Danny "Phantom Dan" Federici

organiste, accordéoniste



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L'époque : le début des années 60. L'endroit : Flemington, New Jersey. Et l'instrument : l'accordéon. Un objet dont le jeune Danny a appris à jouer en regardant le Lawrence Welk Show (1) et en prenant des cours pendant plusieurs années. Comme il maitrisait parfaitement les morceaux classiques et la polka, sa mère lui avait trouvé des engagements pour des fêtes, dans des clubs ou à la radio, gagnant même le fameux concours radiophonique et télévisé de Ted Mack, Original Amateur Hour (2).

Danny a quitté l'université très tôt, pour jouer avec d'autres musiciens, dont Bill Chinnock, avec lequel il fréquentera plus tard la scène d'Asbury Park, New Jersey. Au départ, le jeune Danny voulait jouer de la musique pour la télévision ou le cinéma. "Quand je suis allé sur la Côte Ouest pour la première fois, j'ai essayé de trouver du travail pour des films, pour la télévision, faire de la musique d'ambiance. J'ai réalisé que certaines des choses que je créais étaient probablement meilleures que ce que je pouvais entendre à la radio".

Le rock'n'roll est apparu à Danny à la fin des années 60, quand, influencé par le son de la British Invasion, il s'est mis aux claviers et a commencé à se montrer dans les clubs de la côte du New Jersey. Et avec son ami, le batteur Vinnie Lopez, ils ont commencé à vouloir monter un groupe et à chercher un chanteur. Leur quête s'arrêtera le jour où ils verront dans un club de la Côte, un jeune chanteur originaire de Freehold, nommé Bruce Springsteen. Le groupe Child, prédécesseur du E Street Band, était né. "Ce type maigre avec de longs cheveux et un tee-shirt miteux était un incroyable guitariste et un bon chanteur, alors nous lui avons demandé de se joindre à nous".

A partir de ce moment-là, lui et Bruce Springsteen ne se quitteront plus jamais et joueront toujours ensemble (de Steel Mill à Dr Zoom & The Sonic Boom, en passant par le Bruce Springsteen Band jusqu'au E Street Band). Danny Federici passera plus de trente ans à côté de son ami de jeunesse. C'est son orgue qu'on entend sur Kitty's Back, c'est son accordéon qui sonne comme un manège sur la lancinante ballade 4th Of July, Asbury Park (Sandy).

Mais entre les concerts géants et les tournées mondiales, se trouvait le véritable amour musical de Federici : le jazz. Il n'a jamais oublié le jour où il en a entendu pour la première fois : "Mon professeur d'accordéon au Conservatoire de Musique à Philadelphie était malade et il a envoyé un remplaçant qui a dit, "Asseyez-vous. Je veux jouer quelque chose pour vous. Il a joué du jazz avec l'accordéon, et je n'avais jamais rien entendu de tel... C'est peu après que j'ai arrêté d'étudier la musique classique et que j'ai fais mes propres trucs".

Avant et tout au long de sa carrière au sein du E Street Band, Danny Federici a composé quantité de morceaux instrumentaux mais n'avait jamais cherché à les enregistrer. En 1997, il se décide finalement à enregistrer son premier disque personnel, Flemington (du nom de son lieu de naissance), sur son propre label, Deadeye Records (le disque ressortira sous le simple nom de Danny Federici en 2001, sur le label Hip-O Records). Son jazz doux est un retour à ses racines, aidé par le bassiste Garry Tallent et le guitariste Nils Lofgren.

Au printemps 2004, sort Sweet, son second album (le disque sera réédité en 2005 sous le titre Out Of A Dream par le label V2 Records), un nouvel effort jazz, pimenté de funk, et co-écrit avec Michael Cates.

En novembre 2007, en plein milieu de la tournée Magic, Danny Federici annonce publiquement qu'il se met en retrait du E Street Band et de la tournée en cours, afin de soigner un mélanome. Alors en plein traitement, le 20 mars 2008, à Indianapolis, Danny rejoint sur scène ses amis du E Street Band pour quelques chansons. Ce sera son ultime prestation. Danny Federici s'éteint le 17 avril 2008, à New York, au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center.

L'album Working On A Dream (2009) lui sera dédié, et la chanson The Last Carnival sera écrite spécifiquement par Bruce Springsteen pour son ami éternel.

En tant que musicien de studio, Danny Federici a également joué pour Joan Armatrading (sur l'album Me Myself I), Gary U.S. Bonds (Dedication & On The Line), The BoDeans (Blend), Brother (Exit From Screechville), Joe Bean Esposito (Treated & Released), Kevin Gordon (Cadillac Jack's #1 Son), Garland Jeffreys (Escape Artist), Evan Johns & His H-Bombs (Evan Johns & The H-Bombs, Bombs Away! & Love Is Murder) Peter Kelley (Path of the Wave), Little Steven (Men Without Women), Carla Olson (Wave of the Hand: The Best of Carla Olson), Graham Parker (The Up Escalator) ou Armand St. Martin (Alligator Ball).

