Will Percy interroge Bruce Springsteen
Interview réalisée en septembre 1997
Interview réalisée en septembre 1997
Au début de l'année 1989, Walker Percy (1) a écrit une lettre "de fan" à Bruce Springsteen, louant le "voyage spirituel" du musicien, avec l'espoir de débuter entre eux deux une correspondance. A cette époque, Springsteen avait hésité à répondre, mais il s'est, plus tard, procuré un exemplaire de The Moviegoer (2) et il a commencé un nouveau voyage dans la littérature du Dr. Percy. Walker Percy est décédé en mai 1990, et les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, mais les romans et les essais de Percy, parmi d'autres livres et d'autres films, ont eu un impact des plus profonds sur l'écriture de Springsteen.
En 1995, Springsteen a enregistré The Ghost Of Tom Joad, un album aux textes riches, qui a forgé une nouvelle raison d'être à sa musique, le reliant d'une certaine manière à la tradition des artistes-activistes tels que John Steinbeck (3) (Joad est le héros radical de Grapes Of Warth(4)) et à l'icône de la musique folk Woody Guthrie. Dans son style narratif familier, les chansons de Springsteen nous parlent de gens ordinaires luttant contre les aléas de la vie, présentant une série de personnages tels que des familles d'immigrés, des policiers frontaliers, des métallurgistes du Midwest, et les pauvres et les exclus de l'Amérique. On entend la sensibilité populiste de Guthrie à travers ces personnages : c'est une musique qui se bat pour obtenir la conscience publique.
A la suite d'un concert à Atlanta (le 28 janvier 1996, ndt) pour promouvoir l'album, Will Percy, le neveu de Walker, a rencontré Springsteen backstage, et les deux hommes ont discuté pendant des heures. Quand Springsteen a fait part de son regret de n'avoir jamais répondu à la lettre de l'oncle de Will, ce dernier l'a encouragé à écrire à sa tante, la veuve de Walker. Quelques mois plus tard, Springsteen, qui aime à répéter que "il m'est difficile d'écrire à moins de le faire sur une musique", s'est assis pour écrire quatre pages – une lettre qu'il avait mis des années à rédiger.
A l'automne dernier, Will Percy et Springsteen ont eu l'occasion de se rencontrer à nouveau, cette fois dans la ferme de Springsteen au cœur du New Jersey, pas très loin de la petite ville où Springsteen avait grandi et pas très loin des clubs de la Côte du New Jersey où il a pris ses marques pendant les années 1970. Avec un magnétophone en marche, les deux hommes ont exploré l'importance des livres dans la vie de Springsteen, plus récemment sa découverte des essais du Dr Percy avec The Message In The Bottle (5). Comme la lettre longue à venir écrite à Mme Percy, c'est une conversation que, peut-être, Bruce Springsteen aurait pu avoir avec Walker Percy.
En 1995, Springsteen a enregistré The Ghost Of Tom Joad, un album aux textes riches, qui a forgé une nouvelle raison d'être à sa musique, le reliant d'une certaine manière à la tradition des artistes-activistes tels que John Steinbeck (3) (Joad est le héros radical de Grapes Of Warth(4)) et à l'icône de la musique folk Woody Guthrie. Dans son style narratif familier, les chansons de Springsteen nous parlent de gens ordinaires luttant contre les aléas de la vie, présentant une série de personnages tels que des familles d'immigrés, des policiers frontaliers, des métallurgistes du Midwest, et les pauvres et les exclus de l'Amérique. On entend la sensibilité populiste de Guthrie à travers ces personnages : c'est une musique qui se bat pour obtenir la conscience publique.
A la suite d'un concert à Atlanta (le 28 janvier 1996, ndt) pour promouvoir l'album, Will Percy, le neveu de Walker, a rencontré Springsteen backstage, et les deux hommes ont discuté pendant des heures. Quand Springsteen a fait part de son regret de n'avoir jamais répondu à la lettre de l'oncle de Will, ce dernier l'a encouragé à écrire à sa tante, la veuve de Walker. Quelques mois plus tard, Springsteen, qui aime à répéter que "il m'est difficile d'écrire à moins de le faire sur une musique", s'est assis pour écrire quatre pages – une lettre qu'il avait mis des années à rédiger.
A l'automne dernier, Will Percy et Springsteen ont eu l'occasion de se rencontrer à nouveau, cette fois dans la ferme de Springsteen au cœur du New Jersey, pas très loin de la petite ville où Springsteen avait grandi et pas très loin des clubs de la Côte du New Jersey où il a pris ses marques pendant les années 1970. Avec un magnétophone en marche, les deux hommes ont exploré l'importance des livres dans la vie de Springsteen, plus récemment sa découverte des essais du Dr Percy avec The Message In The Bottle (5). Comme la lettre longue à venir écrite à Mme Percy, c'est une conversation que, peut-être, Bruce Springsteen aurait pu avoir avec Walker Percy.
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Quand les livres ont-ils commencé à influencer votre écriture et votre musique ? Je me souviens que dès 1978, quand je vous ai vu en concert, vous avez mentionné Born On The 4th Of July (6) de Ron Kovic, et vous lui avez dédié une chanson.
J'ai trouvé ce livre dans un drugstore en Arizona alors que je traversais en voiture le pays avec un de mes amis. Nous nous sommes arrêtés quelque part à la sortie de Phoenix, et il y avait un exemplaire en livre de poche sur le présentoir. J'ai donc acheté le livre et je l'ai lu entre Phoenix et Los Angeles, où j'ai séjourné dans ce petit motel. Tous les jours, il y avait un type en fauteuil roulant près de la piscine, deux ou trois jours de suite, et je pensais qu'il m'avait reconnu. Il est finalement venu vers moi, et m'a dit: "Salut, je m'appelle Ron Kovic" - c'était vraiment très bizarre - et je lui ai dit "Oh, Ron Kovic, c'est fou, c'est bien". Je pensais que je l'avais déjà rencontré quelque part. Et il me dit "Non, j'ai écrit un livre qui s'appelle Born On The 4th Of July". Et j'ai dit "Vous n'allez pas me croire. Je viens d'acheter votre livre dans un drugstore en Arizona et de le lire. C'est incroyable". Un livre vraiment, vraiment puissant. Et nous avons un peu discuté, et il m'a intéressé à l'idée de faire quelque chose pour la cause des anciens combattants. Il m'a emmené voir un centre d'anciens combattants à Venice, et j'ai rencontré quelques gars comme cette personne, Bobby Muller, un des créateurs de l'association VVA, Vietnam Veterans of America.
Je traverse des périodes pendant lesquelles je lis, et j'apprends beaucoup de mes lectures, et c'est cette lecture qui influence mon travail depuis la fin des années 70. Les films et les romans et les livres, bien plus que la musique, c'est ce qui me guide depuis cette époque-là. Votre oncle a écrit un jour que "les romans américains parlent de tout", et dans ma musique, écrire sur "tout" est ce qui m'a, en quelque sorte, intéressé : comment ressent-on le fait d'être vivant aujourd'hui, un citoyen de ce pays précisément à cet endroit et à ce moment donnés, et quelle en était la signification, et quelles étaient les possibilités si vous étiez né et aviez vécu aujourd'hui, ce que vous pouviez faire, ce que vous étiez capable de faire. Ces idées-là étaient celles qui m'intéressaient.
J'ai commencé les lectures vraiment importantes un peu avant la trentaine, avec des auteurs comme Flannery O'Connor (7). Il y avait quelque chose dans ses histoires qui, je pensais, arrivaient à capturer un certain rôle du personnage américain, un personnage sur lequel je voulais écrire. Ces écrits ont été une grande, grande révélation. Elle est arrivée jusqu'au cœur d'une certaine forme de méchanceté qu'elle n'a jamais exprimée explicitement, car si elle l'avait fait, vous n'auriez pas compris le message. C'était toujours situé au cœur de chacun dans ses histoires - la façon dont elle avait laissé ce vide, ce vide qui existe à l'intérieur de chacun. Il y avait quelque chose de sombre - un élément de la spiritualité - que je ressentais dans ses histoires, et qui m'a incité à explorer mes propres personnages. Elle connaissait le pêché originel - savait comment lui donner vie dans une histoire. Elle avait du talent et elle avait des idées, et l'un servait l'autre.
Je crois que je sortais d'une période où, dans mon écriture, j'écrivais d'une façon grande, parfois des choses lyriques, et de temps en temps, des choses rhétoriques. Il m'intéressait de trouver une autre façon d'écrire sur ces sujets-là, sur les gens, une autre façon d'aborder ce qui se passait autour de moi et dans mon pays – d'une manière plus petite, plus personnelle, une manière plus contenue de faire passer mes idées. Ainsi, juste avant le disque Nebraska, j'ai dévoré le travail de O'Connor. Et puis, plus tard, ces lectures m'ont mené aux livres de votre oncle, et vers les romans de Bobbie Ann Mason (8) - j'aime son travail.
J'ai aussi beaucoup appris de la photographie de Robert Frank dans The Americans (9). J'avais vingt-quatre ans quand j'ai vu ce livre pour la première fois - je crois qu'un ami m'en avait donné un exemplaire - et le ton des images, la façon dont il nous donnait un regard sur différentes sortes de gens, m'a marqué. J'ai toujours souhaité écrire des chansons de la manière dont il prenait des clichés. Je crois que je possède une demi-douzaine d'exemplaires de ce livre éparpillés dans la maison, et j'en feuillète un de temps en temps pour avoir un regard neuf sur ses photographies.
Je trouve intéressant que vous soyez beaucoup influencé par les films – vous avez dit que vous étiez plus influencé par les films et par les livres que par la musique. Dans les notes du livret de The Ghost Of Tom Joad vous citez à la fois le film de John Ford (10) et le livre The Grapes Of Warth de Steinbeck.
Je me suis intéressé au film avant de vraiment m'intéresser au livre. J'avais lu le livre au lycée, en même temps que Of Mice And Men (11) et quelques autres, et puis j'ai lu une nouvelle fois le livre après avoir vu le film. Mais je n'ai pas grandi dans une communauté d'idées - un endroit où vous pouvez vous assoir pour parler des livres, et parler de la façon dont vous les lisez, et de la façon dont ils vous affectent. Pendant un an, je suis allé à une université à quelques kilomètres d'ici, mais je n'ai pas retiré grand-chose de cet endroit particulier. Je pense être plus un produit de la culture populaire : les films et les disques, les films et les disques, les films et les disques, au début surtout. Et puis plus tard, plutôt des romans et des lectures.
J'ai trouvé ce livre dans un drugstore en Arizona alors que je traversais en voiture le pays avec un de mes amis. Nous nous sommes arrêtés quelque part à la sortie de Phoenix, et il y avait un exemplaire en livre de poche sur le présentoir. J'ai donc acheté le livre et je l'ai lu entre Phoenix et Los Angeles, où j'ai séjourné dans ce petit motel. Tous les jours, il y avait un type en fauteuil roulant près de la piscine, deux ou trois jours de suite, et je pensais qu'il m'avait reconnu. Il est finalement venu vers moi, et m'a dit: "Salut, je m'appelle Ron Kovic" - c'était vraiment très bizarre - et je lui ai dit "Oh, Ron Kovic, c'est fou, c'est bien". Je pensais que je l'avais déjà rencontré quelque part. Et il me dit "Non, j'ai écrit un livre qui s'appelle Born On The 4th Of July". Et j'ai dit "Vous n'allez pas me croire. Je viens d'acheter votre livre dans un drugstore en Arizona et de le lire. C'est incroyable". Un livre vraiment, vraiment puissant. Et nous avons un peu discuté, et il m'a intéressé à l'idée de faire quelque chose pour la cause des anciens combattants. Il m'a emmené voir un centre d'anciens combattants à Venice, et j'ai rencontré quelques gars comme cette personne, Bobby Muller, un des créateurs de l'association VVA, Vietnam Veterans of America.
