la première fois le 01 mars 2021.

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