Une fondation, le Danny Federici Melanoma Fund porte désormais son nom.

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NOTES

(1) Le Lawrence Welk Show était une émission américaine, diffusée localement de 1951 à 1955, puis dans tout le pays de 1955 à 1982. Son présentateur, Lawrence Welk, était un accordéoniste.

(2) The Original Amateur Hour était une émission radiophonique américaine de télé-crochet, de 1934 à 1952, avant de devenir parallèlement une émission télévisée de 1948 à 1970.

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ADIEU A DANNY

Laissez-moi commencer par les anecdotes.

A l'époque des miracles, ces jours de conquête de la frontière où "Mad Dog" Lopez et ses colères paralysaient de peur le groupe, les propriétaires de petits clubs, les civils innocents et toutes les femmes, les enfants et les petits animaux.

A l'époque où vous pouviez encore balancer votre vie en signant un contrat sur le capot d'une voiture dans un parking de New York.

Peu après cette époque où un jeune accordéoniste aux cheveux roux décrocha l'or au cours de l'émission Ted Mack Amateur Hour et où lui et sa maman furent envoyés en Suisse pour leur montrer comment on en joue correctement.

A l'époque où les play-boys sur la plage ne faisaient pas la couverture du Time.

Je parle d'une époque où le E Street Band était une organisation communiste ! Mon pote, le calme et timide Dan Federici, était à lui tout seul le créateur des moments les plus effrayants de nos 40 années de carrière. Et ce n'était pas chose aisée. Il entrait en concurrence avec "Mad Dog" Lopez... Danny a simplement duré plus longtemps que lui.

Peut-être est-ce grâce à cette "émeute avec la police" à Middletown, New Jersey. Un concert que nous donnions afin de récolter l'argent pour la caution de "Mad Dog" Lopez, emprisonné à Richmond, Virginie, suite à une altercation avec des policiers que nous avions exaspérés en jouant trop longtemps. Danny fit prétendument tomber nos énormes amplis Marshall sur ces bonnes gens de Middletown qui s'étaient précipités sur la scène, parce que nous enfreignions la loi... en jouant trop longtemps.

Alors que je regardais ce qui ce passait, plusieurs policiers sont sortis en rampant de sous les enceintes, et se sont sauvés en courant à la recherche d'une assistance médicale. Un autre jeune policier sympathique se tenait devant moi sur la scène, agitant sa matraque, me donnant de petits coups et m'insultant de tous les noms. J'ai regardé par-dessus son épaule et j'ai vu Danny, avec un policier costaud qui le tirait par un bras, pendant que Flo Federici, sa première femme, le tirait de l'autre, aidant son homme à résister à l'arrestation.

Un gosse a bondi du public sur la scène, et a momentanément déconcentré ce policier costaud en lui criant les insultes de l'époque. Après cet épisode, pour toujours, "Phantom" Dan Federici se glissa dans la foule et disparut.

Un mandat d'arrêt contre lui et un mois de cavale plus tard, il n'avait toujours pas comparu devant la justice. Nous le cachions dans divers endroits, mais à ce moment-là, nous avions un problème. Nous allions donner un concert au Monmouth College. Nous avions besoin d'argent et nous devions faire ce concert. Nous avons essayé un remplaçant, mais cela ne fonctionnait pas. Donc, Danny, suscitant toute notre admiration, s'avança et dit qu'il risquerait sa liberté, tenterait sa chance et jouerait.

Soir du concert. 2000 fans hurlent dans le gymnase de Monmouth College. Nous nous étions arrangés pour que Danny n'apparaisse sur scène qu'au moment où nous commencerions à jouer. Nous pensions que les policiers présents pour l'arrêter ne le feraient pas sur scène, pendant le concert, au risque de provoquer une autre émeute.

Laissez-moi vous planter le décor. Danny se cache, accroupi sur la banquette arrière d'une voiture sur le parking. A huit heures moins cinq, heure officielle du début du concert, je pars pour le ramener discrètement. Je frappe à la vitre.

"Danny, c'est l'heure".

J'entends comme réponse, "Je ne viens pas".

Moi: "Qu'est-ce que tu veux dire par tu ne viens pas ?".

Danny, "les flics sont sur le toit du gymnase. Je les ai vus et ils vont me choper à la minute où je sors de cette voiture".