Je traverse des périodes pendant lesquelles je lis, et j'apprends beaucoup de mes lectures, et c'est cette lecture qui influence mon travail depuis la fin des années 70. Les films et les romans et les livres, bien plus que la musique, c'est ce qui me guide depuis cette époque-là. Votre oncle a écrit un jour que "les romans américains parlent de tout", et dans ma musique, écrire sur "tout" est ce qui m'a, en quelque sorte, intéressé : comment ressent-on le fait d'être vivant aujourd'hui, un citoyen de ce pays précisément à cet endroit et à ce moment donnés, et quelle en était la signification, et quelles étaient les possibilités si vous étiez né et aviez vécu aujourd'hui, ce que vous pouviez faire, ce que vous étiez capable de faire. Ces idées-là étaient celles qui m'intéressaient.
J'ai commencé les lectures vraiment importantes un peu avant la trentaine, avec des auteurs comme Flannery O'Connor (7). Il y avait quelque chose dans ses histoires qui, je pensais, arrivaient à capturer un certain rôle du personnage américain, un personnage sur lequel je voulais écrire. Ces écrits ont été une grande, grande révélation. Elle est arrivée jusqu'au cœur d'une certaine forme de méchanceté qu'elle n'a jamais exprimée explicitement, car si elle l'avait fait, vous n'auriez pas compris le message. C'était toujours situé au cœur de chacun dans ses histoires - la façon dont elle avait laissé ce vide, ce vide qui existe à l'intérieur de chacun. Il y avait quelque chose de sombre - un élément de la spiritualité - que je ressentais dans ses histoires, et qui m'a incité à explorer mes propres personnages. Elle connaissait le pêché originel - savait comment lui donner vie dans une histoire. Elle avait du talent et elle avait des idées, et l'un servait l'autre.
Je crois que je sortais d'une période où, dans mon écriture, j'écrivais d'une façon grande, parfois des choses lyriques, et de temps en temps, des choses rhétoriques. Il m'intéressait de trouver une autre façon d'écrire sur ces sujets-là, sur les gens, une autre façon d'aborder ce qui se passait autour de moi et dans mon pays – d'une manière plus petite, plus personnelle, une manière plus contenue de faire passer mes idées. Ainsi, juste avant le disque Nebraska, j'ai dévoré le travail de O'Connor. Et puis, plus tard, ces lectures m'ont mené aux livres de votre oncle, et vers les romans de Bobbie Ann Mason (8) - j'aime son travail.
J'ai aussi beaucoup appris de la photographie de Robert Frank dans The Americans (9). J'avais vingt-quatre ans quand j'ai vu ce livre pour la première fois - je crois qu'un ami m'en avait donné un exemplaire - et le ton des images, la façon dont il nous donnait un regard sur différentes sortes de gens, m'a marqué. J'ai toujours souhaité écrire des chansons de la manière dont il prenait des clichés. Je crois que je possède une demi-douzaine d'exemplaires de ce livre éparpillés dans la maison, et j'en feuillète un de temps en temps pour avoir un regard neuf sur ses photographies.
Je trouve intéressant que vous soyez beaucoup influencé par les films – vous avez dit que vous étiez plus influencé par les films et par les livres que par la musique. Dans les notes du livret de The Ghost Of Tom Joad vous citez à la fois le film de John Ford (10) et le livre The Grapes Of Warth de Steinbeck.
Je me suis intéressé au film avant de vraiment m'intéresser au livre. J'avais lu le livre au lycée, en même temps que Of Mice And Men (11) et quelques autres, et puis j'ai lu une nouvelle fois le livre après avoir vu le film. Mais je n'ai pas grandi dans une communauté d'idées - un endroit où vous pouvez vous assoir pour parler des livres, et parler de la façon dont vous les lisez, et de la façon dont ils vous affectent. Pendant un an, je suis allé à une université à quelques kilomètres d'ici, mais je n'ai pas retiré grand-chose de cet endroit particulier. Je pense être plus un produit de la culture populaire : les films et les disques, les films et les disques, les films et les disques, au début surtout. Et puis plus tard, plutôt des romans et des lectures.
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D'où avez-vous puisé les influences musicales de vos premières chansons comparé à votre dernier album ?
Jusqu'à la fin des années 70, quand j'ai commencé à écrire des chansons sur les problèmes de classe sociale, j'étais plutôt influencé par la musique comme celle des Animals avec We Gotta Get Out Of This Place ou avec It's My Life (And I'll Do What I Want) – des disques populaires conscients, en quelque sorte, de l'existence de classes sociales - et je me disais : "C'est ma vie, c'est ma vie !" Ils me parlaient de ma propre expérience de l'exclusion. Je pense que c'est un thème présent dans la plupart de mon travail : la politique d'exclusion. Mes personnages ne sont pas réellement des anti-héros. Peut-être que c'est ce qui les rend démodés, d'une certaine façon. Ils veulent s'intégrer, et ils essayent de comprendre ce qui les en empêche.
Juste avant l'album Darkness On The Edge Of Town, je m'étais vraiment impliqué dans la musique country, et cet intérêt a eu un fort impact sur mon écriture, car je pense que la country est une musique véritablement consciente du problème des classes sociales. Et puis cet intérêt m'a progressivement amené vers Woody Guthrie et la musique folk. Guthrie était l'un des rares auteurs de chansons à cette époque-là qui était conscient des implications politiques de la musique qu'il écrivait - une véritable partie de sa conscience. Il a entrepris, délibérément, de traiter un large éventail de problèmes, d'avoir un effet, d'avoir un impact, d'écrire d'une certaine façon pour avoir un impact sur les choses: jouer son rôle dans la façon dont les choses bougent et dont les choses changent.
J'ai toujours essayé de décrocher la lune. J'avais des idées grandioses sur la façon d'utiliser ma propre musique, pour donner aux gens des sujets de réflexion – réflexion sur le monde, et sur ce qui est vrai et faux. J'ai été affecté de cette façon par des disques, et je voulais que ma propre musique et mon écriture s'élargissent de la même manière.
Jusqu'à la fin des années 70, quand j'ai commencé à écrire des chansons sur les problèmes de classe sociale, j'étais plutôt influencé par la musique comme celle des Animals avec We Gotta Get Out Of This Place ou avec It's My Life (And I'll Do What I Want) – des disques populaires conscients, en quelque sorte, de l'existence de classes sociales - et je me disais : "C'est ma vie, c'est ma vie !" Ils me parlaient de ma propre expérience de l'exclusion. Je pense que c'est un thème présent dans la plupart de mon travail : la politique d'exclusion. Mes personnages ne sont pas réellement des anti-héros. Peut-être que c'est ce qui les rend démodés, d'une certaine façon. Ils veulent s'intégrer, et ils essayent de comprendre ce qui les en empêche.
Juste avant l'album Darkness On The Edge Of Town, je m'étais vraiment impliqué dans la musique country, et cet intérêt a eu un fort impact sur mon écriture, car je pense que la country est une musique véritablement consciente du problème des classes sociales. Et puis cet intérêt m'a progressivement amené vers Woody Guthrie et la musique folk. Guthrie était l'un des rares auteurs de chansons à cette époque-là qui était conscient des implications politiques de la musique qu'il écrivait - une véritable partie de sa conscience. Il a entrepris, délibérément, de traiter un large éventail de problèmes, d'avoir un effet, d'avoir un impact, d'écrire d'une certaine façon pour avoir un impact sur les choses: jouer son rôle dans la façon dont les choses bougent et dont les choses changent.
J'ai toujours essayé de décrocher la lune. J'avais des idées grandioses sur la façon d'utiliser ma propre musique, pour donner aux gens des sujets de réflexion – réflexion sur le monde, et sur ce qui est vrai et faux. J'ai été affecté de cette façon par des disques, et je voulais que ma propre musique et mon écriture s'élargissent de la même manière.
Je note que vous parlez de "l'écriture" et non de "l'écriture de chansons". Est-ce que vous commencez par écrire les paroles et ensuite vous ajouter la musique ?
Quand j'écrivais de la musique rock, de la musique avec le groupe en entier, parfois le début était purement musical, et puis je cherchais une façon d'arriver à des paroles. Je n'ai pas écrit de cette façon depuis un bon moment. Dans la majorité de mon travail récent, les textes ont précédé la musique, bien que la musique reste toujours dans un coin de ma tête. Dans la plupart de mes chansons récentes, je raconte des histoires violentes très calmement. Vous entendez les pensées des personnages - ce qu'ils pensent quand ressortent tous les évènements qui ont contribué à leur situation. J'essaye donc d'avoir cette voix intérieure, comme ce sentiment la nuit quand vous êtes au lit et que vous fixez le plafond, méditatif en quelque sorte. Je voulais que les chansons aient cette sorte d'intimité qui vous emmène à l'intérieur de vous-même, et qui vous ramène ensuite dans le monde.
J'utilise la musique comme un moyen pour définir et colorier les personnages, pour transmettre le rythme de leur mots et leur allure. La musique agit comme une surface calme, et les paroles créent une vie émotionnelle violente soit dessus, ou soit dessous, et je laisse ces éléments se heurter entre eux.
La musique peut sembler accessoire, mais elle devient au final très importante. Elle vous permet de suggérer le passage du temps avec simplement quelques rythmes calmes. Des années peuvent s'écouler en quelques mesures, tandis qu'un écrivain devra proposer une façon intelligente de dire "Et puis les années ont passé..." Grâce à Dieu, je n'ai pas besoin de faire ça ! Écrire des chansons vous permet de tricher énormément. Vous pouvez présenter une vie entière en quelques minutes. Et alors, avec un peu de chance, à la fin, vous révélez quelque chose sur vous-même et sur votre public et sur le personnage de la chanson. L'écriture de nouvelles possède cette petite chose en commun dans le sens où l'histoire est guidée par les personnages. Les personnages se confrontent aux questions auxquelles tout le monde essaye de résoudre pour soi-même, ses problèmes moraux, la façon dont ces problèmes apparaissent dans le monde extérieur.
Quand j'écrivais de la musique rock, de la musique avec le groupe en entier, parfois le début était purement musical, et puis je cherchais une façon d'arriver à des paroles. Je n'ai pas écrit de cette façon depuis un bon moment. Dans la majorité de mon travail récent, les textes ont précédé la musique, bien que la musique reste toujours dans un coin de ma tête. Dans la plupart de mes chansons récentes, je raconte des histoires violentes très calmement. Vous entendez les pensées des personnages - ce qu'ils pensent quand ressortent tous les évènements qui ont contribué à leur situation. J'essaye donc d'avoir cette voix intérieure, comme ce sentiment la nuit quand vous êtes au lit et que vous fixez le plafond, méditatif en quelque sorte. Je voulais que les chansons aient cette sorte d'intimité qui vous emmène à l'intérieur de vous-même, et qui vous ramène ensuite dans le monde.
J'utilise la musique comme un moyen pour définir et colorier les personnages, pour transmettre le rythme de leur mots et leur allure. La musique agit comme une surface calme, et les paroles créent une vie émotionnelle violente soit dessus, ou soit dessous, et je laisse ces éléments se heurter entre eux.