Lorsque j'ouvre la portière, je me rends compte que Danny a fumé un petit quelque chose et qu'il était devenu un tant soit peu parano. J'ai dit, "Dan, il n'y a aucun flic sur le toit".

Il dit, "Si, je les ai vus je te dis, je ne viens pas".

J'ai alors utilisé un procédé auquel j'allais avoir souvent recours pendant les 40 années à venir pour gérer les inquiétudes de mon vieux pote. Je l'ai menacé... et je l'ai couvert de gentillesses. Finalement, il est sorti. Nous avons traversé le parking pour nous engouffrer dans le gymnase et faire un concert extatique durant lequel nous avons ri comme des fous, pensant à notre excellente esquive des flics du coin.

A la fin de la soirée, pendant la dernière chanson, j'ai fait monter toute la foule sur scène et Danny s'est glissé dans le public et il est sorti par la porte principale. Une fois encore, "Phantom" Dan avait réussi sa sortie. (Je reçois toujours, à l'occasion, une carte de l'ancien Chef de la Police de Middletown, nous souhaitant plein de bonnes choses. Nos histoires sont liées à jamais). Et cette histoire, mes amis, ne fut que le commencement.

Il y a eu l'époque où Danny a quitté le groupe durant une période difficile au Max's Kansas City, m'expliquant qu'il partait pour réparer des téléviseurs. Je lui ai demandé d'y réfléchir et de revenir plus tard.

Ou Danny, dans la voiture de location du groupe, jouant aux autos-tamponneuses avec plusieurs voitures garées, après une nuit d'amusement, brisant le pare-brise avec sa tête mais s'en sortant sans blessures graves, grâce à l'énorme chapeau de cow-boy qu'il avait acheté au Texas, lors de notre virée dans l'Ouest.

Ou Danny, laissant un énorme plant de marijuana sur le siège avant de sa voiture dans une zone où le stationnement était interdit. La voiture fut rapidement remorquée. Il m'a dit, "Bruce, je vais aller au commissariat et signaler qu'elle a été volée". Je lui ai dit, "Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée".

Et le voilà parti, directement en prison, sans passer par la case départ.

Ou Danny, le seul membre du E Street Band à s'être fait physiquement jeté dehors du Stone Pony. Considérant la somme d'argent que nous leur avons rapportée, ce n'était pas chose facile à faire.

Ou Danny recevant et survivant à des "coups et blessures d'avertissement" d'un "Big Man" Clarence Clemons, enragé mais mesuré, à l'époque où ils vivaient ensemble, et Danny avait finalement réussi à pousser le "Big Man" à bout.

Ou Danny m'aidant à enlever mon pied d'une enceinte après avoir été le seul membre du groupe à m'avoir jamais mis dans une colère aussi violente.

Et à travers toutes ces histoires, Danny jouait de son superbe orgue B3 en y mettant toute son âme et notre amour a grandi. Et a continué de grandir. La vie est drôle ainsi. C'était le gamin du coin, et génial en plus, et c'est pour cette raison que vous devez être indulgent... Et il était beaucoup plus tolérant envers mes échecs, que moi envers les siens.

Quand Danny ne provoquait pas le chaos, c'était un mec doux, talentueux, simple, sans prétention, qui avait simplement une capacité démesurée à faire fabuleusement échouer la bonne fortune et les bonnes choses.

Mais au-delà de tous ces aspects, il avait également une montagne de bons côtés. Il avait le cœur et l'âme d'un ingénieur. Il a appris à piloter un avion. Il était toujours au fait des dernières technologies et vous les expliquait avec patience et avec énormément de détails. Il était toujours en train de "trafiquer" quelque chose dans le but d'améliorer sa voiture, sa chaîne stéréo, son B3. Quant Patti s'est jointe au groupe, il a été l'ami le plus accueillant, le plus attentif, le plus gentil envers la première femme qui entrait dans notre "club de garçons".

Il adorait ses enfants, vantant sans cesse Jason, Harley et Madison et il aimait sa femme Maya pour toutes les nouvelles choses qu'elle lui avait apportées dans sa nouvelle vie.

Et puis, il y avait son talent artistique. C'était le musicien le plus intuitif que j'ai jamais vu. Son style était glissant et fluide, attiré par les espaces que laissaient les autres musiciens du E Street Band. Ce n'était pas un musicien dominant, c'était un musicien complémentaire. Un véritable accompagnateur. Il apportait naturellement la colle qui fixait le son du groupe. Ainsi, il s'est créé un style très spécifique. Quand vous entendez Dan Federici, vous n'entendez pas une couverture de sons, vous entendez un riff, débordant d'énergie, flottant au-dessus de tout le reste pour quelques instants et puis disparaissant dans la chanson. "Phantom" Dan Federici. A présent vous l'entendez, à présent vous ne l'entendez pas.

Quand il n'était pas sur scène, Danny était incapable de réciter une parole ou la progression d'un accord d'une de mes chansons. Sur scène, ses oreilles s'ouvraient. Il écoutait, il ressentait, il jouait, trouvant le vide parfait, la place parfaite pour un accord ou une rafale de notes. Ce style a créé un sentiment formidable de spontanéité dans la musique jouée tous ensemble.

En studio, si je voulais aérer la chanson que nous étions en train d'enregistrer, je mettais Danny sur le coup sans lui dire ce qu'il fallait jouer. Je lui laissais le champ libre. Il a apporté avec lui le son du carnaval, des parcs d'attraction, du boardwalk, de la plage, de la géographie de notre jeunesse et le cœur et l'âme du lieu de naissance du E Street Band.

Puis nous avons grandi. Très lentement. Nous avons traversé ensemble beaucoup d'épreuves et de tribulations. La réponse que donnait Danny à une erreur commise sur scène, à des moments difficiles, à des évènements catastrophiques se résumait habituellement à un haussement d'épaules et à un sourire. Du genre, "Je ne suis qu'un homme sur une mer déchaînée, mais je flotte toujours. Et nous sommes toujours là".

J'ai vu Danny combattre et vaincre de sérieuses addictions. Je l'ai vu se démener pour mettre de l'ordre dans sa vie et durant les dix dernières années, quand le groupe s'est reformé, je l'ai vu s'épanouir à prendre place derrière ce gros B3, débordant de vie et, oui, d'une nouvelle maturité, d'une passion pour son travail, pour sa famille et son foyer, dans la fraternité de notre groupe.

Ensuite, je l'ai vu se battre contre son cancer sans se plaindre et avec un grand courage et un grand optimisme. Quand je lui demandais comment les choses se présentaient, il me disait simplement, "Qu'est-ce que tu vas y faire ? J'attends demain avec impatience". Danny, le fataliste rayonnant. Il s'est accroché jusqu'au bout.

Il y a quelques semaines, nous nous sommes finalement retrouvés sur scène à Indianapolis, pour ce qui serait sa dernière fois. Avant de monter, je lui ai demandé ce qu'il voulait jouer et il a dit "Sandy". Il voulait sangler l'accordéon et revisiter le boardwalk de notre jeunesse, durant ces nuits d'été où nous marchions le long des planches en prenant tout notre temps.

Alors qu'importe si nous avions simplement détruit trois voitures en stationnement, c'est une nuit magnifique ! Alors qu'importe si nous étions poursuivis par l'ensemble des services de police de Middletown, allons nager ! Il voulait jouer encore une fois la chanson qui parle, bien évidemment, de la fin de quelque chose de merveilleux et du début de quelque chose d'inconnu et de nouveau.

Retournons à l'époque des miracles. Pete Townsend a dit, "Un groupe de rock'n'roll est quelque chose de dingue. Vous rencontrez certaines personnes quand vous êtes gamin et contrairement à n'importe quelle autre profession dans le monde entier, vous restez enchaînés à eux pour le reste de votre vie, peu importe qui ils sont ou les choses dingues qu'ils font".

Si nous n'avions pas joué ensemble, les membres du E Street Band ne se connaîtraient probablement pas aujourd'hui. Nous ne serions pas dans cette pièce ensemble. Mais nous... nous jouons ensemble. Et chaque soir, à 20 heures, nous montons sur scène et là, mes amis, c'est un endroit où les miracles se produisent... d'anciens et de nouveaux miracles. Et ceux qui sont avec vous, quand les miracles se produisent, vous ne les oubliez jamais. La vie ne vous sépare pas. La mort ne vous sépare pas. Ceux qui se trouvent à vos côtés et créent des miracles pour vous, comme Danny le faisait pour moi tous les soirs, c'est un bonheur pour vous de se trouver parmi eux.

Évidemment, nous avons tous grandi et nous savons que "ce n'est que du rock'n'roll"... mais ce n'est pas ça. Après une vie entière à regarder un homme accomplir son miracle pour vous, soir après soir, vous ressentez quelque chose qui ressemble énormément à de l'amour.

Ainsi aujourd'hui, faisant une autre de ses mystérieuse sorties, nous disons au revoir à Danny, "Phantom" Dan, Federici. Père, mari, mon frère, mon ami, mon mystère, mon épine, ma rose, mon musicien, mon miracle personnifié et membre honoraire à vie d'un E Street Band légendaire faisant trembler les murs, tombant les pantalons, scandalisant la terre, jouant un rock rugueux, secouant les culs, faisant l'amour, brisant les cœurs, pleurant de l'âme... et oui, défiant la mort.