La musique peut sembler accessoire, mais elle devient au final très importante. Elle vous permet de suggérer le passage du temps avec simplement quelques rythmes calmes. Des années peuvent s'écouler en quelques mesures, tandis qu'un écrivain devra proposer une façon intelligente de dire "Et puis les années ont passé..." Grâce à Dieu, je n'ai pas besoin de faire ça ! Écrire des chansons vous permet de tricher énormément. Vous pouvez présenter une vie entière en quelques minutes. Et alors, avec un peu de chance, à la fin, vous révélez quelque chose sur vous-même et sur votre public et sur le personnage de la chanson. L'écriture de nouvelles possède cette petite chose en commun dans le sens où l'histoire est guidée par les personnages. Les personnages se confrontent aux questions auxquelles tout le monde essaye de résoudre pour soi-même, ses problèmes moraux, la façon dont ces problèmes apparaissent dans le monde extérieur.
Alors que vos précédents albums pouvaient tous émerger d'une expérience personnelle - des gens et des lieux où vous aviez grandi, dans le New Jersey et ailleurs - vous semblez aujourd'hui avoir commencé à écrire sur d'autres personnes et d'autres sujets; comme les immigrés mexicains, par exemple, dans des chansons comme Sinaloa Cowboys. Avec cette chanson, je me souviens qu'en concert vous disiez qu'elle venait d'une rencontre que vous aviez faite dans le désert avec deux frères mexicains, lors d'un voyage.
Il n'existe pas d'endroit unique d'où provienne n'importe quelle chanson, évidemment. En vérité, dans mes premières compositions, j'ai beaucoup puisé dans mon expérience personnelle, en grandissant, l'expérience de mon père, l'expérience de mes proches et de ma ville. Mais il est arrivé un moment, au milieu des années 80, où j'ai senti que j'avais plus ou moins tout raconté sur tout ce que je savais à ce sujet-là. Je ne pouvais pas continuer à écrire sur ces mêmes sujets sans devenir mon propre stéréotype, ou en jouant trop autour de ces thèmes. J'ai ainsi plus ou moins passé les dix années suivantes à écrire sur les hommes et les femmes - leurs vies personnelles intimes. J'étais devenu introspectif, mais pas autobiographique. C'est seulement lorsque j'ai eu une vie stable sur ce plan-là que j'ai été amené à écrire vers l'extérieur - sur des questions sociales.
Une chanson telle que Sinaloa Cowboys provient de beaucoup d'endroits. J'avais rencontré un type dans le désert de l'Arizona quand j'étais en voyage avec des amis à moi, et il avait un frère plus jeune qui était mort dans un accident de moto. Il y a quelque chose dans les conversations avec les gens – les personnes que vous n'avez rencontré qu'une fois et que vous ne reverrez plus – qui reste toujours en moi. Et j'ai vécu pendant un moment à Los Angeles, et les reportages concernant la frontière et les problèmes d'immigration y sont sans cesse racontés dans les journaux. J'ai voyagé jusqu'à la frontière plusieurs fois.
Pourquoi avez-vous voulu voyager jusqu'à la frontière ?
Avec mon père, j'ai fait plusieurs voyages au Mexique il y a quelques années. Nous faisions ces longs trajets sur la route où, en gros, nous roulions sans but. La frontière n'était pas une chose à laquelle je pensais consciemment, c'était simplement un de ces endroits qui tout à coup, pour vous, commence à avoir une signification. Je suis toujours à la recherche de moyens pour raconter une histoire particulière, et je ressentais simplement la connexion, je n'arrive pas expliquer de quoi il s'agissait exactement - une connexion à certaines des choses sur lesquelles j'avais écrit par le passé.
Je ne pense pas que vous vous asseyiez pour écrire des choses qui ne soient pas personnel, d'une certaine façon. En fin de compte, tout votre travail est le fruit de votre propre psychologie et de votre expérience. Je n'écris jamais vraiment avec une idéologie particulière en tête. En tant qu'auteur, vous recherchez des moyens pour présenter des questions morales diverses - pour vous-même, parce que vous n'êtes pas sûr de la façon dont vous réagirez, et pour votre public. C'est la raison pour laquelle vous êtes payé – de ce que je peux raconter. Une partie de ce que nous appelons le divertissement devrait être "une nourriture pour l'esprit". C'est ce que je me suis toujours intéressé à faire depuis que je suis tout jeune, comment nous vivons dans le monde et comment nous devrions vivre dans ce monde. Je pense que la politique est implicite. Écrire de la rhétorique ou de l'idéologie ne m'intéresse pas. Je crois que c'est Walt Whitman (12) qui disait "Le travail du poète est de connaître l'âme !" Vous faites de grands efforts pour y arriver, pour aider votre public à trouver et à connaître sa propre âme. C'est toujours au cœur de ce que vous écrivez, de ce qui guide votre musique.
Tout se trouve réellement dans l'essai de votre oncle The Man On the Train (13) sur "l'esprit vagabond" et l'homme moderne - tout ce qui est arrivé depuis la Révolution Industrielle, lorsque les gens ont été déracinés et se mettaient en route vers des villes où ils n'avaient jamais mis les pieds auparavant, quittant leurs familles, abandonnant leurs traditions vieilles de plusieurs siècles. De manière amusante, vous pouvez même retrouver une trace de cette histoire dans Johnny B. Goode de Chuck Berry. Je pense que nous essayons tous de trouver ce qui ressemble à un foyer, ou de créer un foyer quel qu'il soit, alors que nous sommes constamment déracinés par la technologie, par la fermeture d'usines.
Je me souviens quand mes parents ont déménagé en Californie - j'avais environ dix-huit ans. Mes parents avaient décidé qu'ils allaient quitter le New Jersey, mais ils n'avaient vraiment aucune idée de où aller. J'avais une petite amie à l'époque et c'était une sorte de hippie. C'était la seule personne que nous connaissions qui avait déjà été en Californie. Elle avait été à Sausalito, et elle a suggéré qu'ils pourraient y aller. Vous pouvez imaginer - Sausalito à la fin des années 60 ! Ils sont donc allés à Sausalito, cinq mille kilomètres à l'autre bout du pays, et ils n'avaient probablement que trois mille dollars d'économies et cet argent devait leur fournir un endroit où vivre, et ils devaient trouver du travail. Ils sont donc allés à Sausalito et ils se sont rendus compte que ce n'était pas ça. Ma mère disait qu'ils avaient été dans une station-service et qu'elle avait demandé à l'employé, "Où est-ce que les gens comme nous vivent ?" - c'est une question qui ressemble au titre d'une histoire de Raymond Carver (14) ! - et le gars lui a dit, "Oh, vous vivez dans la Péninsule" (15). Et c'est ce qu'ils ont fait. Ils sont allés au sud de San Francisco et depuis, ils vivent là-bas. A l'époque, mon père avait quarante-deux ans - c'est amusant de penser qu'il avait sept ou huit ans de moins que moi aujourd'hui. C'était un grand voyage, qui a nécessité beaucoup d'aplomb, beaucoup de courage, en ayant grandi dans notre petite ville du New Jersey.
Mais cette histoire nous ramène à ces mêmes questions : comment créez-vous une sorte de foyer dans lequel vous voulez vivre, comment créez-vous une sorte de société dans laquelle vous voulez vivre, quel rôle jouez-vous pour y arriver ? Pour moi, toutes ces choses-là sont connectées, mais ces connexions sont difficiles à établir. Le rythme du monde moderne, l'industrialisation, et la post-industrialisation ont rendu toute forme de relation humaine très difficile à maintenir et à soutenir. Pour faire vivre cette situation moderne - comment vivons-nous à présent, nos complexes et nos choix - c'est l'essence même de la musique et du cinéma et de l'art - c'est le service que vous offrez, c'est la fonction que vous fournissez comme artiste. C'est ce qui continue de m'intéresser dans l'écriture.
Ce que nous appelons "art" concerne la politique sociale - et concerne le fait de savoir comment vous et votre femme ou vous et votre petite amie vous vous entendez, à n'importe quel moment donné. Dans ma musique, je me suis intéressé à traiter ces éléments fondamentaux. Et comment j'y arrive ? Je le fais en racontant des histoires, à travers les voix de personnages - des histoires, qui avec optimisme, parlent d'intégration. Les histoires dans The Ghost Of Tom Joad étaient une extension de ces idées-là : des histoires sur des frères, des amants, sur le mouvement, l'exclusion – l'exclusion politique, l'exclusion sociale - et également des histoires sur la responsabilité de ces individus - faisant de mauvais choix ou des choix qu'ils ont fait le dos au mur.
Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont toutes ces choses s'entrecroisent. La façon dont les questions sociales et les questions personnelles débordent les unes sur les autres. Pour moi, c'est la façon dont vivent les gens. Ces questions traversent notre quotidien. Les gens s'y embourbent, ils ne savent pas comment les appréhender, ils se perdent dans ces questions. Mon travail est une carte, quelle qu'en soit sa valeur - à la fois pour mon public et pour moi-même - et c'est la seule chose qui ait de la valeur, additionné, avec un peu de chance, à une vie bien vécue que nous laissons aux gens que nous aimons. J'ai été chanceux d'avoir trouvé par hasard cette opportunité tôt dans ma vie. La seule chose originale, je pense, a été de trouver un langage original qui me permettait d'exprimer ces idées. D'autres personnes galèrent constamment pour trouver ce langage, ou ne le trouvent pas - le langage de l'âme - ou explosent dans la violence ou l'indifférence ou la torpeur, complètement anesthésiés devant la télévision. "Le Langage" - c'est ce que William Carlos Williams (16) n'a cessé de dire, le langage des vivants, pas des morts !
Si je généralise trop, arrêtez-moi. Je ne sais pas si je le fais ou non, mais en quelque sorte c'est mon but, d'établir un facteur commun de base en révélant notre humanité intérieure élémentaire, en racontant de bonnes histoires sur beaucoup de différentes sortes de gens. Les chansons sur le dernier album m'ont relié à mon passé, à ce que j'ai écris sur mon passé, et elles m'ont aussi reliées à ce que je pensais être l'avenir de mon écriture.
Il n'existe pas d'endroit unique d'où provienne n'importe quelle chanson, évidemment. En vérité, dans mes premières compositions, j'ai beaucoup puisé dans mon expérience personnelle, en grandissant, l'expérience de mon père, l'expérience de mes proches et de ma ville. Mais il est arrivé un moment, au milieu des années 80, où j'ai senti que j'avais plus ou moins tout raconté sur tout ce que je savais à ce sujet-là. Je ne pouvais pas continuer à écrire sur ces mêmes sujets sans devenir mon propre stéréotype, ou en jouant trop autour de ces thèmes. J'ai ainsi plus ou moins passé les dix années suivantes à écrire sur les hommes et les femmes - leurs vies personnelles intimes. J'étais devenu introspectif, mais pas autobiographique. C'est seulement lorsque j'ai eu une vie stable sur ce plan-là que j'ai été amené à écrire vers l'extérieur - sur des questions sociales.
Une chanson telle que Sinaloa Cowboys provient de beaucoup d'endroits. J'avais rencontré un type dans le désert de l'Arizona quand j'étais en voyage avec des amis à moi, et il avait un frère plus jeune qui était mort dans un accident de moto. Il y a quelque chose dans les conversations avec les gens – les personnes que vous n'avez rencontré qu'une fois et que vous ne reverrez plus – qui reste toujours en moi. Et j'ai vécu pendant un moment à Los Angeles, et les reportages concernant la frontière et les problèmes d'immigration y sont sans cesse racontés dans les journaux. J'ai voyagé jusqu'à la frontière plusieurs fois.
Pourquoi avez-vous voulu voyager jusqu'à la frontière ?