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NOTES

Cet éloge funèbre a été prononcé par Bruce Springsteen aux funérailles de Danny, le 21 avril 2008 à Red Bank, New Jersey, puis publié sur le site officiel du chanteur.

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Danny Federici continue de rêver
Backstreets - hiver 2005/2006

Alors que de nombreux fans de Springsteen économisent leur argent durement gagné pour la prochaine tournée avec le groupe, les E Streeters eux-mêmes s'occupent avec d'autres projets. Membre fondateur du E Street Band et accordéoniste extraordinaire, Danny Federici a sorti au mois de juillet son second album solo, Out Of A Dream sur le label V2, projetant de prendre la route en embarquant son propre groupe.

Le claviériste, formé au classique, a donné une suite à son album de 1997, Flemington (ressorti en 2001 sur le label Hip-O), avec une autre collection de compositions de jazz atmosphérique, dont beaucoup ont été co-écrites avec Michael Cates, son collaborateur, directeur musical et saxophoniste. Cette fois-ci, l'album contient également deux reprises, dont Knockin' On Heaven's Door, le classique de Dylan.

Juste avant la sortie de Out Of A Dream, Backstreets a parlé avec Federici, à la fois de l'album et de ses faits et gestes sur E Street.

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C'est votre deuxième album dans ce genre, le smooth jazz. Qu'est-ce que vous a donné envie de revenir au jazz ?

En fait, c'est ce que je joue; c'est la musique que j'écoute, le style de musique que je joue constamment. Je n'en joue pas vraiment avec le E Street Band, sauf à l'occasion des spectacles de Noël avec Kitty's Back, quand Bruce regarde de l'autre côté et me laisse jouer un peu plus longtemps... C'est très dur, avec dix musiciens dans le groupe, c'est très dur d'être entendu. Les choses que nous jouons sont très importantes pour les chansons de Bruce, mais j'ai beaucoup plus à dire, également. Vous savez, je compose tout le temps. Et c'est vraiment la musique que j'aime: la musique jazz, bluesy - j'en joue live, je m'éclate dessus. Beaucoup de fans du E Street Band sont venus et ont été surpris, ils ne pensaient pas que je pouvais jouer de cette façon.

Beaucoup de personnes ne savent pas que vous êtes un musicien avec une formation classique, que vous avez étudié l'accordéon classique avant de vous tourner vers le jazz, et puis le rock'n'roll.

C'est dur. Je dois beaucoup convaincre, même à Los Angeles, là où je vivais - j'arrivais pour jouer sur une bande originale, et j'entendais, "Vous n'êtes pas le batteur ou autre du E Street Band ?" Et je disais, "Non, je suis en fait un accordéoniste, et je sais ce que je fais".

Que joue-t-on comme musique avec l'accordéon classique ?

Il y a beaucoup de travail vraiment complexe, allemand et polonais, que vous pourriez peut-être comparer à des chansons folkloriques de ces pays-là. Et il y a certaines chansons que vous jouez lors de radio-crochets, comme Bumblebee... des choses que les gens reconnaissent, et qui disent, "Si il sait jouer ce titre, c'est qu'il doit être sacrément bon".

Je viens juste de voir un film indépendant sur la musique zydeco - avez-vous déjà essayé ce genre ?

Le zydeco est fantastique. Je jouais avec Lisa Haley, une fille à L. A., et je n'avais jamais joué autant d'accordéon de ma vie. On jouait pendant des heures... Et je prenais l'accordéon et je jouais du zydeco, et c'est vraiment très intéressant.

J'en avais un peu entendu quand vous jouez en concert avec Bruce, mais il ne semble jamais vouloir aller trop loin dans cette direction.

Oui. Nos répétitions ressemblent à des jams sessions, et elles peuvent parfois être très plaisantes - et puis nous devons nous y mettre et revenir à la chanson.

Vous avez un peu participé à des sessions de studio à la fin des années 70 et au début des année 80. En avez-vous fait d'autres depuis ?

J'ai joué sur un album de BoDeans il y a trois ou quatre ans, mais sinon, je n'ai rien fait d'autre. Vous savez, j'ai joué avec Graham Parker et Joan Armatrading... plusieurs petites choses quand nous étions côte à côte au Record Plant, quand nous enregistrions Darkness On The Edge Of Town. Je me suis rendu compte que dans beaucoup de cas, les musiciens ou les producteurs ne savaient pas ce qu'ils voulaient quand j'arrivais, et je pense qu'il y a beaucoup plus de travail à faire que ce pourquoi on est vraiment payé. Je me retrouvais à écrire la moitié de la chanson, ou à écrire un riff, ou à faire une partie de leur travail, et tout prenait un temps infini... beaucoup de travail pour un petit peu d'argent. Il ne s'agissait pas vraiment d'argent, mais, hey, j'apporte une véritable contribution.

Vous avez parlé de musique de films. Est-ce un genre qui vous permet d'apporter un peu plus de créativité ?

J'ai déménagé à Los Angeles il y a 15 ans avec cette idée en tête. J'y suis allé en essayant d'intégrer le circuit cinématographique, et c'est de cette manière que la plupart des chansons de Flemington ont été créées. Il y a beaucoup de morceaux que j'ai écrit avec l'intention d'en placer certaines dans des films ou à la télévision - des thèmes, ou autre, de la musique d'accompagnement. La plupart de ces morceaux étaient vraiment écrit pour la télévision, et j'y ajoutais un pont ou un refrain, ou je les complétais. J'avais des centaines d'idées. Malheureusement, Los Angeles est une ville agréable pour un nouvel arrivant - surtout pour un nouvelle arrivant qui ne fait plus partie du E Street Band. J'ai en quelque sorte perdu un peu de crédibilité. Et on pense que si vous emménagez là-bas, vous devez y rester pendant au moins deux ans avant d'être crédible, sinon on imagine que vous ne venez que pour prendre l'argent et partir.

Deux années sont donc passées, et j'ai commencé à ne plus m'intéresser... et j'ai monté le groupe House Of Blues. Les gens de chez HBO nous ont promis et donné carte blanche - c'était génial, parce que j’essayais de m'établir à Los Angeles - vous savez, montrer que je vivais bien ici - alors je jouais les lundi soirs pour 100$. Chaque lundi soir, vous pouviez faire monter des gens sur scène pour jouer. Branford Marsalis est venu jouer un soir, Bruce est venu un soir... Il s'agissait d'un lieu où les gens pouvaient venir me voir.

Cependant, le côté business avait été laissé de côté. Je suis revenu à New York. J'avais fait des allers et retours pendant les trois dernières années. En un an, j'avais un contrat discographique et un contrat littéraire.

Un contrat littéraire ?

Oui, j'ai un livre qui doit sortir l'année prochaine, à l'automne, chez Chronicle Books, titré My Life on E Street. J'ai commencé à prendre des photos à l'âge de 19 ans, et j'ai des boites pleines de trucs. C'est vraiment secondaire. Mais vous savez, comme Out Of A Dream est sorti, je peux jouer un peu, et je peux parler un peu de ce que j'ai fait avec le E Street Band également.

Quand les morceaux de cet album ont-ils été écrits ? Avez-vous travaillé "à la marge" ?

J'en parlais beaucoup au milieu de la tournée The Rising, et en fait, j'ai beaucoup composé en Europe. J'étais vraiment inspiré par l'art, par la peinture. Il y a énormément d'instants qui m'inspirent quand vous êtes en tournée... je suis dans une ville et j'ai trois jours de repos, et c'est très industriel... J'ai eu beaucoup de temps, et je notais les idées et j'enregistrais quelques riffs sur un enregistreur. C'est le style de musique que je peux jouer jusqu'à mes 75 ans.

Qui fait partie de vos influences ?

Brian Culbertson, David Sanborn... Je n'écoute pas beaucoup de smooth jazz. Le plus gros problème à mes yeux, c'est qu'ils ont tendance à trop se répéter - comme toutes les radios. Et j'en ai marre d'entendre toujours la même chose. J'écoute des débats, j'écoute les informations. Je n'écoute pas vraiment de musique. Mais j'écris constamment; je viens d'acheter un nouveau système qui est phénoménal. Je suis allé chez Macintosh et j'ai pris ce logiciel appelé Logic, et je compose des trucs aujourd'hui que ne je pensais pas possible par le passé. J'arrive à avoir le son d'un piano à queue, qui sonne comme un Bosendorfer. C'est un outil de création fantastique, et je travaille déjà à de nouvelles choses pour un autre disque.

Allez-vous faire quelques scènes avec ce disque ?

Je suis en train de monter un groupe avec Mark Rivera, du groupe de Billy Joel, et en fait, je suis en train de m'occuper de la logistique en ce moment. Je ne m'étais pas rendu compte combien j'étais gâté avec le E Street Band : vous devez trouver un camion, vous devez trimballer beaucoup d'instruments - vous savez, que vais-je jouer ? De quelle façon allons-nous y arriver ? De quelle façon allons-nous les brancher ? Il y a beaucoup à faire. Je le faisais avant quand j'avais monté un groupe pour jouer quelques concerts... Je suis en bonne santé, je peux le faire.