Avec mon père, j'ai fait plusieurs voyages au Mexique il y a quelques années. Nous faisions ces longs trajets sur la route où, en gros, nous roulions sans but. La frontière n'était pas une chose à laquelle je pensais consciemment, c'était simplement un de ces endroits qui tout à coup, pour vous, commence à avoir une signification. Je suis toujours à la recherche de moyens pour raconter une histoire particulière, et je ressentais simplement la connexion, je n'arrive pas expliquer de quoi il s'agissait exactement - une connexion à certaines des choses sur lesquelles j'avais écrit par le passé.
Je ne pense pas que vous vous asseyiez pour écrire des choses qui ne soient pas personnel, d'une certaine façon. En fin de compte, tout votre travail est le fruit de votre propre psychologie et de votre expérience. Je n'écris jamais vraiment avec une idéologie particulière en tête. En tant qu'auteur, vous recherchez des moyens pour présenter des questions morales diverses - pour vous-même, parce que vous n'êtes pas sûr de la façon dont vous réagirez, et pour votre public. C'est la raison pour laquelle vous êtes payé – de ce que je peux raconter. Une partie de ce que nous appelons le divertissement devrait être "une nourriture pour l'esprit". C'est ce que je me suis toujours intéressé à faire depuis que je suis tout jeune, comment nous vivons dans le monde et comment nous devrions vivre dans ce monde. Je pense que la politique est implicite. Écrire de la rhétorique ou de l'idéologie ne m'intéresse pas. Je crois que c'est Walt Whitman (12) qui disait "Le travail du poète est de connaître l'âme !" Vous faites de grands efforts pour y arriver, pour aider votre public à trouver et à connaître sa propre âme. C'est toujours au cœur de ce que vous écrivez, de ce qui guide votre musique.
Tout se trouve réellement dans l'essai de votre oncle The Man On the Train (13) sur "l'esprit vagabond" et l'homme moderne - tout ce qui est arrivé depuis la Révolution Industrielle, lorsque les gens ont été déracinés et se mettaient en route vers des villes où ils n'avaient jamais mis les pieds auparavant, quittant leurs familles, abandonnant leurs traditions vieilles de plusieurs siècles. De manière amusante, vous pouvez même retrouver une trace de cette histoire dans Johnny B. Goode de Chuck Berry. Je pense que nous essayons tous de trouver ce qui ressemble à un foyer, ou de créer un foyer quel qu'il soit, alors que nous sommes constamment déracinés par la technologie, par la fermeture d'usines.
Je me souviens quand mes parents ont déménagé en Californie - j'avais environ dix-huit ans. Mes parents avaient décidé qu'ils allaient quitter le New Jersey, mais ils n'avaient vraiment aucune idée de où aller. J'avais une petite amie à l'époque et c'était une sorte de hippie. C'était la seule personne que nous connaissions qui avait déjà été en Californie. Elle avait été à Sausalito, et elle a suggéré qu'ils pourraient y aller. Vous pouvez imaginer - Sausalito à la fin des années 60 ! Ils sont donc allés à Sausalito, cinq mille kilomètres à l'autre bout du pays, et ils n'avaient probablement que trois mille dollars d'économies et cet argent devait leur fournir un endroit où vivre, et ils devaient trouver du travail. Ils sont donc allés à Sausalito et ils se sont rendus compte que ce n'était pas ça. Ma mère disait qu'ils avaient été dans une station-service et qu'elle avait demandé à l'employé, "Où est-ce que les gens comme nous vivent ?" - c'est une question qui ressemble au titre d'une histoire de Raymond Carver (14) ! - et le gars lui a dit, "Oh, vous vivez dans la Péninsule" (15). Et c'est ce qu'ils ont fait. Ils sont allés au sud de San Francisco et depuis, ils vivent là-bas. A l'époque, mon père avait quarante-deux ans - c'est amusant de penser qu'il avait sept ou huit ans de moins que moi aujourd'hui. C'était un grand voyage, qui a nécessité beaucoup d'aplomb, beaucoup de courage, en ayant grandi dans notre petite ville du New Jersey.
Mais cette histoire nous ramène à ces mêmes questions : comment créez-vous une sorte de foyer dans lequel vous voulez vivre, comment créez-vous une sorte de société dans laquelle vous voulez vivre, quel rôle jouez-vous pour y arriver ? Pour moi, toutes ces choses-là sont connectées, mais ces connexions sont difficiles à établir. Le rythme du monde moderne, l'industrialisation, et la post-industrialisation ont rendu toute forme de relation humaine très difficile à maintenir et à soutenir. Pour faire vivre cette situation moderne - comment vivons-nous à présent, nos complexes et nos choix - c'est l'essence même de la musique et du cinéma et de l'art - c'est le service que vous offrez, c'est la fonction que vous fournissez comme artiste. C'est ce qui continue de m'intéresser dans l'écriture.
Ce que nous appelons "art" concerne la politique sociale - et concerne le fait de savoir comment vous et votre femme ou vous et votre petite amie vous vous entendez, à n'importe quel moment donné. Dans ma musique, je me suis intéressé à traiter ces éléments fondamentaux. Et comment j'y arrive ? Je le fais en racontant des histoires, à travers les voix de personnages - des histoires, qui avec optimisme, parlent d'intégration. Les histoires dans The Ghost Of Tom Joad étaient une extension de ces idées-là : des histoires sur des frères, des amants, sur le mouvement, l'exclusion – l'exclusion politique, l'exclusion sociale - et également des histoires sur la responsabilité de ces individus - faisant de mauvais choix ou des choix qu'ils ont fait le dos au mur.
Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont toutes ces choses s'entrecroisent. La façon dont les questions sociales et les questions personnelles débordent les unes sur les autres. Pour moi, c'est la façon dont vivent les gens. Ces questions traversent notre quotidien. Les gens s'y embourbent, ils ne savent pas comment les appréhender, ils se perdent dans ces questions. Mon travail est une carte, quelle qu'en soit sa valeur - à la fois pour mon public et pour moi-même - et c'est la seule chose qui ait de la valeur, additionné, avec un peu de chance, à une vie bien vécue que nous laissons aux gens que nous aimons. J'ai été chanceux d'avoir trouvé par hasard cette opportunité tôt dans ma vie. La seule chose originale, je pense, a été de trouver un langage original qui me permettait d'exprimer ces idées. D'autres personnes galèrent constamment pour trouver ce langage, ou ne le trouvent pas - le langage de l'âme - ou explosent dans la violence ou l'indifférence ou la torpeur, complètement anesthésiés devant la télévision. "Le Langage" - c'est ce que William Carlos Williams (16) n'a cessé de dire, le langage des vivants, pas des morts !
Si je généralise trop, arrêtez-moi. Je ne sais pas si je le fais ou non, mais en quelque sorte c'est mon but, d'établir un facteur commun de base en révélant notre humanité intérieure élémentaire, en racontant de bonnes histoires sur beaucoup de différentes sortes de gens. Les chansons sur le dernier album m'ont relié à mon passé, à ce que j'ai écris sur mon passé, et elles m'ont aussi reliées à ce que je pensais être l'avenir de mon écriture.
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Pensez-vous que votre dernier album, qui n'était pas un disque de pop ou de rock'n'roll, a eu le même impact que vos autres disques sur le grand public ?
J'ai fait des disques dont je savais qu'ils rencontreraient un public plus limité que certains de mes autres disques. Je suppose que la véritable question qui se pose est, Comment faire en sorte que ce type de travail soit écouté - en dépit du bruit de la société moderne, et du bruit des médias, deux cents chaînes de télévision... ? Aujourd'hui, les gens sont inondés d'un tas de débilités, les débouchés et les voies pour tout type de travail introspectif central tendent ainsi à se marginaliser. Le dernier disque a peut-être été diffusé occasionnellement à la radio, mais très peu. C'est un paradoxe pour un artiste - si vous vous lancez dans votre travail avec l'idée d'avoir un impact sur la société, quand, par le biais d'un média particulier, ce travail est marginalisé depuis le début. Je n'ai aucune réponse, sauf l'espoir d'être entendu d'une manière ou d'une autre - et il existe des maisons de disques, et des chaînes de télévision, et des chaînes de musique qui sont intéressées par la diffusion de ce genre de travail.
Je pense que vous devez sentir qu'il existe beaucoup de différentes manières d'atteindre les gens, pour les aider à réfléchir à ce qui est vraiment important dans cette unique vie que nous vivons. Il y a la culture pop - c'est l'approche "coup-de-poing", où vous balancez le produit et il devient interprété de différentes façons, et certains accrochent. Et puis il existe une approche plus intime, plus centrée comme j'ai essayé avec Tom Joad. J'ai beaucoup échangé sur le dernier album avec énormément de gens différents - des écrivains, des enseignants, ceux qui ont un impact en façonnant les vies d'autres personnes.
Pensez-vous que la culture pop puisse encore avoir un effet positif ?
Et bien, c'est drôle. Quand la musique punk a débarqué à la fin des années 70, ce n'était pas une musique qui passait à la radio, et personne ne pensait que, Oh oui, ce sera populaire en 1992 pour deux générations d'enfants. Mais cette musique s'est frayée un chemin, et aujourd'hui elle a un impact énorme sur la musique et la culture des années 90. C'était une musique puissante, profonde, et elle allait trouver un moyen pour finalement se faire entendre. Je pense donc qu'il y a beaucoup de moyens différents d'atteindre ce genre d'impact que la plupart des écrivains, et des cinéastes, des photographes, des musiciens veulent pour leur travail. Ce n'est pas toujours quelque chose qui se produit immédiatement - le "Big Bang" !
A l'exception de certains moments dans l'histoire de la culture populaire, il est difficile de dire ce qui n'a plus d'impact, et particulièrement aujourd'hui où il existe tant d'alternatives. Aujourd'hui, nous avons le cinquième Batman qui passe au cinéma ! Je pense à un extrait de l'essai The Man On The Train où votre oncle parle d'aliénation. Il dit que l'homme véritablement aliéné n'est pas celui qui se désespère et qui essaye de trouver sa place dans le monde. C'est celui qui vient juste de finir le vingtième roman de Perry Mason d'Erle Stanley Gardner (17). C'est lui l'homme seul ! C'est lui l'aliéné ! Vous pourriez tout aussi dire de celui qui vient de voir le cinquième Batman, que c'est lui l'aliéné. Mais comme n'importe qui, j'aime encore sortir le samedi soir et acheter du pop-corn et regarder des choses exploser, mais quand ça devient la majeure partie des choix que vous avez, quand vous avez seize cinémas et que quatorze d'entre eux projettent exactement le même film, vous sentez que quelque chose ne tourne pas rond par ici. Et si vous vivez en dehors d'une grande agglomération, peut-être êtes-vous chanceux de trouver un cinéma en ville qui joue des films qui soient légèrement différents de ces choix.
Il y a une illusion de choix qui existe, mais c'est une illusion, ce n'est pas un véritable choix. Je pense que c'est une vérité dans le domaine politique et dans la culture pop et je crois qu'il y a un certain dédain et du cynisme qui vont de paire – la supposition que les gens ne sont pas prêts pour quelque chose de nouveau et de différent.
Pensez-vous que la culture de la célébrité est une des causes de certains de ces problèmes ? Vous semblez avoir échappé à certains des problèmes qui vont de pair avec le fait d'être célèbre.
Je ne sais pas, c'est la même vieille histoire – beaucoup dépend de la façon dont vous jouez votre rôle. En un sens, ma musique a été inclusive et assez personnelle, peut-être même sympathique. J'ai apprécié ces pièges de temps en temps, mais je pense aimer une certaine forme de liberté. Évidemment, j'apprécie de voir que mon travail peut être reconnu, et quand vous montez sur scène et que vous remuez le cul devant vingt mille personnes, quelque part vous cherchez les ennuis. J'espère avoir gardé mon équilibre. J'apprécie ma vie privée.