Comment le fait d'avoir des enfants a-t-il affecté votre vie et votre travail ? Je sais que pour Bruce, son travail a été grandement affecté.

J'ai adopté deux enfants au cours de mon dernier mariage, et c'était incroyable car ils sont bi-raciaux - ils sont hispaniques et afro-américains - et c'était une chose incroyable pour moi, car je ne savais pas leur origine au départ. Et alors qu'ils étaient plus bruns que moi, j'ai commencé à regarder autour de moi, et à regarder mes préjugés et à réfléchir sur la façon dont j'avais été élevé. Mon père était italien et ma mère était polonaise, et j'ai été adopté, et j'ai grandi juste à côté d'un quartier noir à Flemington, et je pense que certains de ces préjugés m'avaient été inculqués.

Maintenant que j'ai ces enfants, ma vie est non seulement centrée sur eux et ils me font véritablement regarder ce qui m'entoure, et ils me font regarder des choses qui étaient enracinées en moi depuis longtemps. Et j'ai commencé à regarder tout le monde de la même façon. Et ces enfants sont absolument magnifiques, des filles intelligentes, et c'était un enchantement incroyable quand elles sont venues vers moi. Et je ne veux pas que ce que je dise sonne trop "léger", mais je vous dis juste que certaines personnes ont des enfants et ils ne s'entendent pas avec eux , et il n'y a rien à dire, ce n'est que routine. Ces filles ont eu un un effet profond sur ma vie, et c'est de ça que parle ma chanson Golden Apples.

Certains fans de Bruce ne réalisent peut-être pas que vous êtes un membre fondateur du E Street Band.

Oui, c'est vrai. Vini Lopez et moi avons vu Bruce et lui avons demandé de se joindre à notre groupe. J'en ai parlé à quelques personnes et elles ne l'ont jamais publié - elles ne le croyaient pas !

Comment c'est de travailler, en gros, avec les mêmes personnes depuis plus de 30 ans ?

C'est comme si elles devenaient votre famille, c'est comme quelqu'un qui est toujours là pour vous. Et vous n'avez pas besoin de les voir tout le temps - de plus, quand nous ne sommes pas ensemble, nous ne sommes pas ensemble. Nous habitons d'un bout à l'autre du pays. Mais nous pouvons compter sur chacun d'entre nous - Bruce a été d'un grand soutien tout au long de ma vie. J'ai eu des hauts et j'ai eu des bas, et il en a certainement eu pour son argent, et il a toujours été là pour moi, et on se dit que nous sommes chanceux. Il n' y a qu'une poignée de groupes au monde qui peut faire ce que nous faisons.

Vous savez, mon père disait, "Tu ferais mieux de trouver quelque chose que tu sais faire, car ton rock'n'roll ne durera jamais".

Parlons un peu de la scène d'Asbury Park au tout début du groupe. Elle ressemblait bien plus à une communauté de musiciens, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Asbury Park était une sacré scène à cette époque-là, c'était très animée. Il y avait quantité de clubs, ils étaient ouverts tard, tout le monde jouait les chansons du Top 40 - vous savez, ce qu'on entendait à la radio. Je conduisais depuis Flemington - j'avais un van Volkswagen, j'étais un peu hippie. Il y avait des fleurs sur mon bus, et il n'y avait jamais beaucoup d'essence, et j'avais l'habitude de conduire jusqu'à la Côte et de trainer là.

Il y avait un endroit appelé Upstage Club, c'était un bar ouvert jusqu'à 4 heures du matin. Et tous les musiciens qui jouaient en ville, quand ils avaient terminé, ils venaient au Upstage Club et puis jouaient la musique qu'ils voulaient jouer. Donc, il y avait là une cinquantaine de musiciens qui trainaient dans cet endroit, et tout ce qu'ils avaient à faire, c'était d'amener leur instrument et de le brancher dans le "mur du son" - ce type, Tom Potter, avait monté un mur remplis d'enceintes et il avait mis un ampli devant la scène, et vous n'aviez qu'à le brancher et commencer à jouer. Donc, tout le monde jouait avec tout le monde, et tous les membres du groupe se trouvaient là - Garry était dans un groupe, Vini était dans un autre groupe - des musiciens venus de tous horizons pouvaient se rassembler et jouer ensemble jusqu'à 4 heures du matin.

Récemment, nous avons vu le E Street Band au sein de la tournée Vote For Change. C'était intéressant d'observer la synergie qui s'est développée, presque générationnelle entre John Fogerty, vous, R.E.M, et puis Bright Eyes. Pour vous, qu'en avez-vous retiré ?

Vous savez, on n'a pas vraiment l'habitude de jouer avec d'autres musiciens. Donc, cette expérience-là, avoir d'autres musiciens qui jouent avec nous... Je pouvais juste m'assoir et être diverti par d'autres grands musiciens. Politiquement parlant, je n'ai pas grand chose à dire - c'était une idée de Bruce, c'était son truc, et quelque chose qu'il voulait vraiment faire, et c'était vraiment le grand frisson. Fogerty était formidable, il était très énergique. James Taylor, j'ai aimé quand les Dixie Chicks l'accompagnaient. Neil Young était génial. Je suis allé le voir après l'avoir entendu jouer - je ne voulais pas arriver et lui dire, "Je suis fan de ce que tu fais depuis que je suis gamin", mais je l'ai fait. C'est un homme si gentil, il est formidable. Tout le monde se trouvait dans le même état d'esprit; nous prenions tous du bon temps.

En repensant à la tournée The Rising, c'était toujours un grand moment quand vous jouiez de temps en temps de l'accordéon sur des morceaux comme Working On The Highway.

Oui. J'aime toujours sortir l'accordéon; il me permet de sortir de derrière mon orgue imposant. C'est débilitant jusqu'à un certain point, vous savez - vous ne pouvez voir que ma tête. Et puis, c'est mon instrument principal, ce que j'ai joué pendant des années et des années, je peux en jouer à l'endroit, à l'envers. Tout dépend du set, tout dépend de ce qu'on joue. Parfois, on ne peut pas. Mais il y a des moments où on peut en jouer... En fait, Nils et Roy et moi avons commencé à jouer de l'accordéon comme un trio. Nous étions en Suisse, et nous avons tous appris à jouer un vieux truc suisse et nous sommes montés sur scène et avons joué cette chanson à trois et nous avons eu des éloges !

Un autre de mes instants préférés sur la tournée The Rising était la partie d'orgue sur You're Missing.

Merci, c'est toujours bien un grand moment tel que celui-là. J'aime aussi cette partie.

Est-ce que le E Street Band a effectué des enregistrements en studio depuis le disque The Rising ?

Non, on a parlé de faire quelque chose juste après la tournée, et le projet ne s'est pas fait, alors tout le monde est parti faire ce qu'il a à faire, parti s'occuper.

Est-ce que les fans doivent commencer à économiser pour l'année prochaine ?

Laissez-moi vous dire, ils économisent leur argent de toute façon ! J'ai fait une interview un peu plus tôt aujourd'hui, et le journaliste me disait qu'il avait lu dans un journal italien que Bruce avait dit qu'il écrivait des chansons - des "chansons rock". Et je lui ai dit, "C'est bon à savoir", car les gens me posent toujours la question, et je suis toujours le dernier à l'apprendre ! Bruce est un homme chanceux - il peut faire ce qu'il veut quand il veut, et c'est de cette façon qu'il opère.

Nous arrivons au 30ème anniversaire de l'album Born To Run, reconnu aujourd'hui comme un classique. Vous n'êtes pas trop sur ce disque - quelle était la raison ?

C'était étrange à cette époque-là... Je ne connais pas la raison. Il y avait des périodes où il pouvait y avoir un disque sur lequel Roy était plus privilégié que moi, et il pouvait y avoir un disque sur lequel j'étais plus privilégié que Roy. A cette époque, il y avait des allers et retours, et je n'ai vraiment pas d'autres explications. Des changements dans l'humeur, des changements dans le contenu de la chanson. C'est de ça qu'il s'agit, tout est histoire de coloration. Et je pense qu'au fur et à mesure que le groupe s'est développé, il est devenu une part plus importante d'un truc global. Et puis, il est difficile d'inclure chaque instrument - il y a beaucoup d'instruments, et parfois on peut en retirer. Le son est rendu plus important - vous comprenez, essayez de mettre trois guitares sur un disque, parfois c'est un peu dense.

J'ai parlé récemment à Cerphe Colwell, le DJ de Washington, et il m'a parlé du jour où vous étiez venu dans le vieux studio WHFS et que vous aviez joué deux chansons. Est-ce que ce genre de choses vous manque ?

C'est ce que je fais en ce moment, c'est donc plutôt cool... Parce que, oui, c'est ce que nous faisions, et Vini Lopez jouait sur une boite, et Bruce jouait de la guitare acoustique et moi de l'accordéon.

Les gens parlent encore de cette apparition ici à Washington.

Oui, peu de radios sont aujourd'hui conçues pour accueillir ce genre de choses. J'ai entendu dire que Sirius a un beau studio avec un grand piano, je pense y aller et jouer un peu de piano. J'ai parlé à Max l'autre jour et il va venir m'accompagner... Je vais devoir faire le Conan O'Brien Show un de ces jours !

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