Je ne pense pas que la fascination pour les célébrités disparaîtra vraiment. Un intellectuel dirait que les gens qui vivaient pendant l'Ère Industrielle ont quitté leurs fermes et leurs villes, et ne pouvaient plus donc bavarder avec leurs voisins, par-dessus la clôture - et tout à coup, il y a eu un essor d'une culture de la célébrité, pour que nous puissions avoir des gens en commun sur lesquels parler.
Le souci moral essentiel pourrait être que nous vivons dans un pays où la seule intrigue pourrait devenir qui réussit et qui est numéro un, et ce que vous en faites. Le problème se pose vraiment si une certaine partie de votre vie en tant qu'écrivain - votre "célébrité", ou quel que soit le nom que vous lui donnez – arrive à brouiller et à obscurcir l'histoire que vous désirez raconter. Je l'ai ressenti et je l'ai vu à certains moments. Une des questions les plus courantes qui m'ait été posée lors de la dernière tournée, même par des critiques intelligents, était "Pourquoi écrivez-vous ces chansons ? De quoi vous plaigniez-vous ? Vous avez réussi" C'est à ce moment-là que l'essai de votre oncle Notes On A Novel About The End Of The World (18) m'a été utile, ainsi qu'à mon écriture. Votre oncle présente l'histoire derrière ces mêmes commentaires: "Le répertoire est si déprimant. Les chansons sont si tristes". Il explique le but moral et humain de l'écriture en utilisant cette analogie du canari qui descend dans la mine avec les mineurs: quand le canari commence à crier et crier encore et que finalement il s'écroule, les mineurs se rendent compte qu'il est temps de remonter à la surface et de réfléchir quelque peu. C'est l'écrivain - l'écrivain du vingtième-siècle qui est ce canari pour la majeure partie de la société.
Peut-être que beaucoup d'entre nous utilisons l'idée de "célébrité" pour maintenir l'idée que tout va bien, qu'il y a toujours quelqu'un demain qui gagnera son million. En tant que célébrité, vous ne vous inquiétez pas de vos factures, vous avez une énorme liberté pour écrire et faire ce que vous voulez. Vous pouvez vivre avec confortablement. Mais si votre travail consiste à essayer de montrer à quel endroit souffre votre pays et à quel endroit souffrent les gens, votre propre succès sert à renverser ou à casser les questions que vous posez à votre public. C'est délicat, parce que la société américaine a une idée très stricte de ce qu'est le succès et de ce qu'est l'échec. Nous sommes tous "nés aux USA" et vous en portez une partie avec vous. Mais c'est ironique si la "célébrité" est utilisée pour rassurer beaucoup de gens, ayant du mal à y arriver, ce "Regarde, quelqu'un y arrive vraiment, réussit grandement, donc tout va bien, laisse-toi simplement aller et oublie tous tes problèmes dans cet énorme succès !"
J'ai fait des disques dont je savais qu'ils rencontreraient un public plus limité que certains de mes autres disques. Je suppose que la véritable question qui se pose est, Comment faire en sorte que ce type de travail soit écouté - en dépit du bruit de la société moderne, et du bruit des médias, deux cents chaînes de télévision... ? Aujourd'hui, les gens sont inondés d'un tas de débilités, les débouchés et les voies pour tout type de travail introspectif central tendent ainsi à se marginaliser. Le dernier disque a peut-être été diffusé occasionnellement à la radio, mais très peu. C'est un paradoxe pour un artiste - si vous vous lancez dans votre travail avec l'idée d'avoir un impact sur la société, quand, par le biais d'un média particulier, ce travail est marginalisé depuis le début. Je n'ai aucune réponse, sauf l'espoir d'être entendu d'une manière ou d'une autre - et il existe des maisons de disques, et des chaînes de télévision, et des chaînes de musique qui sont intéressées par la diffusion de ce genre de travail.
Je pense que vous devez sentir qu'il existe beaucoup de différentes manières d'atteindre les gens, pour les aider à réfléchir à ce qui est vraiment important dans cette unique vie que nous vivons. Il y a la culture pop - c'est l'approche "coup-de-poing", où vous balancez le produit et il devient interprété de différentes façons, et certains accrochent. Et puis il existe une approche plus intime, plus centrée comme j'ai essayé avec Tom Joad. J'ai beaucoup échangé sur le dernier album avec énormément de gens différents - des écrivains, des enseignants, ceux qui ont un impact en façonnant les vies d'autres personnes.
Pensez-vous que la culture pop puisse encore avoir un effet positif ?
Et bien, c'est drôle. Quand la musique punk a débarqué à la fin des années 70, ce n'était pas une musique qui passait à la radio, et personne ne pensait que, Oh oui, ce sera populaire en 1992 pour deux générations d'enfants. Mais cette musique s'est frayée un chemin, et aujourd'hui elle a un impact énorme sur la musique et la culture des années 90. C'était une musique puissante, profonde, et elle allait trouver un moyen pour finalement se faire entendre. Je pense donc qu'il y a beaucoup de moyens différents d'atteindre ce genre d'impact que la plupart des écrivains, et des cinéastes, des photographes, des musiciens veulent pour leur travail. Ce n'est pas toujours quelque chose qui se produit immédiatement - le "Big Bang" !
A l'exception de certains moments dans l'histoire de la culture populaire, il est difficile de dire ce qui n'a plus d'impact, et particulièrement aujourd'hui où il existe tant d'alternatives. Aujourd'hui, nous avons le cinquième Batman qui passe au cinéma ! Je pense à un extrait de l'essai The Man On The Train où votre oncle parle d'aliénation. Il dit que l'homme véritablement aliéné n'est pas celui qui se désespère et qui essaye de trouver sa place dans le monde. C'est celui qui vient juste de finir le vingtième roman de Perry Mason d'Erle Stanley Gardner (17). C'est lui l'homme seul ! C'est lui l'aliéné ! Vous pourriez tout aussi dire de celui qui vient de voir le cinquième Batman, que c'est lui l'aliéné. Mais comme n'importe qui, j'aime encore sortir le samedi soir et acheter du pop-corn et regarder des choses exploser, mais quand ça devient la majeure partie des choix que vous avez, quand vous avez seize cinémas et que quatorze d'entre eux projettent exactement le même film, vous sentez que quelque chose ne tourne pas rond par ici. Et si vous vivez en dehors d'une grande agglomération, peut-être êtes-vous chanceux de trouver un cinéma en ville qui joue des films qui soient légèrement différents de ces choix.
Il y a une illusion de choix qui existe, mais c'est une illusion, ce n'est pas un véritable choix. Je pense que c'est une vérité dans le domaine politique et dans la culture pop et je crois qu'il y a un certain dédain et du cynisme qui vont de paire – la supposition que les gens ne sont pas prêts pour quelque chose de nouveau et de différent.
Pensez-vous que la culture de la célébrité est une des causes de certains de ces problèmes ? Vous semblez avoir échappé à certains des problèmes qui vont de pair avec le fait d'être célèbre.
Je ne sais pas, c'est la même vieille histoire – beaucoup dépend de la façon dont vous jouez votre rôle. En un sens, ma musique a été inclusive et assez personnelle, peut-être même sympathique. J'ai apprécié ces pièges de temps en temps, mais je pense aimer une certaine forme de liberté. Évidemment, j'apprécie de voir que mon travail peut être reconnu, et quand vous montez sur scène et que vous remuez le cul devant vingt mille personnes, quelque part vous cherchez les ennuis. J'espère avoir gardé mon équilibre. J'apprécie ma vie privée.
Je ne pense pas que la fascination pour les célébrités disparaîtra vraiment. Un intellectuel dirait que les gens qui vivaient pendant l'Ère Industrielle ont quitté leurs fermes et leurs villes, et ne pouvaient plus donc bavarder avec leurs voisins, par-dessus la clôture - et tout à coup, il y a eu un essor d'une culture de la célébrité, pour que nous puissions avoir des gens en commun sur lesquels parler.
Le souci moral essentiel pourrait être que nous vivons dans un pays où la seule intrigue pourrait devenir qui réussit et qui est numéro un, et ce que vous en faites. Le problème se pose vraiment si une certaine partie de votre vie en tant qu'écrivain - votre "célébrité", ou quel que soit le nom que vous lui donnez – arrive à brouiller et à obscurcir l'histoire que vous désirez raconter. Je l'ai ressenti et je l'ai vu à certains moments. Une des questions les plus courantes qui m'ait été posée lors de la dernière tournée, même par des critiques intelligents, était "Pourquoi écrivez-vous ces chansons ? De quoi vous plaigniez-vous ? Vous avez réussi" C'est à ce moment-là que l'essai de votre oncle Notes On A Novel About The End Of The World (18) m'a été utile, ainsi qu'à mon écriture. Votre oncle présente l'histoire derrière ces mêmes commentaires: "Le répertoire est si déprimant. Les chansons sont si tristes". Il explique le but moral et humain de l'écriture en utilisant cette analogie du canari qui descend dans la mine avec les mineurs: quand le canari commence à crier et crier encore et que finalement il s'écroule, les mineurs se rendent compte qu'il est temps de remonter à la surface et de réfléchir quelque peu. C'est l'écrivain - l'écrivain du vingtième-siècle qui est ce canari pour la majeure partie de la société.
Peut-être que beaucoup d'entre nous utilisons l'idée de "célébrité" pour maintenir l'idée que tout va bien, qu'il y a toujours quelqu'un demain qui gagnera son million. En tant que célébrité, vous ne vous inquiétez pas de vos factures, vous avez une énorme liberté pour écrire et faire ce que vous voulez. Vous pouvez vivre avec confortablement. Mais si votre travail consiste à essayer de montrer à quel endroit souffre votre pays et à quel endroit souffrent les gens, votre propre succès sert à renverser ou à casser les questions que vous posez à votre public. C'est délicat, parce que la société américaine a une idée très stricte de ce qu'est le succès et de ce qu'est l'échec. Nous sommes tous "nés aux USA" et vous en portez une partie avec vous. Mais c'est ironique si la "célébrité" est utilisée pour rassurer beaucoup de gens, ayant du mal à y arriver, ce "Regarde, quelqu'un y arrive vraiment, réussit grandement, donc tout va bien, laisse-toi simplement aller et oublie tous tes problèmes dans cet énorme succès !"
Pensez-vous en avoir fini avec les vidéos-clips ?
Je ne sais pas. Probablement que oui. Il n'y a personne par ici attendant immédiatement, le souffle coupé, mon prochain clip. Je n'ai jamais été vraiment un artiste vidéo. J'ai été "pré-vidéo" et je pense le rester, bien qu'aujourd'hui, je sois peut-être "post-vidéo".
Les vidéos-clips ont eu un énorme impact sur la façon de recevoir des images visuelles à la télévision et au cinéma - et ce qui a accéléré la façon dont le monde musical travaillait, pour le meilleur ou pour le pire. Quand j'ai débuté, vous aviez un groupe, vous faisiez une tournée pendant deux ou trois, quatre ans, vous faisiez un millier de concerts ou cinq cent concerts, c'est de cette façon-là que vous vous construisiez un public, et alors peut-être que vous faisiez un hit. Je suis désolé pour certains de ces jeunes groupes talentueux qui arrivent : ils ont un disque qui a du succès, un ou deux vidéo-clips, et puis c'est fini. Je pense que cela a rendu le monde de la musique peut-être plus instable. D'une certaine manière, c'est peut-être plus rapide pour certains jeunes groupes, mais je pense que c'est également plus difficile, parce que vous n'avez pas le temps de construire une relation durable avec votre public.
Il y avait quelque chose à développer lentement un public – vous attiriez un public qui restait avec vous durant une longue période de temps, et il commençait à s'impliquer sur les questions que vous posiez et les problèmes que vous souleviez. C'est un public avec lequel vous partagiez une histoire. Je voyais le travail que j'accomplissais comme le travail de ma vie. Je pensais que je jouerais de la musique toute ma vie et que j'écrirais ma vie entière, et je voulais continuellement faire partie de la vie de mon public. La manière dont vous le faites est la même que la manière dont votre public vit sa vie - vous l'accomplissez en essayant de répondre aux questions que vous et eux se sont posés en même temps, quelquefois en posant de nouvelles questions. Vous trouvez où ces questions vous mènent - vos actions dans le monde. Vous en enlevez l'aspect esthétique et, avec un peu de chance, vous l'amenez dans votre vie quotidienne et concrète, le moral ou l'éthique.
Man On The Train m'a aidé à penser à ces choses d'une certaine manière, quand votre oncle dissèque les héros des vieux westerns. Nous avons notre héros mythologique, Gary Cooper, qui est capable de pure action, que ce soit tout ou rien, et il ressemble à une personne marchant au-dessus de cet abîme d'anxiété, et il n'échouera pas. Alors que le cinéphile, la personne regardant le film, n'en est pas capable. Il n'y a pas de véritable abîme sous Gary Cooper, mais il y en a un sous la personne qui regarde le film ! Amener les gens hors de cet abîme, les aider et m'aider à réaliser dans quel endroit nous nous "trouvons" tous, aider mon public à répondre aux questions posées - c'est ce qui m'intéresse dans mon propre travail.
C'est ce que j'essaie d'accomplir le soir, en concert. Présenter des idées, poser des questions, essayer d'amener les gens au plus près des personnages dans mes chansons, plus près d'eux-mêmes – pour qu'ils puissent aussi prendre ces idées, ces questions - des questions morales fondamentales sur la façon dont nous vivons et sur la façon dont nous nous comportons vis-à-vis de l'autre - et puis déplacer ces questions de l'esthétique au pratique, dans une certaine forme d'action, que ce soit une action au sein de la communauté, ou une action dans la manière de traiter votre femme, ou votre enfant, ou de parler à votre collègue de travail. C'est ce qui peut être fait, et ce qui est fait, à travers les films et la musique et la photographie et la peinture. Ce sont de véritables changements que, je pense, vous pouvez apporter dans la vie des gens, et c'est ce que j'ai réalisé dans ma vie à travers des romans et des films et des disques et des gens qui comptaient pour moi. N'est-ce pas ce que votre oncle voulait dire par "réflexion existentialiste" ?
Et il existe beaucoup de moyens différents d'y arriver. Vous n'avez pas besoin que votre travail ait directement une conscience sociale. Vous pouvez argumenter qu'un des artistes les plus socialement conscients de la deuxième moitié du XXème siècle était Elvis Presley, même s'il n'a probablement pas débuté sa carrière avec une série d'idées politiques en tête qu'il voulait mettre en place. Il disait, "Je suis tout secoué et je veux vous secouer" et c'est ce qui est arrivé. Il a eu un énorme impact sur la façon dont vivaient les gens, la façon dont ils réagissaient face à eux-mêmes, à leur propre physicalité, à l'intégration de leur propre nature. Je pense qu'il était une de ces personnes qui, à sa manière, a mené aux années 60 et au mouvement des Droits Civiques. Il a commencé par "tous nous secouer", ce pauvre gosse blanc du Mississippi qui a établit des liens avec les noirs à travers leur musique, qui se l'est appropriée et puis qui l'a offerte aux autres. La culture populaire est donc une chose amusante - vous pouvez toucher les gens de bien des façons.
Je ne sais pas. Probablement que oui. Il n'y a personne par ici attendant immédiatement, le souffle coupé, mon prochain clip. Je n'ai jamais été vraiment un artiste vidéo. J'ai été "pré-vidéo" et je pense le rester, bien qu'aujourd'hui, je sois peut-être "post-vidéo".
Les vidéos-clips ont eu un énorme impact sur la façon de recevoir des images visuelles à la télévision et au cinéma - et ce qui a accéléré la façon dont le monde musical travaillait, pour le meilleur ou pour le pire. Quand j'ai débuté, vous aviez un groupe, vous faisiez une tournée pendant deux ou trois, quatre ans, vous faisiez un millier de concerts ou cinq cent concerts, c'est de cette façon-là que vous vous construisiez un public, et alors peut-être que vous faisiez un hit. Je suis désolé pour certains de ces jeunes groupes talentueux qui arrivent : ils ont un disque qui a du succès, un ou deux vidéo-clips, et puis c'est fini. Je pense que cela a rendu le monde de la musique peut-être plus instable. D'une certaine manière, c'est peut-être plus rapide pour certains jeunes groupes, mais je pense que c'est également plus difficile, parce que vous n'avez pas le temps de construire une relation durable avec votre public.
Il y avait quelque chose à développer lentement un public – vous attiriez un public qui restait avec vous durant une longue période de temps, et il commençait à s'impliquer sur les questions que vous posiez et les problèmes que vous souleviez. C'est un public avec lequel vous partagiez une histoire. Je voyais le travail que j'accomplissais comme le travail de ma vie. Je pensais que je jouerais de la musique toute ma vie et que j'écrirais ma vie entière, et je voulais continuellement faire partie de la vie de mon public. La manière dont vous le faites est la même que la manière dont votre public vit sa vie - vous l'accomplissez en essayant de répondre aux questions que vous et eux se sont posés en même temps, quelquefois en posant de nouvelles questions. Vous trouvez où ces questions vous mènent - vos actions dans le monde. Vous en enlevez l'aspect esthétique et, avec un peu de chance, vous l'amenez dans votre vie quotidienne et concrète, le moral ou l'éthique.
Man On The Train m'a aidé à penser à ces choses d'une certaine manière, quand votre oncle dissèque les héros des vieux westerns. Nous avons notre héros mythologique, Gary Cooper, qui est capable de pure action, que ce soit tout ou rien, et il ressemble à une personne marchant au-dessus de cet abîme d'anxiété, et il n'échouera pas. Alors que le cinéphile, la personne regardant le film, n'en est pas capable. Il n'y a pas de véritable abîme sous Gary Cooper, mais il y en a un sous la personne qui regarde le film ! Amener les gens hors de cet abîme, les aider et m'aider à réaliser dans quel endroit nous nous "trouvons" tous, aider mon public à répondre aux questions posées - c'est ce qui m'intéresse dans mon propre travail.
C'est ce que j'essaie d'accomplir le soir, en concert. Présenter des idées, poser des questions, essayer d'amener les gens au plus près des personnages dans mes chansons, plus près d'eux-mêmes – pour qu'ils puissent aussi prendre ces idées, ces questions - des questions morales fondamentales sur la façon dont nous vivons et sur la façon dont nous nous comportons vis-à-vis de l'autre - et puis déplacer ces questions de l'esthétique au pratique, dans une certaine forme d'action, que ce soit une action au sein de la communauté, ou une action dans la manière de traiter votre femme, ou votre enfant, ou de parler à votre collègue de travail. C'est ce qui peut être fait, et ce qui est fait, à travers les films et la musique et la photographie et la peinture. Ce sont de véritables changements que, je pense, vous pouvez apporter dans la vie des gens, et c'est ce que j'ai réalisé dans ma vie à travers des romans et des films et des disques et des gens qui comptaient pour moi. N'est-ce pas ce que votre oncle voulait dire par "réflexion existentialiste" ?
Et il existe beaucoup de moyens différents d'y arriver. Vous n'avez pas besoin que votre travail ait directement une conscience sociale. Vous pouvez argumenter qu'un des artistes les plus socialement conscients de la deuxième moitié du XXème siècle était Elvis Presley, même s'il n'a probablement pas débuté sa carrière avec une série d'idées politiques en tête qu'il voulait mettre en place. Il disait, "Je suis tout secoué et je veux vous secouer" et c'est ce qui est arrivé. Il a eu un énorme impact sur la façon dont vivaient les gens, la façon dont ils réagissaient face à eux-mêmes, à leur propre physicalité, à l'intégration de leur propre nature. Je pense qu'il était une de ces personnes qui, à sa manière, a mené aux années 60 et au mouvement des Droits Civiques. Il a commencé par "tous nous secouer", ce pauvre gosse blanc du Mississippi qui a établit des liens avec les noirs à travers leur musique, qui se l'est appropriée et puis qui l'a offerte aux autres. La culture populaire est donc une chose amusante - vous pouvez toucher les gens de bien des façons.
Avez-vous toujours essayer d'émouvoir le public de cette façon-là ? Quand avez-vous commencé, quand vous étiez jeune ?
Nous avons essayé d'exciter les gens, nous avons essayé de les rendre vivants. Le cœur de la musique rock était cathartique. Il existait une catharsis fondamentale qui s'opérait dans Louie, Louie (19). Une quête, qui se perpétue. Sa propre nature était d'amener les gens à entrer "en contact" avec eux-mêmes et avec les autres, d'une certaine manière. Au départ donc, vous essayez juste d'exciter les gens, de les rendre heureux, de les mettre en garde sur eux-mêmes, et de faire la même chose pour vous-même. C'est une manière de combattre votre propre indifférence, votre propre tendance à glisser vers l'aliénation et l'isolement. C'est également l'idée dans Man On The Train : Nous ne pouvons pas être aliénés ensemble. Si nous sommes tous aliénés ensemble, nous ne sommes pas vraiment aliénés.
C'est un peu ce que la musique m'a apportée - elle m'a apporté une communauté, peuplée de gens, et peuplée de frères et de sœurs que je ne connaissais pas, mais je savais qu'ils se trouvaient là. Nous avions cette énorme chose en commun, cette "chose" qui à l'origine ressemblait à un secret. La musique m'a toujours fournit ce foyer, un foyer où mon esprit pouvait vagabonder. Elle a accompli la fonction que tout art et que tout film et que toutes bonnes relations humaines remplissent - elle m'a fournie une sorte de "foyer" constamment dépeint par ces philosophes que votre oncle aimait.
Il y a tout un tas de véritables communautés qui ont été bâties autour de cette notion – la communauté très réelle de votre bar du samedi soir, dans votre quartier. L'importance des groupes de bar à travers toute l'Amérique, c'est qu'ils nourrissent et inspirent cette communauté. Et ainsi, il y a de véritables communautés de gens et de personnages, que ce soit à Asbury Park ou dans un million de villes différentes dans le pays. Et puis il y a la communauté qui vous rend capable d'imaginer, mais que vous n'avez pas encore vue. Vous ne savez même pas qu'elle existe, mais vous sentez que, grâce à ce que vous avez entendu ou vécu, elle pourrait exister.
C'était une idée très puissante car elle vous attirait vers l'extérieur à la recherche de cette communauté - une communauté d'idées et de valeurs. Je pense qu'en grandissant et en développant un point de vue politique, elle s'étend vers ces mondes, le monde des autres, dans toute l'Amérique, et vous réalisez que c'est n'est qu'une extension de cette chose que vous ressentiez dans un bar le samedi soir à Asbury Park quand il y avait 150 personnes dans la salle.
Qu'essayez-vous d'apporter aux gens ? Qu'est-ce que les parents essayent d'apporter à leurs enfants ? Vous êtes censés apporter une présence optimiste, une présence décente, dans la vie de vos enfants et dans la vie de vos voisins. C'est ce avec quoi je voudrais que mes enfants grandissent et puis qu'ils puissent le transmettre en devenant adultes. C'est un élément important de ce que vous pouvez faire avec une chanson, et avec des images et avec des mots. C'est réel et ses résultats sont physiques et tangibles. Et si vous suivez ses implications, cela vous mènera à la fois à l'intérieur ou à l'extérieur de vous-mêmes. Certains jours, nous descendons en nous, et d'autres fois nous en sortons en courant. Un bon jour est un équilibre entre ces choses. Quand la musique rock avait un fort impact, elle accomplissait tout ces choses - regarder en soi et atteindre les autres.
Pour en revenir là où nous avons commencé, il peut être difficile de construire ces genres de connexions, de construire et de garder ces genres de communautés, quand vous êtes choisi puis rejeté si rapidement - ce culte de la célébrité. Quand vous êtes au mieux, le plus honnête possible, le moins fastueux possible, vous partagez une histoire commune, et vous essayez à la fois de poser des questions et d'y répondre en concert avec votre public. En concert. Le mot "concert" - des gens travaillant ensemble - c'est l'idée. C'est ce que j'ai essayé de faire alors que j'avance dans mon travail. Je suis reconnaissant d'avoir un public dévoué, fidèle, qui m'a suivi tout au long d'une bonne partie du chemin. C'est l'une des grandes bénédictions de ma vie - avoir cette compagnie et être capable de compter dessus. Vous savez, "compagnon" signifie partager le pain avec vos frères et sœurs, vos congénères – la chose la plus importante au monde ! Cela a alimenté ma famille, et moi, et mon groupe pendant toute ma vie.
Pensez-vous avoir élargi votre public en incluant certains genres de personnes sur lesquelles vous écrivez aujourd'hui : des immigrés mexicains, des sans-abris ? Avez-vous l'impression de faire quelque chose pour ces gens grâce à votre musique ?
Il existe une différence entre un lien émotionnel avec eux, comme celui que je pense avoir, et un impact plus physique, plus palpable. Il y a eu une époque au milieu des années 80 où je voulais transformer ma musique en une sorte d'activité et d'action, afin d'avoir un impact concret sur les communautés que je traversais lors de voyages à travers le pays. Lors de cette dernière tournée, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui sont là en première ligne - des activistes, des avocats, des travailleurs sociaux - et les gens pour lesquels ils s'impliquent. Les organisations varient d'une ville à l'autre, mais généralement, nous avons travaillé avec une organisation qui fournit une aide immédiate aux gens en détresse, et puis nous avons aussi trouvé une organisation qui essaie d'avoir un impact sur la politique locale. Ce travail m'a aidé à avoir une notion sur ce qui se passait dans ces villes, et les circonstances qui entourent les gens que j'imagine dans mes chansons, dans la communauté imaginée que je crée avec ma musique.
Je suis certain que j'ai plus reçu par ma musique que ce que j'y ai mis, mais ces rencontres et ces conversations me permettent de rester connecté pour que je me souvienne des personnes réelles sur lesquelles j'écris. Mais je ne me revendiquerais pas comme un activiste. Je suis plus un citoyen concerné. Je dirais que je m'investis jusqu'aux genoux, mais pas jusqu'au cul !
Je crois que je suis – à la base - un observateur concerné, même éveillé, une sorte de personnage comme le personnage principal de Invisible Man de Ralph Ellison (20). Pas que je sois invisible ! Mais le personnage d'Ellison ne s'attaque pas directement au monde. Il veut voir le monde changer, mais c'est principalement un témoin, un témoin de l'aveuglement. J'ai récemment entendu deux enseignants, un blanc et un noir, parlant de ce roman, et il les avait certainement touché; c'est ce que désirait Ellison, c'est une grande histoire américaine - et d'une certaine façon nous en faisons tous partie.
Nous avons essayé d'exciter les gens, nous avons essayé de les rendre vivants. Le cœur de la musique rock était cathartique. Il existait une catharsis fondamentale qui s'opérait dans Louie, Louie (19). Une quête, qui se perpétue. Sa propre nature était d'amener les gens à entrer "en contact" avec eux-mêmes et avec les autres, d'une certaine manière. Au départ donc, vous essayez juste d'exciter les gens, de les rendre heureux, de les mettre en garde sur eux-mêmes, et de faire la même chose pour vous-même. C'est une manière de combattre votre propre indifférence, votre propre tendance à glisser vers l'aliénation et l'isolement. C'est également l'idée dans Man On The Train : Nous ne pouvons pas être aliénés ensemble. Si nous sommes tous aliénés ensemble, nous ne sommes pas vraiment aliénés.
C'est un peu ce que la musique m'a apportée - elle m'a apporté une communauté, peuplée de gens, et peuplée de frères et de sœurs que je ne connaissais pas, mais je savais qu'ils se trouvaient là. Nous avions cette énorme chose en commun, cette "chose" qui à l'origine ressemblait à un secret. La musique m'a toujours fournit ce foyer, un foyer où mon esprit pouvait vagabonder. Elle a accompli la fonction que tout art et que tout film et que toutes bonnes relations humaines remplissent - elle m'a fournie une sorte de "foyer" constamment dépeint par ces philosophes que votre oncle aimait.
Il y a tout un tas de véritables communautés qui ont été bâties autour de cette notion – la communauté très réelle de votre bar du samedi soir, dans votre quartier. L'importance des groupes de bar à travers toute l'Amérique, c'est qu'ils nourrissent et inspirent cette communauté. Et ainsi, il y a de véritables communautés de gens et de personnages, que ce soit à Asbury Park ou dans un million de villes différentes dans le pays. Et puis il y a la communauté qui vous rend capable d'imaginer, mais que vous n'avez pas encore vue. Vous ne savez même pas qu'elle existe, mais vous sentez que, grâce à ce que vous avez entendu ou vécu, elle pourrait exister.
C'était une idée très puissante car elle vous attirait vers l'extérieur à la recherche de cette communauté - une communauté d'idées et de valeurs. Je pense qu'en grandissant et en développant un point de vue politique, elle s'étend vers ces mondes, le monde des autres, dans toute l'Amérique, et vous réalisez que c'est n'est qu'une extension de cette chose que vous ressentiez dans un bar le samedi soir à Asbury Park quand il y avait 150 personnes dans la salle.
Qu'essayez-vous d'apporter aux gens ? Qu'est-ce que les parents essayent d'apporter à leurs enfants ? Vous êtes censés apporter une présence optimiste, une présence décente, dans la vie de vos enfants et dans la vie de vos voisins. C'est ce avec quoi je voudrais que mes enfants grandissent et puis qu'ils puissent le transmettre en devenant adultes. C'est un élément important de ce que vous pouvez faire avec une chanson, et avec des images et avec des mots. C'est réel et ses résultats sont physiques et tangibles. Et si vous suivez ses implications, cela vous mènera à la fois à l'intérieur ou à l'extérieur de vous-mêmes. Certains jours, nous descendons en nous, et d'autres fois nous en sortons en courant. Un bon jour est un équilibre entre ces choses. Quand la musique rock avait un fort impact, elle accomplissait tout ces choses - regarder en soi et atteindre les autres.
Pour en revenir là où nous avons commencé, il peut être difficile de construire ces genres de connexions, de construire et de garder ces genres de communautés, quand vous êtes choisi puis rejeté si rapidement - ce culte de la célébrité. Quand vous êtes au mieux, le plus honnête possible, le moins fastueux possible, vous partagez une histoire commune, et vous essayez à la fois de poser des questions et d'y répondre en concert avec votre public. En concert. Le mot "concert" - des gens travaillant ensemble - c'est l'idée. C'est ce que j'ai essayé de faire alors que j'avance dans mon travail. Je suis reconnaissant d'avoir un public dévoué, fidèle, qui m'a suivi tout au long d'une bonne partie du chemin. C'est l'une des grandes bénédictions de ma vie - avoir cette compagnie et être capable de compter dessus. Vous savez, "compagnon" signifie partager le pain avec vos frères et sœurs, vos congénères – la chose la plus importante au monde ! Cela a alimenté ma famille, et moi, et mon groupe pendant toute ma vie.
Pensez-vous avoir élargi votre public en incluant certains genres de personnes sur lesquelles vous écrivez aujourd'hui : des immigrés mexicains, des sans-abris ? Avez-vous l'impression de faire quelque chose pour ces gens grâce à votre musique ?
Il existe une différence entre un lien émotionnel avec eux, comme celui que je pense avoir, et un impact plus physique, plus palpable. Il y a eu une époque au milieu des années 80 où je voulais transformer ma musique en une sorte d'activité et d'action, afin d'avoir un impact concret sur les communautés que je traversais lors de voyages à travers le pays. Lors de cette dernière tournée, j'ai rencontré beaucoup de personnes qui sont là en première ligne - des activistes, des avocats, des travailleurs sociaux - et les gens pour lesquels ils s'impliquent. Les organisations varient d'une ville à l'autre, mais généralement, nous avons travaillé avec une organisation qui fournit une aide immédiate aux gens en détresse, et puis nous avons aussi trouvé une organisation qui essaie d'avoir un impact sur la politique locale. Ce travail m'a aidé à avoir une notion sur ce qui se passait dans ces villes, et les circonstances qui entourent les gens que j'imagine dans mes chansons, dans la communauté imaginée que je crée avec ma musique.
Je suis certain que j'ai plus reçu par ma musique que ce que j'y ai mis, mais ces rencontres et ces conversations me permettent de rester connecté pour que je me souvienne des personnes réelles sur lesquelles j'écris. Mais je ne me revendiquerais pas comme un activiste. Je suis plus un citoyen concerné. Je dirais que je m'investis jusqu'aux genoux, mais pas jusqu'au cul !
Je crois que je suis – à la base - un observateur concerné, même éveillé, une sorte de personnage comme le personnage principal de Invisible Man de Ralph Ellison (20). Pas que je sois invisible ! Mais le personnage d'Ellison ne s'attaque pas directement au monde. Il veut voir le monde changer, mais c'est principalement un témoin, un témoin de l'aveuglement. J'ai récemment entendu deux enseignants, un blanc et un noir, parlant de ce roman, et il les avait certainement touché; c'est ce que désirait Ellison, c'est une grande histoire américaine - et d'une certaine façon nous en faisons tous partie.
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NOTES
(1) Walker Percy (1916 - 1990) est un écrivain et philosophe américain, dont le travail était une combinaison de questionnement existentiel, de sensibilité sudiste et de profonde foi catholique.
(2) The Movigoer (Le cinéaste, 1962) est un livre de de Walker Percy.
(3) John Steinbeck (1902-1968) est un écrivain américain et correspondant de guerre, prix Nobel de littérature en 1962.
(4) The Grapes Of Warth (Les raisins de la colère, 1939) est un roman de John Steinbeck, principale inspiration de l'album The Ghost Of Tom Joad.
(5) The Message In The Bottle (1975) est une collection d'essais de Walker Percy sur la sémiotique.
(6) Born On The Fourth Of July (1974) est une autobiographie de Ron Kovic, vétéran de la Guerre du Vietnam.
(7) Flannery O'Connor (1925-1964) est une écrivain américaine, auteur de nouvelles où elle explore les thèmes religieux et les problèmes raciaux à travers des situations absurdes.
(8) Bobbie Ann Mason (1942) est une écrivain américaine, auteure d'essais, de nouvelles et de critiques littéraires.
(9) The Americans (Les américains,1958) est un recueil de photographies de Robert Frank.
(10) John Ford (1894-1973) est un cinéaste américain, 4 fois lauréat de l'Oscar de meilleur réalisateur.
(11) Of Mice And Men (Des souris et des hommes, 1937) est un court roman de John Steinbeck.
(12) Walt Whitman (1819-1892 ) est poète et humaniste, pilier de la littérature américaine du XIXème siècle, avec Leaves Of Grass.
(13) The Man On The Train est un essai de Walker Percy, publié dans l'ouvrage The Message In The Bottle.
(14) Raymond Carver (1938-1988) est un poète et romancier américain.
(15) La Péninsule est un bras de mer qui sépare le Golfe de Californie (ou mer de Cortès) de l'océan Pacifique.
(16) William Carlos Williams (1883-1963 ) est un poète américain, associé au Modernisme.
(17) Perry Mason est un personnage de roman inventé par Erle Stanley Gardner
(18) Notes On A Navel About The End Of The World est un essai de Walker Percy, publié dans l'ouvrage The Message In The Bottle.
(19) Louie, Louie (1957) est un grand classique de l'histoire du rock, composée par Richard Perry et repris un nombre incalculable de fois.
(20) The Invisible Man (L'homme invisible, pour qui chantes-tu, 1953) est un roman de Ralph Ellison qui décortique la condition de l'individu noir aux États-Unis.
(1) Walker Percy (1916 - 1990) est un écrivain et philosophe américain, dont le travail était une combinaison de questionnement existentiel, de sensibilité sudiste et de profonde foi catholique.
(2) The Movigoer (Le cinéaste, 1962) est un livre de de Walker Percy.
(3) John Steinbeck (1902-1968) est un écrivain américain et correspondant de guerre, prix Nobel de littérature en 1962.
(4) The Grapes Of Warth (Les raisins de la colère, 1939) est un roman de John Steinbeck, principale inspiration de l'album The Ghost Of Tom Joad.
(5) The Message In The Bottle (1975) est une collection d'essais de Walker Percy sur la sémiotique.
(6) Born On The Fourth Of July (1974) est une autobiographie de Ron Kovic, vétéran de la Guerre du Vietnam.
(7) Flannery O'Connor (1925-1964) est une écrivain américaine, auteur de nouvelles où elle explore les thèmes religieux et les problèmes raciaux à travers des situations absurdes.
(8) Bobbie Ann Mason (1942) est une écrivain américaine, auteure d'essais, de nouvelles et de critiques littéraires.
(9) The Americans (Les américains,1958) est un recueil de photographies de Robert Frank.
(10) John Ford (1894-1973) est un cinéaste américain, 4 fois lauréat de l'Oscar de meilleur réalisateur.
(11) Of Mice And Men (Des souris et des hommes, 1937) est un court roman de John Steinbeck.
(12) Walt Whitman (1819-1892 ) est poète et humaniste, pilier de la littérature américaine du XIXème siècle, avec Leaves Of Grass.
(13) The Man On The Train est un essai de Walker Percy, publié dans l'ouvrage The Message In The Bottle.
(14) Raymond Carver (1938-1988) est un poète et romancier américain.
(15) La Péninsule est un bras de mer qui sépare le Golfe de Californie (ou mer de Cortès) de l'océan Pacifique.
(16) William Carlos Williams (1883-1963 ) est un poète américain, associé au Modernisme.
(17) Perry Mason est un personnage de roman inventé par Erle Stanley Gardner
(18) Notes On A Navel About The End Of The World est un essai de Walker Percy, publié dans l'ouvrage The Message In The Bottle.
(19) Louie, Louie (1957) est un grand classique de l'histoire du rock, composée par Richard Perry et repris un nombre incalculable de fois.
(20) The Invisible Man (L'homme invisible, pour qui chantes-tu, 1953) est un roman de Ralph Ellison qui décortique la condition de l'individu noir aux États-Unis.
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23 février 1989
Cher M. Springsteen -
Voici une lettre "de fan", en quelque sorte. J'ai toujours été un de vos admirateurs, de votre musique, et parce que vous êtes une des seules personnes saine d'esprit dans votre domaine.
L'occasion présente est que mon neveu préféré, Will Percy, a une opinion de vous encore plus élevée que la mienne. C'est une jeune avocat intelligent et clairvoyant et qui sait généralement de quoi il parle. L'intérêt particulier est d'avoir appris - dans un article de America, l'hebdomadaire jésuite - que vous êtes un Catholique. Si c'est la vérité, et je le suis également, il apparaîtrait que nous sommes tous les deux des exceptions dans nos professions: vous en tant que musicien post-moderne, moi en tant qu'écrivain, romancier et philosophe. Ceci - et votre admiration pour Flannery O' Connor. C'était une de mes chères amies, bien qu'elle était une catholique bien plus héroïque que moi. Durant toute la période où je l'ai connue, elle était en train de mourir de Lupus Erythematosus, une maladie fatale et terriblement désagréable. Un exemple fondamental de sa foi: elle participait à un séminaire avec quelques ex-catholiques en vogue tel que Mary McCarthy. Mary, pensant être généreuse envers l'Église, déclara quelque chose comme: "Et bien, c'est vrai, certains rituels catholiques, comme l'Eucharistie, sont de bons symboles" Ce à quoi Flannery, qui n'avait pas prononcé un mot, répondit d'une simple phrase: "Je dis que si ce n'est seulement qu'un symbole, qu'on le jette au diable" Vous reconnaitrez le ton de Flannery.
Ainsi pour dire que je suis plus intéressé par votre voyage spirituel, et s'il y avait quelque autre aspect à ce sujet, je vous serais reconnaissant de m'en faire part. Malheureusement, j'ai un cancer et je subis des rayons à cet effet. Je suis loin d'être en bonne santé et je ne suis pas encore capable de recevoir des visiteurs.
Comme je ne connais pas votre adresse, je fais suivre la lettre à Will qui m'a dit savoir où l'envoyer.
Tous mes meilleurs sentiments pour votre superbe carrière.
Cordialement,
Walker Percy
Cher M. Springsteen -
Voici une lettre "de fan", en quelque sorte. J'ai toujours été un de vos admirateurs, de votre musique, et parce que vous êtes une des seules personnes saine d'esprit dans votre domaine.
L'occasion présente est que mon neveu préféré, Will Percy, a une opinion de vous encore plus élevée que la mienne. C'est une jeune avocat intelligent et clairvoyant et qui sait généralement de quoi il parle. L'intérêt particulier est d'avoir appris - dans un article de America, l'hebdomadaire jésuite - que vous êtes un Catholique. Si c'est la vérité, et je le suis également, il apparaîtrait que nous sommes tous les deux des exceptions dans nos professions: vous en tant que musicien post-moderne, moi en tant qu'écrivain, romancier et philosophe. Ceci - et votre admiration pour Flannery O' Connor. C'était une de mes chères amies, bien qu'elle était une catholique bien plus héroïque que moi. Durant toute la période où je l'ai connue, elle était en train de mourir de Lupus Erythematosus, une maladie fatale et terriblement désagréable. Un exemple fondamental de sa foi: elle participait à un séminaire avec quelques ex-catholiques en vogue tel que Mary McCarthy. Mary, pensant être généreuse envers l'Église, déclara quelque chose comme: "Et bien, c'est vrai, certains rituels catholiques, comme l'Eucharistie, sont de bons symboles" Ce à quoi Flannery, qui n'avait pas prononcé un mot, répondit d'une simple phrase: "Je dis que si ce n'est seulement qu'un symbole, qu'on le jette au diable" Vous reconnaitrez le ton de Flannery.
Ainsi pour dire que je suis plus intéressé par votre voyage spirituel, et s'il y avait quelque autre aspect à ce sujet, je vous serais reconnaissant de m'en faire part. Malheureusement, j'ai un cancer et je subis des rayons à cet effet. Je suis loin d'être en bonne santé et je ne suis pas encore capable de recevoir des visiteurs.
Comme je ne connais pas votre adresse, je fais suivre la lettre à Will qui m'a dit savoir où l'envoyer.
Tous mes meilleurs sentiments pour votre superbe carrière.
Cordialement,
Walker Percy
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08 février 1997
Chère Mme Percy,
Voici une lettre si longue à venir que j'en suis presque gêné de l'écrire, mais je connais un peu Will et il m'a encouragé, donc je me lance.
Il y a quelques années lorsque j'ai reçu la lettre du Dr Percy, je n'étais pas familier de son travail... Ma mémoire me disait que sa lettre avait été écrite sur un bloc-notes jaune et que, comme la mienne, son écriture n'était pas la plus facile à déchiffrer. C'était une lettre passionnée sur les conforts et les difficultés de réconcilier la vie intérieure d'un homme sophistiqué, la vie d'un écrivain, avec la foi Catholique. Je me souviens du Dr Percy expliquant comment quelqu'un avait apporté de la profondeur et du sens à quelqu'un d'autre pour lui. Il était curieux de savoir comment je m'occupais de mes problèmes de foi...
C'est aujourd'hui l'un de mes plus grands regrets que nous n'ayons pas pu correspondre. Quelque temps après avoir reçu la lettre du Dr Percy, j'ai lu The Moviegoer, sa rudesse et sa beauté sont restées en moi. La perte et la recherche de la foi et sa signification ont été au cœur de mon propre travail pendant la plus grande partie de ma vie d'adulte. J'aimerais penser que c'est peut-être ce que le Dr Percy entendait et ce qui l'avait poussé à m'écrire. Ces questions sont toujours ce qui me motive à m'asseoir, à prendre ma guitare et à écrire. Aujourd'hui, j'aurais beaucoup à mettre dans cette lettre...
J'espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé et qu'un jour quand je serai par chez vous ou vous par chez moi, nous pouvons nous rencontrer. J'aimerais vous voir venir à un concert, vous apprécieriez !
Amitiés,
Bruce Springsteen
P.S : Je suis en ce moment en Australie et je viens à peine de commencer The Message In The Bottle.
Chère Mme Percy,
Voici une lettre si longue à venir que j'en suis presque gêné de l'écrire, mais je connais un peu Will et il m'a encouragé, donc je me lance.
Il y a quelques années lorsque j'ai reçu la lettre du Dr Percy, je n'étais pas familier de son travail... Ma mémoire me disait que sa lettre avait été écrite sur un bloc-notes jaune et que, comme la mienne, son écriture n'était pas la plus facile à déchiffrer. C'était une lettre passionnée sur les conforts et les difficultés de réconcilier la vie intérieure d'un homme sophistiqué, la vie d'un écrivain, avec la foi Catholique. Je me souviens du Dr Percy expliquant comment quelqu'un avait apporté de la profondeur et du sens à quelqu'un d'autre pour lui. Il était curieux de savoir comment je m'occupais de mes problèmes de foi...
C'est aujourd'hui l'un de mes plus grands regrets que nous n'ayons pas pu correspondre. Quelque temps après avoir reçu la lettre du Dr Percy, j'ai lu The Moviegoer, sa rudesse et sa beauté sont restées en moi. La perte et la recherche de la foi et sa signification ont été au cœur de mon propre travail pendant la plus grande partie de ma vie d'adulte. J'aimerais penser que c'est peut-être ce que le Dr Percy entendait et ce qui l'avait poussé à m'écrire. Ces questions sont toujours ce qui me motive à m'asseoir, à prendre ma guitare et à écrire. Aujourd'hui, j'aurais beaucoup à mettre dans cette lettre...
J'espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé et qu'un jour quand je serai par chez vous ou vous par chez moi, nous pouvons nous rencontrer. J'aimerais vous voir venir à un concert, vous apprécieriez !
Amitiés,
Bruce Springsteen
P.S : Je suis en ce moment en Australie et je viens à peine de commencer The Message In The Bottle.